III. UNE MAÎTRISE DE LA DÉPENSE EN DEMI-TEINTE : UN BUDGET PLUS SINCÈRE, MAIS PEU AMBITIEUX

Les dépenses de l'État devraient atteindre, en 2017, des niveaux largement supérieurs aux plafonds votés en loi de finances initiale , ce qui s'explique principalement par les sous-budgétisations d'ampleur inédite constatées en 2017. L'analyse de la prévision révisée de dépenses pour 2017 fera l'objet de l'exposé général du rapport relatif au projet de loi de finances rectificative de fin de gestion qui devrait être déposé par le Gouvernement dans les prochaines semaines.

En 2018, les dépenses de l'État devraient croître en volume et en valeur par rapport à l'exercice précédent . Si la hausse des dépenses provient partiellement de la correction des sous-budgétisations constatées en 2017, qui induit un rebasage pour 2018, le budget prévisionnel n'en apparaît pas moins marqué par un manque d'ambition sur le quantum et la répartition des économies prévues : en l'absence de réformes de structure, en particulier sur la masse salariale de l'État, l'évolution de la dépense n'est pas réellement infléchie.

La trajectoire présentée dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques repose sur d'importantes économies attendues au titre du processus « Action publique 2022 » . Une telle démarche ne peut être qu'encouragée. Cependant, force est de constater que des méthodes similaires (revue générale des politiques publiques, modernisation de l'action publique, revues de dépenses...) n'ont pas toujours permis d'atteindre les résultats escomptés dans les délais impartis.

A. UN BUDGET 2018 INDÉNIABLEMENT PLUS SINCÈRE QUE LA LOI DE FINANCES INITIALE POUR 2017

1. Un rebasage des sous-budgétisations constatées en 2017 qui explique 95 % de la hausse des crédits des ministères

En 2018, les crédits des ministères progresseraient de 4,4 milliards d'euros pour atteindre 240,5 milliards d'euros .

Évolution des dépenses de l'État sous norme de 2017 à 2022

(en milliards d'euros - axe de gauche et en taux d'évolution - axe de droite)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

Les dépenses totales de l'État connaîtraient une hausse de 7,3 milliards d'euros portée , outre la hausse des crédits des ministères, par un relèvement attendu du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (+ 1,5 milliard d'euros) et le début des décaissements en crédits de paiement au titre du troisième programme d'investissements d'avenir. Au total, les dépenses croîtraient de 0,7 % en volume (c'est-à-dire après correction de l'inflation prévue). Les dépenses « pilotables » (qui excluent notamment la charge de la dette, les prélèvements sur recettes et les dépenses de pension), augmenteraient dans des proportions similaires (+ 0,6 % en volume).

La hausse des crédits des ministères entre loi de finances initiale et le projet de loi de finances pour 2018 résulte pour plus de 95 % de la correction des sous-budgétisations relevées par la commission des finances du Sénat dans son rapport sur le projet de loi de finances initiale publié en décembre 2017 et confirmées par la Cour des comptes dans son audit des finances publiques de juin : les mesures de rebasage représentent ainsi 4,2 milliards d'euros sur une progression totale de 4,4 milliards d'euros.

Plus de la moitié des dépenses qui n'étaient pas budgétées à un niveau adéquat au regard des besoins portaient sur la politique de l'emploi (contrats aidés, prime à l'embauche), le budget des armées (opérations extérieures et intérieures, masse salariale) et la politique de solidarité et de santé publique (en particulier concernant l'allocation aux adultes handicapés et la prime d'activité).

Sous-budgétisations relevées par la Cour des comptes et prises en compte par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2018

(en milliards d'euros)

Mission

Sous-budgétisation

Montant

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

Refus d'apurements communautaires

0,4

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

Crise : influenza aviaire

0,2

Travail et emploi

Prime à l'embauche

0,2

Travail et emploi

Rémunération de fin de formation

0,1

Travail et emploi

Plan de formation

0,4

Travail et emploi

Contrats aidés

0,3

Défense

Opérations extérieures, intérieures et masse salariale

0,7

Solidarités et santé

Allocation aux adultes handicapés (AAH) et prime d'activité

0,7

Enseignement scolaire

Masse salariale de l'éducation nationale

0,4

Immigration, asile et intégration

Allocation pour demandeurs d'asile (ADA)

0,2

Cohésion des territoires

Hébergement d'urgence

0,1

Cohésion des territoires

Aides personnalisées au logement

0

Autres

Service civique, aide médicale d'État...

