Rapport n° 132 (2017-2018) de M. François GROSDIDIER , fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 décembre 2017

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N° 132

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2017

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de Mme Éliane ASSASSI et plusieurs de ses collègues visant à réhabiliter la police de proximité ,

Par M. François GROSDIDIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Sébastien Leroux, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

715 (2016-2017) et 133 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 6 décembre 2017, sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission des lois a examiné le rapport de M. François Grosdidier, rapporteur , sur la proposition de loi n° 715 (2016-2017) visant à réhabiliter la police de proximité, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues.

Après avoir rappelé le bilan mitigé du dispositif de police de proximité mis en oeuvre sous la législature 1997-2002, le rapporteur a regretté que la proposition de loi, en se fondant sur le postulat erroné que la police de proximité aurait uniquement pâti d'un manque de moyens et de temps, reproduise les écueils du passé .

Il a constaté un déséquilibre entre les fonctions préventive et répressive de la police , qui constituent pourtant les deux piliers indissociables d'une politique de sécurité. Tout en reconnaissant le besoin d'une politique de prévention coordonnée sur les territoires, engageant l'ensemble des acteurs étatiques, éducatifs et sociaux, il a considéré qu'une lutte efficace contre la délinquance ne pouvait se passer d'une politique ferme de lutte contre l'impunité .

Malgré les créations d'emplois annoncées, le rapporteur a par ailleurs estimé que la mise en place d'une police de proximité serait illusoire dans le contexte budgétaire actuel . À cet égard, il a considéré qu'aucune réforme d'ampleur de la police nationale ne pourrait se faire sans conduire au préalable une réflexion sur une simplification de la procédure pénale.

S'il a partagé l'objectif d'une territorialisation de l'action policière, il a regretté que la stratégie territoriale envisagée par la proposition de loi fasse fi de l'ensemble des dispositifs de sécurité existants , notamment des forces de police municipale et des forces de la gendarmerie nationale.

Enfin, le rapporteur a constaté que la proposition de loi présentait d'importantes difficultés constitutionnelles , la plupart de ses dispositions relevant du domaine réglementaire ou étant dépourvues de portée normative. Il a néanmoins souligné qu'elle avait le mérite d'engager un débat utile sur la réorganisation des forces de sécurité sur notre territoire.

Sur son rapport, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en première lecture de la proposition de loi n° 715 (2016-2017) visant à réhabiliter la police de proximité, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de nos collègues.

La lutte contre l'insécurité et la délinquance de masse, qui gangrènent certains territoires de notre République, a été au coeur des politiques de sécurité intérieure conçues et mises en oeuvre au cours des dernières décennies.

Qu'il s'agisse de la mise en place d'une police de proximité, de la création des unités territoriales de quartier ou encore des brigades spécialisées de terrain, toutes répondaient en effet au même objectif : mieux répondre aux besoins du terrain.

Force est toutefois de constater que la multiplication des dispositifs policiers n'a pas permis d'enrayer le cercle de la délinquance, qui continue de se maintenir à un niveau élevé. La persistance de poches d'insécurité sur notre territoire, d'où les forces de l'ordre se sont elles-mêmes désengagées, est une situation indigne de notre République.

Les forces de sécurité intérieure sont les premières à pâtir d'une telle situation. Souvent déconsidérées, elles sont l'objet, depuis plusieurs années, d'une recrudescence d'outrages et de violences, qui contribue au mal-être de leurs agents et nuit à l'efficacité de leur action.

On peut regretter que l'exposé des motifs n'en fasse pas état, insistant davantage sur les « bavures » policières ou présumées « bavures », inacceptables et hautement condamnables si elles sont avérées, mais qui demeurent exceptionnelles, tandis que les outrages et violences contre agents sont quotidiens. Au demeurant, la médiatisation récente de certains faits de violences policières alimente l'image d'une police qui ne serait plus au service de la population.

Face à ce constat, il apparaît urgent de repenser l'organisation et les modalités d'action de la police nationale.

La proposition de loi soumise à l'examen de votre commission envisage, dans cette optique, de réorienter la police de sécurité publique vers une police de proximité.

Elle assume, ce faisant, le retour à la doctrine de la « pol prox » développée et mise en oeuvre il y a une vingtaine d'années, sans toutefois tirer les conséquences ni des difficultés rencontrées lors de sa mise en oeuvre, ni de son bilan très mitigé.

I. L'OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI : RÉHABILITER LA POLICE DE PROXIMITÉ POUR RESTAURER UNE RELATION DE CONFIANCE ENTRE LA POLICE ET LA POPULATION

A. UNE ÉVOLUTION DES DISPOSITIFS TERRITORIAUX DE SÉCURITÉ AU GRÉ DES CHANGEMENTS GOUVERNEMENTAUX

1. La brève expérience de la « police de proximité » (1997-2002)

Mise en oeuvre à compter de 1998 par le Gouvernement de M. Lionel Jospin, la politique de police de proximité se présentait comme une réforme d'ampleur des modes d'organisation et d'intervention des forces de sécurité intérieure, qui visait à substituer à une police chargée principalement du maintien de l'ordre, une police ayant pour objectif premier d'assurer la sécurité quotidienne de la population et de lutter contre la délinquance de masse.

Selon les orientations définies par le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Jean-Pierre Chevènement, lors du colloque de Villepinte en octobre 1997, l'objectif affiché de la police de proximité était triple.

Il s'agissait tout d'abord de développer au sein de la police une culture de l'anticipation et de la prévention plutôt que de réaction aux évènements.

La réforme entendait, par ailleurs, favoriser l'ancrage de la police et une meilleure visibilité au sein des territoires et des quartiers , en augmentant la présence des forces de sécurité sur le terrain, afin de renforcer le sentiment de sécurité au sein de la population.

Enfin, elle visait à mieux répondre aux attentes de la population par un dialogue constant et la mise en place d'un accueil personnalisé du public.

La police de proximité : la promotion de nouveaux modes d'action et d'organisation

Cette nouvelle doctrine d'emploi des forces de police s'est traduite par la définition de nouveaux modes d'action :

- une action policière territorialisée , organisée autour de circonscriptions précisément définies, de manière à assurer une présence visible et un exercice des missions au plus près des habitants ;

- une décentralisation des responsabilités et de la prise de décision au sein de chaque territoire ou chaque quartier ;

- le développement de partenariats actifs avec l'ensemble des acteurs locaux ;

- la polyvalence des agents de police de proximité, susceptibles d'assurer des missions de présence sur la voie publique tout autant que des activités de bureaux ;

- un contact permanent avec la population , les agents de police de proximité étant chargés de l'accueil et de l'aide aux victimes, du soutien aux personnes fragilisées ou vulnérables, des secours, du traitement en temps réel des procédures judiciaires.

La mise en oeuvre de la réforme de la police de proximité s'est établie en deux temps.

Une première phase d'expérimentation , lancée au printemps 1999, a été conduite au sein de cinq circonscriptions pilote de sécurité publique 1 ( * ) , et étendue à compter d'octobre 1999 à 62 sites, situés au sein de 37 départements parmi les plus sensibles.

La généralisation de la police de proximité s'est déroulée en trois phases successives, qui se sont étalées d'avril 2000 à juin 2002, de manière à couvrir l'ensemble des circonscriptions de sécurité sur le territoire national.

Dans la pratique, la réalisation de cette politique s'est traduite par l'ouverture de bureaux locaux de police, ainsi que le redéploiement d'environ 3 000 gardiens de la paix au profit de la police de proximité. Afin de renforcer les effectifs de terrain, la réforme s'est par ailleurs très fortement appuyée sur le recrutement d'adjoints de sécurité.

Les adjoints de sécurité

Les adjoints de sécurité, dont le statut est défini aux articles L. 411-5 et L. 411-6 du code de la sécurité intérieure, sont des agents contractuels de droit public. Âgés de 18 à 30 ans, ils peuvent être recrutés pour une durée de trois ans, renouvelable une fois.

La catégorie des adjoints de sécurité a été créée par la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité , avec la volonté de lutter contre le chômage des jeunes tout en améliorant la lutte contre la délinquance et en développant les fonctions d'assistance aux services de police.

Les adjoints de sécurité, placés sous la responsabilité directe et permanente d'un encadrant, assistent les policiers dans leurs missions, y compris répressives, mais ils ne peuvent participer ni aux opérations de maintien de l'ordre, ni à des opérations d'arrestation programmées.

2. Une réorientation des dispositifs policiers sur les territoires les plus sensibles

La police de proximité a été supprimée au printemps 2003 , peu de temps après sa généralisation, par M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, dans le cadre du retour à une police d'intervention plutôt que de prévention.

