EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. L. 551-1, L. 552-3, L. 553-6, L. 554-1, L. 556-1, L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) - Conditions de placement en rétention et d'assignation à résidence des étrangers faisant l'objet d'une procédure « Dublin »

L'article 1 er de la proposition de loi a un double objet : étendre et sécuriser le placement en rétention des « dublinés », d'une part, et simplifier leur régime d'assignation à résidence, d'autre part.

1. Étendre et sécuriser le placement en rétention des « dublinés »

1.1. Étendre la rétention : le placement en rétention en amont de la décision de transfert

Avant la décision de transfert , un demandeur d'asile présent sur le territoire français et faisant l'objet d'une procédure « Dublin » 82 ( * ) peut être assigné à résidence 83 ( * ) , mais ne peut pas être placé en rétention, comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son avis n° 408919 du 19 juillet 2017 .

Après notification de la décision de transfert , l'assignation à résidence demeure le principe selon le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) 84 ( * ) . Par exception, le « dubliné » peut être placé en rétention pour une durée maximale de 45 jours 85 ( * ) lorsqu'il ne présente pas les garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de fuite .

La proposition de loi vise à étendre les possibilités de placement en rétention des étrangers faisant l'objet d'une procédure « Dublin » : si certains critères étaient réunis, la rétention serait autorisée après la décision de transfert (état du droit français) mais également en amont de cette décision (articles L. 551-1 et L. 561-2 du CESEDA, tels que modifiés par la proposition de loi).

Une telle disposition est rendue possible par l'article 28 du règlement « Dublin III », qui prévoit, dans cette hypothèse, des délais de procédure raccourcis 86 ( * ) .

D'après notre collègue Jean-Luc Warsmann, auteur de la proposition de loi et rapporteur de l'Assemblée nationale, il s'agit, « au nom de l'intérêt général comme de l'efficacité » de « donner (...) au Gouvernement les moyens d'action nécessaires » pour accroître le nombre de réadmissions assurées par la France vers d'autres États « Dublin » 87 ( * ) .

1.2. Sécuriser la rétention : la définition de critères pour objectiver le « risque non négligeable de fuite »

a) La fragilisation du droit en vigueur

Conformément à l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), les étrangers peuvent être placés en rétention lorsqu'ils remplissent l'un des sept critères caractérisant un risque de fuite 88 ( * ) .

Transposant l'article 8 de la directive « retour » de 2013 89 ( * ) , ces critères s'appliquent aujourd'hui aux procédures d'éloignement de droit commun
- obligations de quitter le territoire français (OQTF) notamment - mais aussi aux procédures « Dublin ».

Dans sa décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, le Conseil constitutionnel les a jugés conformes à la Constitution en considérant que « le législateur a retenu des critères objectifs qui ne sont pas manifestement incompatibles avec la directive que la loi a pour objet de transposer ; que, par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l'article 88-1 de la Constitution ».

Se fondant sur un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) 90 ( * ) , la Cour de cassation a toutefois considéré le 27 septembre dernier que les critères de l'article L. 511-1 du CESEDA n'étaient pas suffisants pour caractériser le « risque non négligeable de fuite » exigé par l'article 28 du règlement « Dublin III » pour placer en rétention un « dubliné » 91 ( * ) .

Depuis lors, ce type de placement en rétention n'est plus autorisé, ce qui fragilise les procédures « Dublin » engagées par les préfectures et nuit à leur efficacité .

b) Les critères de la proposition de loi

Dans ce contexte, la proposition de loi vise à sécuriser le placement en rétention des « dublinés » , qu'il soit ordonné en amont ou en aval de la décision de transfert (article L. 551-1 du CESEDA).

Elle tend, tout d'abord, à rappeler les deux conditions cumulatives à réunir, conformément à l'article 28 du règlement « Dublin III », pour ordonner ce placement en rétention .

Concrètement, un étranger sous procédure « Dublin » peut être placé en rétention uniquement :

- s'il présente un « risque non négligeable de fuite », examiné sur la base d'une « évaluation individuelle » (première condition cumulative) ;

- et si ce placement en rétention s'avère proportionnel , notamment face à l'impossibilité de mettre effectivement en oeuvre le régime de l'assignation à résidence (seconde condition cumulative).

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a souhaité assurer la lisibilité et la clarté de cet article L. 551-1 du CESEDA , article central dans le droit des libertés publiques car précisant les conditions de placement en rétention des étrangers ( amendement COM-4 ).

La proposition de loi vise, ensuite, à énumérer onze critères alternatifs permettant de caractériser un « risque non négligeable de fuite » au sens du règlement « Dublin III ». L'autorité administrative garderait toutefois une marge d'appréciation : elle pourrait prendre en compte des « circonstances particulières » empêchant le placement en rétention d'un « dubliné ».

Six critères concernent le parcours migratoire du demandeur d'asile, trois les éventuelles tentatives de fraude ou d'obstruction et deux ses conditions d'hébergement . Votre rapporteur considère que ces critères respectent la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans la mesure où ils ne sont pas manifestement incompatibles avec le règlement « Dublin III » et permettent de caractériser de manière objective un « risque non négligeable de fuite ».

• Critères relatifs au parcours migratoire du demandeur d'asile

Sauf circonstances particulières, le risque non négligeable de fuite serait constitué lorsqu'un étranger s'est précédemment soustrait à une procédure « Dublin » ou a été débouté de sa demande d'asile dans un autre État membre.

De même, l'autorité administrative pourrait placer en rétention un étranger faisant l'objet d'une procédure « Dublin » et qui :

- aurait « explicitement déclaré son intention » de ne pas se conformer à cette procédure 92 ( * ) ;

- ou serait de nouveau présent sur le territoire français après l'exécution effective d'une mesure de transfert vers un autre État « Dublin » ;

- ou se serait soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement , critère qui inclurait les transferts « Dublin » mais également les obligations de quitter le territoire français (OQTF), les interdictions de retour sur le territoire français, les interdictions de circulation sur le territoire français et les expulsions pour motif d'ordre public ;

- ou se serait précédemment soustrait aux contraintes d'une OQTF ou d'une assignation à résidence (obligation de se présenter périodiquement devant l'autorité administrative ou les services de police et de répondre aux demandes d'information, remise de son passeport ou d'un justificatif d'identité).

