III. DES PERSPECTIVES FINANCIÈRES DE MOYEN ET LONG TERME PLUTÔT RASSURANTES MALGRÉ UNE RÉVISION D'UNE AMPLEUR INÉDITE DES ENGAGEMENTS HORS-BILAN DE L'ÉTAT AU TITRE DES RETRAITES

A. UNE TRÈS FORTE RÉESTIMATION DES ENGAGEMENTS DE RETRAITE DE L'ETAT PASSÉS EN UN AN DE 1 535 MILLIARDS D'EUROS À 2 139 MILLIARDS D'EUROS (+ 604 MILLIARDS D'EUROS) À LA SUITE DE RÉVISIONS DONT LA ROBUSTESSE PEUT ÊTRE DISCUTÉE

L'article 54 de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 précise que « le compte général de l'État (...) comprend (...) une évaluation des engagements hors bilan de l'État » dans son annexe. Au-delà de l'appréciation de la charge annuelle que représentent des pensions civiles et militaires de retraite dans le budget général, l'évaluation des engagements en matière de retraite permet de se représenter l'effort financier 19 ( * ) associé aux droits à retraite déjà constitués (au titre des pensionnés mais aussi au titre des actifs affiliés au régime dans les conditions de droits qu'ils ont d'ores et déjà acquis). Les engagements ainsi exprimés ne disent rien de l'évolution prévisible des besoins de financement dans la mesure où les recettes correspondantes ne sont pas considérées.

Les engagements de retraite de l'État sont évalués à ce titre sur la base d'une méthode dite des « unités de crédits projetées », qui consiste à raisonner en groupe fermé. Les droits acquis au moment de l'évaluation sont seuls estimés, à l'exclusion des recettes futures du régime. Pour le calcul des engagements de retraite de l'État en « groupe fermé », le champ retenu a été restreint aux seules charges de pensions des fonctionnaires titulaires et des militaires, à l'exclusion d'autres fonctionnaires (ceux employés par La Poste, par exemple) dont les droits font l'objet d'une évaluation distinct. Les pensions futures des actifs sont prises en compte au prorata des années de service effectuées à la date de l'évaluation.

La dernière estimation des engagements de l'État publiée dans le compte général de l'État pour 2016 a réévalué la dette implicite de l'État de 604 milliards d'euros, soit une aggravation de 39 % par rapport à l'estimation du compte général de l'État pour 2015.

Cette révision d'une ampleur inédite est la conséquence de modifications portant sur des paramètres majeurs de toute estimation de cette nature, dont la significativité apparaît de prime abord très différente.

Le tableau ci-dessous détaille le passage d'une estimation à l'autre.

Passage de l'estimation des engagements de retraites de l'État
du compte général de l'État pour 2015 à celui de 2016

Source : compte général de l'État 2016

Le changement de modèle d'estimation (le passage du modèle ARIANE au modèle PABLO ; voir ci-dessous) compte pour un peu plus de la moitié (+ 313 milliards d'euros) de la réestimation, tandis que le passage d'un taux d'actualisation positif de 0,18 % à un taux d'actualisation négatif (- 0,49 %) alourdit l'estimation de 315 milliards d'euros.

L'estimation des engagements de retraite à un moment t dépend fortement du taux d'actualisation retenu. Dans ces conditions, pour éviter d'extérioriser des résultats trop sensibles à des données instantanées, dépendantes de conditions conjoncturelles statistiquement, voire économiquement, aberrantes, il est justifié de produire des estimations en variantes, réalisées sur la base d'hypothèses différenciées.

La présentation des résultats avec des variantes de taux d'actualisation permet de mieux apprécier les enjeux.

Montant des engagements de retraite de l'État
au 31 décembre 2016

(en milliards d'euros 2016)

Taux d'actualisation

-0,49 %

0,00%

1,00 %

1,50 %

Retraités

1 070

992

860

804

Actifs

1 069

909

669

580

Total

2 139

1 901

1 529

1 384

Source : compte général de l'État annexé au projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour 2014

L'estimation des engagements de retraite de l'État réalisée sur une base plus tendancielle où les taux d'intérêt réels sont positifs ramène la valeur des dettes implicites de l'État à un montant compris entre 1 901 et 1 384 milliards d'euros (pour une limite supérieure du taux d'actualisation de 1,5 %).

La seconde contribution à la révision de la valeur des engagements de retraite de l'État provient du passage à un nouveau modèle de projection décidé par le ministère des finances (service des retraites de l'État et direction du budget) avec le soutien scientifique de l'Institut des politiques publiques (école d'économie de Paris).

