DEUXIÈME PARTIE : UN BUDGET QUI SERT INSUFFISAMMENT SES POLITIQUES PUBLIQUES

I. LA POLITIQUE DE SOUTIEN À L'AGRICULTURE OU QUAND LE STRESS BUDGÉTAIRE S'AJOUTE AU STRESS ÉCONOMIQUE ET CLIMATIQUE

L'article premier de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt énonce les objectifs de la politique agricole de la France.

Très légitimement, ils ne manquent pas d'ambition. Pourtant, confrontés à la réalité et appréciés au regard des réalisations, ils apparaissent aujourd'hui presque comme des idéalisations, auxquelles la politique agricole doit mieux restituer leurs chances de se concrétiser effectivement.

Dans ce contexte, il faut s'inquiéter de l'efficacité, voire de la nature même des amortisseurs traditionnels des crises agricoles. Les canaux structurels par lesquels agissent les soutiens agricoles paraissent de moins en moins à même d'exercer ce rôle de sorte que des mesures exceptionnelles doivent de plus en plus intervenir pour soutenir les revenus agricoles. La répétition des crises tend à conférer à ces mesures exceptionnelles, conçues pour les « temps de crise », une dimension structurelle alors qu'elles ne vérifient aucune des propriétés des instruments utilisés pour piloter le devenir de l'agriculture française. Par ailleurs, par leur poids budgétaire, ces amortisseurs tendent à être également des concurrents des moyens employés dans le cadre des différentes actions publiques qui concourent à la conduite de la politique agricole française.

Le programme 149 (les deux tiers des crédits de la mission mais moins de 10 % des concours publics à l'agriculture), qui correspond à la composante nationale de la politique agricole dans sa vocation de soutien et de développement des acteurs du secteur face à des défis particuliers auxquels ils sont confrontés, est particulièrement sous tension 3 ( * ) .

A. LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE AGRICOLE, FACE AU CHOC DE LA RÉALITÉ

L'agriculture française vient de subir trois années de crises qui ont touché les différentes filières. Certaines d'entre elles sont liées à des évolutions du contexte économique ou géopolitique, d'autres à des événements climatiques ou sanitaires plus ou moins spécifiques à la France.

Ces crises se sont plaquées sur une « Ferme France » qui rencontre des difficultés à persister dans son modèle d'agriculture diversifiée et dont la plupart des acteurs subissent des revenus trop bas.

Les différentes filières de production (voir l'annexe n° 1 au présent rapport) ont connu, avec plus ou moins de force, une conjoncture défavorable marquée par une baisse des prix et des productions. L'agriculture désormais largement « globalisée » évolue dans un contexte de risques renouvelés avec notamment de très fortes fluctuations de ses paramètres.

Les stabilisateurs économiques ont pu jouer, notamment la baisse des prix des consommations intermédiaires, aliments et énergie, mais ils n'ont pas suffi à compenser la dégradation des conditions de marché, d'autant moins que, dans certains cas, ces stabilisateurs en ont été l'un des résultats. Quant aux stabilisateurs liés aux transferts publics , leur efficacité mériterait une évaluation à part entière .

Les mécanismes de soutien de la politique agricole commune dans son ancienne formule, qui demeurent disponibles dans un nombre limité de cas, ont été réactivés. Ainsi en est-il allé de l'intervention publique dans le secteur laitier. Ce retour à des formes de régulation cycliques, qui ne bénéficient pas d'un consensus, devrait être pris au sérieux, comme représentant peut-être un « signal faible » d'une difficulté structurelle rencontrée par la politique agricole européenne, celle d'une union entre des préférences collectives marquées par des objectifs hors marché et une tendance au désengagement des régulateurs.

On présente en annexe les évolutions détaillées des filières dont la plupart connaissent des difficultés majeures.

L'un des symptômes de la crise traversée par notre agriculture réside dans la constante attrition du nombre des exploitations agricoles.

Entre 2010 et 2015, le nombre des exploitations aura diminué de près de 11,4 % pour atteindre aujourd'hui 434 000 exploitations parmi lesquelles 296 000 seulement appartiennent à la catégorie des moyennes et grandes exploitations dont le produit brut potentiel dépasse 25 000 euros.

Éléments européens

Le nombre d'exploitations agricoles dans l'Union européenne à 28 est de 10,8 millions d'unités en 2013. Près des deux-tiers sont concentrées dans seulement quatre pays : Italie, Espagne mais surtout Roumanie et Pologne où prédominent la polyculture et l'élevage sur de petites surfaces. Le nombre d'exploitations en Europe a diminué de 11 % entre 2010 et 2013 tandis que la surface agricole restait stable. Entre 2010 et 2013, le nombre d'exploitations a diminué dans tous les pays européens à l'exception de la République tchèque, avec des rythmes toutefois variables selon les pays. Les exploitations « moyennes et grandes » (produit brut potentiel supérieur à 25 000 €) représentent 16 % des exploitations de l'UE et cultivent 76 % de la surface agricole européenne.

