III. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. UNE AUGMENTATION GLOBALE DES CRÉDITS NOTABLE DÉMONTRANT UN SOUTIEN APPRECIABLE À LA RECHERCHE QUI DOIT ÊTRE POURSUIVI ET AMPLIFIÉ

1. Un effort financier important qui ne suffit pas à atteindre l'objectif de 3 % de R&D dans le PIB

Comme indiqué précédemment, les crédits demandés au titre des programmes « recherche » de la présente mission augmentent respectivement de 3,6 % en AE et de 4,6 % en CP .

Il s'agit d' un effort particulièrement appréciable dans le contexte budgétaire actuel . En effet, à titre de comparaison, les crédits du budget général, pris dans leur ensemble, diminuent de 0,3 % pour ce qui concerne les AE et n'augmentent que de 3,2 % en CP .

Votre rapporteur spécial partage l'ambition que manifeste cette hausse , tant les dépenses de recherche symbolisent l'investissement d'une Nation en faveur de son avenir .

En revanche, malgré cette hausse des crédits, l'objectif - fixé par la stratégie « Europe 2020 », et repris par le Gouvernement, de porter à cet horizon les investissements en recherche et développement (R&D) à 3 % du PIB européen et français - ne sera pas atteint en 2018 dans notre pays. Pour mémoire, cette stratégie « Europe 2020 » - qui succède à celle de Lisbonne - vise à coordonner les politiques économiques au sein des pays de l'Union européenne, afin d'encourager « une croissance intelligente, durable et inclusive ».

En effet, la part de la R&D, mesurée par l'indicateur 4.1 « Effort de recherche de la France » ci-après - serait stable en 2018 atteignant 2,24 % du PIB . Quant à la part de la RD des entreprises française, elle serait en augmentation pour atteindre 66,3 % de l'effort national de recherche en 2018.

Indicateur de mission 4.1 : Effort de recherche de la France

Unité

2015
Réalisation

2016
Réalisation

2017
Prévision PAP 2017

2017
Prévision actualisée

2018
Prévision

2020
Cible

Part de la dépense intérieure de R&D (DIRD) dans le PIB

%

2,23 (prévision révisée)

2,23 (estimation)

2,28

2,24

2,24

2,3

Part des dépenses intérieures en R&D des entreprises (DIRDE) dans la DIRD

%

65,1 (prévision révisée)

65,5 (estimation)

65,4

65,9

66,3

66,6

Source : projet annuel de performances « Recherche et enseignement supérieur »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce tableau, en particulier le fait qu'il convient de poursuivre l'investissement public dans la recherche dans le futur, mais aussi qu' il serait vain d'opposer l'évolution des crédits publics consacrés à la recherche et les incitation fiscales à la dépense privée en faveur de la recherche, au premier rang desquelles figure le CIR .

De fait, la part de l'investissement privé dans la DIRD ne doit pas baisser mais au contraire encore légèrement augmenter afin d'atteindre l'objectif fixé dans le cadre d'Europe 2020 , c'est-à-dire les deux tiers de la dépense totale de R&D. Dans cette optique, le CIR constitue un outil puissant de compétitivité de la France , bien connu des entreprises françaises et internationales, dont il ne faudrait pas bousculer les grands équilibres au risque de pénaliser l'investissement privé ( cf. infra ).

2. Une volonté de « sincérisation » des crédits alloués aux organisations de recherche internationales qui mérite d'être saluée

L'augmentation des crédits dévolus à la recherche concerne principalement les programmes 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » (+ 346,9 millions d'euros par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2017) et 193 « Recherche spatiale » (+ 155,4 millions d'euros par rapport à 2017, soit une hausse supérieure à 10 % d'une année sur l'autre).

Comme indiqué précédemment, des crédits dédiés aux grandes infrastructures de recherche (action 13 du programme 172) devraient permettre de remédier à une sous-budgétisation récurrente .

Mais le principal facteur de cette hausse est le début de rebasage, sur une base réaliste, des contributions de la France aux organisations internationales (OI) actives en matière de recherche , et portées pour l'essentiel, par les programmes 172 et 193.