• Critères relatifs à des tentatives de fraude ou d'obstruction

Les trois critères relatifs à des tentatives de fraude ou d'obstruction s'inspirent de l'article L. 511-1 du CESEDA, qui régit le droit commun de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

Sauf circonstances particulières, présenterait un risque non négligeable de fuite l'étranger placé sous procédure « Dublin » et ayant contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage .

De même, l'autorité administrative pourrait ordonner le placement en rétention d'un « dubliné » ayant dissimulé des éléments de son identité .

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a étendu ce critère à la dissimulation par l'étranger d'éléments de son parcours migratoire, de sa situation familiale ou de ses demandes antérieures d'asile , ces informations étant indispensables à la bonne mise en oeuvre des procédures « Dublin » (amendement COM-6) .

À elle seule, la simple absence de documents d'identité ne pourrait pas suffire à établir une telle dissimulation . Cette précision, ajoutée par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition de sa présidente, Mme Yaël Braun Pivet, s'inspire de l'article 25 de la convention de Genève de 1951 . Elle prend en compte la difficulté, pour les demandeurs d'asile, d'obtenir ou de conserver des documents d'identité délivrés par un pays qui les persécute.

Enfin, un étranger pourrait être placé en rétention s'il ne coopérait pas suffisamment avec l'autorité administrative dans la mise en oeuvre de la procédure « Dublin » (non présentation aux convocations ou aux entretiens et absence de réponse aux demandes d'information), sauf s'il justifiait d'un motif légitime 93 ( * ) .

• Critères relatifs aux conditions d'hébergement

La proposition de loi tend à autoriser également le placement en rétention d'un étranger sous procédure « Dublin » à partir de critères relatifs à ses conditions d'hébergement. Concrètement, pourraient être placés en rétention :

- le demandeur d'asile qui a accepté le lieu d'hébergement proposé par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) mais l'a abandonné sans motif légitime ;

- celui qui a refusé ce lieu d'hébergement et ne peut justifier d'un lieu de résidence effective ou permanente .

En séance publique, l'Assemblée nationale a également adopté un amendement du Gouvernement visant à prévoir l'hypothèse où l'étranger ne serait pas éligible au programme d'hébergement de l'OFII et ne pourrait pas justifier du lieu de sa résidence effective ou permanente . Cette disposition vise principalement les étrangers « se maintenant en situation irrégulière sur le territoire sans s'y engager dans une démarche d'asile » 94 ( * ) .

• Le recueil des empreintes digitales : un critère supplémentaire ajouté par votre commission

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a ajouté un douzième critère permettant de caractériser un risque non négligeable de fuite : le refus de se conformer à l'obligation de donner ses empreintes digitales ou l'altération volontaire de ces dernières pour empêcher leur enregistrement (amendement COM-5).

En effet, d'après les informations recueillies par votre rapporteur, entre le 1 er janvier et le 18 septembre 2017, sur 5 576 présentations à la borne «Eurodac » dans le Calaisis, 3 469 refus de prélèvement d'empreintes ont été relevés (62 %). 132 personnes ont été placées en garde à vue mais aucune n'a été poursuivie sur le plan pénal.

De même, les altérations volontaires d'empreintes digitales sont fréquentes, ce qui nuit à l'efficacité du règlement « Dublin » et peut attester un risque non négligeable de fuite.

Dès lors, votre commission propose de permettre à la préfecture de placer en rétention un étranger soumis au règlement « Dublin » et refusant de donner ses empreintes ou les altérant volontairement, ce qui permet d' exclure du champ de la disposition les demandeurs d'asile de bonne foi dont les empreintes ont été altérées involontairement par accident .

1.3. La prise en compte de la vulnérabilité

En séance publique, nos collègues députés ont adopté, avec l'avis favorable du Gouvernement, deux amendements de Mme Coralie Dubost et du groupe La République En Marche pour prendre en compte les besoins particuliers des étrangers se trouvant en situation de vulnérabilité et placés en procédure « Dublin » (personnes handicapées, femmes enceintes, etc .) 95 ( * ) .

Un décret en Conseil d'État devrait préciser les modalités concrètes de cette prise en compte de la vulnérabilité durant l'ensemble de la procédure « Dublin » , de la saisine de l'État potentiellement responsable jusqu'à la mesure de réadmission vers ce dernier (article L. 553-6 du CESEDA).

De même, l'autorité administrative devrait « prendre en compte l'état de vulnérabilité de l'intéressé » avant de décider son éventuel placement en rétention (article L. 551-1 du CESEDA).

D'un point de vue strictement juridique, ces dispositions ont une portée limitée , l'article 28 du règlement « Dublin III » prévoyant déjà une évaluation individuelle de la situation des « dublinés » placés en rétention. Dans la même logique, l'article 10 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 96 ( * ) précise que « lorsque des personnes vulnérables sont placées en rétention, les États membres veillent à assurer un suivi régulier de ces personnes et à leur apporter un soutien adéquat, compte tenu de leur situation particulière, y compris de leur état de santé ».

En droit interne, l'article L. 551-1 du CESEDA prévoit, à titre d'exemple, que « le placement en rétention d'un étranger accompagné d'un mineur n'est possible que dans un lieu de rétention administrative bénéficiant de chambres isolées et adaptées, spécifiquement destinées à l'accueil des familles. L'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ». Son article R. 553-8 dispose que les locaux et les moyens matériels des centres de rétention administrative « doivent permettre au personnel de santé de donner des consultations et de dispenser des soins ».

