LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première lecture, à l'initiative du Gouvernement et avec l'avis favorable de la commission, l'Assemblée nationale a adopté un amendement majorant de 166 millions d'euros les crédits du programme 201 « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux », afin de tirer les conséquences de l'insertion par nos collègues députés d'un article 3 ter en première partie du projet de loi de finances, relatif au maintien de l'exonération de taxe d'habitation pour certains contribuables prévu par la loi de finances pour 2016 15 ( * ) .

AMENDEMENT PROPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES FINANCES

PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2018

ARTICLES SECONDE PARTIE

MISSION REMBOURSEMENTS ET DÉGRÈVEMENTS

1

A M E N D E M E N T

présenté par

M. de MONTGOLFIER,

Rapporteur général

_________________

ARTICLE 29

ÉTAT B

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État (crédits évaluatifs)

Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux (crédits évaluatifs)

- 3 206 000 000

- 3 206 000 000

TOTAL

- 3 206 000 000

- 3 206 000 000

SOLDE

- 3 206 000 000

- 3 206 000 000

OBJET

Le présent amendement propose de tirer les conséquences de la décision de la commission des finances de supprimer l'article 3 du projet de loi de finances pour 2018, relatifs à la mise en place d'un dégrèvement de taxe d'habitation, dans la mesure où cette réforme est précipitée et incohérente et ne répond pas à la question du caractère inéquitable de cet impôt. Une réflexion permettant d'aboutir à une refonte globale de la fiscalité locale devra être menée. De même, par cohérence, la commission des finances a également supprimé l'article 3 ter qui mettait en place un dispositif transitoire lié à l'article 3.

En conséquence, les crédits de la mission sont réduits de 3,206 milliards d'euros, ce montant correspondant à l'estimation par le Gouvernement du coût de ces deux articles.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 25 octobre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial, sur la mission « Remboursements et dégrèvements ».

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - Je ne tiendrai pas de meeting ici. Je fais partie des sénateurs et sénatrices qui ne font partie ni de la majorité présidentielle ni de la majorité sénatoriale. Je me limiterai à une approche strictement budgétaire.

La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l'application des dispositions fiscales prévoyant des dégrèvements d'impôts, des remboursements ou des restitutions de crédits d'impôt. Le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la présente mission soient évaluatifs ; en d'autres termes, ils ne constituent pas un plafond, contrairement à ceux des autres missions budgétaires.

La mission est composée de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux mêmes opérations pour les impôts directs locaux, que je vous présenterai successivement, après avoir dit quelques mots sur l'ensemble de la mission.

Pour 2018, les crédits demandés au titre de la présente mission s'élèvent à 115,2 milliards d'euros, montant le plus important depuis que cette mission existe, ce qui en fait la première mission du budget de l'État. Ses crédits augmentent de 7 milliards d'euros, soit une hausse de 6 % par rapport à l'évaluation de 2017 révisée.

Cette hausse significative s'explique notamment par l'augmentation des dépenses au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de l'impôt sur le revenu et, s'agissant des impôts locaux, par la mise en place de la première tranche du dégrèvement de taxe d'habitation annoncée par le Président de la République pendant la campagne, qui fera l'objet d'un rapporteur particulier de notre rapporteur général.

Au total, en 2018, les remboursements et dégrèvements devraient représenter 28,5 % des recettes fiscales brutes. Ce taux a augmenté de 5 points depuis 2013, traduisant une politique fiscale qui repose de façon importante et croissante sur des mécanismes de réduction fiscale, qui grèvent en contrepartie les dépenses budgétaires. La diminution de la taxe d'habitation ne peut laisser ignorer que d'autres mesures prises auparavant diminuent fortement les recettes de l'État et des collectivités territoriales. Enfin, le dispositif de mesure de la performance de la mission demeure inadéquat et manque d'ambition. Ainsi, la cible de certains indicateurs est systématiquement fixée à un niveau inférieur à celui de la réalisation des années précédentes.

