Rapport n° 96 (2017-2018) de MM. Jacques BIGOT et André REICHARDT , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 17 novembre 2017

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N° 96

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2017

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne de Mme Nathalie GOULET, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, tendant à la création d'un Tribunal pénal international chargé de juger les djihadistes européens ayant servi avec Daesh ,

Par MM. Jacques BIGOT et André REICHARDT,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, M. Claude Haut, Mmes Christine Herzog, Sophie Joissains, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

Voir le numéro :

Sénat :

29 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, notre collègue Nathalie Goulet, dont l'implication dans la lutte contre le terrorisme est ancienne, a présenté, le 17 octobre dernier, une proposition de résolution européenne tendant à la création d'un Tribunal pénal international chargé de juger les djihadistes européens ayant servi avec Daech 1 ( * ) .

Votre commission des affaires européennes dispose d'un délai d'un mois pour l'examiner, avant son envoi à la commission des lois.

Le Tribunal pénal international dont la création est visée par cette proposition de résolution aurait pour objectif , selon son exposé des motifs, de répondre à un double impératif :

- celui de la sécurité : il s'agit de prendre en compte la problématique du retour sur le territoire national des ressortissants européens partis par milliers rejoindre Daech en Syrie et en Irak pour faire le djihad , que l'on qualifie de combattants terroristes étrangers . Ces djihadistes radicalisés et aguerris, à leur retour, représentent une menace certaine pour les sociétés européennes ;

- mais aussi celui de l' État de droit : si les crimes d'une gravité particulière éventuellement commis par ces ressortissants européens sur les territoires syrien et irakien ne doivent pas demeurer impunis, il convient néanmoins que la juridiction qui les jugera respecte pleinement les droits fondamentaux car l'Union européenne est aussi une communauté de valeurs partagées par ses États membres.

Selon l'auteure de la proposition de résolution européenne, les insuffisances des programmes de déradicalisation, la longueur des procédures judiciaires, l'engorgement des tribunaux, les questions de compétence juridictionnelle ou encore les risques connus de radicalisation accélérée en prison justifient la création d'un Tribunal pénal international ad hoc .

LE PHÉNOMÈNE DES COMBATTANTS TERRORISTES ÉTRANGERS, UNE MENACE POUR LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE ET INTERNATONALE

Si le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau, il connaît depuis quelques années une mutation illustrée par la conjonction de trois éléments :

- la radicalisation d'individus ;

- la place croissante que prennent internet et les réseaux sociaux dans la propagation des discours terroristes et l'accélération de cette radicalisation qui favorise le passage à l'acte ;

- le contexte géopolitique marqué par le conflit en Syrie et en Irak et la recrudescence du djihadisme avec l'émergence puis l'affirmation progressive de l'organisation État islamique (Daech en arabe), qui semble toutefois aujourd'hui en fort recul militaire.

Le départ de combattants étrangers pour le djihad n'est certes pas nouveau - des ressortissants étrangers ont pu, par le passé, combattre aux côtés de terroristes locaux sur les théâtres afghan, bosniaque, tchétchène ou malien -, mais l'importance numérique inédite des aspirants djihadistes rejoignant la Syrie ou l'Irak illustre cette mutation du terrorisme .

« Le phénomène des combattants étrangers est devenu une priorité pour la police, les procureurs, les experts de la déradicalisation, les chercheurs, les décideurs, les municipalités, les gouvernements, les organisations internationales et les groupes de réflexion », note justement un rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), intitulé Les combattants étrangers en Syrie et en Irak 2 ( * ) , qui présente ce phénomène, qualifié de « complexe, multidimensionnel et en rapide évolution ». Aux termes de la résolution de l'APCE 3 ( * ) , adoptée sur la base de ce rapport, ce phénomène « constitue une menace majeure et croissante pour la sécurité nationale et internationale » : « Outre les menaces directes à la sécurité que représentent notamment les attentats terroristes perpétrés par les combattants de retour dans leur pays, il y a le risque que ces combattants cherchent, à la fois lorsqu'ils sont à l'étranger et après leur retour, à élargir le soutien à leur cause et à étendre les réseaux de terroristes radicaux en recrutant de nouveaux adeptes, en glorifiant les actes terroristes ainsi qu'en partageant leur expérience avec de nouvelles recrues, et en leur assurant une formation aux méthodes terroristes ».

Le rapport de l'APCE rappelle également que ce phénomène a dès lors conduit à l'adoption, à l'unanimité, le 24 septembre 2014, de la résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité de l'ONU . Celle-ci se place dans une perspective de lutte contre le terrorisme. En effet, elle se réfère aux combattants terroristes étrangers qu'elle définit - avec toutes les limites et réserves que comporte cet exercice en l'absence d'une définition unanimement acceptée du terrorisme - comme « des individus qui se rendent dans un État autre que leur État de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d'organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d'y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l'occasion d'un conflit armé ».

De son côté, le Sénat a constitué une commission d'enquête pour étudier ces filières djihadistes 4 ( * ) , à l'initiative de Nathalie Goulet qui, dès le 4 juin 2014, soit plus de six mois avant les attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher de janvier 2015, avait déposé, avec ses collègues du groupe UDI-UC, une proposition de résolution à l'origine de cette commission d'enquête 5 ( * ) .

