EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en première lecture de la proposition de loi n° 715 (2016-2017) visant à réhabiliter la police de proximité, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de nos collègues.

La lutte contre l'insécurité et la délinquance de masse, qui gangrènent certains territoires de notre République, a été au coeur des politiques de sécurité intérieure conçues et mises en oeuvre au cours des dernières décennies.

Qu'il s'agisse de la mise en place d'une police de proximité, de la création des unités territoriales de quartier ou encore des brigades spécialisées de terrain, toutes répondaient en effet au même objectif : mieux répondre aux besoins du terrain.

Force est toutefois de constater que la multiplication des dispositifs policiers n'a pas permis d'enrayer le cercle de la délinquance, qui continue de se maintenir à un niveau élevé. La persistance de poches d'insécurité sur notre territoire, d'où les forces de l'ordre se sont elles-mêmes désengagées, est une situation indigne de notre République.

Les forces de sécurité intérieure sont les premières à pâtir d'une telle situation. Souvent déconsidérées, elles sont l'objet, depuis plusieurs années, d'une recrudescence d'outrages et de violences, qui contribue au mal-être de leurs agents et nuit à l'efficacité de leur action.

On peut regretter que l'exposé des motifs n'en fasse pas état, insistant davantage sur les « bavures » policières ou présumées « bavures », inacceptables et hautement condamnables si elles sont avérées, mais qui demeurent exceptionnelles, tandis que les outrages et violences contre agents sont quotidiens. Au demeurant, la médiatisation récente de certains faits de violences policières alimente l'image d'une police qui ne serait plus au service de la population.

Face à ce constat, il apparaît urgent de repenser l'organisation et les modalités d'action de la police nationale.

La proposition de loi soumise à l'examen de votre commission envisage, dans cette optique, de réorienter la police de sécurité publique vers une police de proximité.

Elle assume, ce faisant, le retour à la doctrine de la « pol prox » développée et mise en oeuvre il y a une vingtaine d'années, sans toutefois tirer les conséquences ni des difficultés rencontrées lors de sa mise en oeuvre, ni de son bilan très mitigé.

I. L'OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI : RÉHABILITER LA POLICE DE PROXIMITÉ POUR RESTAURER UNE RELATION DE CONFIANCE ENTRE LA POLICE ET LA POPULATION

A. UNE ÉVOLUTION DES DISPOSITIFS TERRITORIAUX DE SÉCURITÉ AU GRÉ DES CHANGEMENTS GOUVERNEMENTAUX

1. La brève expérience de la « police de proximité » (1997-2002)

Mise en oeuvre à compter de 1998 par le Gouvernement de M. Lionel Jospin, la politique de police de proximité se présentait comme une réforme d'ampleur des modes d'organisation et d'intervention des forces de sécurité intérieure, qui visait à substituer à une police chargée principalement du maintien de l'ordre, une police ayant pour objectif premier d'assurer la sécurité quotidienne de la population et de lutter contre la délinquance de masse.

Selon les orientations définies par le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Jean-Pierre Chevènement, lors du colloque de Villepinte en octobre 1997, l'objectif affiché de la police de proximité était triple.

Il s'agissait tout d'abord de développer au sein de la police une culture de l'anticipation et de la prévention plutôt que de réaction aux évènements.

La réforme entendait, par ailleurs, favoriser l'ancrage de la police et une meilleure visibilité au sein des territoires et des quartiers , en augmentant la présence des forces de sécurité sur le terrain, afin de renforcer le sentiment de sécurité au sein de la population.

Enfin, elle visait à mieux répondre aux attentes de la population par un dialogue constant et la mise en place d'un accueil personnalisé du public.

La police de proximité : la promotion de nouveaux modes d'action et d'organisation

Cette nouvelle doctrine d'emploi des forces de police s'est traduite par la définition de nouveaux modes d'action :

- une action policière territorialisée , organisée autour de circonscriptions précisément définies, de manière à assurer une présence visible et un exercice des missions au plus près des habitants ;

- une décentralisation des responsabilités et de la prise de décision au sein de chaque territoire ou chaque quartier ;

- le développement de partenariats actifs avec l'ensemble des acteurs locaux ;

- la polyvalence des agents de police de proximité, susceptibles d'assurer des missions de présence sur la voie publique tout autant que des activités de bureaux ;

- un contact permanent avec la population , les agents de police de proximité étant chargés de l'accueil et de l'aide aux victimes, du soutien aux personnes fragilisées ou vulnérables, des secours, du traitement en temps réel des procédures judiciaires.

La mise en oeuvre de la réforme de la police de proximité s'est établie en deux temps.

Une première phase d'expérimentation , lancée au printemps 1999, a été conduite au sein de cinq circonscriptions pilote de sécurité publique 1 ( * ) , et étendue à compter d'octobre 1999 à 62 sites, situés au sein de 37 départements parmi les plus sensibles.