Pour autant, et bien que la notion de « police de proximité » soit jusqu'à ce jour tombée en désuétude, la volonté de lutter contre le sentiment d'insécurité, notamment dans les zones les plus sensibles, et de rapprocher la police de la population n'a cessé, au cours des quinze dernières années, d'animer les réformes d'organisation de la police nationale.

Ces politiques se sont toutefois concentrées, pour l'essentiel, sur les territoires les plus difficiles, se caractérisant par un niveau élevé de délinquance. Elles ont contribué, aidées en cela par la réduction significative, à compter de 2006, des effectifs des forces de sécurité intérieure, à privilégier une police d'intervention et à raréfier la présence policière sur l'ensemble du territoire national.

• Les unités territoriales de quartier

En 2008, en réponse au développement des violences urbaines, a été mis en oeuvre un plan d'action orienté en direction des quartiers sensibles, qui prévoyait notamment la création d' unités territoriales de quartier (UTeQ) .

Composées d'une vingtaine de policiers spécialement formés et placés dans les quartiers les plus difficiles, ces unités avaient pour mission de lutter contre la délinquance, de collecter du renseignement opérationnel et de développer un lien de confiance entre la police et la population. Elles marquaient ainsi un retour partiel à l'esprit qui avait guidé la politique de la police de proximité dix ans plus tôt.

• Les brigades spécialisées de terrain

À la suite des conclusions d'un rapport d'inspection, ces unités ont été transformées, en septembre 2010, en brigades spécialisées de terrain (BST) .

Cette évolution s'est principalement traduite par un changement de stratégie territoriale : contrairement aux UTeQ, ancrées dans des circonscriptions définies, les BST sont déployées dans des zones sensibles, au périmètre circonscrit mais susceptible d'évoluer en fonction de la délinquance.

L'objectif de la réforme consistait à favoriser une adaptation permanente des dispositifs policiers sur la voie publique à l'évolution de la délinquance et aux attentes de la population, en vue d'une meilleure sécurisation des quartiers les plus difficiles. Elle s'est ainsi distinguée par son caractère plus interventionniste que les UTeQ qu'elles ont remplacées.

Encore en activité, les BST sont aujourd'hui au nombre de 42.

• Les zones de sécurité prioritaire

En juillet 2012, une nouvelle évolution de l'organisation territoriale a été engagée, avec la création des zones de sécurité prioritaire (ZSP) 2 ( * ) .

Cette nouvelle réforme visait à concentrer les efforts et les moyens sur un nombre restreint de territoires , définis sur la base d'une série de critères, liés notamment au niveau d'insécurité mais également aux déséquilibres socio-économiques.

Initialement limitées à 15, les ZSP ont été progressivement élargies et concernent aujourd'hui 81 territoires.

Contrairement aux précédentes réformes, cette nouvelle organisation ne se limite pas aux forces de sécurité publique, mais implique l'ensemble des acteurs de la police nationale (police judiciaire, compagnies républicaines de sécurité, police aux frontières, etc. ), avec le souhait de mieux coordonner leurs interventions. Les BST font parties intégrantes du dispositif : actuellement déployées dans 26 ZSP, elles y assurent des missions de sécurisation de proximité.

B. UN RETOUR ASSUMÉ AU MODÈLE DÉJÀ EXPÉRIMENTÉ DE LA POLICE DE PROXIMITÉ

La succession rapide et la multiplication des dispositifs policiers, qui, de l'avis de votre rapporteur, nuisent tant à la lisibilité qu'à l'efficacité de la politique de sécurité intérieure, invitent aujourd'hui à la conduite d'une réflexion globale sur l'organisation territoriale des forces de sécurité, réflexion qui doit nécessairement s'appuyer sur une évaluation préalable des politiques existantes.

Si elle partage la volonté de repenser la politique de sécurité intérieure, la proposition de loi n° 715 (2016-2017), présentée par la Présidente Éliane Assassi et plusieurs de nos collègues, paraît toutefois opter davantage pour un retour aux expériences du passé que pour la mise en oeuvre de dispositifs rénovés.

En effet, regrettant la multiplication des dispositifs et les changements doctrinaux au cours des deux dernières décennies et soucieuse de rompre avec les politiques dites du « tout sécuritaire », qui auraient « contribué à distendre le lien de confiance entre population et force de l'ordre » et « parfois conduit à des dérives policières », elle ambitionne de restaurer la doctrine de la police de proximité et s'attache, à cette fin, à préciser ses orientations ainsi que les missions qui lui seraient confiées, en leur conférant une portée législative.

• La définition de la doctrine de la police de proximité

L' article 1 er de la proposition de loi vise à préciser les axes et principes de la police de proximité. Il complète à cet effet l'article L. 111-2 du code de la sécurité intérieure, qui fixe les orientations permanentes de la politique de sécurité publique, parmi lesquelles est déjà mentionnée « l'extension à l'ensemble du territoire d'une police de proximité répondant aux attentes et aux besoins des personnes en matière de sécurité ».

Introduit par la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité , l' article L. 111-2 du code de la sécurité intérieure fixe les orientations permanentes de la politique de sécurité publique.

Ces orientations sont actuellement au nombre de quatre :

- l'extension à l'ensemble du territoire d'une police de proximité répondant aux attentes et aux besoins des personnes en matière de sécurité ;

- le renforcement de la coopération entre la police, la gendarmerie et la douane dans leur action en faveur de la sécurité ;

- l'affectation en priorité des personnels de police à des missions concourant directement au maintien et au renforcement de la sécurité ;

- le renforcement de la coopération internationale en matière de sécurité, à partir des engagements internationaux et européens auxquels la France a souscrit.

Chargée d' « assurer des relations de confiance entre la police et les habitants » , la police de proximité reposerait, selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, sur plusieurs principes, très largement inspirés de la doctrine de la police de proximité développée dans les années 1990 :

- la territorialisation de l'action policière . Pour ce faire, la mise en oeuvre de la police de proximité s'appuierait sur une stratégie territoriale définie, pour chaque circonscription, au sein des conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, en partenariat avec l'ensemble des acteurs territoriaux ;

- l' autonomisation et la polyvalence des agents de police ;

- une gestion adaptée des effectifs en fonction des caractéristiques de chaque territoire.

• La création d'agents de proximité

Le chapitre I er du titre I er du livre IV du code de la sécurité intérieure relatif aux missions et personnels de la police nationale, mentionne plusieurs catégories d'agents appartenant à la police nationale : non seulement les personnels actifs mais aussi les personnels administratifs, techniques et scientifiques, les adjoints de sécurité ainsi que les membres de la réserve civile.

L' article 2 de la proposition de loi prévoit la création d'une nouvelle catégorie de personnels de la police nationale, les agents de police de proximité, distincte des catégories précédemment énoncées, dont les missions et les conditions d'évaluation seraient définies par décret en Conseil d'État.

Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, les missions des agents de police de proximité s'articuleraient autour de trois grands axes, qui reprennent, pour l'essentiel, les modalités d'action de la police de proximité mise en oeuvre à la fin des années 1990 :

- assurer un contact régulier avec la population et répondre à ses attentes en termes de sécurité. Les agents de proximité, de par leur polyvalence, pourraient être amenés à assurer une multitude de missions, « de la pratique de l'îlotage à l'organisation d'opérations culturelles et sportives » ;

- entretenir des échanges constants avec les partenaires locaux pour mieux lutter contre la délinquance et l'insécurité ;

- sensibiliser la population aux questions de sécurité, pour favoriser l'émergence d'une société vigilante.

• La création d'une direction générale de la police de proximité

Enfin, l' article 3 prévoit la création, à l'issue d'une réflexion sur la réorganisation administrative de la police nationale, d'une direction générale de la police de proximité au sein du ministère de l'intérieur, indépendante de la direction générale de la police nationale et dotée de ses propres services support. Ses missions et son organisation seraient définies par décret en Conseil d'État.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : LE REJET D'UN TEXTE INABOUTI

A. DES DIFFICULTÉS JURIDIQUES CERTAINES

Avant même de s'interroger sur l'opportunité des dispositifs proposés, votre commission constate que la proposition de loi soulève plusieurs difficultés d'ordre constitutionnel.

En premier lieu, la plupart des dispositions du texte ne relèvent pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire.