Selon un récent rapport d'Europol 6 ( * ) , environ 5 000 personnes sont recensées dans l'Union européenne comme étant impliquées dans le djihad . Plusieurs États membres sont particulièrement touchés par ce phénomène, tels que la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, l'Espagne, la Belgique ou encore l'Allemagne, mais, comme le relevait le rapport de la commission d'enquête précitée, « la France a le triste privilège d'alimenter le contingent européen le plus nombreux ».

Selon des chiffres fournis à vos rapporteurs par le ministère de l'intérieur, les ressortissants français seraient encore aujourd'hui plus de 1 000 sur place , dont 500 mineurs de moins de 15 ans, sur les 1 700 partis rejoindre les zones djihadistes irako-syriennes depuis 2014. Le ministère de la justice, reprenant des informations de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) au 28 septembre dernier, avance un chiffre, quelque peu inférieur, de 1 225 ressortissants français ayant séjourné en zone irako-syrienne depuis 2012. Selon la même source, cependant, « le tarissement des arrivées sur zone se confirme depuis la fin de l'année 2015 : 35 arrivées ont été constatées en 2016 et seulement 2 en 2017 ». À ce jour , les services spécialisés dénombrent 689 individus de nationalité française ou résidant en France présents en zone irako-syrienne . Parmi eux, 295 femmes et 28 mineurs de plus de 15 ans sont recensés. Enfin, 278 ressortissants français sont présumés morts sur zone et 244 étaient revenus sur le territoire national après avoir séjourné en zone irako-syrienne . Ce chiffre a été repris par M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, le 26 octobre dernier, en réponse à une question d'actualité sur le retour des djihadistes de notre collègue Nathalie Goulet.

Le ministère de l'intérieur a également précisé à vos rapporteurs que 18 500 personnes seraient par ailleurs inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), dont environ 11 300 seraient prises en compte par le ministère.

Toujours selon le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, « les Français présents sur place sont très déterminés et participent activement aux combats comme aux exactions. Les nouvelles recrues recevraient une formation au maniement des armes et des explosifs ou à la prise d'otages. Daech redoutant les infiltrations, les ressortissants occidentaux devraient par ailleurs satisfaire à une sorte d'examen de passage, qui peut prendre la forme d'une participation à une mise à mort. De véritables filières ont été organisées, aboutissant à la constitution de katibas francophones, dont les combattants prennent part aux exactions perpétrées contre la population syrienne ainsi qu'aux décapitations mises en scène par Daech ».

Comme le note également ce rapport, « les djihadistes étrangers de retour dans leur pays d'origine, radicalisés et entraînés par les forces de Daech, présentent une dangerosité élevée et constituent une menace réelle pour les États concernés ».

L'UNION EUROPÉENNE ET LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

C'est en 2005 que l'Union européenne s'est dotée d'une stratégie visant à lutter contre le terrorisme à l'échelle mondiale, tout en respectant les droits de l'Homme, et rendre l'Europe plus sûre, en permettant à ses citoyens de vivre dans un climat de liberté, de sécurité et de justice, adoptée par le Conseil des 15 et 16 décembre 2005, sous Présidence britannique.

Cette stratégie globale, révisée en 2008 puis en 2014, repose sur quatre piliers : prévention, protection, poursuite et réaction .

L'article 67.3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet à celle-ci de prendre des mesures de prévention du terrorisme, de coordination et de coopération entre les autorités policières et judiciaires nationales. Son article 83.1 lui permet d'établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions en matière de terrorisme. Enfin, son article 88.1 confère à Europol une mission d'appui aux États membres dans la prévention du terrorisme et la lutte contre ce dernier.

La multiplication d'attentats terroristes meurtriers dans les États membres, et la persistance de la menace terroriste, illustrée par de nombreuses tentatives d'attentats déjouées, ont fait de la lutte contre le terrorisme une priorité absolue pour l'Union européenne et ses États membres .

Ainsi, au lendemain des attentats perpétrés à Paris en janvier 2015, les chefs d'État et de gouvernement, au cours d'une réunion informelle tenue à Bruxelles, le 12 février 2015 , à l'initiative de la France, se sont mis d'accord sur une déclaration qui oriente les travaux européens en la matière . Dans cette déclaration, ils ont demandé que des mesures spécifiques soient prises, essentiellement dans trois domaines d'action : assurer la sécurité des citoyens ; prévenir la radicalisation et protéger les valeurs ; coopérer avec les partenaires à l'échelon international .

Après les attentats du 13 novembre 2015 dans la capitale, une réunion extraordinaire du Conseil JAI, le 20 novembre, a permis l'adoption de conclusions :

- d'une part, sur la lutte contre le terrorisme, autour de six axes : données PNR 7 ( * ) , armes à feu, renforcement des contrôles aux frontières extérieures, échange d'informations, financement du terrorisme, réponse pénale au terrorisme et à l'extrémisme violent ;

- d'autre part, sur le renforcement de la réponse pénale à la radicalisation conduisant au terrorisme et à l'extrémisme violent.

De nombreuses réunions du Conseil européen et du Conseil JAI ont été l'occasion de réaffirmer la priorité que constitue la lutte contre le terrorisme et d'adopter des mesures à mettre en oeuvre. L'avancée de ces différents dossiers fait l'objet de rapports d'étape régulièrement présentés au Conseil par le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, M. Gilles de Kerchove.