1.4. La fin de la rétention

En séance publique, nos collègues députés ont souhaité préciser, sur proposition du Gouvernement, les conditions dans lesquelles il est mis fin à la rétention d'un étranger faisant l'objet d'une procédure « Dublin » (article L. 554-1 du CESEDA) :

- l'étranger ne pourrait être placé ou maintenu en rétention « que pour le temps strictement nécessaire » à la mise en oeuvre de la procédure « Dublin » ;

- si l'État « Dublin » saisi par la France refusait de prendre ou de reprendre en charge l'étranger, il serait « immédiatement mis fin » à sa rétention, « sauf si une demande de réexamen est adressée à cet État dans les plus brefs délais ou si un autre État peut être requis » ;

- si l'État saisi acceptait de prendre ou de reprendre en charge l'étranger, la préfecture devrait lui notifier sa décision de transfert « dans les plus brefs délais », notion certes peu précise mais déjà utilisée par le CESEDA 97 ( * ) .

En réalité, ces mesures reprennent plusieurs dispositions déjà en vigueur du droit communautaire et du droit interne ; leurs conséquences juridiques sont donc difficiles à cerner .

D'application directe, l'article 28 du règlement « Dublin III » prévoit ainsi que « le placement en rétention (d'un dubliné) est d'une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu'à l'exécution du transfert ».

De même, l'article L. 554-1 du CESEDA rappelle que tout étranger « ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet ».

1.5. Le cas particulier de la demande d'asile en rétention

Tout étranger placé en rétention peut déposer une demande d'asile. Le traitement de cette dernière relève d'une procédure spécifique, dite de « l'asile en rétention », définie par l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

L'asile en rétention : aspects généraux

Pendant sa rétention (d'une durée maximale de 45 jours), un étranger peut déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Une fois la demande d'asile déposée, la préfecture doit mettre fin à la rétention. Elle peut toutefois prendre une décision écrite et motivée de maintien en rétention « si elle estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande (d'asile) est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la mesure d'éloignement » 98 ( * ) .

La rétention est alors maintenue « le temps strictement nécessaire » à l'examen de la demande d'asile par l'OFPRA et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité, dans l'attente de l'éloignement de l'étranger.

En cas de demande d'asile en rétention, l'OFPRA statue en procédure accélérée dans un délai de 96 heures. La préfecture met immédiatement fin à la rétention si l'office ne respecte pas ce délai d'instruction, s'il reconnaît la qualité de réfugié à l'étranger ou lui accorde la protection subsidiaire.

Une difficulté d'articulation a récemment été constatée entre la demande d'asile en rétention, d'une part, et la procédure « Dublin », d'autre part.

En mai 2017, Mme A., ressortissante nigérienne, a déposé une demande d'asile alors qu'elle était retenue au centre de rétention administrative (CRA) de Cornebarrieu (Haute-Garonne).

Il est apparu, après consultation de la base de données « Eurodac », que Mme A. avait précédemment demandé l'asile en Italie et qu'une procédure « Dublin III » devait être engagée en vue de son transfert vers cet État.

Alors qu'elle interrogeait l'Italie dans le cadre de la procédure « Dublin », la préfecture de Haute-Garonne n'a pas mis fin à la rétention de Mme A. Elle n'a pas, non plus, pris de décision écrite et motivée justifiant son maintien en rétention. Le juge des référés l'a toutefois enjoint à réexaminer le dossier et à prendre une décision de maintien en rétention de Mme A., conformément à l'article L. 556-1 du CESEDA.

Or, en l'état du droit français, le maintien en rétention de l'étranger ayant déposé une demande d'asile est prévu pour un seul motif : que l'OFPRA puisse examiner cette demande. Comme l'office n'est pas compétent pour les demandes d'asile relevant du règlement « Dublin III », la préfecture ne peut pas, en l'état du droit, maintenir la rétention d'un « dubliné » ayant déposé sa demande d'asile en centre de rétention administrative.

Pour remédier à ce vide juridique, la commission des lois de l'Assemblée nationale a précisé , sur proposition de son rapporteur, que la préfecture pouvait maintenir en rétention un étranger ayant déposé sa demande d'asile en CRA et faisant l'objet d'une procédure « Dublin » (article L. 556-1 du CESEDA).

Ce maintien en rétention pourrait être utilisé, à la fois, pour déterminer l'État responsable de la demande d'asile et pour mener à bien le transfert de l'étranger vers cet État. La préfecture n'aurait ni à saisir l'OFPRA ni à émettre une décision de maintien en rétention. Conformément au droit commun, la durée globale de la rétention ne pourrait dépasser 45 jours.

2. Simplifier le régime d'assignation à résidence des « dublinés »

• Le droit en vigueur : deux régimes d'assignation à résidence distincts

En l'état du droit, deux régimes d'assignation à résidence sont applicables aux étrangers faisant l'objet d'une procédure « Dublin » :

- avant la décision de transfert vers l'État responsable du traitement de leur demande d'asile, ils peuvent se voir appliquer une assignation à résidence ad hoc pour une durée de 180 jours, renouvelable une fois pour la même durée (article L. 742-2 du CESEDA) . En pratique, cette assignation à résidence ad hoc est peu, voire pas, utilisée 99 ( * ) ;

- après la décision de transfert , la préfecture peut les assigner à résidence pendant une durée de 45 jours, renouvelable une fois, selon les règles de droit commun applicables aux étrangers dont l'éloignement « demeure une perspective raisonnable » (article L. 561-2 du CESEDA) .

Au total, l'étranger placé sous procédure « Dublin » peut être assigné à résidence pendant 450 jours 100 ( * ) .

Sur le fond, ces deux régimes d'assignation à résidence sont comparables : dans les deux cas, l'étranger a l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie.

Le régime ad hoc de l'article L. 742-2 du CESEDA est toutefois plus précis sur un point : l'étranger a l'obligation de coopérer avec les services de la préfecture pour les aider à déterminer l'État responsable de sa demande d'asile.