Ainsi en est-il tout d'abord de son article 2, qui prévoit la création des agents de proximité. Ces derniers constitueraient, dans la pratique, une sous-catégorie des agents actifs de la police nationale, au même titre que les agents de sécurité publique, les membres des compagnies républicaines de sécurité, les agents de police judiciaire, etc. Or, si la définition des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État relève, en application de l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi, la définition des catégories d'agents publics est de nature réglementaire.

De même, l'article 3 de la proposition de loi, qui prévoit la création d'une direction générale de la police de proximité, est une mesure d'organisation interne au ministère de l'intérieur qui ne nécessite pas de fondement législatif. À titre d'exemple, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), auxquels les auteurs de la proposition de loi font référence, a été créée par un décret en date du 30 avril 2014 3 ( * ) , mais ne dispose d'aucun fondement législatif.

En second lieu, certaines dispositions de la proposition de loi paraissent susceptibles, en raison de leur faible normativité, d'être jugées contraires à la Constitution .

Le Conseil constitutionnel fait preuve, à cet égard, d'une rigueur nouvelle. Depuis sa décision du 21 avril 2005 4 ( * ) , il considère en effet qu'il résulte de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en vertu duquel « la loi est l'expression de la volonté générale », ainsi que de « l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi », que « sous réserve des dispositions particulières prévues par la Constitution », « la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative ». Ainsi, sauf lorsqu'il s'agit de loi de programme 5 ( * ) , le Conseil constitutionnel censure les dispositions ne définissant que des orientations 6 ( * ) ou ne présentant aucun caractère impératif.

En l'espèce, votre commission éprouve des doutes quant à la normativité de certaines dispositions de la proposition de loi. Son article 1 er définit en effet les objectifs et les grands principes d'une police de proximité, qui « tend à assurer des relations de confiance entre la police et les habitants », mais ne présente aucun caractère impératif.

B. UNE PROPOSITION DE LOI QUI REPRODUIT LES ÉCUEILS DU PASSÉ

Si elle fait état de certaines difficultés rencontrées lors de la première mise en oeuvre de la police de proximité, la proposition de loi ne paraît pas en tirer toutes les leçons dans les orientations et la méthode envisagées. Elle se fonde en effet sur le postulat que le dispositif de police de proximité n'aurait pas produit tous ses effets uniquement faute de moyens et de temps, et comporte, à ce titre, le risque de reproduire les écueils du passé.

1. La nécessité impérieuse de sortir de l'opposition entre police répressive et police préventive

Les politiques de sécurité intérieure conduites au cours des vingt dernières années traduisent une fracture constante entre les tenants d'une police dite de prévention et les tenants d'une police d'intervention.

La proposition de loi ne paraît pas faire exception sur ce point. En effet, si elle ne passe pas sous silence la fonction répressive de la police , elle insiste sur sa fonction préventive. Ainsi, la création des agents de police de proximité, dont l'article 2 de la proposition de loi définit le statut, aurait pour objectif principal « d'anticiper et prévenir les troubles à l'ordre public ». Pour ce faire, le panel des missions confiées à ces agents serait large, pouvant aller, comme le précisent les auteurs du texte dans l'exposé des motifs, jusqu'à la sensibilisation des citoyens aux questions de sécurité et à l'organisation d'opérations culturelles et sportives.

Or, comme l'ont relevé à juste titre la plupart des personnes auditionnées par votre rapporteur, l'efficacité et l'efficience de la politique de sécurité nécessitent de dépasser cette opposition, la prévention et la répression constituant les deux piliers essentiels et indissociables des missions de la police nationale.

Le retour d'expérience sur la politique de police de proximité conduite au cours de la législature 1997-2002 est, à cet égard, éclairant.

L'objectif affiché de la politique de proximité était de lutter contre le « sentiment » d'insécurité, par une présence diurne plus voyante mais moins répressive, comme si ce sentiment était fantasmé par la population et ne s'appuyait pas sur une réalité de la délinquance.

Or, selon les informations recueillies par votre rapporteur au cours de ses travaux préparatoires, la priorité donnée à la prévention aurait eu, dans un grand nombre de cas, un effet contre-productif. En effet, elle aurait conduit les agents placés en proximité à limiter leurs interventions et leurs interpellations de manière à apaiser les tensions dans les secteurs les plus difficiles, avec pour conséquence une augmentation de la réalité et donc du sentiment d'insécurité.

Les statistiques de la délinquance paraissent d'ailleurs le confirmer. Le quatrième et dernier rapport d'évaluation de la police de proximité 7 ( * ) , auquel votre rapporteur a pu avoir accès, constate que le niveau général de délinquance a augmenté de 5,2 % entre 1998 et 2002. Si la délinquance de voie publique a légèrement baissé (- 2,2 %), les violences aux personnes ont connu une très forte hausse, de 32 % sur la période. La délinquance juvénile a elle-même fortement progressé alors que la police n'avait jamais été aussi disposée au « dialogue ».

Qui plus est, votre rapporteur constate que l'option choisie à l'époque de la mise en oeuvre de la police de proximité de renforcer les effectifs de police au cours de la journée, au détriment de la présence nocturne, n'allait pas dans le sens d'une action efficace contre l'activité délinquante, dont on sait qu'elle se déroule plus volontiers de nuit.

Ce problème devra impérativement être traité dans le cadre de la future police de sécurité du quotidien annoncée par le Président de la République. La police est chroniquement en sous-effectif de nuit, notamment en raison d'une séparation rigide des équipes diurnes et nocturnes et du trop faible avantage financier consenti aux « nuitiers », avantage inférieur à un euro par heure.

De l'avis de votre rapporteur, la restauration d'un sentiment de sécurité au sein de la population requiert une politique ferme de lutte contre l'impunité. Si la conduite d'une politique préventive est essentielle et fait partie intégrante des missions de la police, elle ne doit pas se faire au détriment d'une politique répressive et d'une réponse judiciaire ferme. La première mesure de prévention doit en effet reposer sur la présence sur le terrain de policiers potentiellement répressifs et sur la certitude de la réponse pénale en cas de violation de la loi.

Le rapport d'évaluation précité relevait ainsi, s'agissant des quartiers les plus difficiles où la police de proximité avait été implantée, que « faute de réponse judiciaire ferme, il est constaté que le redéploiement des policiers non accompagné de réponses durables aux problèmes de la délinquance accroît les risques d'affrontements, d'outrages et de rebellions. Le sentiment d'impunité fait ressortir et amplifie le sentiment d'insécurité et la confiance accrue que la population avait investie au démarrage du dispositif est déçue ». Il en concluait que « l'option préventive, coûteuse en moyens humains par définition, ne produit pas de sécurité si elle n'est validée par une répression ultime ».

Aussi la mise en place d'une police de proximité ne peut-elle être conçue sans une coordination avec l'ensemble des autres maillons de la chaîne pénale, qu'il s'agisse des services de police judiciaire, des services d'investigation ou encore de l'autorité judiciaire elle-même.

À cet égard, votre commission regrette que la proposition de loi , en prévoyant la création d'un statut spécifique pour les agents de police de proximité (article 2) et d'une direction générale indépendante de la direction générale de la police nationale (article 3), envisage la police de proximité comme une fonction distincte des autres missions de la police nationale .

Plutôt que de juxtaposer de nouvelles forces à celles existantes, il apparaîtrait préférable à votre commission de réorganiser l'ensemble des forces de police - les forces de sécurité publique, mais également les services de police judiciaire, les forces de sécurité mobile, etc. -, de manière intégrée et coordonnée.

Enfin, votre rapporteur tient à se faire l'écho des préoccupations exprimées par nombre de personnes qu'il a entendues au cours de ses auditions, qui ont insisté sur l'impossibilité pour la police nationale de porter, à elle seule, la responsabilité de la conduite de la politique de sécurité sur notre territoire. La prévention au sens large commence avec la protection maternelle et infantile et se poursuit avec l'éducation nationale et l'action sociale, culturelle et sportive, etc. Entre ces deux cercles existent celui de la prévention spécialisée. Ces champs ne sont pas ceux des forces de l'ordre qui ne sauraient se substituer aux autres professionnels, même si un travail concerté entre tous est souhaitable.

De ce point de vue, votre commission estime que certaines missions mentionnées par les auteurs de la proposition de loi, en particulier l'organisation d'activités culturelles et sportives, dépassent très largement le champ d'action de la police nationale. Il est indispensable de ne pas extraire les policiers, déjà trop peu nombreux, de leur coeur de métier.

2. Une politique difficile à implémenter dans le contexte budgétaire actuel

La politique de police de proximité mise en oeuvre à la fin des années 1990 a pâti du manque de moyens et d'effectifs qui lui ont été attribués.