Au total, l'action de l'Union européenne et de ses États membres dans ce domaine revêt de multiples dimensions et porte sur de nombreuses actions .

Plusieurs travaux ont déjà été conclus au niveau européen : la lutte contre le trafic des armes à feu, la finalisation de la directive PNR, l'adoption de la directive relative à la lutte contre le terrorisme, qui définit notamment de nouvelles infractions liées aux activités terroristes, ou encore celle de la directive sur les sanctions pénales relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux.

D'autres dossiers font l'objet de négociations en cours, tels que la justice pénale dans le cyberespace ou la lutte contre le financement du terrorisme.

Sur la question des combattants terroristes étrangers , sujet figurant régulièrement à l'ordre du jour du Conseil européen et du Conseil depuis le début 2013, l'Union européenne a mis au point une réponse globale comprenant des actions tant internes qu'externes : renforcement des règles visant à prévenir de nouvelles formes de terrorisme, renforcement des vérifications aux frontières extérieures, amélioration du contrôle des armes à feu, création d'un organisme spécialisé destiné à enrayer la propagande terroriste en ligne, lutte contre la radicalisation, avec le lancement d'un réseau de sensibilisation à la radicalisation (RAN), etc. C'est dans le cadre de ce dernier qu'a été organisée, le 19 juin 2017, une conférence sur le retour des combattants terroristes étrangers.

Le Conseil a adopté, en mars 2017, de nouvelles dispositions qui doivent contribuer à prévenir les attentats terroristes. La nouvelle directive 8 ( * ) érige en infraction pénale :

- le fait de voyager à l'intérieur, à l'extérieur ou à destination de l'Union européenne à des fins de terrorisme, par exemple pour participer aux activités d'un groupe terroriste ou commettre un attentat terroriste ;

- l'organisation et la facilitation de tels voyages, y compris par un soutien logistique ou matériel, par exemple l'achat de billets ou la planification d'itinéraires ;

- le fait de dispenser ou de recevoir un entraînement à des fins de terrorisme, par exemple pour la fabrication ou l'utilisation d'explosifs, d'armes à feu ou de substances nocives ou dangereuses, qui va de pair avec la disposition existante relative au fait de dispenser un tel entraînement en connaissance de cause ;

- le fait de fournir ou réunir des fonds avec l'intention que ces fonds soient utilisés ou en sachant qu'ils seront utilisés pour commettre des infractions terroristes ou des infractions liées à un groupe terroriste ou à des activités terroristes.

Par ailleurs, M. de Kerchove communique régulièrement des informations au Conseil sur la question des combattants étrangers et de leur retour au pays. En mars 2017, il a participé à une conférence internationale, à Malte, pour discuter de la menace que représentent les combattants terroristes étrangers à leur retour. Il s'entretient également avec de hauts fonctionnaires de l'ensemble des États membres et de pays d'Afrique du Nord, en insistant sur la nécessité de développer les échanges d'informations pour répondre à la menace que représentent les combattants de retour au pays.

Enfin, Europol a mis en place en son sein, depuis le 1 er janvier 2016, le Centre européen de lutte contre le terrorisme , qui consiste en une plateforme permettant aux États membres de renforcer l'échange d'informations et la coopération opérationnelle, y compris sur la surveillance des combattants terroristes étrangers et les enquêtes afférentes. On notera d'ailleurs que le terrorisme figure en première place sur la liste des formes de criminalité portant atteinte à un intérêt européen commun, pour lesquelles Europol, aux termes de son nouveau mandat, « appuie et renforce l'action des autorités compétentes des États membres et leur collaboration mutuelle » 9 ( * ) .

LES TRAVAUX DU SÉNAT SUR LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME AU NIVEAU EUROPÉEN

Le Sénat a travaillé, à plusieurs reprises, sur la lutte contre le terrorisme et ses différents aspects.

En premier lieu, peu après les attentats terroristes ayant touché plusieurs États membres, dont la France, avec l'assassinat de la rédaction de Charlie-Hebdo, une déclaration conjointe rappelant les principes fondamentaux et les actions prioritaires en matière de lutte contre le terrorisme au niveau européen a été adoptée, le 30 mars 2015 , au cours d'une réunion tenue au Sénat avec les représentants des assemblées de plusieurs États européens 10 ( * ) , à l'initiative du Président Gérard Larcher et de Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.

En outre, à l'initiative de sa commission des affaires européennes, le Sénat a adopté plusieurs résolutions européennes portant sur la lutte contre le terrorisme.

Parmi celles-ci, il convient en particulier de citer :

- la résolution européenne n° 88 (2014-2015) du 1 er avril 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne ;

- la résolution européenne n° 124 (2015-2016) du 9 avril 2016 sur l'Union européenne et la lutte contre le terrorisme.

D'autres résolutions européennes portent sur des sujets connexes à la lutte contre le terrorisme, telles que la résolution n° 78 (2014-2015) du 15 mars 2015 sur la proposition de directive relative à la création d'un PNR européen ou encore la résolution n° 63 (2016-2017) du 24 janvier 2017 sur la réforme d'Europol et la coopération policière européenne.

Il faut se féliciter de ce que ces résolutions européennes ont été largement prises en compte au cours des négociations à Bruxelles , comme l'avaient relevé les deux rapports consacrés par votre commission des affaires européennes au suivi des positions européennes du Sénat.