En toute hypothèse, les étrangers assignés à résidence peuvent être contraints de remettre leur passeport ou tout document d'identité et peuvent être placés en rétention lorsqu'ils ne présentent plus les garanties de représentation suffisantes.

De même, la préfecture peut requérir le juge des libertés et de la détention (JLD) pour organiser une visite domiciliaire dans l'hypothèse où l'étranger placé sous procédure « Dublin » ne se montrerait pas suffisamment coopératif.

Les visites domiciliaires applicables aux étrangers sous procédure « Dublin »

Le CESEDA prévoit deux types de visites domiciliaires pour les « dublinés » :

- avant la décision de transfert , une visite peut être ordonnée lorsque l'étranger ne défère pas, sauf motif légitime, aux convocations de l'autorité administrative et aux entretiens prévus pour la détermination de l'État responsable de sa demande d'asile. Cette visite domiciliaire vise à s'assurer de la présence de l'étranger, à le conduire de force pour réaliser les démarches administratives nécessaires et, le cas échéant, à lui notifier une décision de placement en rétention ou de transfert (article L. 742-2) ;

- après la décision de transfert , une visite domiciliaire peut être ordonnée s'il s'avère impossible d'exécuter d'office la mesure d'éloignement du fait de « l'obstruction volontaire » de l'étranger. L'objectif de cette visite est de s'assurer de sa présence et de le reconduire à la frontière ou, si son départ n'est pas possible immédiatement, de lui notifier une décision de placement en rétention ( article L. 561-2) .

Dans ces deux hypothèses, les visites domiciliaires sont autorisées par le juge des libertés et de la détention (JLD) , qui statue dans un délai de 24 heures. Exécutoire pendant 96 heures, l'ordonnance du JLD est notifiée sur place à l'étranger dans une langue qu'il comprend.

Les visites ne peuvent commencer ni avant 6 heures ni après 21 heures. Elles font l'objet d'un procès-verbal transmis au JLD, copie ayant été remise à l'étranger.

• L'objectif de la proposition de loi : unifier le régime des assignations à résidence applicables aux « dublinés »

L'article 1 er de la proposition de loi, complété par l'article 2, vise à remplacer les deux régimes actuels d'assignation à résidence de la procédure « Dublin » 101 ( * ) par un régime d'assignation unique, d'une durée de 45 jours, renouvelable trois fois pour la même durée (articles L. 561-2 et L. 742-2 du CESEDA).

L'étranger sous procédure « Dublin » assigné à résidence aurait, comme aujourd'hui, l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, voire de remettre son passeport ou un document d'identité.

Des visites domiciliaires pourraient être autorisées par le juge des libertés et de la détention (JLD) dans un double objectif : obtenir les informations nécessaires à la détermination de l'État compétent pour l'examen de la demande d'asile ou mettre en oeuvre la procédure de transfert vers cet État. Les garanties procédurales prévues en l'état du droit seraient maintenues : les visites ne pourraient commencer ni avant 6 heures ni après 21 heures ; elles feraient l'objet d'un procès-verbal transmis au JLD, etc .

De même, le « dubliné » assigné à résidence mais présentant un risque non négligeable de fuite pourrait être placé en rétention .

Enfin, son obligation de coopération avec l'autorité administrative 102 ( * ) couvrirait explicitement l'ensemble de la procédure « Dublin », de la détermination de l'État responsable à la réadmission effective de l'étranger.

L'unification du régime de l'assignation à résidence pendant la procédure « Dublin »

Source : commission des lois du Sénat

D'après notre collègue député Jean-Luc Warsmann, il s'agit « d' unifier le régime de l'assignation à résidence » car il semble « complexe de faire perdurer un régime de droit commun et un régime destiné aux personnes relevant du règlement Dublin » 103 ( * ) .

Cette mesure de simplification implique une diminution de la durée globale de l'assignation à résidence des personnes placées en procédure « Dublin » , qui passerait ainsi de 450 à 180 jours, soit une réduction de 270 jours. Les services de l'État entendus en audition par votre rapporteur considèrent toutefois cette durée de 180 jours comme suffisante pour mener à bien les procédures.

• L'apport de votre commission : simplifier les procédures de visite domiciliaire

En l'état du droit, l'assignation à résidence d'un étranger, y compris lorsqu'il est soumis au règlement « Dublin III », est le principe, la rétention l'exception.

En pratique, l'assignation à résidence est sous-utilisée , les préfectures la jugeant souvent trop peu efficace : en 2016, 44 086 étrangers ont été placés en rétention et 4 687 sous assignation à résidence 104 ( * ) .

Il convient donc de renforcer le régime de l'assignation à résidence pour que cette dernière devienne une alternative crédible à la rétention .

Dès lors, votre commission a souhaité conforter l'un des outils de l'assignation à résidence : les visites domiciliaires permettant de s'assurer de la présence de l'étranger à son lieu d'assignation à résidence et de le conduire, le cas échéant, à ses rendez-vous administratifs (amendement COM-8) .

Dans les faits, ces visites restent peu mobilisées par les préfectures car trop complexes à mettre en oeuvre et nécessitant la mise à disposition rapide de forces de l'ordre , comme l'ont démontré les auditions de votre rapporteur.

Dès lors, il est proposé de simplifier les visites domiciliaires, tout en garantissant les droits des étrangers concernés. Concrètement, la durée de validité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention serait allongée de quatre à six jours .

Cette disposition concernerait les personnes soumises au règlement « Dublin III » (article L. 742-2 du CESEDA) mais également l'ensemble des étrangers placés en assignation à résidence sur le fondement de l'article L. 561-2 du même code. Elle ne remettrait pas en cause l'ensemble des garanties accordées aux personnes concernées (autorisation du JLD, encadrement des horaires des visites domiciliaires, etc. ).

Votre commission a adopté l'amendement rédactionnel COM-7 ainsi que l'article 1 er ainsi modifié.