En ce qui concerne les impôts d'État, les remboursements et dégrèvements sont en grande partie la conséquence de la mécanique de l'impôt, puisqu'il s'agit des restitutions d'excédents de versement d'acomptes d'impôt sur les sociétés et des remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Pourtant, la part des remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques au sein du programme a progressé de façon constante depuis 2013, à la faveur de la montée en puissance du CICE, alors que le niveau global des crédits d'impôt avait diminué de 2010 à 2013 en raison de la réduction des niches fiscales.

Les remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques continuent de bénéficier en majeure partie aux entreprises à hauteur de 80 %. Cette réduction massive de l'imposition des entreprises, déjà soulignée les années précédentes par notre ancienne collègue Marie-France Beaufils, continue d'interroger sur les finalités de la politique fiscale, alors même que ses effets semblent incertains.

Le CICE pèse sur les dépenses de la mission à deux titres : lorsque l'imputation de la créance correspondante entraîne une restitution d'un excédent de versement d'acompte de l'impôt sur les sociétés et, bien évidemment, en cas de restitution immédiate de la créance.

La montée en puissance progressive du dispositif se traduit dans le projet de loi de finances pour 2018 par un montant record du coût budgétaire du dispositif, qui atteint 20 milliards d'euros au titre de l'impôt sur les sociétés. Cette hausse continue s'explique par le délai de trois ans dont disposent les entreprises pour déclarer leur créance de CICE, mais également par une meilleure connaissance du dispositif et un intérêt accru du fait de la révision à la hausse du taux du CICE.

La baisse du taux du CICE à 6 % à compter de 2018, puis la suppression annoncée du dispositif dans sa forme actuelle à partir du 1 er janvier 2019 conduiront à une diminution progressive des remboursements et dégrèvements correspondants.

Malgré son poids budgétaire important, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi n'a pas démontré des effets certains. Le dernier rapport d'évaluation du comité de suivi du CICE, de septembre 2017, conclut ainsi que le dispositif n'a pas eu d'impact à court terme en 2013 et 2014 sur les investissements, sur la recherche et le développement ni sur les exportations. Il souligne également l'incertitude des effets du CICE sur l'emploi.

Enfin, j'ai demandé une information sur la répartition géographique des bénéficiaires du CICE - il ne s'agit pas de lever le secret bancaire ni de porter atteinte au secret fiscal -, parce qu'il me semblait qu'elle permettrait d'évaluer totalement ses effets sur le chômage. L'absence d'un dispositif de traçabilité et de contrôle de l'utilisation des crédits concernés sur ce point, qui permettrait de mieux juger des effets de la mesure sur l'emploi et la compétitivité, est regrettable. Nous ne pouvons qu'y être sensibles en tant que parlementaires, quelles que soient nos options politiques.

Le dernier élément significatif qui explique la hausse globale du montant des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État est l'universalisation du crédit d'impôt pour les services à la personne votée en loi de finances initiale pour 2017, qui va notamment permettre aux retraités à revenus modestes de bénéficier du dispositif. Le coût de cette mesure en 2018 est évalué à 1,1 milliard d'euros qui sont retracés sur les dépenses de la mission.

En ce qui concerne les impôts locaux, le montant des dégrèvements d'impôts économiques appelle plusieurs observations.

Tout d'abord, conformément aux souhaits réitérés par ma prédécesseur, les restitutions de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) seront désormais retracées sur le compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales » et non plus sur la présente mission, afin d'éviter un excédent structurel du compte. Ceci se traduit par une mesure de périmètre de 750 millions d'euros environ.

Par ailleurs, comme vous le savez, une décision du Conseil constitutionnel de mai 2017 a modifié les modalités de calcul du dégrèvement barémique de CVAE. Nos collègues Charles Guené et Claude Raynal ont particulièrement travaillé sur cette question, qui a une double incidence sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

D'une part, la censure du Conseil constitutionnel étant d'application immédiate, il en résulte un coût pour l'État, correspondant aux montants réclamés par les entreprises au titre des exercices passés du fait de l'application de la consolidation du chiffre d'affaires. Le coût de ces contentieux devrait s'élever à 300 millions d'euros en 2017 et à 150 millions d'euros en 2018.

