B. UN DÉFICIT DÉGRADÉ DE PLUS DE 10 MILLIARDS D'EUROS EN 2018 EN L'ABSENCE DE MESURES DE REDRESSEMENT COMPLÉMENTAIRES

Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une détérioration significative du déficit budgétaire de l'État , qui passerait de 76,5 milliards d'euros en 2017 à 82,9 milliards d'euros en 2018.

Encore ce chiffrage ne prend-il pas en compte les dépenses de contentieux résultant de la décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017 sur la contribution de 3 % sur les dividendes. Après intégration de ces charges supplémentaires et malgré les deux contributions exceptionnelles à l'impôt sur les sociétés (IS) prévues par le projet de loi de finances rectificative déposé le 2 novembre 2017 par le Gouvernement, le déficit budgétaire de l'État serait, en l'absence de mesures de redressement complémentaires, dégradé de 10,5 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2017 .

1. Une dégradation du solde de 6,4 milliards d'euros prévue par le projet de loi de finances pour 2018

La dégradation du solde budgétaire de l'État prévue en 2018, hors impact de la décision du Conseil constitutionnel relative à la contribution de 3 % sur les dividendes, résulte pour 6,6 milliards d'euros de la hausse des dépenses et pour 10 milliards d'euros de mesures nouvelles en recettes , cependant plus que compensées par l'évolution spontanée des recettes qui devrait atteindre 10,2 milliards d'euros en 2018 .

Au total, les recettes de l'État devraient donc contribuer à améliorer le solde de 200 millions d'euros tandis que la dynamique des dépenses le dégraderait de 6,6 milliards d'euros - conduisant à relativiser l'affirmation du Gouvernement selon laquelle l'augmentation du déficit résulterait exclusivement des mesures de baisse d'impôt supportées par le budget de l'État.

Ainsi, la rebudgétisation de la contribution exceptionnelle de solidarité pèse pour 1,5 milliard d'euros, tandis que la hausse de la contribution au budget européen représente 2,3 milliards d'euros. Le troisième programme d'investissements d'avenir conduit à augmenter les dépenses de 1,1 milliard d'euros. Enfin, les dépenses pilotables de l'État devraient progresser de 1,7 milliard d'euros par rapport à l'exécution prévisionnelle pour 2017 (qui intègre déjà un dérapage de 4,2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2017).

Décomposition des facteurs d'évolution du solde budgétaire de l'État entre la prévision d'exécution pour 2017 et l'estimation pour 2018 du projet de loi de finances pour 2018

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

Au total, l'effort sur les dépenses de l'État prévu par le projet de loi de finances pour 2018 reste très modéré et s'avère insuffisant pour maîtriser l'évolution du solde budgétaire de l'État (cf. infra, III. Un effort insuffisant en dépenses).

2. Après prise en compte des contentieux liés à la contribution de 3 % sur les dividendes, une augmentation du déficit supérieure à 10 milliards d'euros en 2018 par rapport à 2017

La décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017 relative à la contribution de 3 % sur les dividendes conduit à revoir à la hausse la prévision de déficit pour 2018 de 4,5 milliards d'euros au regard des mesures déjà annoncées par le Gouvernement.

La décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017 relative à la contribution de 3 % sur les dividendes

L'article 6 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 a instauré une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés de 3 % sur les montants distribués par les sociétés et organismes français ou étrangers assujettis à l'impôt sur les sociétés en France.

La Cour de justice de l'Union européenne a déclaré que cette contribution n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne par un arrêt du 17 mai 2017.

Le Conseil d'État a saisi le 10 juillet 2017 le Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité afin de préciser si l'arrêt de la Cour de justice ne valait que pour les situations transfrontalières intercommunautaires ou pour l'ensemble des entreprises ayant acquitté l'impôt.

Par une décision rendue publique le 6 octobre, le Conseil constitutionnel a jugé que la taxe méconnaissait les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

En prononçant la non-conformité à la Constitution de la contribution de 3 %, la décision du Conseil constitutionnel entraîne deux conséquences :

- relative au champ des réclamations, puisque l'ensemble des contributions versées à compter de 2015 peut faire l'objet d'une réclamation jusqu'au 31 décembre 2017 ;

- relative à la comptabilisation du coût du contentieux : en faisant naître une créance des entreprises sur l'État, la déclaration d'inconstitutionnalité se traduit par une comptabilisation de remboursements dès 2017.