Article 1er bis (art. L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) - Information et conditions de placement en rétention des étrangers faisant l'objet d'une procédure « Dublin »

L'article 1 er bis de la proposition de loi, inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition de sa présidente, Mme Yaël Braun-Pivet, tend d'abord à interdire le placement en rétention d'un étranger « dubliné » lors du dépôt de sa première demande d'asile en préfecture .

En outre, l'Assemblée nationale a adopté en séance un amendement, déposé par Mme Coralie Dubost et les membres du groupe La République En Marche, visant à garantir le droit à l'information des demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure « Dublin ».

1. Interdiction du placement en rétention d'un étranger déposant une première demande d'asile en préfecture

L'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) fixe les conditions générales d'enregistrement des demandes d'asile en France (présentation de la demande, détermination de l'État responsable en application du règlement « Dublin III », délai d'enregistrement, obligation de coopérer et de produire tout document nécessaire, conditions de délivrance d'une attestation de demande d'asile). Les candidats à l'asile doivent, en particulier, se présenter « en personne » pour faire enregistrer leur demande en préfecture.

Le 2° de l'article 1 er bis de la proposition de loi complète ces dispositions pour prévoir, qu'au moment de sa présentation en préfecture en vue de l'enregistrement d'une première demande d'asile en France, « l'étranger ne peut être regardé comme présentant le risque non négligeable de fuite défini aux a à j de l'article L. 551-1 ».

Se trouve interdit, en conséquence, le placement en rétention d'un étranger se rendant à la préfecture pour y déposer une première demande d'asile au motif que le traitement de la demande relèverait d'un autre État européen en application du règlement « Dublin III » . Il s'agit, selon l'auteur de cet ajout, de ne pas « dissuader les demandeurs de bonne foi de se présenter aux autorités administratives » 105 ( * ) pour déposer une demande d'asile.

Votre rapporteur comprend l'objectif de cet amendement et a pu constater lors de ses auditions un large consensus autour de ce principe. Il s'interroge néanmoins sur l'utilité réelle d'inscrire dans la loi une règle qui découle déjà de la jurisprudence protectrice de la Cour de cassation sur les « exigences de loyauté » de la procédure de traitement des demandeurs d'asile 106 ( * ) .

Votre rapporteur note également que, paradoxalement, tel qu'il est rédigé, le principe ainsi inscrit dans le CESEDA ne concernerait que les seuls demandeurs d'asile « dublinés », et non les autres demandeurs dont le dossier relève de l'OFPRA.

2. Information des demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure « Dublin »

L'article 4 (« droit à l'information ») du règlement « Dublin III » prévoit, « dès qu'une demande de protection internationale est introduite », qu'un demandeur d'asile soit informé de l'application de ce règlement et que soit aussi portée à sa connaissance toute une série d' informations relatives à la procédure (objectifs du règlement, critères de détermination de l'État responsable, entretien individuel, contestation de la décision de transfert, échange de données et droit d'accès et de rectification).

Ces dispositions sont d'application directe et ont été mises en oeuvre par la Commission européenne qui a publié deux brochures d'information apportant ces informations et systématiquement remises aux « dublinés » 107 ( * ) . Le juge administratif considère d'ailleurs que l'absence d'information ou son manque d'intelligibilité pour un « dubliné » constitue une « atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile » 108 ( * ) susceptible d'entacher d'irrégularité la procédure.

Le 1° de l'article 1 er bis de la proposition de loi complète l'article L. 741-1 du CESEDA pour prévoir que tout demandeur reçoive, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, une information sur ses droits et obligations en application du règlement « Dublin III », dans les conditions prévues à son article 4.

Votre rapporteur s'interroge, ici encore, sur l'utilité réelle d'un tel ajout , qui se borne à prévoir des garanties figurant déjà dans un règlement d'application directe et dont les demandeurs d'asile bénéficient systématiquement aujourd'hui en pratique.

Votre commission a adopté l'amendement de coordination COM-9 et l'article 1 er bis ainsi modifié .

Article 2 (art. L. 742-2, L. 742-4, L. 742-5, et L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) - Coordinations - Interdiction de transférer un demandeur d'asile dans un État « Dublin » faisant preuve de « défaillances systémiques » - Délai de saisine du juge administratif

L'article 2 de la proposition de loi a un double objectif : procéder à des coordinations légistiques et interdire la réadmission d'un demandeur d'asile vers un pays faisant preuve de « défaillances systémiques » dans les procédures et les conditions d'accueil des demandeurs.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission des lois a également réduit le délai de saisine du juge administratif à l'encontre d'une décision de transfert.

1. Coordinations

L'article 2 vise, tout d'abord, à procéder à diverses coordinations pour tirer les conséquences de l'unification du régime d'assignation à résidence des « dublinés » et de la possibilité, pour les préfectures, de les placer en rétention avant la décision de transfert.

Coordinations de l'article 2 de la proposition de loi

Alinéas de la PPL transmise au Sénat

Motifs de coordination

Articles du CESEDA 109 ( * ) concernés

1 à 16

Unification du régime d'assignation à résidence des étrangers sous procédure « Dublin »

L. 742-2

18 et 19

Possibilité de notifier une décision de transfert à un étranger déjà placé en rétention ou assigné à résidence

L. 742-4 et L. 742-5

Source : commission des lois du Sénat

2. Interdiction des transferts vers les États faisant preuve de « défaillances systémiques »

L'article 2 vise, en outre, à rappeler qu'une procédure « Dublin » ne peut conduire à transférer un demandeur d'asile vers un pays faisant preuve de « défaillances systémiques » dans les procédures et les conditions d'accueil des demandeurs .

Insérée à l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), cette disposition est issue d'un amendement adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale, sur proposition de sa présidente, Mme Yaël Braun Pivet.

La notion de « défaillances systémiques » est définie par l'article 4 du règlement « Dublin III » de 2013 110 ( * ) ; elle se réfère aux États dans lesquels il existe un « risque de traitement inhumain et dégradant » des demandeurs d'asile.