D'autre part, le coût du dégrèvement barémique sur la CVAE acquittée par les entreprises en 2017 augmente ; compte tenu du décalage d'un an, ses effets se feront sentir en 2018, par une hausse de 300 millions d'euros des crédits de la mission. Cette situation devrait être résolue par l'article 7 du projet de loi de finances, sous réserve de son adoption.

Au total, les effets de cette décision du Conseil constitutionnel représentent un surcoût pour l'État de 450 millions d'euros en 2018 sur la présente mission.

J'en viens au dégrèvement de taxe d'habitation, dont je rappelle qu'il sera présenté par le rapporteur général le 15 novembre prochain. Le coût correspondant étant retracé sur la présente mission, j'en rappelle néanmoins les grandes lignes.

Il s'agit bien d'un dégrèvement et non d'une exonération ; la mesure sera mise en place progressivement sur trois ans : en 2018, l'ensemble des bénéficiaires verront leur cotisation diminuer d'un tiers ; enfin, le dégrèvement sera calculé en se fondant sur les taux et les abattements de 2017 ; la base, elle, continuera à croître ; si le dégrèvement ainsi calculé était inférieur à la contribution due, la différence serait acquittée par le contribuable.

D'après l'Observatoire français des conjonctures économiques, cette mesure représentera - en 2020, lorsqu'elle aura été mise en place dans son intégralité - un gain de pouvoir d'achat moyen de 325 euros par ménage acquittant actuellement la taxe d'habitation. Le gain effectif variera cependant de façon importante, selon le décile de revenus et la localisation du contribuable. Cette mesure bénéficiera essentiellement aux « classes moyennes », même si j'avoue avoir du mal à préciser les contours de cette notion.

On observe également que le bénéfice de la mesure sera différent selon la localisation du contribuable. Ainsi, à revenus équivalents, le montant de l'allégement pourra être très différent.

Je considère pour ma part que la solution retenue par le Gouvernement n'est pas satisfaisante. Elle crée notamment un risque sur les ressources des communes et groupements et ne résout pas la question de la vétusté des valeurs locatives. Il est nécessaire de procéder à une révision des valeurs locatives, tout en s'attachant à prendre en compte les revenus dans le calcul de la cotisation due. Celui-ci est d'ores et déjà pris en compte, à travers les abattements, exonérations et dégrèvements existants, mais il aurait sans doute été préférable d'aller plus loin et d'étendre, même progressivement, le plafonnement de la taxe d'habitation en fonction des revenus. Cela ne signifie pas que je suis favorable à une poll tax !

N'oublions jamais que les contribuables à la taxe d'habitation n'ont, en général, pas la possibilité de la déduire de leur impôt sur le revenu, contrairement aux entreprises qui peuvent déduire la contribution économique territoriale qu'elles acquittent de la base de calcul de leur impôt sur les sociétés ou sur le revenu.

Compte tenu de ces observations, du poids du CICE et des incertitudes quant à son utilité, des doutes demeurant sur la compensation de l'allégement de la taxe d'habitation, je vous invite à ne pas adopter les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

Mme Sylvie Vermeillet . - Je partage les analyses et conclusions du rapporteur spécial, notamment sur la taxe d'habitation. Un dégrèvement ne suffit pas à rendre un impôt juste. Il fallait mener à terme la révision des valeurs locatives.

A-t-on une idée du coût de gestion du CICE ? Cette mesure n'a pas été lisible pour les entreprises ; son préfinancement possible via Bpifrance relevait plutôt de l'usine à gaz et le coût de gestion a dû être exorbitant.

