II. UN FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU INCOHÉRENT, UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA POLLUTION DE L'AIR DÉNUÉE DE VISION STRATÉGIQUE

A. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS DE LA POLITIQUE DE L'EAU ET DE LA BIODIVERSITÉ AU PRIX D'UNE MISE À CONTRIBUTION DES AGENCES DE L'EAU

1. Près du quart des redevances perçues en 2018 serait détourné de la politique de l'eau

Les six agences de l'eau sont des établissements publics administratifs qui organisent la planification et le financement des politiques de l'eau, afin de préserver les ressources en eau et d'assurer un bon état des eaux. Leur cadre d'intervention est assuré par le dixième programme d'intervention 2013-2018.

Les agences de l'eau ne bénéficient pas de subventions de l'État, mais sont directement financées des taxes et redevances affectées 15 ( * ) , dont le montant était plafonné jusqu'à présent à 2,3 milliards d'euros.

L'article 32 de la loi de finances pour 2015 a prévu un prélèvement sur le fonds de roulement des agences de l'eau de 175 millions d'euros par an de 2015 à 2017 (soit 525 millions d'euros sur trois ans) 16 ( * ) , alors même que les missions des agences de l'eau ont été élargies dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 17 ( * ) .

Celle-ci prévoit en effet que les agences de l'eau peuvent apporter une aide financière aux personnes publiques et privées pour leurs actions d'intérêt commun visant une gestion équilibrée et durable non seulement de la ressource en eau, mais également du milieu marin et de la biodiversité. Certaines agences de l'eau ont ainsi lancé des « initiatives biodiversité » afin de mobiliser les collectivités territoriales et les entreprises et de faire émerger des projets d'investissement.

Alors même que ces prélèvements du fonds de roulement obèrent les moyens des agences pour effectuer les investissements nécessaires , l'article 19 du présent projet de loi de finances tel qu'adopté par l'Assemblée nationale renouvelle ce prélèvement pour 2018, à hauteur de 200 millions d'euros.

Encore cette évolution est-elle transitoire, et, surtout, différente de celle que prévoyait initialement le Gouvernement.

L'article 19 tel que présenté initialement par le Gouvernement prévoyait en effet d'abaisser le plafond du montant annuel des taxes et redevances perçues par les agences de 2,3 milliards d'euros à 2,105 milliards d'euros, hors plan « Ecophyto », soit une baisse de 175 millions d'euros .

L'amendement présenté par le Gouvernement en première lecture à l'Assemblée nationale reporte cette décision à 2019 , en dépit du principe d'annualité budgétaire, fixe le plafond à 2,28 milliards d'euros pour 2018, soit une diminution de 20 millions d'euros par rapport à 2017, et ajoute un prélèvement sur le fond de roulement des agences de 200 millions d'euros pour 2018.

Évolution des plafonds de ressources et des prélèvements
sur fond de roulement des agences de l'eau depuis 2015

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

2018

Pré-AN

2018 post-AN

Plafond taxes affectées

2300

2 300

2 300

2 105

2 280

Prélèvement sur fonds de roulement

175

175

175

200

Source : commission des finances du Sénat

L'intention initiale du Gouvernement que sous-tendait la baisse du plafond du montant annuel des taxes et redevances perçues consistait à inciter les agences de l'eau à moduler à la baisse les redevances, afin de diminuer les prélèvements obligatoires , tout en évitant un nouveau prélèvement sur fonds de roulement en 2018.

La Cour des comptes estimait en effet, en 2015 18 ( * ) , soit avant l'élargissement des missions des agences de l'eau par la loi pour la reconquête de la biodiversité, que « les importants moyens » dont disposent les agences de l'eau pouvaient « être employés de manière plus efficace au regard des objectifs de la politique de l'eau ».

Or les dixièmes programmes d'intervention 2013-2018 ont fait l'objet d'une révision à mi-parcours , afin de tirer les conséquences des conclusions de la Cour des comptes. En outre, l'année 2016 a été est marquée par une progression des aides dans tous les domaines, quasiment sur l'ensemble des bassins : les engagements se sont élevés à 2,7 milliards d'euros 19 ( * ) , après 2,3 milliards entre 2013 et 2015 . Par exemple, les engagements sur les réseaux d'assainissement s'élèvent en 2016 à 441,87 millions d'euros, contre 378,46 millions d'euros en 2015 et 397,55 millions d'euros en 2014.

D'après les informations transmises à votre rapporteur, le report de la baisse du plafond des redevances et sa conversion en prélèvement sur fond de roulement doit permettre de lancer une réflexion sur l'avenir des redevances pesant sur l'eau.

Au regard de la déformation de la structure des redevances entre pollueur et payeur - les particuliers payent plus qu'ils ne consomment, à l'inverse d'autres catégories de consommateurs, cette réflexion paraît bienvenue.

Toutefois, elle ne saurait justifier la modification du plafond initialement proposée par le Gouvernement sans concertation, et le caractère « brouillon » de la solution proposée, mettant une nouvelle fois à contribution les agences de l'eau 20 ( * ) .

Ainsi, près du quart des redevances perçues en 2018 par les agences de l'eau seraient détournées des politiques de l'eau, affaiblissant la portée du principe de la redevance selon lequel « l'eau paye l'eau ».

Au total, après prélèvement sur fond de roulement et contributions annuelles aux opérateurs de la biodiversité, les recettes des agences de l'eau s'élèveraient à 1,8 milliard d'euros en 2018 .

