C. L'EXPÉRIMENTATION DE LA PROCÉDURE D'EXAMEN EN COMMISSION DE 2015 À 2017

Résultat d'une concertation conduite par le Président du Sénat au sein d'un groupe de réflexion sur les méthodes de travail de notre assemblée créé en novembre 2014, la résolution 15 ( * ) adoptée le 13 mai 2015, sur le rapport de notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest 16 ( * ) , a instauré, entre autres, un dispositif expérimental dénommé « procédure d'examen en commission », prévoyant que le droit d'amendement ne s'exerçait qu'en commission et permettant de mettre directement aux voix en séance publique le texte de la commission, sauf en cas d'exercice d'un droit d'opposition à l'usage de cette procédure.

Dans sa décision n° 2015-712 DC du 11 juin 2015 sur cette résolution, le Conseil constitutionnel a vérifié, au fil d'une analyse dense et en formulant des réserves, mais sans aucune censure, que cette procédure était bien conforme à la Constitution en ce qu'elle ne portait pas atteinte au droit d'amendement du Gouvernement en commission ni au droit de sous-amendement en commission et qu'elle permettait de contester la conformité d'un texte à la Constitution, par le dépôt et la discussion de l'exception d'irrecevabilité. Il a précisé, sous forme de réserves, que cette procédure n'était pas applicable aux projets de révision constitutionnelle, aux projets de loi de finances et aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, qu'elle devait comprendre un examen systématique de la recevabilité financière des amendements de commission et que le président de la commission comme le président de séance devaient veiller au « respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » dans le cadre de la direction des débats et de la distribution de la parole en commission puis en séance.

Ainsi, la procédure d'examen en commission pouvait être décidée par la Conférence des présidents, à la demande notamment du président de la commission saisie du texte ou d'un président de groupe. Plus exactement, le texte du Règlement précisait que la Conférence des présidents pouvait décider que « le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce uniquement en commission », sauf opposition, en particulier, d'un président de groupe. La date de la réunion de commission destinée à établir le texte ainsi que le délai limite pour le dépôt des amendements de commission étaient fixés par la Conférence des présidents, sur proposition de la commission, le Gouvernement et tous les sénateurs devant en être informés. Cette réunion était publique, le Gouvernement ainsi que les sénateurs auteurs d'amendements non membres de la commission ayant la possibilité d'y assister, sans participer aux votes. Les règles du débat en séance étaient applicables à cette réunion.

Un second droit d'opposition était prévu, dans les trois jours suivant la publication du rapport de la commission, permettant le retour à la procédure normale. Il s'agissait de mettre les groupes et le Gouvernement en mesure, le cas échéant, de s'opposer au texte issu des travaux de la commission, au vu de ce texte. Sans opposition, le texte de la commission pouvait finalement être mis aux voix en séance publique, après les interventions du Gouvernement et de la commission ainsi que des explications de vote pour un représentant par groupe pendant sept minutes et un sénateur non-inscrit pendant trois minutes.

Chapitre VII bis du Règlement du Sénat, relatif à la procédure d'examen en commission, tel qu'il résulte de la résolution du 13 mai 2015

« Art. 47 ter

« 1. - À la demande du Président du Sénat, du président de la commission saisie au fond, d'un président de groupe ou du Gouvernement, la Conférence des présidents peut décider que le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce uniquement en commission, dans les conditions mentionnées aux alinéas 1 et 2 de l'article 28 ter .

« 2. - La procédure d'examen en commission ne peut être décidée en cas d'opposition du Gouvernement, du président de la commission saisie au fond ou du président d'un groupe.

« 3. - Sur la proposition du président de la commission saisie au fond, la Conférence des présidents fixe la date de la réunion consacrée à l'examen des amendements et le délai limite pour le dépôt des amendements.

« 4. - Les sénateurs et le Gouvernement sont immédiatement informés de la date de la réunion et de celle du délai limite.

« 5. - Le Gouvernement peut participer à l'ensemble de la réunion de même que les signataires des amendements s'ils ne sont pas déjà membres de la commission. Cette réunion est publique.

« 6. - Les règles du débat en séance sont applicables en commission, sauf dispositions contraires du présent article.

« 7. - À la fin de la réunion, la commission statue sur l'ensemble du texte.

« 8. - Le rapport de la commission reproduit le texte des amendements non adoptés et rend compte des débats en commission. Le texte adopté par la commission fait l'objet d'une publication séparée.

« 9. - Au cours de cette procédure, aucune des motions mentionnées à l'article 44 du Règlement ne peut être présentée, sauf l'exception d'irrecevabilité.