A-t-on une idée des retombées du « suramortissement Macron » qui permettait d'ajouter 40 % de déduction fiscale à l'amortissement comptable ? Cette mesure a été extrêmement efficace sur l'investissement, contrairement au CICE. Il serait intéressant d'établir un comparatif entre ces deux mesures. Le suramortissement a pris fin le 15 avril 2017, mais c'est lui qui aurait dû être prolongé, contrairement au CICE.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Cette mission a tiré notamment les conséquences de la réforme de la taxe d'habitation, prévue à l'article 3 du projet de loi de finances. Le rapporteur spécial vient de proposer de ne pas adopter ses crédits. Pour ma part, je pense que nous devrons approfondir l'analyse de cette mesure - nous n'avons reçu que récemment les réponses à notre questionnaire -, et je propose de réserver notre vote sur cette mission.

M. Éric Bocquet . - Vous connaissez ma position de fond sur le CICE. Le comité de suivi émet des réserves très fortes quant à son efficacité en termes de création d'emplois : le Gouvernement a-t-il prévu des ajustements pour améliorer cette efficacité ?

Concernant la répartition géographique des bénéficiaires du CICE, de deux choses l'une : soient les données n'existent pas, soit on refuse de les transmettre à un parlementaire - la deuxième hypothèse me paraissant inquiétante. J'avais adressé un courrier il y a trois ans au préfet de mon département et l'on m'avait répondu que le secret des affaires s'opposait à la transmission d'une telle information, ce qui m'avait profondément choqué.

M. Marc Laménie . - Notre rapporteur spécial a retracé précisément l'évolution de cette mission très importante. Ce sont les restitutions de crédit de la TVA qui représentent le plus fort montant, soit 51 milliards d'euros, mais on observe également une forte progression des restitutions d'impôt sur les sociétés. Comment s'explique cette évolution ?

M. Julien Bargeton . - Comme le rapporteur spécial, je pense que nous devrions apprendre à évaluer davantage les dispositifs fiscaux. Il note d'ailleurs que le dégrèvement de taxe d'habitation gomme partiellement les injustices. Je suis plus réticent sur la révision des bases locatives, dans la mesure où les transferts sont tellement massifs que cette mesure en devient inacceptable, non pas par les contribuables, mais par les maires.

Le rapport n'évoque pas l'avenir du CICE, notamment sa pérennisation sous forme de baisse des cotisations sociales. Il serait intéressant de disposer d'éléments sur ce point. J'estime que le dispositif a malgré tout permis d'éviter un certain nombre de licenciements et de restaurer les marges des PME.

Cette mission retracera-t-elle, à terme, le remboursement de la taxe de 3 % sur les dividendes censurée par le Conseil constitutionnel ? J'évoque ce sujet d'un point de vue purement technique.

En définitive, cette mission décrit les réformes fiscales dans la partie « dépenses », mais le tome II de l'évaluation des voies et moyens évalue les dépenses fiscales, c'est-à-dire les pertes de recettes. En termes d'évaluation, il serait bon de consolider la présentation des réformes fiscales.

Mme Frédérique Espagnac . - Comme Éric Bocquet, j'avais demandé au préfet de région la répartition des bénéficiaires du CICE dans mon département. N'ayant pas obtenu cette information, j'ai procédé moi-même à l'enquête en contactant les chefs d'entreprise. J'ai ainsi pu vérifier que ce dispositif, compte tenu de la baisse de l'investissement des collectivités locales liée aux baisses de dotations, a permis d'éviter un certain nombre de licenciements, notamment pour les entreprises de travaux publics et les TPE-PME de nos territoires.

M. Jean-Marc Gabouty . - Je déclare que je suis chef d'entreprise en exercice. Mais à ce titre, je peux témoigner de la réalité quotidienne. Le CICE et son préfinancement ne sont pas des usines à gaz comme on a pu le prétendre : le dispositif est tout à fait accessible à une petite entreprise si elle a un comptable. Les difficultés viennent de l'application sans discernement d'autres mesures, notamment celles destinées à lutter contre le blanchiment, qui ont retardé les versements.

