TROISIÈME PARTIE - LES DÉFIS DU CADRE FINANCIER PLURIANNUEL POST-2020

En mai 2018, la Commission européenne présentera une proposition de cadre financier pluriannuel pour la période après 2020. De nombreuses inconnues entourent cette future négociation, parmi lesquelles l'issue du règlement financier relatif à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Comme l'a souligné le document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union, publié par la Commission européenne en juin 2017, les questions de la durée du cadre financier (cinq ou sept ans), des politiques publiques prioritaires financées par le budget européen et du système de ressources propres sont également ouvertes. Outre le dilemme récurrent entre prévisibilité et flexibilité du cadre financier, trois défis apparaissent distinctement pour l'avenir :

- comment maintenir une capacité d'intervention suffisante et répondre aux nouveaux besoins malgré le départ de l'un des principaux contributeurs nets au budget européen ?

- par quels moyens établir des liens entre le budget et la politique économique de l'Union ?

- enfin, quelles ressources propres affecter au budget dans un contexte de concurrence fiscale élevée au sein de l'Union ?

I. UNE TENSION À LA HAUSSE POUR LES CONTRIBUTEURS NETS SOUS L'EFFET DU BREXIT ET DE L'APPARITION DE NOUVEAUX BESOINS

En tant qu'État contributeur net au budget européen, la France sera confrontée à une négociation difficile pour tâcher de concilier ses ambitions de relance de l'Union avec son objectif de réduction des déficits publics. En effet, deux facteurs auront un effet majorant sur les contributions nationales au budget de l'Union : les conséquences budgétaires du Brexit et l'émergence de nouvelles priorités au niveau européen.

1. Les conséquences budgétaires du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne

En 2015, le Royaume-Uni était le deuxième contributeur net au budget de l'Union derrière l'Allemagne, avec un déficit net de 14 milliards d'euros. Si le niveau de contribution versée par le Royaume-Uni cette année était exceptionnellement élevé (21,4 milliards d'euros) en raison des fortes variations d'une année sur l'autre du « rabais » dont il bénéficie, le montant moyen de contribution acquitté entre 2007 et 2014 s'élevait à 13,7 milliards d'euros et son solde net était de l'ordre de - 7 milliards d'euros par an.

Dès lors, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne entraînera une perte nette pour le budget de l'Union qui peut être estimée entre 7 milliards et 10 milliards d'euros par an 35 ( * ) . Dans l'hypothèse où le divorce serait acté dès le 30 mars 2019, sans règlement financier ad hoc pour couvrir la fin du cadre financier pluriannuel 2014-2020, la perte de recettes devra donc être comblée par les autres États membres, selon des modalités à déterminer.

S'agissant de la période après 2020, le départ de l'un des principaux contributeurs nets au budget européen pose immédiatement la question du montant du futur budget . Le caractère soutenable du surcroît de contribution des autres États membres dépendra directement du futur cadre financier pluriannuel. Comme l'a analysé le rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, dans un rapport d'information sur les conséquences économiques et budgétaires du Brexit 36 ( * ) , même dans l'hypothèse où le budget demeurerait stable, les incidences budgétaires pour la France varieraient fortement selon le maintien ou la disparition des effets du « rabais sur le rabais » britannique et la nouvelle relation entre l'Union et le Royaume-Uni (application des seules règles de l'Organisation mondiale du commerce, négociation d'un accord bilatéral sur le modèle suisse ou participation à l'Espace économique européen).

À plus court terme, la décision du peuple britannique de quitter l'Union européenne nécessite un accord sur le règlement financier du divorce. Selon les directives données par les 27 États membres à l'équipe de négociation du Brexit, dirigée par Michel Barnier, un accord sur le règlement financier du retrait est un préalable à l'engagement de la deuxième phase des négociations concernant les relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union. Or, à la veille du Conseil européen des 19 et 20 octobre 2017, Michel Barnier a indiqué que ces dernières se trouvaient dans « une impasse extrêmement préoccupante » concernant le solde budgétaire de sortie de l'Union.

En dépit de la déclaration à Florence le 22 septembre 2017 de la Première ministre britannique, Theresa May, selon laquelle le Royaume-Uni allait « honorer les engagements qu'[il avait] pris durant sa période d'adhésion » un désaccord de fond demeure sur le montant du chèque britannique. En effet, le Royaume-Uni serait prêt à verser 20 milliards d'euros de contribution au budget européen jusqu'en 2020 , au titre de la période de transition, ce qui correspondrait à sa contribution nette en 2019 et 2020.