La généralisation de la police de proximité s'est déroulée en trois phases successives, qui se sont étalées d'avril 2000 à juin 2002, de manière à couvrir l'ensemble des circonscriptions de sécurité sur le territoire national.

Dans la pratique, la réalisation de cette politique s'est traduite par l'ouverture de bureaux locaux de police, ainsi que le redéploiement d'environ 3 000 gardiens de la paix au profit de la police de proximité. Afin de renforcer les effectifs de terrain, la réforme s'est par ailleurs très fortement appuyée sur le recrutement d'adjoints de sécurité.

Les adjoints de sécurité

Les adjoints de sécurité, dont le statut est défini aux articles L. 411-5 et L. 411-6 du code de la sécurité intérieure, sont des agents contractuels de droit public. Âgés de 18 à 30 ans, ils peuvent être recrutés pour une durée de trois ans, renouvelable une fois.

La catégorie des adjoints de sécurité a été créée par la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité , avec la volonté de lutter contre le chômage des jeunes tout en améliorant la lutte contre la délinquance et en développant les fonctions d'assistance aux services de police.

Les adjoints de sécurité, placés sous la responsabilité directe et permanente d'un encadrant, assistent les policiers dans leurs missions, y compris répressives, mais ils ne peuvent participer ni aux opérations de maintien de l'ordre, ni à des opérations d'arrestation programmées.

2. Une réorientation des dispositifs policiers sur les territoires les plus sensibles

La police de proximité a été supprimée au printemps 2003 , peu de temps après sa généralisation, par M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, dans le cadre du retour à une police d'intervention plutôt que de prévention.

Pour autant, et bien que la notion de « police de proximité » soit jusqu'à ce jour tombée en désuétude, la volonté de lutter contre le sentiment d'insécurité, notamment dans les zones les plus sensibles, et de rapprocher la police de la population n'a cessé, au cours des quinze dernières années, d'animer les réformes d'organisation de la police nationale.

Ces politiques se sont toutefois concentrées, pour l'essentiel, sur les territoires les plus difficiles, se caractérisant par un niveau élevé de délinquance. Elles ont contribué, aidées en cela par la réduction significative, à compter de 2006, des effectifs des forces de sécurité intérieure, à privilégier une police d'intervention et à raréfier la présence policière sur l'ensemble du territoire national.

• Les unités territoriales de quartier

En 2008, en réponse au développement des violences urbaines, a été mis en oeuvre un plan d'action orienté en direction des quartiers sensibles, qui prévoyait notamment la création d' unités territoriales de quartier (UTeQ) .

Composées d'une vingtaine de policiers spécialement formés et placés dans les quartiers les plus difficiles, ces unités avaient pour mission de lutter contre la délinquance, de collecter du renseignement opérationnel et de développer un lien de confiance entre la police et la population. Elles marquaient ainsi un retour partiel à l'esprit qui avait guidé la politique de la police de proximité dix ans plus tôt.

• Les brigades spécialisées de terrain

À la suite des conclusions d'un rapport d'inspection, ces unités ont été transformées, en septembre 2010, en brigades spécialisées de terrain (BST) .

Cette évolution s'est principalement traduite par un changement de stratégie territoriale : contrairement aux UTeQ, ancrées dans des circonscriptions définies, les BST sont déployées dans des zones sensibles, au périmètre circonscrit mais susceptible d'évoluer en fonction de la délinquance.

L'objectif de la réforme consistait à favoriser une adaptation permanente des dispositifs policiers sur la voie publique à l'évolution de la délinquance et aux attentes de la population, en vue d'une meilleure sécurisation des quartiers les plus difficiles. Elle s'est ainsi distinguée par son caractère plus interventionniste que les UTeQ qu'elles ont remplacées.

Encore en activité, les BST sont aujourd'hui au nombre de 42.

• Les zones de sécurité prioritaire

En juillet 2012, une nouvelle évolution de l'organisation territoriale a été engagée, avec la création des zones de sécurité prioritaire (ZSP) 2 ( * ) .

Cette nouvelle réforme visait à concentrer les efforts et les moyens sur un nombre restreint de territoires , définis sur la base d'une série de critères, liés notamment au niveau d'insécurité mais également aux déséquilibres socio-économiques.

Initialement limitées à 15, les ZSP ont été progressivement élargies et concernent aujourd'hui 81 territoires.

Contrairement aux précédentes réformes, cette nouvelle organisation ne se limite pas aux forces de sécurité publique, mais implique l'ensemble des acteurs de la police nationale (police judiciaire, compagnies républicaines de sécurité, police aux frontières, etc. ), avec le souhait de mieux coordonner leurs interventions. Les BST font parties intégrantes du dispositif : actuellement déployées dans 26 ZSP, elles y assurent des missions de sécurisation de proximité.


* 1 Beauvais, Châteauroux, Nîmes, Les Ulis et Garges-lès-Gonesse.

* 2 Circulaire du ministre de l'intérieur du 30 juillet 2012.

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