Il n'y a pas de lien direct entre le CICE et la création d'emplois. Néanmoins, il a contribué à la survie d'entreprises et a favorisé l'investissement. Nous connaissons actuellement le taux le plus faible de défaillances d'entreprises depuis dix ans et le CICE n'y est sûrement pas pour rien.

Le CICE facilite l'autofinancement pour investir, le suramortissement est une incitation à accélérer les investissements : c'est un outil de relance, mais pas de compétitivité. Lorsqu'il a été prorogé, le suramortissement a vu son périmètre considérablement réduit.

Le CICE doit être transformé en baisse de charges sociales. Si le patronat a pu manifester quelques réticences, c'est parce qu'il s'est aperçu que le CICE, étant un crédit d'impôt, n'avait pas d'incidence sur l'impôt sur les sociétés, alors que la baisse de charges augmentera le résultat de l'entreprise, et donc sa cotisation d'impôt sur les sociétés.

M. Jacques Genest . - On peut dire que la taxe d'habitation est obsolète parce que les valeurs locatives sont obsolètes. En 1989-1990, nous avons travaillé un an sur la révision des valeurs locatives, sans résultat puisque personne n'a voulu prendre la responsabilité d'assumer cette réforme. Si la taxe d'habitation est injuste, la taxe foncière l'est également, puisque ses bases sont les mêmes. De toute façon, le contribuable trouve toujours l'impôt injuste...

Le rapporteur spécial nous a indiqué que le dégrèvement compenserait les hausses des bases de la taxe d'habitation. Mais le Gouvernement sera-t-il enclin à revaloriser chaque année les valeurs locatives, comme il le fait traditionnellement, alors qu'il va devoir rembourser les communes ?

Si on augmente les taux, les personnes qui bénéficient du dégrèvement vont devoir payer quelques dizaines d'euros. Là aussi, c'est l'État qui paiera in fine , puisque la taxe n'est pas mise en recouvrement en dessous d'un certain montant. Cette réforme sera peut-être populaire, mais elle coûtera très cher.

M. Bernard Delcros . - Sur le CICE, je partage ce qui a été dit. Le coût du dispositif est très élevé, pour des résultats qui sont, a minima , peu lisibles. Je suis favorable au remplacement de cette mesure par la baisse des cotisations patronales, comme il est prévu.

Sur la taxe d'habitation, il ne s'agit pas de revenir sur la mesure prévue, qui figurait dans le programme du Président de la République. La question posée aujourd'hui est plutôt celle de savoir quel dispositif garantira au mieux une juste recette pour les collectivités locales. Le système qui a été choisi est celui du dégrèvement ; certaines questions restent en suspens, dans la mesure où le taux de la taxe d'habitation est lié à celui d'autres taxes. Des simulations vont nous être fournies afin que nous puissions mesurer les incidences dans les départements.

Je suis favorable à la proposition du rapporteur général de réserver notre position sur les crédits de cette mission.

M. Philippe Dallier . - Je veux faire une remarque sur le sens du vote que nous allons émettre : je comprends tout à fait que nous nous interrogions sur la pertinence de telle ou telle mesure votée et sur le coût de ces dégrèvements et exonérations. Nous sommes là pour ça. Ceci étant dit, sur la taxe d'habitation, nous aurons l'occasion, en première partie, de nous positionner, pour ou contre.

Ce matin, il s'agit simplement, dans l'hypothèse où la décision serait actée, de prévoir le remboursement des sommes aux communes par l'État. Quel message enverrions-nous à nos collectivités locales si nous votions contre les crédits de la mission ?

Revenons-en à l'objet même de cette mission, et nous discuterons en première partie du bien-fondé de cette suppression de la taxe d'habitation. Contrairement à ce que dit Julien Bargeton, on ne va pas gommer les inégalités : l'inégalité de traitement entre contribuables va persister, au détriment de tous ceux qui continueront à payer la taxe d'habitation et la taxe foncière.

