B. LA DOCTRINE D'INVESTISSEMENT DE 2014 CONSERVE TOUT SON SENS, COMME EN TÉMOIGNENT PLUSIEURS EXEMPLES RÉCENTS

1. La doctrine d'investissement formalisée en janvier 2014 retient quatre objectifs d'intervention publique

À l'initiative du précédent Gouvernement, le rôle de l'État actionnaire a été formalisé par l'adoption d'une doctrine d'investissement , présentée en Conseil des ministres le 15 janvier 2014.

Ainsi que le relève Martin Vial, « elle a permis de formaliser les raisons pour lesquelles l'État investit dans des entreprises » 33 ( * ) .

Quatre objectifs d'intervention sont retenus :

- la souveraineté , pour contrôler les entreprises intervenant dans des secteurs stratégiques et sensibles ;

- les infrastructures et opérateurs de service public, afin de s'assurer de l'existence « d'opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays » ;

- l'accompagnement de secteurs et filières stratégiques pour la croissance économique nationale ;

- le sauvetage , lorsque la disparition d'une entreprise présenterait un risque systémique avéré.

Cette doctrine conserve tout son sens aujourd'hui. La participation publique doit figurer parmi la palette des outils de l'État.

Tel est nécessairement le cas pour les activités inhérentes au domaine régalien ou à la souveraineté, en matière de défense ou de nucléaire, ainsi qu'en cas de risque systémique.

Une analyse au cas par cas doit guider l'État dans la mise en oeuvre des deuxième et troisième objectifs. Si la régulation permet de définir le cadre d'exercice d'une activité, elle ne suffit pas toujours à assurer suffisamment de contrôle par l'État.

En ce sens, alors que le Gouvernement entend faire de la transition numérique une de ses priorités, une réflexion spécifique sur les enjeux de souveraineté nés de l'importance croissante des données numériques doit avoir lieu. Dans cette perspective, l'ensemble des leviers de politique publique à la disposition de l'État, incluant la prise de participation, doit être envisagé.

2. Cette doctrine d'intervention s'est concrétisée par de belles réussites

Comme le relève Martin Vial, « l'État n'est pas un actionnaire banal, car il porte un intérêt général. À travers ses prises de participation, il mène une politique de défense des intérêts stratégiques du pays, une stratégie industrielle » 34 ( * ) .

Il s'agit de concilier cette particularité avec la nécessaire protection de ses intérêts patrimoniaux.

C'est précisément ce que l'action déterminée du précédent Gouvernement a permis pour le groupe PSA . Car si, comme Martin Vial l'indique, « l'argent tiré de la vente des titres PSA [en juin 2017] a permis d'alimenter la recapitalisation d'Areva » 35 ( * ) , c'est pour aider l'entreprise à faire face aux difficultés que l'État a souscrit à l'augmentation de capital à hauteur de 800 millions d'euros en 2014.

L'État a ainsi accompagné le groupe dans la mise en oeuvre de son plan stratégique, soutenant le redressement rapide concrétisé par le rachat d'Opel annoncé début 2017. Le graphique ci-après reproduit l'évolution du cours de l'action Peugeot depuis le 1 er janvier 2014.

Évolution de l'action Peugeot depuis le 1er janvier 2014

Source : Boursorama bourse

De même, en exerçant son droit de préemption sur STX France le 27 juillet 2017, l'État actionnaire a parfaitement joué son rôle.

À la suite de la retenue de Fincantieri comme repreneur potentiel par le tribunal de Séoul le 3 janvier 2017, l'accord conclu le 30 mai 2017 octroyait 48 % du capital de STX France à Fincantieri, 12 % à Naval Group et 6,6 % à la fondation italienne CR Trieste. Selon l'analyse du ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire, cette répartition « n'était en fait qu'un subterfuge pour dissimuler la prise de participation majoritaire de l'Italie » 36 ( * ) .

L'exercice du droit de préemption a permis de négocier une répartition du capital de STX France donnant davantage de contrôle à l'État. Le graphique ci-après présente les termes de l'accord conclu le 27 septembre dernier.

Répartition du capital de STX France résultant de l'accord du 27 septembre 2017

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par l'APE

Le ministre de l'économie et des finances a précisé les modalités d'application de cet accord : « sur cette base, nous avons introduit un prêt de titres, qui représente 1 % du capital, de l'État français à Fincantieri . Ce prêt pourra être révoqué lors de créneaux de trois mois au deuxième, cinquième, huitième et douzième anniversaire de l'accord. [...] Ce sont des rendez-vous à échéance régulière. D'ici deux ans, nous aurons une période de trois mois pour vérifier que les engagements de Fincantieri sont tenus, et si ce n'est pas le cas, nous reprendrons notre prêt » 37 ( * ) .

Parallèlement à l'accord relatif à STX France, l'État français a convenu avec l'État italien de « lancer un processus commun ouvrant la voie à la création d'une alliance progressive dans le naval de défense » 38 ( * ) . À cette fin, un comité de pilotage sera établi en vue de définir, d'ici la fin du premier semestre 2018, une feuille de route détaillant les principes de mise en oeuvre d'une future alliance entre Fincantieri et Naval Group.

L'accord cadre prévoit d'analyser les modalités d'un échange de titres entre les deux groupes, à hauteur de 5 % à 10 % de leur capital respectif. Comme l'a toutefois indiqué le ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire, il s'agit toutefois d'un « projet de beaucoup plus long terme ».

Les modalités de répartition du capital de STX France assurent un meilleur équilibre que l'accord préliminaire notifié à l'État français le 30 mai 2017.

Elles correspondent à l'importance stratégique des Chantiers de l'Atlantique pour notre pays, puisqu'il s'agit de la seule structure capable de réaliser une coque de porte-avions en France.

Elles prennent de surcroît en compte le caractère crucial de l'entreprise pour l'économie et l'investissement régionaux. À ce titre, il importe que l'appréciation du caractère stratégique d'une activité s'apprécie également à l'échelon régional, a fortiori s'agissant de territoires faisant face à des contraintes spécifiques .

Surtout, elles illustrent le pouvoir spécifique conféré par la prise de participation . C'est grâce au pouvoir de préemption dont il disposait en vertu du pacte d'actionnaire conclu avec STX Europe que l'État a pu négocier l'accord du 27 septembre dernier.

À l'aune de cet exemple, le renoncement du Gouvernement à exercer son option sur les titres Alstom prêtés par Bouygues constitue une erreur stratégique majeure .


* 33 Audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 13 septembre 2017.

* 34 Audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 13 septembre 2017.

* 35 Audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 13 septembre 2017.

* 36 Audition par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2017.

* 37 Audition par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2017.

* 38 « Lancement d'une feuille de route franco-italienne pour renforcer la coopération dans le naval militaire », communiqué de presse de Naval Group, 27 septembre 2017.

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