Ce constat a été partagé par la plupart des personnes entendues par votre rapporteur, selon lesquelles le manque d'effectifs avait, dans de nombreuses circonscriptions, réduit considérablement la présence des agents de police sur le terrain, remettant en cause la raison d'être de la police de proximité. Certes, l'expérimentation initialement conduite sur un nombre restreint de circonscriptions de sécurité avait été accompagnée d'un renforcement des effectifs, avec des résultats plutôt concluants. Sa généralisation à l'ensemble du territoire national a en revanche été réalisée à moyens constants, soulevant des difficultés importantes d'organisation.

Ainsi, dans les territoires où la police de proximité avait effectivement permis la collecte d'informations sur la délinquance auprès des acteurs de terrain ou de la population, ces renseignements ont été d'autant moins traités que le déploiement de la police de proximité s'était fait au détriment des unités d'investigation et d'intervention.

Au demeurant, comme le relève le rapport d'évaluation précité, la politique de la police de proximité a souffert du manque de qualification des personnels déployés sur le terrain.

Sa mise en oeuvre s'est en effet en grande partie appuyée, comme précisé précédemment, sur l'affectation d'adjoints de sécurité (ADS). Cette stratégie, qui a certes permis de renforcer la présence policière sur la voie publique, n'a pas été sans inconvénient : présentant un niveau de recrutement et de préparation moindre que les agents de police, les adjoints de sécurité ne disposaient en effet ni de l'autonomie, ni de l'expérience nécessaires pour assurer le spectre des missions confiées à la police de proximité.

Qui plus est, les agents de police affectés en tant que « proximiers » dans les quartiers les plus sensibles étaient généralement des personnels nouvellement recrutés, parfois positionnés en première affectation, disposant d'une expérience de terrain très limitée, voire inexistante. Le rapport d'évaluation publié en avril 2001 constatait ainsi que « la présence de fonctionnaires peu expérimentés dans les quartiers difficiles et la sur-représentation des ADS entraînent [...] plus de difficultés tout en mettant en péril la sécurité de ces policiers vulnérables ».

Si elle prévoit d'adapter les effectifs aux spécificités des circonscriptions, la proposition de loi envisage une généralisation du modèle de la police de proximité à l'ensemble du territoire, comme cela a été fait dans le cadre de l'expérience menée sous la législature 1997-2002. Sans qu'il soit aisé d'évaluer avec précision le nombre d'effectifs supplémentaires nécessaires au déploiement du dispositif envisagé par la proposition de loi, votre commission juge qu'il serait illusoire, dans le contexte budgétaire actuel, d'assurer sa mise en oeuvre, sans cibler des zones ou des circonscriptions prioritaires .

En effet, selon les indications fournies à votre rapporteur par la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) lors de son audition, les services et unités de sécurité publique sont d'ores et déjà en sous-effectif dans de nombreuses circonscriptions. Les effectifs supplémentaires récemment annoncés par le Président de la République - 7 500 policiers supplémentaires sur la durée du quinquennat - devraient permettre de combler le sous-emploi dans les zones concernées, mais ne permettront pas de dégager des effectifs complémentaires pour assurer, comme le prévoit la proposition de loi, le déploiement d'une police de proximité sur l'ensemble du territoire national.

Sans possibilité de renforcer massivement les effectifs de la police nationale, la mise en oeuvre d'une police de proximité risquerait par ailleurs de se faire au détriment d'autres services de la police nationale, en particulier des services police judiciaire, déjà fortement engorgés.

Aussi votre commission est-elle convaincue qu'aucune réorganisation de la police au bénéfice d'une plus grande proximité avec la population ne pourra être engagée sans une réflexion préalable et d'ampleur sur la rationalisation des moyens de la police ainsi que sur la simplification de la procédure pénale , toutes deux nécessaires pour libérer de plus amples capacités opérationnelles au sein de la police nationale. Le rapport d'évaluation de la police de proximité précité soulevait déjà cette difficulté, indiquant que « l'effet induit du formalisme est redoutable en termes d'occupation du terrain pour les policiers qui doivent satisfaire aux exigences de la loi et consacrer davantage de temps aux formalités internes des procédures, de plus en plus au détriment du fond ». C'était écrit il y a seize ans. Le constat reste valable.

À cet égard, les efforts annoncés par le ministère de l'intérieur pour pourvoir par des personnels civils des emplois administratifs actuellement occupés par des personnels actifs, de manière à redéployer ces derniers sur le terrain méritent l'attention et, s'ils sont confirmés, le soutien de votre commission.

Par ailleurs, les annonces du Président de la République sur le projet de mise en oeuvre d'une police de sécurité du quotidien, aux contours certes encore flous, ainsi que sur une future réforme de la procédure pénale, paraissent également aller dans le bon sens.

L'expérimentation de la police de sécurité du quotidien

Dans son discours aux forces de sécurité intérieure du 18 octobre dernier, le Président de la République a présenté les principales lignes de la future police de sécurité du quotidien, dont l'objectif est de réformer en profondeur l'organisation et les modalités d'action des forces de sécurité sur le territoire national.

Pensée comme devant dépasser l'opposition traditionnelle entre police de proximité et police d'intervention, la police de sécurité du quotidien devrait reposer sur trois objectifs :

- donner aux forces de sécurité les moyens et les méthodes pour agir plus efficacement ;

- déconcentrer davantage les politiques de sécurité et renforcer les partenariats locaux avec les collectivités territoriales, les polices municipales, les associations, etc. ;

- renforcer le lien avec la population, en améliorant l'accessibilité des services publics de la sécurité, en améliorant la communication sur l'action des forces de l'ordre, en développant la participation citoyenne à l'action de sécurité.

La mise en place de cette politique débutera, au premier semestre 2018, par l'expérimentation de nouveaux dispositifs dans une quinzaine de circonscriptions de sécurité, réparties sur le territoire.

Enfin, votre rapporteur constate, à la lumière des témoignages entendus au cours de ses auditions, que les difficultés rencontrées il y a vingt ans à l'occasion de la première expérience de police de proximité, notamment s'agissant de la difficulté d'affectation d'agents expérimentés dans les quartiers les plus sensibles, demeurent, ce qui invite à conduire une réflexion sur la réforme des modalités d'affectation et de répartition des forces de police sur notre territoire.

3. Une stratégie territoriale incomplète

La proposition de loi conçoit la police de proximité comme une police territorialisée, dont le déploiement au niveau local reposerait sur des stratégies définies, pour chaque territoire, au sein des conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Si votre rapporteur partage l'idée d'une nécessaire territorialisation de l'action policière, accompagnée d'une déconcentration de la prise de décision, il regrette que la stratégie territoriale envisagée par la proposition de loi fasse fi de l'ensemble des dispositifs policiers existants . Notamment, la question de l'articulation de la nouvelle police de proximité avec les zones de sécurité prioritaires n'est pas abordée.

De même, la proposition de loi ne tient pas compte du développement, au cours des deux dernières décennies, des polices municipales, qui jouent désormais un rôle central dans l'action de sécurité de proximité. Les effectifs de police municipale (hors agents de surveillance de la voie publique) ont doublé en vingt ans et quadruplé en trente ans et constituent désormais la troisième force de sécurité de la République.

Enfin, si ses auteurs regrettent la disparition des anciennes brigades territoriales de la gendarmerie nationale, la proposition de loi n'aborde le retour à une politique de sécurité de proximité que sous l'angle de la police nationale. Or, la gendarmerie nationale intervient sur près de 95 % du territoire national, au service d'environ 50 % de la population française.

De telles omissions sont regrettables, car l'on ne saurait repenser l'action policière de proximité sans réfléchir à l'articulation de l'ensemble des acteurs engagés sur le terrain.

Le lancement du projet de police de sécurité du quotidien, récemment annoncé par le Président de la République, constitue, en ce sens, une occasion de réfléchir à la réorganisation des forces de sécurité intérieure et à l'évolution de leurs modalités d'action. Dans ce contexte et au-delà des difficultés précédemment soulevées, l 'adoption de la proposition de loi, avant même l'achèvement du processus de consultation lancé par le Gouvernement, apparaîtrait prématurée en raison de son calendrier.

*

* *

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi n° 715 (2016-2017) visant à réhabiliter la police de proximité.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution , la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 6 DÉCEMBRE 2017

M. François Grosdidier , rapporteur . - Nous sommes saisis d'une proposition de loi tendant à réhabiliter la police de proximité, présenté par Mme Éliane Assassi et plusieurs de nos collègues.

M. Philippe Bas , président . - Curieux titre que celui de cette proposition de loi : une réhabilitation fait en général suite à une condamnation injustifiée.