Aussi la France n'est-elle pas autorisée à transférer un demandeur d'asile vers un État « Dublin » présentant des « défaillances systémiques » . Elle doit, à l'inverse, établir si un autre État peut être considéré responsable de l'examen de la demande d'asile et, dans le cas contraire, procéder elle-même à cet examen.

Les « défaillances systémiques » peuvent être constatées :

- à l'échelle européenne, la Commission européenne ayant par exemple interdit les réadmissions vers la Grèce entre 2011 et 2017 ;

- par chaque État, dont le ministère en charge du droit d'asile peut refuser de procéder à des transferts « Dublin » vers certains pays ;

- par le juge, la Cour administrative d'appel de Bordeaux ayant par exemple reconnu une « défaillance systémique » de la Hongrie en septembre 2016 et annulé, de ce fait, une procédure de réadmission 111 ( * ) .

Un exemple de « défaillances systémiques » au sens du règlement « Dublin III » 112 ( * )

Début 2009 , M. M.S.S, ressortissant afghan, dépose une demande d'asile en Belgique. La base de données « Eurodac » permet d'établir qu'il a déposé une première demande en Grèce. La Belgique engage, en conséquence, une procédure « Dublin » et interroge la Grèce . Cette dernière confirme être l'État responsable de l'examen de cette demande d'asile par un courrier en date du 4 juin 2009.

Le 15 juin 2009, M. M.S.S est transféré vers la Grèce.

À son arrivée, il est détenu pendant plusieurs jours dans le centre de rétention attenant à l'aéroport international d'Athènes. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) observe que « les détenus n'avaient pas accès à la fontaine d'eau située à l'extérieur et devaient boire l'eau des toilettes . Dans le secteur destiné aux personnes arrêtées, il y avait 145 détenus pour une surface de 110 m 2 . Dans plusieurs cellules, il n'y avait qu' un lit pour 14 à 17 personnes ».

À sa sortie du centre de rétention, M. M.S.S a « vécu pendant des mois dans le dénuement le plus total » et n'a pu faire face à « aucun de ses besoins les plus élémentaires : se nourrir, se laver et se loger. À cela s'ajoutait l'angoisse permanente d'être attaqué et volé ainsi que l'absence totale de perspective de voir sa situation s'améliorer ».

Au regard de ces différents éléments, la CEDH considère que M. M.S.S a subi un traitement inhumain et dégradant , du fait :

- de la Grèce, condamnée à 5 725 euros de dommages et intérêts ;

- mais également de la Belgique, condamnée à 32 250 euros de dommages et intérêts pour avoir transféré un demandeur d'asile vers un État faisant preuve de « défaillances systémiques » dans l'accueil des demandeurs.

D'un point de vue strictement juridique, l'ajout de cette disposition à l'article L. 742-7 du CESEDA ne semble donc pas indispensable : d'application directe, le règlement « Dublin III » interdit déjà les transferts vers des pays faisant preuve de « défaillances systémiques » dans l'accueil des demandeurs, sans qu'il soit nécessaire de le préciser en droit français.

Sans remettre en cause la disposition votée par l'Assemblée nationale, votre commission a adopté l'amendement COM-11 de son rapporteur afin de la préciser et d' éviter certaines confusions . Elle a rappelé que c'est bien le transfert des étrangers vers ces pays « défaillants » qui est interdit, non l'engagement de l'ensemble de la procédure « Dublin ».

3. Réduction de délai de saisine du juge contre la décision de transfert

D'après le règlement « Dublin III », une décision de transfert peut être contestée « dans un délai raisonnable ».

En droit français, cette décision peut être contestée dans un délai de quinze jours devant le juge administratif (délai réduit à 48 heures en cas d'assignation à résidence ou de placement en rétention) 113 ( * ) .

En 2015, lors du débat sur le projet de loi relatif à la réforme de l'asile, le Sénat avait souhaité réduire ce délai de saisine à sept jours, sur proposition de notre collègue Valérie Létard.

Cette proposition est aujourd'hui reprise par la Commission européenne dans son projet de refonte du règlement « Dublin III » 114 ( * ) .

Par cohérence, votre commission a souhaité réduire le délai de contestation d'une décision de transfert de quinze à sept jours, ce qui permettrait d'accélérer les procédures tout en préservant le droit au recours des personnes concernées (amendement COM-10).

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

Article 3 (nouveau) (art. L. 561-1, L. 561-2 et L. 111-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, art. 39 de l'ordonnance n° 2000-371 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans les îles Wallis et Futuna, art. 41 de l'ordonnance n° 2000-372 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Polynésie française et art. 41 de l'ordonnance n° 2002-388 du 20 mars 2002 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Nouvelle-Calédonie) - Sécurisation juridique des assignations à résidence des étrangers faisant l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire

Issu de l'adoption de l'amendement COM-12 de votre rapporteur, l'article 3 de la proposition de loi vise à sécuriser les assignations à résidence des étrangers faisant l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire, dont le régime a été fragilisé fin 2017 par une censure partielle du dispositif prononcée par le Conseil constitutionnel lors de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Alors que le Conseil constitutionnel avait différé sa censure et laissé sept mois au législateur pour agir, votre rapporteur regrette que le Gouvernement n'ait proposé aucun texte au Parlement pour remédier rapidement à l'inconstitutionnalité constatée : le Gouvernement prend ainsi le risque que toutes les assignations prononcées sur ce fondement tombent le 30 juin 2018, faute de base juridique.

Votre rapporteur s'inquiète en particulier du sort réservé aux personnes actuellement concernées par ces assignations , qui sont pourtant parfois toujours potentiellement dangereuses, ayant été pour certaines condamnées pour des actes de terrorisme . Désigné par la presse comme un « vétéran du jihad », Kamel D., à l'origine de la QPC précitée, inexpulsable vers l'Algérie, a été condamné fin 2005 en appel à six ans de prison ainsi qu'à une interdiction définitive du territoire pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Cet individu réside ainsi toujours en France, sous un régime juridique désormais fragile.