En France métropolitaine, ces proportions sont respectivement de 68 % et 93 %. Dans la plupart des pays européens, la diminution du nombre d'exploitations s'est accompagnée d'une augmentation de la superficie agricole moyenne, signe d'un agrandissement de la taille des exploitations. La superficie agricole moyenne dans l'ensemble de l'UE à 28 est ainsi passée de 14,4 ha en 2010 à 16,1 ha en 2013. Pour la France métropolitaine, la superficie moyenne est de 62 ha en 2013, contre 57 ha en 2010.

L'un des objectifs de la politique agricole est de faire de l'agriculture un vivier d'emplois. Les résultats ne sont pas satisfaisants.

D'après les estimations provisoires pour 2016, 866 300 personnes travaillent à temps plein ou partiel sur l'ensemble des exploitations agricoles de France métropolitaine. Ces « actifs permanents » représentent 594 000 unités de travail, un volume en baisse de 1,7 % par rapport à 2015 et de 10,1 % par rapport à 2010. Quant aux travailleurs saisonniers et aux entreprises de travaux agricoles apportent, pour leur part, un volume de travail occasionnel estimé à 108 000 unités de travail annuel (+ 19,2 % par rapport à 2010). En 2016, le nombre total d'actifs agricoles (actifs permanents, saisonniers et CUMA) est estimé à 702 000 en équivalent temps plein, en baisse de 6,6 % par rapport à 2010 et de 1,2 % par rapport à 2015. Pour lui être proche, le rythme de diminution du volume de l'emploi agricole au niveau européen, qui réunit 9,7 millions de personnes à temps complet (- 4,2 % entre 2010 et 2013), est inférieur à celui constaté en France.

Emploi agricole en France métropolitaine

France métropolitaine

2010

2014

2015

2016 estimations

Total actifs agricoles

ETP

751 000

722 000

710 500

702 000

Total main d'oeuvre permanente

Personnes

966 000

908 000

885 000

866 000

ETP

661 000

618 000

604 000

594 000

Chefs d'exploitations et coexploitants

Personnes

604 000

570 000

561 000

552 000

ETP

446 000

423 000

415 000

409 000

Conjoints et autre main d'oeuvre familiale

Personnes

190 000

146 000

135 000

125 000

ETP

75 000

55 000

50 000

47 000

Salariés permanents

Personnes

172 000

192 000

190 000

190 000

ETP

140 000

140 000

139 000

139 000

Salariés saisonniers, Entreprises de travaux agricoles, Cuma

ETP

91 000

105 000

106 000

108 000

Source : Service de la Statistique et de la Prospective - recensement de l'agriculture 2010, bilans annuels de l'emploi agricole pour 2014, 2015 et 2016.

La baisse des emplois agricoles s'accompagne ainsi d'une flexibilité accrue des emplois, les embauches temporaires étant la seule catégorie à montrer quelque dynamisme.

Si cette profonde dégradation du tissu agricole français n'a pas eu de correspondance dans les évolutions de la surface agricole utilisée signalant un réel problème de renouvellement des générations, elle traduit ce qui est plus qu'un effritement de la base agricole française, qui, pour toucher principalement ses marges, dégrade la puissance agricole française tout entière.

Les évolutions préoccupantes des revenus agricoles en témoignent, qui découragent l'activité et réduisent la capacité de notre offre productive à se muscler dans un contexte de plus en plus concurrentiel.

La France se situe du mauvais côté de la ligne de séparation existant en Europe.

Selon les estimations d'Eurostat, dans l'Union européenne à 28, le revenu des facteurs de la branche agricole par actif serait quasiment stable en 2016 (- 0,4 %), après une baisse de 2,3 % en 2015. Mais, les évolutions du revenu agricole y seraient très dispersées. Le revenu des facteurs de la branche par actif reculerait dans 11 des 28 États membres, la baisse étant supérieure à 10 % en Estonie, au Danemark, en Belgique, et en Slovénie. Le revenu des facteurs augmenterait dans les 17 autres états membres, les hausses les plus marquées (supérieures à + 10 %). étant observées en Roumanie, en Hongrie et au Portugal.

En France, le revenu des facteurs de la branche agricole par actif, en termes réels, baisserait de 12 % en 2016 selon les estimations les plus récentes, après une hausse de 6,6 % en 2015.

Les capacités d'investissement des exploitations s'en trouvent naturellement très altérées, ce dont témoignent les performances obtenues. C'est dans cette perspective que la problématique de partage de la valeur ajoutée agricole entre amont et aval doit être posée. Si cette question a été largement abordée durant les États généraux de l'alimentation, vos rapporteurs spéciaux attendent avec intérêt la production législative et réglementaire qui devrait en découler.


* 3 Depuis l'année dernière, les crédits correspondant aux interventions de l'État dans le domaine forestier, auparavant isolés dans un programme à part entière, sont intégrés au programme. Cette année, s'y ajoutent les dotations pour la pêche et l'aquaculture. Au total, le programme est subdivisé en huit actions.

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