M. François Grosdidier , rapporteur . - L'insécurité et la délinquance de masse gangrènent certains territoires de notre République : cela n'a échappé à aucun de nos gouvernants depuis des décennies : police de proximité, unités territoriales de quartier ou encore brigades spécialisées de terrain, aucune de ces initiatives n'a permis de réduire la délinquance, loin s'en faut. La persistance de poches d'insécurité, d'où les forces de l'ordre se sont elles-mêmes désengagées, est indigne de notre République

Les forces de sécurité intérieure sont d'ailleurs les premières à pâtir d'une telle situation. Souvent déconsidérées, elles sont l'objet, depuis plusieurs années, d'une recrudescence d'outrages et de violences, qui contribue au mal-être de leurs agents et nuit à l'efficacité de leur action. Je regrette que l'exposé des motifs de cette proposition de loi n'en fasse pas état, insistant bien davantage sur les bavures policières, inacceptables quand elles sont avérées, mais qui sont exceptionnelles, tandis que les outrages et violences contre agents sont quotidiens. La médiatisation récente de certains faits de violence policière alimente l'image d'une police qui ne serait plus au service des citoyens.

Les auteurs de cette proposition de loi assument le retour à la doctrine de la « pol prox » des années 1990, sans toutefois tirer les conséquences ni des difficultés rencontrées lors de sa mise en oeuvre, ni de son bilan très mitigé.

Revenons sur cette brève expérience. Mise en oeuvre à compter de 1998 par le gouvernement de Lionel Jospin, la politique de police de proximité se présentait comme une réforme d'ampleur des modes d'organisation et d'intervention de la police, qui visait à substituer à une police chargée principalement du maintien de l'ordre, une police ayant pour objectif d'assurer la sécurité quotidienne de la population.

Selon le ministre de l'intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement, lors du colloque de Villepinte en octobre 1997, l'objectif affiché de la police de proximité était triple. Il s'agissait tout d'abord de développer au sein de la police une culture de l'anticipation et de la prévention plutôt que de réaction aux évènements. La réforme entendait, par ailleurs, favoriser l'ancrage de la police et une meilleure visibilité au sein des territoires et des quartiers, en augmentant la présence des forces de sécurité sur le terrain, afin de renforcer le sentiment de sécurité au sein de la population. Enfin, elle visait à mieux répondre aux attentes de la population par un dialogue constant et la mise en place d'un accueil personnalisé du public.

La mise en oeuvre de la réforme de la police de proximité s'est faite en deux temps. Une phase d'expérimentation, lancée au printemps 1999, a été conduite au sein de cinq circonscriptions de sécurité publique, et étendue à compter d'octobre 1999 à 62 sites, au sein de 37 départements parmi les plus sensibles. La généralisation de la police de proximité s'est déroulée d'avril 2000 à juin 2002, de manière à couvrir l'ensemble du territoire.

Dans la pratique, cette politique s'est traduite par l'ouverture de bureaux locaux de police, ainsi que par le redéploiement d'environ 3 000 gardiens de la paix. Afin de renforcer les effectifs de terrain, la réforme s'est par ailleurs très fortement appuyée sur le recrutement d'adjoints de sécurité.

La police de proximité a été supprimée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, dans le cadre du retour à une police d'intervention plutôt que de prévention.

Pour autant, et bien que la notion de police de proximité soit jusqu'à ce jour tombée en désuétude, la volonté de territorialiser l'action des forces de sécurité intérieure s'est poursuivie ces quinze dernières années et n'a cessé d'animer les réformes d'organisation de la police. Ces politiques se sont toutefois concentrées, pour l'essentiel, sur les territoires les plus difficiles au niveau élevé de délinquance. Elles ont contribué, aidées en cela par la réduction significative, à compter de 2006, des effectifs des forces de sécurité intérieure, à privilégier une police d'intervention et à raréfier la présence policière sur l'ensemble du territoire national.

Nous avons connu les unités territoriales de quartier en 2008, en réponse au développement des violences urbaines : il s'agissait d'un plan d'action orienté en direction des quartiers sensibles. Composées d'une vingtaine de policiers spécialement formés et placés dans les quartiers les plus difficiles, ces unités avaient pour missions de lutter contre la délinquance, de collecter du renseignement opérationnel et de développer un lien de confiance entre la police et la population. Elles marquaient ainsi un retour partiel à l'esprit de proximité.

À la suite des conclusions d'un rapport d'inspection, ces unités ont été transformées, en septembre 2010, en brigades spécialisées de terrain (BST). Cette évolution s'est principalement traduite par un changement de stratégie territoriale : contrairement aux unités territoriales de quartier, ancrées dans des circonscriptions définies, les BST ont été déployées dans des zones sensibles, au périmètre circonscrit mais susceptible d'évoluer en fonction de la délinquance.

Cette réforme visait à adapter de façon permanente les dispositifs policiers sur la voie publique à l'évolution de la délinquance et aux attentes de la population.

En juillet 2012, nous avons eu les zones de sécurité prioritaire (ZSP), qui venaient en complément des structures existantes. Il s'agissait de concentrer les efforts et les moyens sur un nombre restreint de territoires, définis sur la base d'une série de critères, liés notamment au niveau d'insécurité mais également aux déséquilibres socio-économiques. Initialement limitées à 15, les ZSP sont aujourd'hui au nombre de 81. Les BST font partie intégrante du dispositif : actuellement déployées dans 26 ZSP, elles y assurent des missions de sécurisation de proximité.

La proposition de loi présentée par Mme Assassi et plusieurs de nos collègues suggère d'en revenir au modèle déjà expérimenté de la police de proximité. Elle vise à restaurer cette police et s'attache à préciser ses orientations ainsi que ses missions, en leur donnant une portée législative.

L'article 1 er précise les axes et principes de la police de proximité. Il complète à cet effet l'article L. 111-2 du code de la sécurité intérieure, qui fixe les orientations permanentes de la politique de sécurité publique, parmi lesquels est déjà mentionnée « l'extension à l'ensemble du territoire d'une police de proximité répondant aux attentes et aux besoins des personnes en matière de sécurité ». Elle inscrit aussi la territorialisation de l'action policière qui s'appuierait sur une stratégie territoriale pour chaque circonscription définie, au sein des conseils locaux intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance en partenariat avec les acteurs locaux. Cet article prévoit aussi l'autonomisation et la polyvalence des agents de police ainsi qu'une gestion adaptée des effectifs en fonction des caractéristiques de chaque territoire.

L'article 2 prévoit la création d'une nouvelle catégorie de personnels de la police nationale, les agents de police de proximité. Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, les missions des agents de police de proximité s'articuleraient autour de trois axes, qui reprennent, pour l'essentiel, les modalités d'action de la police de proximité mise en oeuvre dans les années 1990.

Enfin, l'article 3 prévoit la création d'une direction générale de la police de proximité, distincte et autonome de la direction générale de la police nationale.

Disons-le d'emblée : je suis défavorable à l'adoption de cette proposition de loi, pour plusieurs raisons.

Avant même de s'interroger sur l'opportunité des dispositifs proposés, cette proposition de loi soulève plusieurs difficultés d'ordre constitutionnel. La plupart des dispositions du texte ne relève pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire. Ainsi en est-il de son article 2, qui prévoit la création des agents de proximité. Si la définition des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État relève, en vertu de l'article 34 de la Constitution, de la loi, la définition des catégories d'agents publics est de nature réglementaire.

De même, l'article 3, qui prévoit la création d'une direction générale de la police de proximité, est une mesure d'organisation interne au ministère de l'intérieur qui ne nécessite pas de fondement législatif.

En second lieu, certaines dispositions de la proposition de loi paraissent susceptibles, en raison de leur faible normativité, d'être jugées contraires à la Constitution. Le Conseil constitutionnel fait preuve, à cet égard, d'une rigueur nouvelle, depuis sa décision du 21 avril 2005 qui censurait des dispositions ne définissant que des orientations ou ne présentant aucun caractère impératif.

Le postulat de cette proposition de loi est que la police de proximité n'a pas produit tous ses effets positifs uniquement par manque de moyens et de durée. En se fondant sur cette seule analyse, nous risquerions de reproduire les erreurs du passé.

Il est souhaitable de sortir de l'opposition idéologique entre police répressive et police préventive. Or cette proposition de loi se fonde sur cette opposition, laissant penser que toutes les difficultés actuelles viendraient de la faiblesse de la fonction préventive de la police. Ainsi, les agents de police de proximité auraient pour objectif principal « d'anticiper et prévenir les troubles à l'ordre public ». Le panel des missions confiées à ces agents irait jusqu'à la sensibilisation des citoyens aux questions de sécurité et à l'organisation d'opérations culturelles et sportives.