LES SUITES DONNÉES AUX RÉSOLUTIONS EUROPÉENNES DU SÉNAT
RELATIVES AU TERRORISME

Rapport 2016 11 ( * ) (extraits)

La résolution du Sénat relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne a connu une mise en oeuvre partielle. Cette situation était relativement prévisible compte tenu à la fois de l'ampleur des thèmes abordés et des sensibilités différentes, voire divergentes qui peuvent s'exprimer sur un sujet aussi sensible tant dans les États membres qu'au sein des institutions européennes.

L'essentiel reste toutefois de constater que le Sénat a obtenu des avancées sur plusieurs points importants qu'il avait mis en évidence dans sa résolution. C'est le cas de sa demande de révision ciblée du code frontières Schengen de manière à autoriser de façon permanente, sur le fondement d'indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres, des contrôles approfondis systématiques de ressortissants des pays membres de l'espace Schengen en tant que de besoin. Un plan d'action en ce sens a été engagé en décembre 2015. Des décisions ont également été prises pour lutter contre le trafic d'armes, avec l'adoption d'un règlement sur la neutralisation des armes à feu, en novembre 2015, et contre les sources de financement du terrorisme, avec un plan d'action en février 2016 pour progresser vers l'adoption de la proposition de directive relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme qui actualise la législation existante. Sur le renforcement de la coopération policière et judiciaire, la résolution sénatoriale a aussi enregistré des progrès. La création d'un nouveau centre européen de contre-terrorisme, annoncée le 25 janvier dernier, concrétise l'accélération demandée de la mise en place, au sein d'Europol, d'une plate-forme européenne de lutte contre le terrorisme, permet de mieux exploiter les capacités d'Europol et conduit les services nationaux des États membres à fournir plus systématiquement les informations nécessaires. De même, il sera possible au centre européen de lutte contre la cybercriminalité, qui dépend d'Europol, d'inscrire dans ses priorités, au même titre que la lutte contre la diffusion d'images et de vidéos pédopornographiques, la lutte contre la diffusion de la propagande et du prosélytisme terroristes. Ce centre verra aussi ses compétences étendues pour porter des contenus terroristes ou extrémistes à la connaissance des réseaux sociaux aux fins de suppression. Par ailleurs, l'adoption, désormais prévue en avril 2016, de la proposition de directive concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union, a été accélérée. Enfin, la stratégie de sécurité intérieure 2015-2020 de l'Union européenne a été adoptée et comporte des dispositions relatives à la sensibilisation de l'ensemble des acteurs européens au phénomène de radicalisation.

D'autres aspects de cette résolution du Sénat ont connu une mise en oeuvre partielle. On peut ainsi citer, sur la définition des infractions terroristes, la mise en place d'un cadre juridique européen facilitant la surveillance, les poursuites et les mises en cause des « combattants étrangers », et sur la révision du code Schengen et le contrôle des frontières extérieures, l'instauration de contrôles approfondis quasi systématiques de ressortissants de pays membres de l'espace Schengen lorsqu'ils entrent et sortent de cet espace et le perfectionnement de dispositifs d'identification des personnes tels que le système d'information Schengen (SIS II) et l'uniformisation de son utilisation par les États membres.

En revanche, certains aspects de la résolution n'ont pas prospéré, au moins jusqu'à présent. Sur la révision du code Schengen, la définition d'une politique européenne des visas, limitée pour l'instant au court séjour et au transit, n'a pas évolué vers la prise en compte d'indicateurs de risque liés à la menace terroriste. Pour ce qui concerne le renforcement de la coopération policière et judiciaire, le souhait du Sénat d'un recours accru avec une participation effective de représentants d'Europol et d'Eurojust aux équipes communes d'enquête pour lutter contre le terrorisme, pourtant prévues par une décision-cadre de 2002, n'a pas été suivi d'effet. Il en est de même de la mise en place rapide d'un parquet européen collégial et décentralisé dont les compétences seraient étendues à la criminalité grave transfrontière - le texte reste en discussion, aucun compromis n'ayant pour le moment été trouvé. Enfin, sur le renforcement de la coopération internationale, le Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 sur la crise migratoire a à peine mentionné la lutte contre le terrorisme international comme devant constituer une priorité de l'action extérieure de l'Union européenne et de son Service européen pour l'action extérieure, alors que le Sénat avait insisté sur la construction d'un partenariat global avec les acteurs régionaux des parties du monde les plus sensibles et d'un dialogue à même de combiner les impératifs de sécurité et de développement pour réduire la menace terroriste sur la durée.

Rapport 2017 12 ( * ) (extraits)

Sur la lutte contre le terrorisme, la résolution du Sénat faisait le point sur les avancées de l'action de l'Union européenne en la matière, en cherchant, en particulier, à répondre aux attentes exprimées par sa résolution de l'année précédente qui avait insisté sur le renforcement de l'espace Schengen, la création d'un PNR européen, l'institution d'un parquet européen susceptible d'être utilisé dans la lutte contre le terrorisme, le renforcement de la coopération policière européenne, notamment à travers Europol, et enfin la lutte contre la propagande terroriste sur Internet.