S'agissant de ce dernier programme, emblématique au vu de la très forte proportion des crédits à destination des OI qu'il contient (64,6 % des crédits demandés pour 2018), cette nouvelle hausse, qui fait suite à celle de l'année dernière, devrait notamment permettre de casser la spirale de l'envolée de l'endettement de la France vis-à-vis de l'Agence spatiale européenne (ESA) .

Le tableau suivant, transmis par la direction générale de la recherche et de l'innovation, compare la trajectoire d'endettement de la France à l'égard de l'ESA selon le plan de moyen terme prévu l'année dernière et selon l'hypothèse définie par le présent projet de loi de finances.

Tableau d'évolution des besoins en financement, des contributions
et de la dette à l'ESA pour la France

(en millions d'euros courants)

Besoin en financement

Hypothèse PMT
de juin 2017

Hypothèse du PLF 2018

Subvention totale*

Dette fin d'exercice

Subvention

Augmentation 2017/2018

Dette fin d'exercice

2012

692

770

220

2013

651

838

33

2014

778

794

17

2015

842

860

solde positif

2016

1 001

849

151

2017

1 025

876

300

2018

1 064

875

489

965

+ 90

399,2

2019

1 019

875

634

1 175

+ 300

243,6

2020

995

875

754

1 376

+ 501

solde positif

2021

746

888

611

1 033,4

+ 145,4

2022

655

901

365

1 033,4

+ 132,4

2023

606

915

56

2024

873

929

0

*Subvention issue du programme 193 augmentée entre 2013 et 2017 de subventions PIA et des produits de cession des titres Arianespace

Source : Direction générale de la recherche et de l'innovation

Le caractère enfin réaliste des crédits demandés au titre de ces dépenses inéluctables - au sens de l'article 95 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique - devrait, si cet effort est poursuivi au cours des années à venir mettre un terme à une situation dénoncée de longue date tant par votre commission des finances 33 ( * ) que par la Cour des comptes 34 ( * ) et qui s'est traduite des refus de visas du contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM).

Au-delà, l'accroissement de l'endettement de la France était de moins en moins bien supporté par certains pays membres de l'ESA . À terme, c'est bien la crédibilité de notre pays en tant que moteur de l'Europe de la recherche spatiale qui était en jeu. Il conviendra ainsi de suivre, de façon attentive, le niveau de trésorerie de l'ESA pour adapter, si besoin est, le calendrier des versements.

Comme relevé précédemment, les autres programmes « recherche » de la présente mission connaissent une trajectoire financière plus contrastée. Ainsi :

- les crédits du programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » affichent une hausse en trompe-l'oeil , traduisant en fait à l'inscription dans les crédits budgétaires de sommes de soutien à la filière aéronautique auparavant portées dans les PIA . A l'inverse, les crédits dévolus à la recherche énergétique sont en repli de 10,9 millions d'euros ;

- les crédits du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » diminuent de 3,9 % en AE et de 1,8 % en CP , du fait de la forte baisse des sommes affectées au soutien des pôles de compétitivité et au fonds unique interministériel (FUI) ;

- le programme 191 « Recherche duale » affiche une parfaite stabilité par rapport à 2017 ;

- la diminution des crédits du programme 186 « Recherche culturelle et culture scientifique » est due à la baisse de la subvention de l'État à Universcience .

3. Des marges de manoeuvre financières dégagées en faveur des organismes de recherche qui doivent cependant être confirmées

Si l'effort que le présent projet de loi de finances réalise en faveur de la recherche est donc avant tout un effort de sincérité, il n'en a pas moins des conséquences concrètes, en matière de gestion, pour les opérateurs de recherche de la mission .

En effet, jusqu'à présent, la sous-budgétisation récurrente de certaines lignes bien identifiées était compensée en gestion par l'utilisation d'une part importante des crédits mis en réserve sur les programmes concernés . Ce procédé s'apparentait à un détournement de l'esprit des mises en réserve , normalement destinées à permettre de faire face à des imprévus. Il posait donc un vrai problème de principe.

La plus grande sincérité du présent projet de loi de finances aurait donc pu se traduire par une diminution du taux de mise en réserve des opérateurs des programmes de recherche : un passage de 4,8 % à 3 % ayant été ainsi envisagé.