Or, comme l'ont relevé à juste titre la plupart des personnes que j'ai entendues en audition, l'efficacité et l'efficience de la politique de sécurité nécessitent de dépasser cette opposition, la prévention et la répression constituant les deux piliers essentiels et indissociables des missions de la police nationale. Il ne faut surtout pas sortir des policiers trop peu nombreux de leur coeur de métier. Le retour d'expérience sur la politique de police de proximité conduite au cours de la législature 1997-2002 est, à cet égard, édifiant. La priorité affichée de la politique de proximité était de lutter contre le « sentiment » d'insécurité, par une présence diurne plus voyante mais moins répressive, comme si ce sentiment était fantasmé par la population et ne s'appuyait pas sur une réalité de la délinquance.

Or, l'expérience de la police de proximité aurait eu, dans un grand nombre de cas, un effet contre-productif. En effet, l'accent mis sur la mission préventive aurait conduit les agents placés en proximité à limiter leurs interventions et leurs interpellations de manière à apaiser les tensions dans les secteurs les plus difficiles, avec pour conséquence une augmentation de la réalité et donc du sentiment d'insécurité.

Les statistiques de la délinquance paraissent d'ailleurs le confirmer. J'ai pu obtenir le quatrième et dernier rapport d'évaluation de la police de proximité, réalisé en 2001 et non en 2002 et par conséquent commandé par le Gouvernement qui avait lui-même mis en oeuvre cette politique. Ce rapport constate que le niveau général de délinquance a augmenté de 5,2 % durant la période 1998-2001 et les violences aux personnes de 32 %. La délinquance juvénile a elle-même fortement progressé alors que la police n'avait jamais été aussi disposée au dialogue.

Qui plus est, la mise en oeuvre de la police de proximité a renforcé les effectifs de police dans la journée, au détriment de la présence nocturne. Or, l'essentiel de la délinquance se produit le soir et la nuit. Ce problème devra impérativement être traité dans le cadre de la future police de sécurité du quotidien (PSQ) annoncée par le Président de la République. La police est chroniquement en sous-effectif de nuit, notamment en raison d'une séparation rigide des équipes diurnes et nocturnes et du trop faible avantage financier consenti aux « nuitiers », avantage inférieur à un euro par heure.

La restauration d'un sentiment de sécurité au sein de la population requiert une politique ferme de lutte contre l'impunité. Une politique préventive ne doit pas se faire au détriment d'une politique répressive et d'une réponse judiciaire ferme. La première mesure de prévention doit en effet être la présence sur le terrain de policiers potentiellement répressifs.

Le rapport d'évaluation de 2001 relevait ainsi, s'agissant des quartiers les plus difficiles où la police de proximité avait été implantée, que « faute de réponse judiciaire ferme, il est constaté que le redéploiement des policiers non accompagné de réponses durables aux problèmes de la délinquance accroît les risques d'affrontements, d'outrages et de rebellions. Le sentiment d'impunité fait ressortir et amplifie le sentiment d'insécurité et la confiance accrue que la population avait investie au démarrage du dispositif est déçue ». Il en concluait que « l'option préventive, coûteuse en moyens humains par définition, ne produit pas de sécurité si elle n'est validée par une répression ultime ». Aussi la mise en place d'une police de proximité ne peut-elle être conçue sans une coordination avec l'ensemble des autres maillons de la chaîne pénale, qu'il s'agisse des services de police judiciaire, des services d'investigation ou encore de l'autorité judiciaire elle-même.

À cet égard, je regrette que la proposition de loi, en prévoyant la création d'un statut spécifique pour les agents de police de proximité et d'une direction générale indépendante de la direction générale de la police nationale, envisage cette police comme une fonction distincte des autres missions de la police nationale.

Plutôt que de juxtaposer de nouvelles forces à celles existantes, il apparaitrait préférable de réorganiser l'ensemble des forces de police de manière intégrée et coordonnée.

Enfin, il faut souligner l'impossibilité pour la police nationale de porter, à elle seule, la responsabilité de la conduite de la politique de sécurité sur notre territoire. La prévention au sens large commence avec la protection maternelle et infantile et se poursuit avec l'éducation nationale et l'animation sociale, culturelle et sportive. Entre ces deux cercles existe celui de la prévention spécialisée. Ces champs ne sont pas ceux des forces de l'ordre qui ne sauraient se substituer aux autres professionnels, même si un travail concerté entre tous est souhaitable.

En outre, certaines missions mentionnées par les auteurs de la proposition de loi, en particulier l'organisation d'activités culturelles et sportives, dépassent très largement le champ d'action de la police nationale.

Deuxième difficulté posée par la proposition de loi : la politique proposée serait difficile à implémenter dans le contexte budgétaire actuel. La politique de police de proximité mise en oeuvre à la fin des années 1990 a pâti du manque de moyens. Certes, l'expérimentation initialement conduite sur un nombre restreint de circonscriptions de sécurité avec des moyens accrus, avait donné des résultats probants. Mais sa généralisation, à moyens constants, a été contreproductive.

Ainsi, dans les territoires où la police de proximité avait effectivement permis la collecte d'informations sur la délinquance auprès des acteurs de terrain ou de la population, ces renseignements ont été d'autant moins traités que le déploiement de la police de proximité s'était fait au détriment des unités d'investigation et d'intervention.

Selon le rapport d'évaluation de 2001, la politique de la police de proximité a souffert du manque de qualification des personnels déployés sur le terrain. Sa mise en oeuvre s'est en effet en grande partie appuyée sur les adjoints de sécurité qui n'avaient pas le niveau de compétences requis. De plus, les « proximiers » affectés dans ces quartiers étaient généralement des personnels nouvellement recrutés, parfois positionnés en première affectation, disposant d'une expérience de terrain très limitée, voire inexistante. Le rapport d'évaluation est très clair à cet égard.

La proposition de loi envisage une généralisation du modèle de la police de proximité à l'ensemble du territoire, comme cela a été fait précédemment. Aucun des responsables auditionné n'a su évaluer avec précision le nombre d'effectifs supplémentaires nécessaires au déploiement d'une telle police. Les annonces de créations de 10 000 postes de policiers et de gendarmes supplémentaires sont loin d'être à la hauteur des enjeux et risquent de s'avérer insuffisantes pour la réforme de la police de sécurité du quotidien annoncée.

Dans l'immédiat, nous estimons qu'il serait illusoire, dans le cadre budgétaire actuel, d'assurer la mise en oeuvre de la police de sécurité sans cibler des zones et des circonscriptions prioritaires. Sans possibilité de renforcer massivement les effectifs de la police nationale, elle risquerait de se faire au détriment d'autres services de la police nationale, en particulier des services de police judiciaire, déjà fortement engorgés.

Aucune réorganisation de la police au bénéfice d'une plus grande proximité avec la population ne pourra être engagée sans une réflexion préalable et d'ampleur sur la rationalisation des moyens de la police ainsi que sur la simplification de la procédure pénale, toutes deux nécessaires pour libérer de plus amples capacités opérationnelles au sein de la police nationale. Les policiers consacrent les deux tiers de leur temps à la procédure et le reste au terrain.

Le rapport d'évaluation de 2001 soulevait déjà cette difficulté : « l'effet induit du formalisme est redoutable en termes d'occupation du terrain pour les policiers qui doivent satisfaire aux exigences de la loi et consacrer davantage de temps aux formalités internes des procédures, de plus en plus au détriment du fond ».

À cet égard, les annonces du Président de la République sur le projet de mise en oeuvre d'une police de sécurité du quotidien, aux contours certes encore flous, ainsi que sur une future réforme de la procédure pénale, paraissent aller dans le bon sens.

À la lumière des témoignages entendus au cours des auditions, les difficultés rencontrées il y a vingt ans à l'occasion de la première expérience de police de proximité, notamment s'agissant de la difficulté d'affectation d'agents expérimentés dans les quartiers les plus sensibles, demeurent, et il n'existe pas aujourd'hui de début de solution. Cela nous invite à conduire une réflexion sur la réforme des modalités d'affectation et de répartition des forces de l'ordre sur notre territoire qui ne semble pas à l'ordre du jour du Gouvernement.