Je rejoins le rapporteur spécial en appelant de mes voeux une réforme des valeurs locatives. Nous savons bien, certes, que c'est très compliqué : beaucoup de tentatives ont échoué devant le risque politique. Mais il n'y a pas d'autre voie si nous voulons rendre cet impôt juste. L'alternative pourrait consister à imaginer une suppression, à brève échéance, de la taxe foncière ; mais, le cas échéant, je ne sais comment nous pourrons rétablir un lien, même minimal, entre le contribuable local et la commune.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . -Soyons clairs : réserver les crédits n'est pas un appel à les rejeter. Le débat sur la première partie n'a même pas encore eu lieu ; la position de la commission n'est pas arrêtée. Si nous modifions de façon importante la réforme de la taxe d'habitation, cela aura de conséquences considérables sur la mission que nous examinons puisque la compensation pour les collectivités territoriales prend la forme d'un dégrèvement. Quoi qu'il en soit, réserver aujourd'hui ne veut pas dire rejeter demain, mais simplement se préparer à tirer les conséquences d'une position que nous adopterions sur la taxe d'habitation. Honnêtement, à ce stade, je ne sais pas ce qu'il faut penser de cette réforme. Je n'ai pour le moment arrêté sur cette question aucune position définitive.

Sur certaines questions, d'ailleurs, nous attendons toujours des réponses, lesquelles méritent d'être digérées. Je m'interroge en particulier sur la constitutionnalité d'un dispositif qui aurait pour effet de réduire le nombre de contribuables, dans certaines communes, à zéro, un ou deux ! Cette mesure mérite donc d'être expertisée. C'est pourquoi je propose que nous réservions les crédits, ce qui ne veut pas dire prendre une position, favorable ou défavorable.

M. Vincent Éblé , président . - Je partage ce point de vue.

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - Mes chers collègues, un certain nombre de vos observations et analyses relèvent du travail critique des parlementaires en direction du Gouvernement, dont je prends moi-même ma part. Soyons attentifs !

Toute exonération, tout remboursement, doivent donner lieu à traçabilité. C'est vrai pour le CICE comme pour tous les autres dispositifs. L'unanimité, sur ce principe, me semble accessible. Soyons très exigeants sur cette question, puisqu'elle nous rassemble !

S'agissant du CICE, il est vrai que nous avons du mal à localiser les bénéficiaires du crédit d'impôt - vous voyez bien que ce constat n'est pas idéologique -, de même que nous avons du mal à localiser la valeur ajoutée qui sert de base à la CVAE. Dans mon département, l'opposition dit la même chose que moi : comment localiser le crédit d'impôt ? Ce mécanisme crée des difficultés pour les maires et les présidents de départements.

Concernant les coûts de gestion, les PME rencontrent des difficultés de trésorerie et demandent des préfinancements. Personne ici n'a le monopole de l'esprit d'entreprendre ; ce problème est très important, il se pose nationalement. Ceci dit, j'ai aussi constaté, dans mon département, que les demandes de préfinancement reviennent chaque année, sachant que dans les TPE que je connais - tous le disent -, il y va d'un simple jeu de trésorerie. Les conséquences sur l'emploi, on en est loin !

Je n'ai en effet pas abordé le dispositif de suramortissement, car son coût n'est pas une dépense de la présente mission : il s'agit d'un dispositif de déduction et non d'un remboursement ou d'un dégrèvement.

La question a été posée de savoir s'il existait un seuil minimal de recouvrement pour la taxe d'habitation. La réponse est oui : 12 euros. La multiplication de ces petites cotisations coûterait plusieurs dizaines de millions d'euros à l'État.

D'autres questions relèvent de sujets sur lesquels je ne suis ni habilité à répondre ni compétent pour le faire. Mon collège, ami, camarade, Éric Bocquet, se réjouira de constater la baisse du taux du CICE à 6 % : sa ténacité en la matière n'a pas été vaine !