La présente proposition de loi, qui modifie également le régime de l'assignation à résidence de droit commun, a donc semblé à votre commission constituer le véhicule législatif approprié (cet article additionnel présente ainsi un lien avec ces disposition initiales du texte) pour répondre dans les temps à l'invitation pressante du Conseil constitutionnel (le présent article vise à remédier à une inconstitutionnalité dans le CESEDA).

1. L'assignation à résidence d'un étranger faisant l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire

L' article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) autorise, dans certains cas, l'assignation à résidence d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement s'il justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français, de regagner son pays d'origine ou de se rendre dans aucun autre pays .

Ces dispositions permettent, en particulier, à l'autorité administrative d'assigner à résidence, sans limite de durée, les étrangers ayant été condamnés à une interdiction judiciaire du territoire, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de l'obligation de quitter le territoire (dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du CESEDA).

L'interdiction judiciaire du territoire (article 131-30 d u code pénal)

La juridiction répressive a la faculté de prononcer une interdiction du territoire, à titre de peine complémentaire , lorsqu'un étranger majeur commet un crime ou un délit pour lequel le code pénal ou d'autres textes prévoient cette peine. Lorsqu'un délit est puni de l'interdiction du territoire, la juridiction de jugement peut ne prononcer que cette peine à titre principal (article 131-11 du code pénal).

Le code pénal réserve toutefois certains cas dans lesquels la juridiction correctionnelle ou criminelle ne peut infliger l'interdiction du territoire en raison de la situation personnelle de l'intéressé (article 131-30-2 du code pénal) et, d'autres, en matière correctionnelle, dans lesquels l'interdiction du territoire ne peut être prononcée que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de l'étranger (article 131-30-1 du code pénal).

La peine d'interdiction du territoire peut être prononcée à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus (article 131-30 du code pénal). Elle entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière , le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion. L'interdiction du territoire prononcée à titre de peine principale et assortie d'une exécution provisoire entraîne, de plein droit, le placement de l'étranger en rétention.

L'étranger condamné à la peine complémentaire d'interdiction du territoire peut demander à en être relevé, en tout ou partie, y compris en ce qui concerne la durée, sauf lorsque l'interdiction du territoire a été prononcée à titre principal.

L'assignation à résidence permet à l'étranger, qui n'a aucun droit au séjour en France, de pouvoir néanmoins se maintenir temporairement sur le territoire, dans un lieu choisi par l'autorité administrative, aussi longtemps qu'il n'a pas trouvé un pays de destination qui serait prêt à l'accueillir . Il n'existe donc pas de durée maximale pour ce type d'assignation à résidence.

L'assignation à résidence d'un étranger comprend plusieurs contraintes 115 ( * ) , certaines plus rigoureuses étant spécifiques aux étrangers sous interdiction judiciaire du territoire, dont la méconnaissance est pénalement sanctionnée :

- l'étranger doit résider dans un lieu qui peut être choisi sur l'ensemble du territoire de la République, quel que soit l'endroit où il se trouve ;

- il doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie (le nombre de présentations quotidiennes pouvant être fixé à quatre, au plus) ;

- il peut se voir désigner une plage horaire pendant laquelle il doit demeurer dans les locaux où il est assigné à résidence (dans la limite de dix heures consécutives par vingt-quatre heures) ;

- il doit, lorsque l'autorité administrative le lui demande, se présenter aux autorités consulaires, en vue de la délivrance d'un document de voyage (laissez-passer consulaire).

2. La censure à effet différé du Conseil constitutionnel

Par sa décision n° 2017-674 QPC, M. Kamel D. , du 30 novembre 2017 [Assignation à résidence de l'étranger faisant l'objet d'une interdiction du territoire ou d'un arrêté d'expulsion], le Conseil constitutionnel a partiellement censuré ces dispositions.

Il a d'abord jugé qu'il était certes loisible au législateur de ne pas fixer de durée maximale à l'assignation à résidence afin de permettre à l'autorité administrative d'exercer un contrôle sur l'étranger compte tenu de la menace à l'ordre public qu'il représente ou afin d'assurer l'exécution d'une décision de justice,

Mais il a considéré qu'il était porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et de venir des étrangers faisant l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire, estimant que « (...) si le placement sous assignation à résidence après la condamnation à l'interdiction du territoire français peut toujours être justifié par la volonté d'exécuter la condamnation dont l'étranger a fait l'objet, le législateur n'a pas prévu qu'au-delà d'une certaine durée, l'administration doive justifier de circonstances particulières imposant le maintien de l'assignation aux fins d'exécution de la décision d'interdiction du territoire ».

3. Les précisions apportées par votre commission pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel

Introduit par votre commission, l'article 3 de la proposition de loi entend, dès lors, sécuriser les assignations à résidence des étrangers faisant l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire, en prévoyant que le maintien sous assignation à résidence au-delà d'une durée de cinq ans fasse désormais l'objet d' une décision expresse spécialement motivée, qui énonce les circonstances particulières justifiant cette prolongation au regard, notamment, de l'absence de garanties suffisantes de représentation de l'étranger ou si sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public .

La rédaction adoptée se conforme strictement en cela aux orientations esquissées par le commentaire aux Cahiers de la décision QPC précitée, aux termes duquel :

« [Dans le cas d'une interdiction judiciaire du territoire,] le maintien de l'intéressé sous assignation à résidence doit (...) être motivé par des circonstances particulières, qu'il appartient au législateur de définir, qui justifient la prorogation de cette mesure restrictive de liberté aux fins d'assurer l'éloignement de l'étranger. Celles-ci peuvent, par exemple, correspondre à l'absence de garanties suffisantes de représentation de l'étranger, ce qui justifie le maintien de la mesure d'assignation à résidence afin d'assurer son éloignement dès qu'une perspective raisonnable apparaîtra. Il pourrait également être exigé la démonstration d'une dangerosité particulière de la personne en cause, qui renforce la nécessité d'exécuter la décision d'interdiction du territoire. »

Interrogé par votre rapporteur, le ministère de l'intérieur approuve la fixation à cinq ans de la durée au-delà de laquelle l'administration doit justifier par des circonstances particulières le maintien de l'assignation, la jugeant équilibrée et adéquate pour permettre à ses services d'apprécier sur une période significative les garanties de représentation de l'étranger et sa dangerosité.