Enfin, une stratégie territoriale complète ne peut faire fi de la gendarmerie nationale et des polices municipales. Je partage l'idée d'une nécessaire territorialisation de l'action policière accompagnée d'une décentralisation ou d'une déconcentration de la prise de décision mais je regrette que la stratégie territoriale envisagée par cette proposition de loi passe sous silence l'ensemble des dispositifs policiers existants. De même, elle ne tient pas compte du développement, au cours des deux dernières décennies, des polices municipales, qui jouent désormais un rôle central dans l'action de sécurité de proximité.

Si ses auteurs regrettent la disparition des anciennes brigades territoriales de la gendarmerie nationale, la proposition de loi n'aborde pas le retour à une politique de sécurité de proximité concernant la gendarmerie nationale alors qu'elle intervient sur près de 95 % du territoire national, au bénéfice de 50 % de la population française.

De telles omissions sont regrettables, car l'on ne saurait repenser l'action policière de proximité sans réfléchir à l'articulation de l'ensemble des acteurs engagés sur le terrain.

Le lancement du projet de police de sécurité du quotidien, récemment annoncé par le Président de la République, constitue, en ce sens, une occasion de réfléchir à la territorialisation des forces de sécurité intérieure. Dans ce contexte, et au-delà des difficultés soulevées, l'adoption de cette proposition de loi, avant même l'achèvement du processus de consultation lancé par le Gouvernement, m'apparait prématurée. Je vous invite donc à ne pas adopter ce texte, mais son examen en séance permettra un débat intéressant avant la mise en place de la PSQ.

M. Philippe Bas , président . - Merci pour ce travail, monsieur le rapporteur. Le rapport que notre collègue a obtenu du ministère de l'intérieur n'avait jamais été publié. Il a d'ailleurs fallu qu'il s'y reprenne à plusieurs fois pour l'obtenir. La notion de PSQ reste un peu floue et on a pu, un moment, croire qu'il s'agissait d'un retour à la police de proximité, ce qui n'est pas le cas.

Mme Esther Benbassa . - Merci pour ce rapport, même si je ne suis pas d'accord avec ses conclusions parfois caricaturales. La police de proximité est indispensable au moment où la radicalisation s'étend dans certains quartiers. Elle permet aussi de renforcer les liens de confiance entre la police et la population, lien qui s'est distendu dans certaines zones. C'est ce que disait Patrice Bergougnoux, ancien directeur général de la police nationale, lors de l'annonce, cet été, par Gérard Collomb de la mise en place d'une nouvelle police de proximité. Selon un sondage, 84 % des Français sont favorables à cette police pour renforcer la sécurité dans les quartiers. Le rapport que j'ai rédigé avec Mme Troendlé sur les politiques de déradicalisation mentionnait la mise en place d'une telle police. Peu importe qu'on l'appelle police de proximité ou police de sécurité du quotidien ; ce qui compte, ce sont les missions et les moyens. Dans le projet de loi de finances, il n'y est pas fait référence : derrière les effets d'annonce, pas de moyens financiers. Poudre de perlimpinpin ?

Cette proposition de loi pose le principe d'une véritable police de proximité qui devra être budgétisée. Nous demandons la création d'un nouveau programme pour pouvoir créer une direction générale de la police de proximité, qui disposerait de services administratifs et du soutien nécessaire à son fonctionnement et à sa gestion. Il est vrai, monsieur le rapporteur, que l'on pourrait viser dans cette proposition de loi la gendarmerie : des amendements sont toujours possibles.

Pourquoi rejeter ce texte ? Nous pourrions parvenir à un accord, puisque nous sommes tous d'accord pour estimer cette police nécessaire, notamment pour éviter la radicalisation et la multiplication des contrôles au faciès, que dénonce la Cour de cassation. Comme les associations ont disparu des quartiers difficiles, pourquoi ne pas rétablir une police de proximité ? Arrêtons avec les caricatures de policiers passant leur temps à jouer au foot avec les jeunes délinquants. Soyons plus positifs.

M. Patrick Kanner . - Première remarque, de forme : serait-il possible d'avoir accès au rapport du ministère de l'intérieur auquel le rapporteur a fait référence ?

M. Philippe Bas , président . - Il est à la disposition de tous les membres de la commission.

M. Patrick Kanner . - Le droit à la sûreté est consacré par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La question est : comment le mettons-nous en oeuvre pour les populations les plus fragiles ? La police « doit redevenir une police de proximité présente sur la voie publique, plus qu'une police d'ordre », déclarait Charles Pasqua, ministre de l'intérieur, en annexe de sa loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. Ce n'est donc pas une question de droite ou de gauche. Cette loi n'a pas pu aller loin, en raison du changement de majorité gouvernementale. Ensuite, Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement se sont attelés à la tâche suivant cinq principes : une action ordonnée autour de territoires ; un contact permanent avec la population ; une polyvalence accrue ; une clarification des rôles des différents acteurs, y compris sociaux ; l'amélioration de l'accueil et de l'aide aux victimes. Il est vrai que l'expérience n'a pas pu aller au bout de la logique de territorialisation ; la réforme a été brutalement arrêtée en 2002 par Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, balayant ses effets malgré tout bénéfiques.

M. Grosdidier a oublié de mentionner la suppression de 13 000 postes dans la police et la gendarmerie entre 2007 et 2012, qui a affaibli la mission de sécurité de l'État. Les différents gouvernements de la présidence Hollande ont rétabli 9 000 postes - c'est insuffisant - et créé plus de 80 zones de sécurité prioritaires, en particulier dans les quartiers concernés par la politique de la ville. Ensuite, il a fallu affronter la menace terroriste. Les mesures du précédent quinquennat ont été plus quantitatives que qualitatives. Des expérimentations ont été menées, telles que la caméra piéton.

Il est temps de reconstruire. J'attends avec impatience de découvrir la police de sécurité du quotidien. Le Gouvernement dit ne pas s'inscrire dans la continuité de la police de proximité. Toutefois, je ne vois pas comment il pourrait éviter de tenir compte de l'expérience passée. Cette proposition de loi invite à réfléchir à nouveau, profitons-en. Le groupe socialiste et républicain la soutiendra.

M. Philippe Bas , président . - Sans cuistrerie, monsieur Kanner, la sûreté mentionnée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est pas la sécurité, mais la certitude de ne pas être privé de liberté sur lettre de cachet.

M. François Bonhomme . - Merci au rapporteur. La proposition de loi affiche des propos généraux de redéfinition des missions et de réorganisation administrative. L'exposé des motifs est bien plus intéressant, en ce qu'il dévoile un arrière-fond idéologique avec lequel je suis en total désaccord. On a l'impression que la police ne devrait plus principalement lutter contre la délinquance. L'exposé dérive sur l'armement des policiers, leur tenue légère, leur déplacement à pied ou en rollers. Comment les policiers pourraient-ils ainsi mener leur coeur de mission ?

L'exposé dénonce le lien de confiance détendu entre la population et la police avec une référence très étonnante, la loi du 23 avril 1941, c'est-à-dire celle qui a nommé René Bousquet chef de la police de Vichy ? Quel serait le continuum avec notre époque actuelle ?

Il y a un an et demi, nous examinions la proposition de loi du groupe communiste, républicain et citoyen relative au contrôle au faciès. On retrouve ici la même analyse faussée et idéologique. Les policiers seraient à l'origine des « violences policières » - avec les guillemets - contre les jeunes de banlieue, comme si, d'ailleurs, les vieux n'existaient pas en banlieue, alors qu'ils ont des difficultés.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Je partage l'analyse du rapporteur sur la proposition de loi. Nous faisons face à une crise d'autorité dans notre pays. Tant que nous n'aurons pas accepté l'idée que l'autorité doit être réinstallée partout, nous pourrons réfléchir autant que nous voulons sur la police de proximité, nous ne parviendrons à rien d'efficace. Dans les quartiers les plus en difficulté, les habitants veulent la tranquillité, l'autorité et la lutte contre la délinquance quotidienne. Je préside depuis vingt ans un club de prévention : les éducateurs spécialisés demandent un retour à l'autorité qui n'existe plus dans les quartiers. Si nous, élus, n'en avons pas conscience, nous continuerons à déposer des propositions de loi qui ne changent rien. Les policiers ne sont pas des copains de football tout comme les enseignants ne sont pas des assistants sociaux. Chacun son rôle.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Ce débat est intéressant, au-delà des propos enflammés voire caricaturaux du rapporteur. On prête à cette proposition de loi un objectif qu'elle n'a pas. Elle n'est qu'une doctrine d'emploi.