L'un de nos collègues de la majorité présidentielle me reproche de ne pas avoir parlé de la baisse des charges au 1 er janvier 2019. Si je suis resté silencieux sur ce point, ce n'est pas pour manifester mon désaccord, lequel est par ailleurs tout à fait réel, mais parce que je ne suis ni au Gouvernement, ni dans la majorité présidentielle, et que mon rôle de rapporteur spécial n'est pas de commenter ce genre de décisions !

Dernière chose : monsieur le rapporteur général, j'ai commencé par me demander pourquoi vous n'aviez pas le même avis que moi - je souhaitais voter contre, vous proposez de réserver les crédits. Il n'y a là aucune bande jaune, aucune frontière. Mais la réforme de la taxe d'habitation coûtera 10 milliards d'euros, quand le CICE coûte 20 milliards d'euros : on ne peut pas mettre en balance les deux dispositifs. Il faut regarder les crédits de la mission dans leur ensemble ! En quelque sorte, monsieur le rapporteur général, vous proposez de réserver les crédits de la mission en attendant que vos amendements sur la taxe d'habitation soient adoptés, avant, pour finir, de voter les crédits. Je veux bien être très constructif - ça m'arrive souvent en tant qu'élu local. En même temps, il faut bien, le moment venu, savoir émettre un avis tranché, non pour le plaisir de la polémique, mais par souci de clarté dans les orientations que nous prenons en matière de remboursements et de dégrèvements.

M. Vincent Éblé , président . - La sagesse dicterait, me semble-t-il, de réserver notre position définitive sur les crédits de la mission.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous sommes en train d'examiner les crédits des missions. À l'issue de cet examen, après transmission du texte de l'Assemblée nationale, nous effectuerons une revue de tous les votes, et nous adopterons ou rejetterons les crédits des missions qui auront été réservés. La réserve peut être motivée par une simple demande de précision. S'agissant de la taxe d'habitation, notre décision dépend simplement de votes ultérieurs. Réserver ne préjuge en aucun cas du vote que nous serons amenés à émettre en fin d'examen des missions.

M. Vincent Éblé , président . - En réservant notre position, nous ne méconnaissons pas ce que Pascal Savoldelli souligne à juste titre : la mission comprend une consolidation de crédits de diverses natures, pour des ordres de grandeur assez variables. Il nous manque simplement quelques éléments d'éclairage définitifs pour nous prononcer.

M. Julien Bargeton . - Favorable aux réformes fiscales qui sont proposées, et donc à leur traduction budgétaire, je ne partagerai pas cette position.

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - Mes chers collègues, j'ai bénéficié d'une petite formation à la dialectique.

M. Philippe Dallier . - Ça nous manque !

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - Je vais maintenir ma position, qui est respectée et respectable. Je ne suis pas friand de polémique pour la polémique. Si tel était le cas, j'aurais eu du grain à moudre lors du débat précédent : sur la mission de tout à l'heure, nous nous sommes beaucoup moins posé la question de réserver notre position, et j'aurais eu des titres à bondir sur certaines phrases prononcées. Mais je suis au Sénat, pas en meeting ; je m'en tiens à un comportement respectueux de l'ensemble de mes collègues.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de réserver sa position sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

* *

*

Réunie à nouveau le mercredi 22 novembre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements », précédemment réservés.

M. Vincent Éblé , président . - Nous passons maintenant à l'examen des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements », précédemment réservés.

M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial . - Il faut tirer les conséquences de ce que nous avons voté à l'article 3, sur l'exemption de taxe d'habitation. Je crois que le rapporteur général a une proposition à nous faire.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En effet. La suppression de cet article 3 qui justifiait l'inscription de crédits à hauteur de 3,206 milliards d'euros en remboursement et dégrèvements d'impôts locaux, doit nous conduire, mécaniquement, à réduire d'autant les crédits de la mission. Tel est l'objet de mon amendement.

À l'issue de cette intervention, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » ainsi modifiés.

* *

*

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2017, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements», tels que modifiés par l'amendement adopté.


* 15 Voir le commentaire de l'article 3 ter dans le tome II du rapport général.

Page mise à jour le

Partager cette page