Dans sa résolution, le Sénat relevait plus particulièrement les points suivants :

- l'adoption définitive de la proposition de directive relative à l'utilisation des données des dossiers passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, c'est-à-dire la directive « PNR » ;

- l'adoption définitive du règlement définissant des normes minimales communes en matière de neutralisation des armes à feu, la mise en discussion de la proposition de directive modifiant la directive de 1991 relative au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes, le plan d'action annoncé par la Commission le 18 novembre 2015 afin d'améliorer la coopération opérationnelle au niveau de l'Union et avec des pays tiers en vue d'accroître l'efficacité de la lutte contre le marché noir des armes et des explosifs ;

- le plan d'action annoncé par la Commission, le 12 février 2016, visant notamment, en ce qui concerne la lutte contre les sources de financement du terrorisme, à contrôler les plateformes de change de monnaie virtuelle sur Internet, à mettre fin à l'anonymat pour les cartes prépayées et à mettre en place une coopération plus efficace entre les cellules de renseignement financier ; la mise en discussion de deux propositions législatives annoncées par le plan précité visant, d'une part, à harmoniser la définition des infractions en matière de blanchiment et, d'autre part, à mieux surveiller les mouvements d'espèces ;

- l'adoption définitive, au mois de mai 2016, pour une entrée en application au printemps 2017, du règlement renforçant le mandat d'Europol en facilitant, notamment, la création d'unités spécialisées permettant de réagir sans délai aux menaces émergentes dans le domaine du terrorisme tout en augmentant les garanties en matière de protection des données et du contrôle parlementaire ;

- la création, le 25 janvier 2016, d'un nouveau centre européen de contre-terrorisme permettant d'améliorer le partage de renseignements pour mieux traquer les financements terroristes, mais également mieux surveiller les activités de l'État islamique et d'autres groupes terroristes sur Internet et sur les réseaux sociaux ;

- enfin, s'agissant de la lutte contre la radicalisation, l'adoption, le 7 juin 2016, par le Conseil, d'une stratégie renouvelée de sécurité intérieure pour l'Union européenne sur la période 2015-2020.

Sur un sujet aussi sensible et vaste que la lutte contre le terrorisme, ce bilan est donc globalement positif.

M. Harlem Désir, au cours de son audition, a indiqué que « le Conseil européen de décembre a fixé sur ces dossiers des objectifs clairs. Un accord est attendu d'ici juin 2017 sur le système d'entrée et de sortie et, d'ici la fin de l'année 2017, sur le système ETIAS. Outre le contrôle des frontières, vous insistiez sur la nécessité pour l'Union européenne de renforcer la coopération policière et judiciaire et la coopération en matière de renseignement, notamment par le biais d'Europol et d'Eurojust. Sur ce plan également des progrès ont été faits. En décembre 2016, le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord sur la proposition de directive visant à renforcer le cadre juridique de l'Union pour la prévention des actes terroristes. Il s'agit notamment d'ériger en infraction certains actes comme l'entraînement au terrorisme ou l'organisation et la participation à des voyages à des fins de terrorisme. Le droit français traite ces cas, mais dans d'autres pays cela reste à organiser. C'est indispensable, afin que les personnes revenant des zones de combat soient traitées sur le plan judiciaire. [...] La stratégie renouvelée de sécurité intérieure pour l'Union pour la période 2015-2020, que vous souteniez dans votre résolution, permet de tirer un bilan régulier des actions menées en matière de lutte contre le terrorisme et de sécurité intérieure ». Cependant, comme l'a indiqué le secrétaire d'État lui-même, « beaucoup reste à faire. En juin prochain, la Commission devrait ainsi formuler des propositions pour renforcer nos systèmes d'information afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme sur Internet ».

Sur la définition des combattants étrangers, M. Harlem Désir a expliqué qu' « il s'agit d'incriminer les voyages en lien avec des activités terroristes. Les personnes visées sont celles qui se rendent sur les lieux de conflit, sont enrôlées dans les rangs de l'État islamique ou d'autres groupes terroristes et reviennent ensuite en Europe pour agir à des fins criminelles. Nous discutons avec nos partenaires pour élaborer une définition commune. Les points de vue sont pour le moment un peu divergents ; nous souhaitons inclure les activités de recrutement, l'incitation publique et l'apologie du terrorisme, c'est-à-dire établir des critères larges, tout en veillant au respect de toutes les garanties de droit - nous sommes un État de droit, et tout doit se faire sous le contrôle des juges. Le terrorisme est intrinsèquement difficile à définir. Il existe un accord international et des plans d'action de lutte contre le terrorisme, mais jamais l'ONU, par exemple, n'a donné de définition du terrorisme. Qui entre dans cette catégorie ? En Europe, nous disposons, via les listes d'organisations terroristes, de définitions harmonisées. L'inscription d'une organisation sur une de ces listes entraîne un certain nombre de conséquences : nous n'entretenons aucune relation avec elle, nous participons à la combattre, nous saisissons ses avoirs, nous pourchassons ses membres identifiés. Mais définir le terrorisme, en droit, est extrêmement compliqué. Le Parlement français a eu à travailler sur ces sujets à plusieurs reprises ; il est a fortiori difficile de mener un tel travail à 28, mais nous sommes déterminés et confiants sur notre capacité à y parvenir ».

Enfin, le Sénat, à travers ses commissions permanentes et ses structures temporaires, a conduit des travaux sur plusieurs aspects touchant au phénomène terroriste. Il est ainsi possible de mentionner, outre le rapport précité de la commission d'enquête sur les réseaux djihadistes, celui de la commission d'enquête sur Schengen 13 ( * ) ou celui de la commission des lois sur le désendoctrinement, le désembrigadement et la réinsertion des djihadistes 14 ( * ) .

LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

La proposition de résolution européenne soumise à l'examen de votre commission des affaires européennes par notre collègue Nathalie Goulet tend à la création d'un Tribunal pénal international chargé de juger les djihadistes européens ayant servi avec Daech , en raison du caractère particulièrement grave des crimes que ces combattants terroristes étrangers auraient pu commettre en Syrie et en Irak.

Naturellement, certaines personnes peuvent être impliquées dans le conflit en Syrie et en Irak sans être à l'origine d'actions violentes. Comme le notait le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur les filières djihadistes, « l'ensemble des comportements djihadistes ne relèvent pas d'une incrimination pénale ou ne permettent pas de rapporter une preuve recevable dans le cadre d'une procédure judiciaire ».

Il convient de relever le caractère inédit de la proposition de Mme Nathalie Goulet, qui ne figure ni dans les différents textes adoptés par les institutions européennes sur la lutte contre le terrorisme, ni parmi les travaux du Sénat en la matière, ni dans les propositions du Gouvernement.

Pour juger les djihadistes auteurs de tels crimes, trois principales solutions seraient possibles :

- les juridictions nationales : c'est le cas actuellement en France ;

- les juridictions pénales internationales, c'est-à-dire, pour l'essentiel, la Cour pénale internationale ( cf . infra ) ;

- un tribunal ad hoc , comme le propose notre collègue Nathalie Goulet.

Il existe d'ailleurs des précédents, pour les conflits en ex-Yougoslavie et le génocide rwandais ( cf . infra ). De même, des juridictions spéciales ont été mises en place par un accord entre les autorités nationales de l'État dans lequel les crimes ont été commis et les Nations Unies, par exemple pour la Sierra Leone et le Liban. Enfin, il existe aussi des mécanismes juridictionnels hybrides institués au sein des systèmes judiciaires nationaux, où siègent à la fois des juges nationaux et des juges internationaux : ce fut, par exemple, le cas pour les crimes commis au Timor oriental, au Cambodge ou en Bosnie-Herzégovine. Ce système, néanmoins, requiert l'accord des autorités de l'État concerné.

LA RÉPONSE PÉNALE FRANÇAISE AU RETOUR DES DJIHADISTES

En France, le dispositif judiciaire antiterroriste se caractérise par des juridictions spécialisées , et non par une justice d'exception. Il a permis, selon le rapport de la commission d'enquête relative aux filières djihadistes, « de réprimer avec efficacité les auteurs d'infractions terroristes ».

La réponse judiciaire française repose sur l' association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste , définie, depuis une loi de juillet 1996, par l' article 421-2-1 du code pénal comme « le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme ». Cette disposition est rédigée de façon suffisamment large pour viser aussi bien les départs vers un théâtre d'opérations terroristes que les agissements des combattants terroristes revenus sur le territoire national, mais aussi ceux des recruteurs et des facilitateurs. Elle permet d'incriminer la simple appartenance à une organisation terroriste déterminée, dès lors que l'individu affilié connaissait les objectifs de cette organisation et y a adhéré volontairement.

L'INFRACTION DE MALFAITEUR TERRORISTE ET SA RÉPRESSION

L'infraction de malfaiteur terroriste revêt une nature délictuelle ou criminelle selon le comportement incriminé et se trouve réprimée de la manière suivante :

- participation à une association de malfaiteurs terroriste (délit) : 10 ans d'emprisonnement ;

- participation à une association de malfaiteurs terroriste ayant pour objet la préparation de crimes d'atteintes aux personnes ou des destructions par substances explosives ou incendiaires susceptibles d'entraîner la mort (crime) : 30 ans de réclusion criminelle (20 ans avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 2016) ;

- direction ou organisation d'une association de malfaiteurs terroriste (crime) : 30 ans de réclusion criminelle (20 ans avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 2016) ;

- direction ou organisation d'une association de malfaiteurs terroriste ayant pour objet la préparation de crimes d'atteintes aux personnes ou des destructions par substances explosives ou incendiaires susceptibles d'entraîner la mort (crime) : réclusion criminelle à perpétuité (30 ans avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 2016).

Comme le relève le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, « notre dispositif judiciaire antiterroriste se caractérise par une centralisation parisienne et une spécialisation des magistrats pour la répression des infractions terroristes ». Ainsi, « en pratique, le parquet de Paris se saisit de l'ensemble des cas de départs d'individus sur des théâtres d'opérations de groupements terroristes sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Selon les informations de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, dont le directeur, M. Rémy Heitz, a été auditionné par vos rapporteurs, les moyens humains affectés à la section C1 du parquet de Paris, spécialisée dans la lutte contre le terrorisme, ont été accrus depuis les attentats de 2015 et 2016, avec treize magistrats, alors qu'elle n'en comptait que cinq quelques années auparavant. Par ailleurs, le pôle antiterroriste de l'instruction comprend onze magistrats instructeurs et deux juges d'application des peines ont une compétence exclusive pour le suivi des condamnés terroristes.