Selon les éléments recueillis par votre rapporteur spécial, tel n'a cependant pas été le choix final du Gouvernement : si le taux de mise en réserve demeure à 4,8 %, les opérateurs de recherche bénéficieront, en compensation, de l'octroi d'une augmentation de 25 millions d'euros de leur budget récurrent , dont 20 millions d'euros destinés au soutien des laboratoire de recherche et 5 millions d'euros plus spécifiquement destinés à la recherche en sciences humaines.

Il conviendra de demander à la ministre, en séance publique, la confirmation de ce choix ainsi que la ventilation par organisme des crédits supplémentaires ainsi dégagés.

4. Une « tuyauterie financière » qui reste complexe et limite les capacités d'arbitrage du Parlement

Ce satisfecit de votre rapporteur spécial ne saurait néanmoins dissimuler sa perplexité face à la construction de la présente mission et à l'ensemble de la « tuyauterie » des financements publics en faveur de la recherche .

S'agissant de la mission elle-même, son découpage apparemment thématique, dans l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances, présente en réalité un caractère administratif très marqué , correspondant à une logique de financement par ministère .

Par exemple, le programme 191 « Recherche duale » porte la part de financement du ministère de la défense au CEA et au CNES, avec une justification au premier euro et une partie objectifs particulièrement lacunaires.

Les investissements d'avenir ont encore accru cette complexité . Le remplacement de financements PIA en faveur de l'aviation civile par des crédits budgétaires, évoqué supra , illustre bien cette confusion . Mais les financements croisés, donnant un caractère quasi-budgétaire à une partie des investissements d'avenir, concernent aussi d'autres acteurs, comme les pôles de compétitivité.

Il découle de ce cloisonnement et de cette multiplicité de canaux de financement :

- en premier lieu, un manque de transparence dans le financement global des opérateurs de recherche ;

- en deuxième lieu, une ligne de partage parfois discutable entre ce qui relève vraiment d'un financement budgétaire et ce qui doit être intégré au sein des investissements d'avenir ;

- enfin, une limitation de la capacité d'arbitrage et d'amendement du Parlement .

5. Une hausse substantielle des crédits d'intervention de l'ANR qui lui permettra d'améliorer son taux de sélection des projets, conformément aux préconisations notre ancien collègue Michel Berson35 ( * )

Depuis maintenant une quinzaine d'années, dans les pays industrialisés qui se situent à la frontière de la connaissance, les équipes de chercheurs doivent candidater lors d'appels à projets compétitifs pour obtenir les financements nécessaires au développement de leurs projets de recherche .

L'Agence nationale de la recherche (ANR) , créée en 2005, a précisément pour mission la mise en oeuvre du financement de la recherche sur projets dans notre pays , en répartissant les crédits d'intervention qui lui sont alloués par le programme 172 « Recherches scientifiques et technologique pluridisciplinaires » .

De 2012 à 2015, le budget global de l'ANR, qui avait atteint un point haut à 858 millions d'euros en 2008 est passé de 742 millions d'euros à 561 millions d'euros , soit une baisse de - 24 % et les crédits d'intervention répartis sur appels à projets ont chuté de - 30 % , passant de 556 millions d'euros en 2012 à 390 millions d'euros en 2015, année lors de laquelle le budget de l'ANR avait atteint un point bas .

Évolution du budget alloué par l'Agence nationale de la recherche
aux projets de recherche entre 2005 et 2016

(en millions d'euros)

Source : Agence nationale de la recherche

Cette diminution des crédits d'intervention de l'ANR - à laquelle sont venus s'ajouter les effets de la hausse du nombre de projets présentés due au passage en deux temps de la procédure d'évaluation en 2014 - a entraîné une chute du taux de succès des appels à projets . Ce taux est, en effet, passé de 20 % des projets soumis en 2012 à 15 % des projets soumis en 2016 ; ce qui a constitué une source de découragement certaine pour les équipes de chercheurs .