Le montant de 5,7 milliards d'euros provisionné par le Gouvernement sur la période 2018-2021 est donc insuffisant et le calendrier de paiement trop tardif : le coût des contentieux est revu à la hausse de 4,3 milliards d'euros, totalisant 10 milliards d'euros répartis à égalité sur 2017 et 2018.

Source : commission des finances du Sénat (à partir de l'exposé général des motifs du projet de loi de finances rectificative pour 2017)

En effet, outre la reprise en base de la dégradation supplémentaire du déficit 2017 par rapport à l'estimation révisée associée au projet de loi de finances pour 2018, la hausse des dépenses de contentieux devrait avoir un impact de 4,7 milliards d'euros en 2018 : celles-ci s'élèveraient finalement, d'après le Gouvernement, à environ 5 milliards d'euros, contre une prévision associée au projet de loi de finances de 300 millions d'euros.

La détérioration du déficit serait partiellement limitée par les recettes attendues, en 2018, au titre des contributions exceptionnelles à l'impôt sur les sociétés prévues par le projet de loi de finances rectificative pour 2017 et dont le rendement devrait atteindre 600 millions d'euros en 2018.

Au total, le déficit pourrait donc progresser, en 2018, de 10,5 milliards d'euros par rapport aux dernières estimations pour 2017.

Décomposition de l'incidence sur le solde budgétaire en 2018 de la décision du Conseil constitutionnel relative à la contribution de 3 % sur les dividendes

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

La dégradation du déficit budgétaire pourrait bien sûr être plus modérée si des mesures de redressement supplémentaires étaient prises , par exemple à travers une réduction plus marquée des dépenses pilotables de l'État.

Bien que le solde des administrations publiques soit le principal indicateur retenu pour l'évaluation du respect de nos engagements européens, la détérioration du déficit budgétaire de l'État n'en est pas pour autant anodine : ses conséquences sur le financement de l'État pourraient être lourdes.

En effet, la hausse du besoin de financement de l'État liée à l'augmentation du déficit budgétaire vient s'ajouter à un programme d'amortissement de la dette à moyen et long terme déjà considérable en raison des tombées d'importants montants de dette émise lors de la crise économique et financière du début des années 2010. Or l'absorption par le marché d'émissions de grande ampleur , dans un contexte où le programme de rachats de la banque centrale européenne est amené à diminuer, est de plus en plus délicate .

L'amélioration ou à tout le moins la stabilisation du déficit budgétaire de l'État constitue donc une nécessité à moyen terme , indépendamment de l'évolution du solde des administrations publiques.

3. Une détérioration du solde de l'État moins marquée en comptabilité nationale qui résulte essentiellement d'une différence de traitement des primes à l'émission

Il convient de noter que le solde de l'État au titre de la comptabilité nationale devrait s'établir à - 75,5 milliards d'euros (hors impact de la décision du Conseil constitutionnel), soit un déficit inférieur de 7,4 milliards d'euros au solde budgétaire .

Ce décalage significatif s'explique principalement par la différence de traitement des primes et décotes à l'émission en comptabilité budgétaire et en comptabilité nationale , dont l'incidence devrait s'élever à + 6,9 milliards d'euros en 2018. En effet, la comptabilité « maastrichtienne » s'appuie sur l'enregistrement en droits constatés tandis que la comptabilité budgétaire est une comptabilité de caisse.

Dans le cas où des primes sont enregistrées lors de l'émission de titres de dette, le surcroît de trésorerie pour l'État a comme contrepartie des paiements de coupons plus importants sur toute la durée de vie des titres que la charge d'intérêt en comptabilité nationale , qui correspond aux taux de marché à l'émission.

Les primes à l'émission

Outre la prévisibilité des émissions et la diversification de l'offre, la stratégie française met aussi l'accent sur la liquidité des titres émis , c'est-à-dire la plus ou moins grande facilité avec laquelle ces titres pourront être échangés après avoir été acquis.