Une telle durée est d'ailleurs parfaitement cohérente avec l'état du droit existant pour certaines mesures administratives d'effet comparable : réexamen obligatoire tous les cinq ans des motifs de l'interdiction administrative du territoire (article L. 214-6 du CESEDA) et réexamen obligatoire tous les cinq des motifs de l''arrêté d'expulsion (article L. 524-2 du CESEDA). En pratique, un délai moindre imposerait un rythme excessif à l'administration et pourrait nuire à la qualité du suivi des dossiers. Il pourrait inciter certains individus à faire échec à la mise à exécution de leur peine pendant la mesure d'assignation à résidence (par exemple en ne coopérant pas aux démarches engagées en vue de l'obtention d'un laissez-passer consulaire).

Votre commission a adopté l'article 3 ainsi rédigé .

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.


* 82 Sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (dit règlement « Dublin III »).

* 83 Assignation à résidence ad hoc prévue par l'article L. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

* 84 Assignation à résidence de droit commun prévue par l'article L. 561-2 du CESEDA.

* 85 Voir l'exposé général pour plus de précisions sur le séquençage de la rétention.

* 86 Voir l'exposé général pour plus de précisions.

* 87 Compte rendu intégral de la deuxième séance de l'Assemblée nationale du jeudi 7 décembre 2017.

* 88 Voir l'exposé général pour consulter la liste de ces critères.

* 89 Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale.

* 90 Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), 15 mars 2017, Al Chodor , affaire C-528/15.

* 91 Cour de cassation, première chambre civile, 27 septembre 2017, affaire 17-15.160.

Voir l'exposé général pour plus de précisions sur cet arrêt.

* 92 Dans la proposition de loi initiale, l'application de ce critère était automatique : la préfecture avait l'obligation de placer en rétention un étranger faisant l'objet d'une procédure « Dublin » et déclarant son intention de ne pas s'y conformer. À l'initiative de sa présidente, Mme Yaël Braun Pivet, la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité conserver la marge d'appréciation de la préfecture, en prévoyant qu'elle aurait la faculté (et non l'obligation) de prononcer ce placement en rétention « sauf circonstances particulières ».

* 93 Ce critère a été ajouté par la commission des lois de l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa présidente, Mme Yaël Braun Pivet.

* 94 Source : objet de l'amendement du Gouvernement adopté en séance publique par l'Assemblée nationale.

* 95 Voir l'exposé général pour plus de précisions sur la notion de « vulnérabilité » au sens du droit communautaire et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

* 96 Directive du Parlement et du Conseil établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale.

* 97 Notamment pour le délai de délivrance de certains titres de séjour (article L. 552-7 du CESEDA).

* 98 Outre le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) sur la décision de placement en rétention ou sa prolongation, l'étranger peut contester, dans les 48 heures, la légalité de la décision de maintien en rétention devant le tribunal administratif, qui statue en 72 heures.

* 99 Voir l'exposé général pour plus de précisions sur les exemples de la préfecture de police de Paris et de la préfecture du Nord.

* 100 Soit 360 jours au titre de l'assignation à résidence ad hoc (d'une durée de 180 jours renouvelable une fois) avant la décision de transfert et 90 jours au titre de l'assignation de droit commun (d'une durée de 45 jours renouvelable une fois) après la décision de transfert.

* 101 Soit l'assignation à résidence ad hoc de l'article L. 742-2 du CESEDA (avant la décision de transfert) et l'assignation à résidence de droit commun (après la décision de transfert). Voir supra pour plus de précisions.

* 102 Obligation qui est aujourd'hui explicitement prévue pour l'assignation à résidence avant la décision de transfert (pour déterminer l'État responsable de la demande d'asile) mais pas après la décision de transfert.

* 103 Rapport n° 427, op.cit. , p. 16.

* 104 Ces chiffres concernent l'ensemble de la politique migratoire, pas uniquement les étrangers soumis au règlement « Dublin III ».

* 105 Rapport n° 427 fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi et déposée le 29 novembre 2017, p. 41. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r0427.pdf.

* 106 L'administration ne peut utiliser la convocation à la préfecture d'un étranger faisant l'objet d'une mesure de départ forcé et qui sollicite l'examen de sa situation pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention. Ces conditions d'interpellation déloyales sont contraires à l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Cour de cassation, 1 re civ., 28 septembre 2011, n° 10-19.354).

En revanche, l'interpellation en préfecture d'un étranger n'est pas irrégulière dès lors que sa convocation mentionne la possibilité qu'il soit placé en rétention administrative (Cour de cassation, 1 re civ., 1 er juin 2017, n° 16-20.054).

* 107 Voir supra .

* 108 Conseil d'État, 30 juillet 2008, M. Khizir A , affaire n° 313767 (pour une obligation d'information similaire figurant dans le règlement « Dublin II »).

* 109 Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 110 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (dit règlement « Dublin III »).

* 111 Cour administrative d'appel de Bordeaux, 27 septembre 2016, affaire n° 16BX00997.

* 112 Cour européenne des droits de l'homme, 21 décembre 2011, M.S.S c. Belgique et Grèce , affaire C-411/10.

* 113 Voir l'exposé général pour plus de précisions sur ce régime contentieux.

* 114 Commission européenne, projet COM (2016) 270 final, modifiant le règlement « Dublin III », mai 2016.

* 115 Articles L. 561-1 et R. 561-2 et R. 561-3 du CESEDA

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