« 10. - Le Gouvernement, le président de la commission saisie au fond ou un président de groupe peut demander le retour à la procédure normale au plus tard dans les trois jours suivant la publication du rapport. Dans ce cas, la Conférence des présidents ou le Sénat fixe la date de l'examen du texte adopté par la commission en séance publique ainsi que le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

« 11. - Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les rapporteurs des commissions pendant dix minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pendant sept minutes, ainsi qu'un sénateur ne figurant sur la liste d'aucun groupe pendant trois minutes. Le Président met aux voix l'ensemble du texte adopté par la commission. »

Cette procédure a été en vigueur jusqu'au dernier renouvellement du Sénat, de sorte, comme l'a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision, « qu'à défaut d'une nouvelle modification du Règlement d'ici le 1 er octobre 2017, les dispositions du chapitre VII bis du Règlement dans leur rédaction antérieure à la présente résolution seront à nouveau en vigueur ». Ainsi, à compter de cette date, les dispositions relatives aux procédures abrégées ont été rétablies.

La procédure d'examen en commission a été utilisée à quatre reprises, pour six textes :

- en octobre 2015 pour la proposition de loi organique et la proposition de loi ordinaire relatives à la dématérialisation du Journal officiel 17 ( * ) ;

- en octobre 2015 également pour la seconde lecture de la proposition de loi organique portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy 18 ( * ) ;

- en avril 2016 pour la seconde lecture du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015 portant réduction du nombre minimal d'actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées 19 ( * ) ;

- en octobre 2016 pour le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l'Agence nationale de santé publique et modifiant l'article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ainsi que pour le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en oeuvre par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé 20 ( * ) .

Les deux premiers recours à cette procédure, concernant trois textes, en octobre 2015, ont été décidés par la Conférence des présidents sur proposition du Président du Sénat et les deux suivants, concernant trois textes également, sur proposition du groupe Les Républicains. Les quatre premiers textes avaient été envoyés à votre commission des lois et les deux derniers à la commission des affaires sociales.

En outre, en février 2016, votre commission avait envisagé le recours à cette procédure pour deux textes d'initiative sénatoriale en première lecture, la proposition de loi tendant à permettre le maintien des communes associées en cas de création d'une commune nouvelle ainsi que la proposition de loi visant à augmenter de deux candidats remplaçants la liste des candidats au conseil municipal, mais les présidents des groupes RDSE et CRC s'y opposèrent lors de la réunion de la Conférence des présidents.

Le bilan tiré de cette expérimentation s'avère globalement positif. Elle a permis d'accélérer les débats en séance publique, tout en permettant un débat pluraliste et approfondi en commission, de façon souple et fluide, en associant tous les sénateurs qui le souhaitent, avec l'adoption d'amendements autres que ceux du rapporteur seulement dans certains cas.

L'exposé des motifs de la proposition de résolution affirme à juste titre que « le bilan de la mise en oeuvre de la procédure d'examen en commission après deux années d'expérimentation est positif », car celle-ci « a permis d'éviter le dédoublement du droit d'amendement, en commission et en séance ». Il estime également que « le formalisme propre à la séance a été respecté afin d'assurer la clarté et la sincérité des débats en commission mais il n'en a pas pour autant altéré le caractère spontané et interactif ». Il indique que « la possibilité pour les groupes minoritaires et d'opposition de s'exprimer a été pleinement préservée, que ce soit en commission, dans la discussion générale et lors de la discussion des articles, ou en séance publique ».

Les auditions de votre rapporteur conduisent à la même conclusion d'un bilan positif, même s'il faut constater que cette procédure a été utilisée sur des textes présentant un faible enjeu politique, qui auraient de toute façon pris peu de temps en séance, et sur lesquels ont été déposés en commission très peu voire pas d'amendements. Le droit d'opposition reconnu, notamment, à chaque groupe limite de fait la possibilité de recourir plus largement à cette procédure, qui supprime le droit d'amendement en séance. Un tel droit d'opposition est reconnu depuis les années 1990 par les règlements des deux assemblées et a été consacré par le législateur organique en 2009, afin de garantir un consensus très large. De plus, dans les faits, les réunions des commissions ont été organisées pour permettre la participation effective et systématique du Gouvernement.

La proposition de résolution aujourd'hui soumise à votre commission vise à pérenniser dans notre Règlement une procédure législative simplifiée, en procédant à certains ajustements de la procédure d'examen en commission.


* 15 Résolution réformant les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d'amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace.

* 16 Rapport n° 427 (2014-2015) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de résolution tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d'amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace, déposé le 6 mai 2015. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l14-427/l14-427.html

* 17 Réunion de la commission pour l'établissement de ses textes le 7 octobre 2015 puis examen en séance publique le 12 octobre 2015.

* 18 Réunion de la commission pour l'établissement de son texte le 14 octobre 2015 puis examen en séance publique le 22 octobre 2015.

* 19 Réunion de la commission pour l'établissement de son texte le 6 avril 2016 puis examen en séance publique le 28 avril 2016.

* 20 Réunion de la commission pour l'établissement de ses textes le 19 octobre 2016 puis examen en séance publique le 27 octobre 2016.

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