Du modèle ARIANE de méso-simulation au modèle PABLO
de micro-simulation, présentation du changement du modèle utilisé
pour l'évaluation des engagements de l'État en matière de retraite
au titre du régime de la fonction publique d'État

Utilisé depuis 2002, le modèle ARIANE était un modèle dit de méso-simulation, soit un modèle fondé sur des données agrégées par génération, caractéristique qui tend à aplatir les évolutions marginales en reproduisant des données moyennes qui peuvent se périmer au fil du temps à mesure que la composition de groupes marqués par une certaine hétérogénéité des individus se modifie. Par ailleurs, les prévisions d'âge de départ des fonctionnaires (entre l'âge d'ouverture de droit, de 62 ans aujourd'hui pour les sédentaires, et la limite d'âge de 70 ans) étaient basées sur une fonction de comportement des agents dite « de type Stock & Wise », qui utilisait une fonction d'utilité par laquelle l'agent représentatif optimisait son âge de départ en retraite calibrée des données anciennes non réactualisées depuis 2003. Enfin, les indices à la liquidation des retraités étaient estimés sur le dernier flux de départ en retraite et les indices des actifs étaient figés par âge, hypothèse simple mais également peut-être simplificatrice, compte tenu des modifications structurelles pouvant intervenir sur ces points au long cours. Le nouveau modèle de projection PABLO s'appuie sur les données individuelles des fonctionnaires contenues dans les comptes individuels de retraite (CIR) 20 ( * ) . Ce nouvel outil a été développé par le Service des retraites de l'État (ci-après le SRE), en lien étroit avec la direction du budget. L'Institut des politiques publiques (ci-après l'IPP), laboratoire de recherche en économie rattaché à l'école d'économie de Paris (PSE) et au CREST 21 ( * ) , a réalisé une étude quantitative afin d'aider au calibrage des comportements de départ en retraite utilisés dans le module « retraite » de PABLO.

PABLO en tant que modèle de micro-simulation ouvre accès à un degré de granularité très fin sur l'ensemble de la population couverte, les règles de retraite restant très diverses au sein des fonctionnaires de l'État (militaires, catégories actives, bonifications, majoration de durée d'assurance, majoration de pension liée au minimum garanti, etc.). Le champ de PABLO est également plus large que celui d'ARIANE, puisqu'il intègre les affiliés au régime qui ne sont pas présentement cotisants (agents en disponibilité, agents radiés des cadres,...) et qu'il intègre les situations de poly-affiliation, qui influent sur le comportement de départ. Il est intéressant de remarquer que Pablo a été en outre conçu pour permettre d'intégrer d'autres fonctions de comportement allant dans le sens d'une plus forte individualisation des choix des affiliés (fonctions « option value » ou encore de recherche d'un taux de remplacement cible).

Source : commission des finances du Sénat, d'après le compte général de l'État pour 2016

Le détail des effets des changements de propriétés du modèle de projection des besoins de financement du régime de retraite n'est pas explicité, ce qui est d'autant plus regrettable qu'ils se trouvent amplifiés par l'augmentation du nombre des affiliés sensibles à ces changements 22 ( * ) .

Par ailleurs, il repose sur des hypothèses de comportement de départ qui maximisent le taux de liquidation des pensions (départ au taux plein), choix, qui, au-delà de son caractère apparemment technique, suppose une uniformité des comportements qui contredit quelque peu l'ambition de réalisme du modèle. Dans un contexte d'élévation de l'âge de la retraite, non accompagnée par la perspective d'un allongement de l'espérance de vie en bonne santé, ce choix pourrait à tout le moins être modulé.

Enfin, il convient de rappeler qu'un modèle, s'il permet de construire des représentations d'une réalité, dépend d'hypothèses exogènes dès lors qu'il s'agit d'autre chose que d'un calcul sur des données constatées. Au demeurant, il n'est pas certain qu'un modèle de micro-simulation soit plus stable dans le temps qu'un modèle de méso-simulation.

En toute hypothèse, il paraît souhaitable de conserver à l'esprit l'existence d'une pluralité des possibles et de présenter des projections en variantes permettant de disposer d'un spectre d'évolutions probables.

Cette recommandation s'impose encore davantage s'agissant des exercices de projections des besoins de financement du régime.

Observation n° 7 : Les engagements financiers portés par l'État au titre des retraites de ses agents encore estimés à environ 1 535 milliards d'euros fin 2015 ont été brusquement relevés dans le compte général de l'État de 2016 pour passer à 2 139 milliards d'euros. Ces chiffres ne sont qu'une illustration de l'ampleur réelle des engagements portés par l'État en raison de choix de conventions discutables et ne recouvrent pas les conditions prévisibles d'équilibre du système de retraite qui ressortent, en revanche, de la projection des besoins de financement (voir infra ).


* 19 Cet effort recouvre les prélèvements obligatoires nécessaires pour couvrir les engagements quelle que soit la forme qu'ils doivent prendre.

* 20 La constitution progressive des CIR permet de répondre au droit à l'information des affiliés prévu dès l'article 10 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Les CIR permettent en effet l'enregistrement des droits à retraite au fur et à mesure de la carrière de chaque fonctionnaire.

* 21 Centre de recherche en économie et statistique de l'Insee.

* 22 Les projections englobent les retraités pour lesquels les variables comportementales ne comptent plus et les actifs dont les comportements sont simulés selon des hypothèses (modifiées par le passage au modèle PABLO) proportionnellement de plus en plus nombreux.

Page mise à jour le

Partager cette page