Toutefois, les 27 États membres considèrent que les engagements du Royaume-Uni comprennent l'ensemble des engagements financiers découlant du cadre financier pluriannuel 2014-2020 ainsi que les restes à liquider des cadres financiers précédents, les retraites des fonctionnaires européens, les autres passifs éventuels liés aux prêts et garanties accordées par l'Union et les surcoûts entraînés par la sortie du Royaume-Uni, comme par exemple le déménagement des agences 37 ( * ) . Ainsi, les chiffres non officiels font état d'une facture de l'ordre de 60 milliards à 80 milliards d'euros pour le Royaume-Uni .

L'issue de cette négociation et le reliquat éventuel à couvrir pour les 27 États membres auront donc un impact direct sur le niveau d'ambition du prochain cadre financier pluriannuel.

2. Répondre aux nouvelles priorités sans sacrifier la politique agricole commune et la politique de cohésion

À côté des politiques communautaires traditionnelles telles que la politique agricole commune et la politique de cohésion, de nouvelles priorités sont apparues au niveau européen au cours des dernières années : la sécurité, la lutte contre le terrorisme, la gestion des flux de réfugiés et de migrants ou encore la défense.

Les attentats ayant frappé l'Europe et la crise des réfugiés ont en effet conduit l'Union à mobiliser l'ensemble des flexibilités disponibles afin de doubler les crédits en matière de sécurité, de gestion des frontières et de politique migratoire . Les besoins de financement dans ces domaines sont estimés à 15 milliards d'euros par an après 2020 .

Le Fonds européen de la défense , annoncé par la Commission européenne en juin 2017, nécessiterait quant à lui 1,5 milliard d'euros par an après 2020, dont 500 millions d'euros consacrés à la recherche et développement et 1 milliard d'euros à l'acquisition conjointe d'équipements et de technologies de défense. Complété par des financements nationaux, le fonds aurait vocation à mobiliser 5,5 milliards d'euros au total chaque année.

Par ailleurs, les disparités socio-économiques, le chômage des jeunes, le changement climatique et les atteintes à l'environnement méritent également une réponse au niveau européen, qui doit se traduire par des interventions budgétaires.

Selon le commissaire européen au budget, Günther Oettinger, « si l'Europe est appelée à s'attaquer à de nouveaux défis, il importe de trouver quelque part les ressources nécessaires. Nous pouvons soit dépenser moins soit trouver des recettes nouvelles » 38 ( * ) . Ainsi le document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union évoque, outre la mobilisation de nouvelles ressources propres, « des choix difficiles » 39 ( * ) qui nécessiteront des redéploiements, voire de réduire certaines dépenses .

Parmi les pistes évoquées par la Commission européenne figurent la réduction des paiements directs de la politique agricole commune par le ciblage des aides dans les zones périphériques et les exploitations les plus pauvres ou l'introduction de cofinancements nationaux.

S'agissant de la politique de cohésion , le document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union évoque une possible concentration des fonds uniquement sur les régions les plus pauvres de l'Union et sur les programmes de coopération transfrontalière ou encore un relèvement des cofinancements nationaux. De nouveaux critères d'attribution des fonds pourraient également être ajoutés tels que la démographie, le chômage, l'inclusion sociale des migrants ou le changement climatique.

Une grande vigilance devra donc être accordée à la négociation du futur cadre financier, qui déterminera les politiques menées au niveau européen dans les cinq à sept prochaines années. Il importe que le Gouvernement tienne compte de l'impact de ses arbitrages sur les collectivités territoriales, en particulier celles situées dans les territoires ruraux les plus fragiles .

Une attention spécifique devra également être portée à la nomenclature des unités territoriales statistiques (NUTS) retenue pour définir la nouvelle politique de cohésion, a fortiori si un ciblage doit être opéré. Si le « maillage » territorial est trop large, le risque serait en effet d'écarter de l'éligibilité aux fonds de cohésion des territoires isolés.


* 35 Voir également Jörg Haas et Eulalia Rubio, « Brexit et budget de l'UE : menace ou opportunité ? », Policy paper n° 183, Institut Jacques Delors, Bertelsmann Stiftung, janvier 2017.

* 36 Rapport d'information n° 656 (2015-2016) fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat sur les conséquences économiques et budgétaires du Brexit.

* 37 Annexe à la décision du Conseil autorisant l'ouverture de négociations avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'un accord fixant les modalités du retrait de celui-ci de l'Union européenne.

* 38 Commission européenne, communiqué de presse du 28 juin 2017.

* 39 Commission européenne, document de réflexion sur l'avenir des finances de l'UE, juin 2017.

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