0,5

Total

4,2

Source : commission des finances du Sénat (à partir du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2019 à 2022)

Des efforts restent à fournir, en particulier concernant le budget de la Défense : la budgétisation initiale des dépenses liées aux opérations extérieures demeure insuffisante.

À cet égard, les plafonds de crédits proposés au vote du Parlement pour 2018 présentent indéniablement moins de biais de construction que le budget présenté, sous la précédente mandature, pour 2017, dont la sincérité contestable avait motivé le refus du Sénat de l'examiner.

2. Une rénovation des outils de pilotage et de suivi de l'exécution qui doit pleinement associer le Parlement

En outre, le Gouvernement annonce une rénovation des outils de pilotage de l'exécution et un renforcement du lien entre budgétisation et analyse de l'exécution passée, conformément au « chaînage vertueux » prévu par la loi organique relative aux lois de finances.

Ainsi, le taux de mise en réserve serait diminué de plus de moitié sur les crédits hors titre 2 , passant de 8 % à 3 % (et serait maintenu à 0,5 % pour les dépenses de personnel). Les montants très élevés atteints sous la précédente mandature par les crédits dits « gelés », c'est-à-dire indisponibles pour les gestionnaires, remettaient en cause le respect de l'autorisation parlementaire des crédits. Le Gouvernement semble donc s'engager à revenir à une pratique plus conforme au principe de l'autorisation parlementaire des dépenses .

Cependant, doit également être soulignée la hausse très marquée des crédits non répartis , dont le montant est multiplié par trois sur la période du triennal avec une augmentation prononcée dès 2018 - au total, le montant de crédits non répartis indiqué pour 2020 est 68 fois supérieur à l'allocation prévue en loi de finances initiale pour 2017 et atteint, avec 1,36 milliard d'euros, un montant équivalent à celui des missions « Santé », « Immigration, asile et intégration » ou encore « Direction de l'action du Gouvernement » .

Ainsi, dans le rapport annexé au présent projet de loi de programmation des finances publiques, le Gouvernement indique vouloir adjoindre à la réserve dite « de précaution », qui correspond aux crédits « gelés », une réserve « de budgétisation » qui aurait vocation à absorber des aléas qui ne sauraient être couverts par la seule application du principe d'auto-assurance 34 ( * ) .

Cette forte hausse d'une enveloppe qui échappe au principe de valeur constitutionnelle de spécialisation des crédits appelle un examen attentif de la part du Parlement .

L'examen parlementaire des crédits nécessitera d'autant plus de vigilance que la montée en charge de la mission portant le troisième programme d'investissement d'avenir et de la nouvelle mission « Action et transformation publiques » (550 millions d'euros prévus en 2020) qui correspond à la création d'un fonds pour la transformation de l'action publique chargé de financer, sur la base d'appels à projet, « les coûts d'investissement nécessaires à la mise en oeuvre de réformes structurelles », augmente encore la part des crédits du budget général dont la destination finale sera inconnue lors du vote du budget .

Le Gouvernement indique également et qu'il serait souhaitable de « renforcer le rôle du Parlement lors de l'examen de la loi de règlement ».

À cet égard, force est de constater que les travaux du Parlement font déjà une large part au suivi de l'exécution , à travers des auditions tout au long de l'année, l'examen par les commissions des finances des deux assemblées des projets de décret d'avance, le suivi de la mise en réserve et les contributions sectorielles associées, pour chaque mission, au rapport relatif au projet de loi de règlement des comptes et d'approbation du budget.

Enfin, « le suivi de l'exécution budgétaire sera renforcé à travers des rendez-vous trimestriels de gestion entre le ministère des comptes publics et les autres ministères ». Il paraîtrait utile que les commissions des finances des deux assemblées soient associées à ce processus permettant de dégager les grandes tendances de l'exécution avant l'examen du projet de loi de règlement des comptes et d'approbation du budget.


* 34 Le principe d'auto-assurance signifie que « les aléas ou les priorités nouvelles affectant les dépenses d'une mission [sont] gérés dans la limite du plafond de ses crédits, soit par redéploiement de dépenses discrétionnaires, soit par la réalisation d'économies complémentaires ». Ce principe a été posé pour la première fois par la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.

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