Allocation des redevances affectées aux agences de l'eau prévue pour 2018

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Cette attrition serait susceptible d'entraîner deux effets pervers :

- les agences pourraient privilégier le règlement d'engagements passés au développement de nouveaux investissements et interventions , voire abandonner des politiques d'aide à la mise aux normes des stations d'épuration, à l'assainissement non collectif, ou à la conversion d'agriculture biologique ; la capacité d'intervention des agences de l'eau serait réduite de 136 millions d'euros en 2018 par rapport à 2017 ;

- contrairement à l'objectif initial du Gouvernement, la contraction des recettes des agences pourrait provoquer une augmentation du prix de l'eau.

Enfin, si la diminution du plafond prévue pour 2019 peut en effet inciter à la baisse des redevances, elle emportera avec elle la diminution de l'effet incitatif de la redevance sur la réduction des pollutions .

2. Une légère augmentation des crédits alloués à la politique de l'eau et de la biodiversité

Les actions menées en matière de protection des ressources en eau et de la biodiversité sont portées par le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité ». À périmètre constant, le programme voit ses moyens légèrement augmenter (+ 5 millions d'euros) afin de multiplier ses actions en faveur de la préservation des espèces et des espaces protégés.

Cette politique est fortement encadrée par le droit européen, et les moyens alloués au programme visent à tenir les engagements européens, par exemple s'agissant des mesures de la directive-cadre sur l'eau (DCE) du 23 octobre 2000 et de la directive-cadre « Stratégie pour le milieu marin » (DCSMM) du 17 juin 2008.

En premier lieu, s'agissant du milieu marin , les actions menées s'inscrivent dans le cadre de la mise en oeuvre de la DCSMM, qui suppose des mesures de soutien à la conservation des milieux marins et au rétablissement du bon état de ces milieux . La transposition de cette directive a été réalisée par l'élaboration de quatre plans d'action pour le milieu marin (PAMM) 21 ( * ) , dont le dernier des volets a été notifié en avril 2016 à la Commission européenne, et par la création d'aires protégées (parcs naturels marins, aires marines protégées).

Les actions nécessaires à l'atteinte du bon état des milieux marins d'ici 2020 entraînent un besoin de financement croissant : outre le financement de la mise en place et de la gestion des aires protégées, l'application de la DSCMM suppose des efforts dans des programmes de connaissance et de surveillance du milieu marin.

2 millions d'euros supplémentaires sont ainsi prévus pour 2018, afin d'accompagner la mise en oeuvre opérationnelle de la DCSMM (programme de surveillance de l'état des eaux marines, démarrage du programme de mesures), par l'application des quatre PAMM sur la période 2016-2021. 500 000 euros sont en outre destinés à assurer le fonctionnement du barrage du Couesnon, visant à préserver le caractère maritime du Mont Saint-Michel.

S'agissant du milieu terrestre, le programme est marqué par l'achèvement de la constitution du réseau Natura 2000 (qui concerne 1 768 sites terrestres et marins), et du déploiement de la trame verte et bleue , outil d'aménagement du territoire visant à faciliter les continuités écologiques. Les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), qui prévoient des plans d'action stratégiques en matière de rétablissement des continuités écologiques, seront à terme intégrés dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ce qui permettra d'ancrer les questions relatives à la biodiversité dans les grands projets régionaux d'aménagement.

Le présent projet de loi de finances prévoit 2 millions d'euros supplémentaires pour l'animation territoriale des documents d'objectifs (DOCOB), plans de gestion des sites Natura 2000 . Ces documents, réalisés sur trois analysent les effets des activités sous le prisme des enjeux de conservation et définissent les orientations de gestion et les mesures de conservation. La totalité des DOCOB étant achevée, leur animation territoriale sur une période triennale a débuté - l'animation d'un site terrestre est estimée à 0,5 ETP par an, soit 20 000 euros par an. 83 % des sites sont en animation en 2017 : l'objectif est fixé à 100 % pour 2020.

S'il est bienvenu, cet abondement de crédits paraît toutefois largement insuffisant pour faire face aux besoins supplémentaires et pour assurer le respect par la France de ses engagements européens, notamment au titre de la gestion des milieux marins.

En effet, comme l'indique le ministère de la transition écologique et solidaire 22 ( * ) , « le coût total de la mise en oeuvre des programmes de surveillance des PAMM du premier cycle est estimé à environ 60 millions d'euros par an, dont 48 millions d'euros par an pour les dispositifs existants et 12 millions d'euros par an pour les évolutions de dispositifs existants et les dispositifs nouveaux à créer pour répondre aux besoins de la DCSMM. Concernant les programmes de mesures, le montant total au titre du premier cycle de la DCSMM est évalué à 53 millions d'euros sur 6 ans (2016-2021) ».


* 15 Taxe pour obstacle sur les cours d'eau, taxe pour stockage d'eau en période d'étiage, taxe pour la protection du milieu aquatique, redevance pour pollutions diffuses, Redevances pour pollution de l'eau et redevance pour modernisation des réseaux de collecte.

* 16 Ce montant est réparti, chaque année, entre les agences de l'eau au prorata de leur part respective dans le produit total prévisionnel pour l'année concernée des redevances pour atteintes aux ressources en eau mentionnées à l'article L. 213-10 du code de l'environnement.

* 17 Article 29 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

* 18 « Les agences de l'eau et la politique de l'eau : une cohérence à retrouver », Rapport public annuel de la Cour des comptes de février 2015.

* 19 Hors reversement Ecophyto à l'ONEMA et prélèvement sur fonds de roulement au profit du budget général de l'État.

* 20 Le prélèvement sur les ressources accumulées par les agences de l'eau sera réparti entre les agences au prorata de leur part respective dans le total des redevances dont elles bénéficient. Il serait effectué en deux fois : 30 % serait perçu avant le 30 juin 2018 et 70 % avant le 30 novembre 2018.

* 21 Manche-mer du Nord, Mer Celtique, Golfe de Gascogne et Méditerranée.

* 22 Réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

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