Lors de son audition, M. Rémy Heitz a également fourni à vos rapporteurs les chiffres relatifs au contentieux dit des filières irako-syriennes , c'est-à-dire les procédures ouvertes pour association de malfaiteurs terroriste visée comme infraction unique ou principale (incluant les affaires mettant en cause des individus qui n'ont pas réussi à rejoindre la zone irako-syrienne), ainsi que ceux portant plus particulièrement sur les individus de retour en France.

LES CHIFFRES DE LA JUDICIARISATION DES FILIÈRES IRAKO-SYRIENNES

Depuis 2012, la section C1 a procédé à 626 saisines liées au contentieux djihadiste Syrie-Irak, dont :

- 456 dossiers en cours (231 enquêtes préliminaires et 225 informations judiciaires) ;

- 170 dossiers clôturés (86 jugements ou dossiers en attente de jugement, 59 supplétifs ou jonctions, 25 classements sans suite).

Au total, ce sont 1 448 individus qui  font ou ont fait l'objet d'enquêtes judiciaires , dont :

- 395 mis en examen (257 placés en détention provisoire, 138 placés sous contrôle judiciaire) ;

- 790 visés par des enquêtes en cours ;

- 263 jugés ou visés dans des informations judiciaires clôturées (56 en attente d'un jugement et 207 jugés).

S'agissant plus précisément des chiffres concernant des individus de retour de zone irako-syrienne , à la date du 7 novembre 2017, les services de renseignement recensent au total 244 individus majeurs rentrés sur le territoire national après avoir séjourné en zone irako-syrienne, dont 178 hommes et 66 femmes.

Parmi eux, 174 sont judiciarisés en ce sens qu'ils font actuellement l'objet de poursuites judiciaires (mis en examen ou en attente de jugement) ou ont été condamnés du chef de participation à une association de malfaiteurs terroriste, dont :

- 141 sont écroués sous le régime de la détention provisoire ou en exécution de peine après condamnation ;

- 33 font l'objet d'un suivi judiciaire en milieu ouvert (contrôle judiciaire ou aménagement de peine) susceptible d'être révoqué par l'autorité judiciaire en cas de manquement ou font l'objet d'un mandat d'arrêt.

À noter que, sur ce total de 174 individus majeurs faisant l'objet d'un traitement judiciaire, 6 étaient mineurs au moment des faits et relèvent de ce fait des juridictions pénales pour mineurs.

Les individus majeurs restants, n'ayant pas encore fait l'objet de poursuites judiciaires (retours anciens), font l'objet d'un suivi par les services de renseignement ou sont ciblés par un service de police judiciaire en vue de leur interpellation et leur présentation à l'autorité judiciaire.

Enfin, 58 très jeunes mineurs se trouvent actuellement sur le territoire national après un séjour sur zone et sont donc concernés, ou ont vocation à être concernés, par le dispositif de prise en charge civile des mineurs de retour de zone irako-syrienne en application des circulaires des 23 et 24 mars 2017.

Source : Ministère de la justice (direction des affaires criminelles et des grâces).

Par ailleurs, l'article 421-2-6 du code pénal, introduit par la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, permet l'incrimination des actions individuelles de terrorisme et s'applique à tous les comportements terroristes individuels s'inscrivant dans un projet d'action violente déjà suffisamment établi, y compris à l'étranger 15 ( * ) .

Enfin, le ministère de la justice a indiqué à vos rapporteurs que la politique pénale française s'appliquait également :

- aux femmes : « La place grandissante qui leur est affectée par les organisations terroristes et le niveau d'endoctrinement que ces dernières sont susceptibles de présenter ont conduit le parquet de Paris à leur appliquer la même politique pénale que pour les hommes. Ainsi, sauf à démontrer l'existence d'un élément de contrainte, les femmes parties sur zone sont systématiquement judiciarisées » à leur retour ;

- et aux mineurs : « Le niveau de dangerosité qu'ils sont susceptibles de représenter à leur retour sur notre territoire nécessite que le traitement pénal des actes qui peut leur être reprochés s'articule avec une prise en charge éducative et psychologique particulièrement adaptée. Ces mineurs font l'objet, comme leurs parents, de placement en garde-à-vue (ou en retenue pour les mineurs de 10 à 13 ans), à leur arrivée sur le territoire national. À l'issue de la mesure de contrainte, pour le cas où des poursuites pénales seraient engagées, le procureur de la République doit examiner parallèlement l'opportunité de saisir le juge des enfants d'une requête en assistance éducative. Dans leur grande majorité, les enfants de djihadistes - exposés dès leur plus jeune âge à des scènes de violence extrême et à une altération de la perception du fonctionnement social - présentent un niveau de traumatisme et de fragilité psychologique qui invite à la plus grande précaution quant à la nature de l'orientation judiciaire qu'il convient de retenir à leur égard » 16 ( * ) .

M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, en réponse à une question d'actualité de notre collègue Nathalie Goulet sur le retour des djihadistes, le 26 octobre dernier, a résumé cette politique : « Le traitement judiciaire est systématique, retenant une qualification de nature criminelle. Le procureur de la République de Paris a la charge de cette question. Depuis 2015, le placement en garde en vue est systématique pour les femmes, les hommes et les quelques mineurs combattants. Après la garde à vue, le juge des libertés et de la détention peut décider d'une incarcération. Actuellement, plus de 130 sont en prison. Quant aux autres, ceux en liberté, ils font tous l'objet d'un suivi administratif par la DGSI ou d'un suivi socio-judiciaire ».