La liquidité dépend pour partie de la profondeur du marché , c'est-à-dire, schématiquement, du volume de titres émis.

C'est donc l'objectif de maintien de la liquidité des titres émis qui explique que des titres aux caractéristiques similaires (même année d'échéance, même coupon, même mode de calcul) soient émis plusieurs fois au cours de l'année, voire plusieurs années : ce type d'opération consiste à réabonder des « souches » existantes (émissions « off-the-run »), par opposition à la création de nouveaux titres (émissions « benchmark »). Le recours aux émissions « off-the-run » n'est pas propre à la France : les autres émetteurs souverains procèdent au même type d'émissions, indispensables à la liquidité des titres.

En outre, le montant des réabondements a dû être accru en raison du programme d'achats de la Banque centrale européenne qui a acquis d'importants montants de titres de dette souveraine qui ne sont pas destinés à être revendus par la suite, mais conservés dans son bilan. Cela signifie que, pour répondre à la demande des investisseurs « classiques », l'Agence France Trésor doit réabonder plus régulièrement certaines souches qui seraient, sans cela, en « rupture de stock ».

Il est évidemment possible et fréquent que le coupon des titres émis sur souches anciennes ne corresponde pas exactement au taux que le marché est prêt à payer . Par exemple, les taux d'intérêt étaient plus importants il y a quelques années qu'aujourd'hui : la plupart des investisseurs acceptent donc un rendement plus faible en 2017 qu'en 2010. Dès lors, une OAT émise en 2017 mais dont les caractéristiques sont calquées sur une OAT créée en 2010 présentera un coupon nettement supérieur à celui du marché.

La différence entre le rendement que les acheteurs sont prêts à accepter et le coupon du titre donne lieu à des primes (si le coupon est supérieur au taux du marché) ou des décotes (dans le cas contraire) à l'émission. En d'autres termes, dans le cas d'une prime à l'émission, la banque acheteuse versera à l'État, en une seule fois, la différence entre le taux de marché et le coupon. Ce versement annule la différence entre le coupon du titre et le taux du marché. L'État paiera ensuite des intérêts conformes au coupon du titre .

Source : La dette publique de la France : un poids du passé, un défi pour l'avenir , rapport d'information n° 566 (2016-2017) de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, 31 mai 2017.

Ainsi, dans le cas où une obligation à dix ans, d'une valeur de 100 euros, est émise à un taux de 2 % (pour réabonder une souche existante) alors que le taux du marché est de 1 %, la comptabilité budgétaire enregistre une prime à l'émission de 10 en année 1 et des coupons de 2 euros durant toute la durée de vie du titre.

En revanche, la comptabilité nationale étale la prime sur toute la durée de vie de titre , comptabilisant donc des coupons conformes au taux du marché (soit de 1 euro). Si sa répartition calendaire varie, au total, la charge d'intérêt nette au terme de la vie du titre est bien évidemment la même en comptabilité nationale et en comptabilité budgétaire.

Exemple simplifié d'enregistrement de la charge d'intérêt en comptabilité nationale et en comptabilité budgétaire

(en euros)

Note de lecture : la durée de vie du titre est de dix ans. Le taux d'intérêt nominal est de 2 % et le taux d'intérêt du marché à l'émission de 1 %. L'exemple est simplifié.

Source : commission des finances du Sénat

Or, ces dernières années, en raison d'un contexte de taux d'intérêt très faibles et de réémissions régulières sur souches anciennes, l'État a enregistré des primes à l'émission d'une ampleur significative , conduisant à une charge d'intérêts inférieure de près de 7 milliards d'euros en comptabilité nationale à la charge d'intérêts enregistrée en comptabilité budgétaire, qui devrait s'élever à 41,2 milliards d'euros en 2018 .

Ces différences de traitement comptable ne doivent pas masquer l'essentiel : en comptabilité nationale comme budgétaire, le déficit de l'État progresse et atteint un niveau supérieur au solde stabilisant l'endettement de l'État, ce qui signifie que la maîtrise des dépenses reste insuffisante . En effet, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, l'évolution des recettes n'explique pas l'essentiel de l'évolution du solde de l'État dans la mesure où l'incidence des mesures nouvelles est plus que compensée par l'évolution spontanée des recettes .

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