B. UN REDRESSEMENT MODESTE DE LA SITUATION STRUCTURELLE DES COMPTES PUBLICS DIFFICILEMENT COMPATIBLE AVEC NOS ENGAGEMENTS EUROPÉENS

1. Une réduction du déficit structurel insuffisante

À supposer que la France parvienne à sortir du volet correctif au printemps prochain, elle entrera à compter de l'exercice 2018 dans le volet préventif du pacte de stabilité.

Or les règles de redressement des comptes publics applicables dans le volet préventif ne sont pas moins exigeantes que celles prévues dans le volet correctif.

En particulier, le pacte de stabilité encadre la trajectoire de solde structurel devant conduire à l'atteinte de cet objectif à moyen terme. Une « matrice d'ajustement » 20 ( * ) a été arrêtée d'un commun accord par les États membres afin de moduler, dans le volet préventif du pacte de stabilité, l'ajustement structurel requis selon le niveau d'endettement et l'état de la conjoncture.

Compte tenu du taux d'endettement français et de la conjoncture « normale » anticipée par le Gouvernement sur l'ensemble du quinquennat, la France sera tenue de diminuer chaque année son déficit structurel de 0,6 point de PIB au minimum jusqu'à atteindre son OMT, ainsi que l'a confirmé le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation du 22 mai 2017 21 ( * ) .

Lorsque la Commission européenne et le Conseil de l'Union européenne évaluent si la trajectoire budgétaire d'un État membre connaît une déviation significative par rapport à l'ajustement requis au regard de la règle de déficit structurel, ces derniers examinent si l'écart représente « au moins 0,5 % du PIB sur une année donnée, ou au moins 0,25 % du PIB par an en moyenne sur deux années consécutives » 22 ( * ) .

Avec une réduction du déficit structurel limitée à 0,1 point de PIB potentiel l'an prochain, la France aura ainsi épuisé ses marges de manoeuvres au regard de la règle de déficit structurel dès l'exercice 2018 - au risque de conduire la Commission européenne à ouvrir une procédure pour « déviation significative » à son encontre à l'issue de l'exercice 2019. En effet, l'ajustement structurel prévu en 2019 (0,3 point de PIB potentiel) porterait à 0,4 % du PIB la déviation moyenne sur deux années consécutives, soit un niveau supérieur au maximum autorisé.

Il doit être souligné que la réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement, aussi modeste soit-elle, n'est nullement garantie.

À titre d'illustration, tant l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) que le Fonds monétaire international (FMI) anticipent dans leur « scénario central » pour 2018 une dégradation du déficit structurel de la France , de respectivement 0,3 et 0,4 point de PIB potentiel .

Prévisions d'évolution du solde structurel de la France entre 2017 et 2018

(en % du PIB potentiel)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires, le scénario central de la mission menée par le FMI au titre de l'article IV dont les conclusions ont été publiées en septembre 2017 et le rapport « Études économique de l'OCDE : France 2017 » de l'OCDE paru en septembre 2017)

2. Un dépassement de la norme de dépenses européenne

Un écart par rapport à la trajectoire d'ajustement structurel, même significatif, n'emporte pas nécessairement l'ouverture d'une procédure pour « déviation significative » : la décision résulte d'une « évaluation globale » réalisée par la Commission européenne.

Ainsi que le prévoit l'article 3 du TSCG, cette évaluation globale comprend notamment « une analyse des dépenses, déduction faite des mesures discrétionnaires en matière de recettes ». Cette disposition fait référence à la règle de dépenses européenne , introduite dans le cadre du Six-Pack afin de remédier aux difficultés liées à la mesure de l'ajustement structurel 23 ( * ) .

En vertu de cette règle, les dépenses publiques « pilotables », nettes des mesures nouvelles en recettes 24 ( * ) , ne peuvent excéder un taux de référence fixé à un niveau cohérent avec la trajectoire d'ajustement structurel .

Concrètement, une hausse des dépenses publiques « pilotables » supérieure au taux de référence n'est admise que si elle est financée par une hausse des prélèvements obligatoires, rapprochant ainsi la règle de dépenses européenne de la notion française d'effort structurel .

Comme le relève le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation du 22 mai 2017, « si la France devait finalement parvenir à une correction durable (...) de son déficit », l'ajustement structurel en direction de son objectif budgétaire à moyen terme correspondrait en 2018 à « l'exigence d'un taux de croissance nominale des dépenses publiques nettes ne dépassant pas 1,2 % » 25 ( * ) .

Or, les éléments transmis par le Gouvernement indiquent que la croissance en valeur des dépenses « pilotables » nettes, dont la construction est détaillée dans le tableau ci-après, s'élèvera à 2,2 % en 2018, 1 point au-dessus de l'objectif.

Trajectoire du Gouvernement présentée selon le format propre à la règle de dépenses européenne

(en milliards d'euros)

2017

2018

Dépenses totales

1280,0

1304,7

Charge d'intérêt

40,5

40,7

Formation brute de capital fixe (année t)

76,4

82,1

Formation brute de capital fixe moyenne (années t-3 à t)

77,1

77,7

Variations non-discrétionnaires des prestations chômage

1,2

0,7

Mesures exceptionnelles et temporaires en dépenses

0,2

0,2

Mesures nouvelles en recettes

- 2,1

- 7,1

Évolution des dépenses « pilotables » nettes (en %)

2,2

2,2

Source : réponses du Gouvernement au questionnaire adressé par votre rapporteur général

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que la Commission européenne ait adressé vendredi 27 octobre un courrier au ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire dans lequel elle souligne qu'il existe « un risque de déviation significative vis-à-vis de l'effort requis en 2018 » et demande des éclaircissements sur le projet de budget du Gouvernement.

Si la France pourrait se prévaloir des « clauses de flexibilité » prévues par le pacte de stabilité afin de tenir compte de l'effet positif des réformes structurelles sur la soutenabilité des finances publiques à long terme, les conditions dans lesquelles ces dernières peuvent être invoquées sont particulièrement strictes et ne devraient pas être remplies par la France avant 2020 , ainsi que l'a relevé votre rapporteur général dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

Le Gouvernement semble ainsi compter sur le fait que le Conseil et la Commission européenne adoptent une interprétation particulièrement extensive des règles du pacte de stabilité.


* 20 Commission européenne, « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance », COM(2015) 12 final, 2015.

* 21 Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2017 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour 2017, 12 juin 2017, p. 4.

* 22 Nouvelle rédaction de l'article 6 du règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques.

* 23 De ce point de vue, la règle de dépenses présente deux avantages. D'une part, elle est construite de façon à exclure de l'agrégat les dépenses non pilotables, alors que l'ajustement structurel dépend de nombreux éléments qui échappent au contrôle des gouvernements (ex : variation des élasticités). D'autre part, elle ne dépend pas de l'écart de production - dont la mesure est particulièrement instable et controversée - mais de la croissance potentielle de moyen terme.

* 24 L'agrégat des dépenses publiques retenu correspond aux dépenses publiques totales diminuées de la charge d'intérêt, des dépenses exceptionnelles, des dépenses liées aux programmes de l'Union européenne intégralement couvertes par des fonds européens ainsi que de la composante cyclique des dépenses d'indemnisation du chômage. Les dépenses d'investissement sont lissées sur quatre ans. La prise en compte les mesures discrétionnaires en matière de recettes permet ensuite d'obtenir l'agrégat des dépenses publiques nettes.

* 25 Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2017 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour 2017, 12 juin 2017, p. 4.

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