Évolution du taux de sélection de l'Agence nationale de la recherche
entre 2005 et 2016

Source : Agence nationale de la recherche

Pour remédier à cet échec - dont il était largement responsable - le Gouvernement avait décidé d'allouer 63,9 millions d'euros supplémentaires à l'ANR en 2016, soit une timide augmentation de 11,9 % de ses crédits .

Ce mouvement de hausse s'est nettement amplifié en 2017 , puisque les moyens budgétaires de l'ANR s'élevaient en projet de loi de finances initiale à 703,4 millions d'euros en AE, soit une hausse de 75,4 millions d'euros (+ 12 %) par rapport à 2016, et à 639,4 millions d'euros en CP. Cette augmentation s'inscrivait ainsi dans les engagements de l'ancien Président de la République 36 ( * ) , qui avait promis d'augmenter les crédits de façon substantielle , afin de relever le taux de sélection .

Ce taux s'est en effet légèrement amélioré en 2016, puisqu'il a atteint 14,7 % , et il devrait poursuivre sa remontée en 2017, grâce à la hausse des crédits d'intervention de l'ANR . La barre des 15 % de sélection pourrait être franchie cette année.

Le nouveau Président de la République paraissait conscient des difficultés de l'ANR puisqu'il avait écrit le 3 avril 2017, en réponse à un questionnaire que lui avaient adressé une centaine de personnalités scientifiques que « la réduction opérée en début de quinquennat [en 2012] des moyens de l'ANR avait été une erreur » et « qu'il lui redonnerait des moyens comparables à ceux des meilleures agences de financement de la recherche chez nos partenaires européens ».

De fait, le présent projet de loi de finances prévoit pour l'ANR une enveloppe de 736,1 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 773,3 millions d'euros de crédits de paiement (CP), soit une hausse de 32,7 millions d'euros en AE (+ 4,6 %) et de 133,9 millions d'euros en CP (+ 20,9 %). L'Agence nationale de la recherche n'avait plus disposé d'autant de crédits depuis 2011 .

Dans son rapport « L'Agence nationale de la recherche : une ambition à retrouver pour le financement de la recherche sur projets » 37 ( * ) présenté devant votre commission des finances le 26 juillet 2017, notre ancien collègue Michel Berson avait estimé « qu'il serait indispensable de permettre à l'ANR de retrouver d'ici 2020, au plus tard, son niveau de crédits d'intervention répartis par appels à projets de 2009 , soit 650 millions d'euros , ce qui correspondrait à environ 850 millions d'euros de crédits d'intervention et à un budget total de 880 millions d'euros » .

Selon lui, seul un budget de ce niveau permettrait à l'ANR de renouer avec des taux de succès davantage acceptables , bien que toujours relativement bas.

Manquent donc encore au moins 100 millions d'euros pour le budget de l'Agence nationale de la recherche , tout en sachant que seul un budget de 1 milliard d'euros environ permettrait de cesser de rejeter d'excellents projets faute de financement adéquats .

Comme le lui ont confirmé les dirigeants d'organismes de recherche qu'il a entendus, votre rapporteur spécial rappelle que le maintien à un niveau très bas du taux de sélection des projets par l'ANR - relativement au t aux moyen de sélection de 24 % dans les autres pays de l'Union européenne pour des procédures comparables - a des effets délétères sur les équipes de chercheurs des organismes de recherche.

Monter des projets requiert en effet un investissement très important de la part des équipes et un taux d'échec trop important , voire sincèrement déraisonnable , provoque un découragement de beaucoup de chercheurs , qui voient leurs excellents projets rejetés sans véritable raison alors qu'ils ont pourtant reçu de très bonnes appréciations.


* 33 Cf. par exemple rapport d'information Sénat n° 226 (2008-2009) de notre ancien collègue Christian Gaudin, alors rapporteur spécial, ou, plus récemment, rapport Sénat n° 645 (2016-2017), Tome II, relatif au projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2016.

* 34 Cf. rapport de la Cour des comptes sur l'exécution budgétaire 2016, « Mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (MIRES) ».

* 35 Ibid.

* 36 Annonce faire par le chef de l'État le 14 mars 2016 lors de l'inauguration de l'Institut Pierre-Gilles de Gennes pour la microfluidique.

* 37 Ibid.

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