En tant que nouvelle sénatrice, je me suis replongée dans les travaux du Sénat pour lire le rapport d'information du 30 octobre 2006, « Un nouveau pacte de solidarité pour les quartiers », signé par des sénateurs de toutes les formations, au premier rang desquels un sénateur UMP. La préconisation n° 34 - sur 70 - est « réactiver une véritable police de proximité ». Monsieur le rapporteur, pourquoi cette différence d'approche aujourd'hui ?

Le président Bas a qualifié avec euphémisme le projet de police de sécurité du quotidien de flou. J'ai compris qu'il reposait sur deux éléments : des tablettes numériques et une simplification du code de procédure pénale.

J'ai présenté hier en séance un amendement sur les contrôles d'identité. Un jeune est sept fois plus contrôlé qu'une autre personne ; s'il est perçu comme noir ou maghrébin, il est huit fois plus contrôlé. Prétendre que tout est fantasme ne nous mène pas vers notre but commun.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je veux souligner la qualité du travail du rapporteur, qui se positionne contre la proposition de loi. Le groupe La République En Marche va dans le même sens.

Le Président de la République a annoncé la création de la police de sécurité du quotidien le 18 octobre 2017 lors de son discours sur la sécurité intérieure. Le ministre de l'intérieur a apporté des précisions. La grande consultation déployée mi-octobre s'achèvera fin décembre. Il est prématuré de s'engager dans ce chantier avant d'avoir recueilli ses premières conclusions. L'expérimentation suivra, dès le mois de janvier 2018.

M. Pierre-Yves Collombat . - À idéologie, idéologie et demie. Régler le délitement de la société uniquement par la répression est un peu court et n'aboutira à rien. Que s'est-il passé depuis une trentaine d'années dans notre société ? Nous n'allons pas voter une loi pour la restaurer. Ce sont des façons de vivre qui ont été détruites.

J'attends avec gourmandise le rapport de M. Grosdidier sur la police de sécurité du quotidien - j'espère qu'il le lui sera confié. Que dira-t-il de son aspect réglementaire, budgétaire, de l'efficacité à en attendre ? Je sais bien qu'il s'agit d'un dépassement du concept - encore un des chapitres de la pensée complexe du Président de la République, sans doute.

Mme Brigitte Lherbier . - J'évoquerai mon action d'adjointe au maire de Tourcoing chargée de la prévention et de la sécurité. J'ai demandé au maire Gérald Darmanin que ces deux missions soient dissociées. Nombre d'actions peuvent être menées en matière de prévention, mais il ne faut pas la mélanger avec la sécurité. Lorsqu'un enfant a dix ans, on peut encore faire de la prévention auprès de lui. Mais à Tourcoing, en ZSP Plus, il y a des dealers, des difficultés très graves. Copiner, c'est bien pour créer une ambiance sympathique, mais ce n'est pas suffisant contre les délinquants très puissants.

Le rapporteur a évoqué le problème de la nuit. La police municipale est contrainte de combler les manques de la police nationale. À Tourcoing, nous avons décidé d'investir jusqu'à une heure du matin. Est-ce normal que ce soient les collectivités territoriales qui paient pour la compétence régalienne qu'est la sécurité ?

J'ai fait venir le procureur de la République au commissariat de proximité de la ZSP. Nous avons dû téléphoner en avance pour entrer car tout était barricadé. Imaginez la situation de la victime lambda qui souhaite s'y rendre.

Mme Josiane Costes . - Je suis d'accord avec certains propos du rapporteur. Effectivement, il faut cibler les zones prioritaires. La présence de la police n'est parfois pas nécessaire ; elle peut même créer un sentiment d'insécurité.

Je pense aussi qu'il faut réorganiser l'ensemble de la police.

Enfin, je suis favorable à la territorialisation de l'action policière, sans compartiments car on déplore parfois des antagonismes entre corps.

M. François Grosdidier , rapporteur . - Madame Benbassa, je regrette que vous ayez perçu de la caricature dans mes propos car je me suis gardé de la tentation naturelle de répondre symétriquement à l'exposé des motifs, ressenti comme caricatural par tous les représentants des syndicats de police que j'ai auditionnés. Les bavures peuvent exister. Si elles sont avérées, elles méritent d'être sanctionnées lourdement. En revanche, la mention du harcèlement quotidien dont font l'objet les forces de l'ordre fait défaut dans l'exposé des motifs. M. Bonhomme a bien fait de le rappeler.

Monsieur Kanner, madame de la Gontrie, je ne conteste pas la notion de proximité. Nous y sommes favorables. Si un sondage était mené, les Français répondraient à 99 % qu'ils préfèrent une police proche à une police éloignée. Mais la police de sécurité du quotidien se heurtera aux mêmes griefs que la police de proximité si des moyens sont retirés à la protection et au renseignement. Donner la priorité à la proximité sans les moyens de traiter les renseignements récoltés est contre-productif. En outre, madame Benbassa, ce n'est pas seulement l'îlotier du matin qui pourra collecter des éléments attestant d'une radicalisation. C'est d'abord le renseignement territorial, les acteurs de l'animation et de l'éducation. Il y a quinze jours encore, j'étais maire de Woippy dont plus de la moitié de la population est de confession musulmane. Je connais ce sujet.

Le Gouvernement devrait s'inspirer davantage du rapport du Sénat sur l'organisation et le financement de l'islam en France, qui propose un grand nombre de pistes.

Monsieur Kanner, le précédent gouvernement a eu cinq ans pour remettre en place la police de proximité. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait si c'était si idéal ?

Je suis d'accord pour dépasser l'opposition systématique droite-gauche. La proximité est un objectif partagé par tous.

Madame de la Gontrie, la proposition de loi ne propose pas qu'une doctrine d'emploi. Elle s'ingère dans le domaine réglementaire et ordonne la création d'une direction générale de la police de proximité sur le modèle de la direction générale de la sécurité intérieure. En conséquence, l'organisation serait beaucoup plus verticale alors que nous appelons tous à une organisation plus horizontale.

Mme Costes a rappelé le besoin de territorialisation. La présence accrue de la police est incongrue dans certains endroits et bienvenue dans d'autres.

Décloisonnement, horizontalité, territorialisation : voilà les maîtres-mots. J'espère que nous les retrouverons dans la police de sécurité du quotidien, avec des moyens supplémentaires. Si ses contours sont flous, je reconnais qu'outre les tablettes numériques et la simplification du code de procédure pénale, la volonté de décentraliser semble présente, ce qui est positif, à condition qu'elle soit accompagnée d'effectifs, d'équipements et d'un allègement des procédures pour redonner du temps opérationnel aux policiers.

Comme M. Mohamed Soilihi, je pense que la proposition de loi s'entrechoque avec l'initiative du Gouvernement. Au moins permet-elle à notre assemblée un débat très pertinent sur le sujet.

M. Philippe Bas , président . - L'organisation d'un débat sur la police de proximité est le seul objet de cette proposition de loi qui soit relève du domaine réglementaire soit est dépourvue de portée normative.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

M. Philippe Bas , président . - Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mme Éliane Assassi , sénatrice, présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, auteur de la proposition de loi

Direction générale de la gendarmerie nationale

Général de corps d'armée François Gieré , directeur des opérations et de l'emploi

Colonel Jean-François Morel , chargé de mission

Direction générale de la police nationale

M. le Préfet Éric Morvan , directeur général

Mme Catherine Faure , directrice centrale adjointe de la sécurité publique

Conférence nationale des procureurs de la République

Mme Marie-Madeleine Alliot , procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux

M. Alexandre de Bosschere , procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Amiens

Alliance police nationale

M. Jean-Claude Delage , secrétaire général

M. Frédéric Lagache , secrétaire général adjoint

Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI)

M. Jean-Marc Bailleul , secrétaire général

M. Guillaume Ryckewaert , responsable de la section commissaires

Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN)

Mme Céline Berthon , secrétaire général

Synergie officiers

M. David Alberto , conseiller technique

Unité SGP Police FO

M. Dominique Le Dourner , secrétaire national

M. Jérôme Moisant , secrétaire national


* 1 Beauvais, Châteauroux, Nîmes, Les Ulis et Garges-lès-Gonesse.

* 2 Circulaire du ministre de l'intérieur du 30 juillet 2012.

* 3 Décret n° 2014-445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l'organisation de la direction générale de la sécurité intérieure.

* 4 Décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.

* 5 Décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, loi relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 6 Décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, considérants 16 et 17, décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 7 Évaluation de la police de proximité, quatrième rapport, co-rédigé par l'inspection générale de la police nationale (IGPN), l'inspection générale de l'administration (IGA), la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), la direction de la formation de la police nationale (DFPN) et l'institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI), avril 2001.

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