Au total, le dispositif judiciaire français permet de juger les combattants terroristes étrangers de nationalité française de retour des théâtres d'opération.

Mais il permet aussi, du fait de la compétence universelle pour ce type d'incriminations, de juger les auteurs de crimes contre l'humanité et de génocide.

LES LIMITES DE LA COOPÉRATION JUDICIARE EUROPÉENNE

Comme il a été dit plus haut ( cf . le II. supra ), l'Union européenne est, depuis de nombreuses années, un acteur important de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme , avec une accélération au cours des dernières années du fait de la multiplication d'attentats terroristes et de tentatives d'attentats.

Le mandat d'arrêt européen, le traité de Prüm, la création d'Eurojust, les différentes stratégies européennes, la nomination d'un coordonnateur européen, la coopération policière à travers Europol, les équipes communes d'enquête, etc. constituent autant d'illustrations de ces actions européennes concertées.

Pour autant, l' insuffisance de la coopération européenne en la matière est aujourd'hui largement admise. Comme le note le rapport de la commission d'enquête sur les filières djihadistes, « la coopération effective entre les États membres sur [la lutte contre le terrorisme] reste soumise à la bonne volonté des gouvernements. En particulier, la coopération en matière de renseignement, aspect essentiel de cette lutte, reste en grande partie en dehors du champ communautaire ». Il poursuit : « Les services de renseignement ont une tendance naturelle à préférer les coopérations bilatérales ou dans des instances ad hoc dont ils maîtrisent le format et les modalités de travail ».

Sur Eurojust, le même rapport relève que cette agence « repose sur une approche intergouvernementale, ce qui laisse les décisions de transferts d'informations judiciaires à la discrétion des États » et que « l'accès d'Eurojust aux fichiers d'analyse d'Europol reste très parcellaire et inégal de même que la coopération entre Eurojust et les bureaux de liaison nationaux d'Europol ».

Ce constat avait également été dressé par les résolutions européennes susmentionnées du Sénat sur la lutte contre le terrorisme.

Certains progrès ont toutefois été réalisés depuis lors.

Ainsi, il convient de noter une augmentation très conséquente, en 2016, des diffusions de mandats d'arrêt européens par la France via les canaux de coopération policière en matière terroriste, avec 145 mandats d'arrêt européens émis, contre 45 en 2014 et 25 en 2015.

De même, Eurojust a introduit de nouveaux outils ou renforcé les outils existant permettant d'améliorer la coopération judiciaire en la matière. Ainsi, depuis 2014, les cas de recours à Eurojust dans les procédures terroristes ont été multipliés par cinq, qu'il s'agisse de la mise en place d'équipes communes d'enquêtes, de soutien à l'exécution des demandes d'entraide et de mandats d'arrêt européen ou d'analyse d'informations. Eurojust a également mis en place un réseau informel de correspondants en matière de terrorisme qui se réunit annuellement. Cette plateforme permet l'échange de bonnes pratiques entre professionnels.

Par ailleurs, le ministère de la justice a initié, dans le cadre d'un appel à projet de la Commission européenne, un projet, dit JUPITTER 17 ( * ) , visant à développer des relations directes entre les magistrats chargés de la lutte antiterroriste des pays de l'Union européenne les plus touchés par la problématique des combattants terroristes étrangers, soit, outre la France, l'Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, l'Espagne et les Pays-Bas. Il prévoit des programmes d'échanges de magistrats spécialisés dans la lutte anti-terroriste.

Enfin, il existe des groupes de travail bilatéraux dédiés à la lutte contre le terrorisme tels que les groupes de travail franco-américain, franco-espagnol ou encore franco-allemand.

LES JURIDICTIONS PÉNALES INTERNATIONALES

La proposition de résolution européenne tendrait à créer une nouvelle juridiction pénale internationale.

Après les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo institués pour juger les crimes commis au cours de la Seconde Guerre mondiale, il existe actuellement trois juridictions pénales internationales :

1) le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) : créé en 1993 par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies 18 ( * ) , le TPIY est une juridiction ad hoc ayant pour mission de juger les personnes accusées d'avoir commis les crimes les plus graves sur le territoire de l'ex-Yougoslavie entre 1991 et 2001. Sa compétence est limitée aux conflits balkaniques. Seuls certains crimes relèvent de sa compétence : infractions graves aux conventions de Genève de 1949, crimes de guerre, génocide et crimes contre l'humanité. Son siège est situé à La Haye, aux Pays-Bas. Les actes d'accusation délivrés par le Tribunal portent sur des crimes commis contre des membres de différentes communautés ethniques en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, en Serbie, au Kosovo et en Macédoine. Son mandat est en voie d'achèvement ;

2) le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) : constituant lui aussi une juridiction ad hoc , le TPIR a été créé par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies en 1994 19 ( * ) . Son siège se situe à Arusha, en Tanzanie. Sa compétence est également limitée à un conflit spécifique - le conflit rwandais - sur une période donnée - l'année 1994. Le TPIR a ainsi vocation à juger les personnes accusées de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda ou sur le territoire d'États voisins lorsque les violations ont été commises par un ressortissant rwandais. Seuls certains crimes entrent dans sa compétence : génocide, crimes contre l'humanité et violations de l'article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 et du protocole additionnel II auxdites conventions. Son mandat est également en voie d'achèvement ;

3) la Cour pénale internationale (CPI) : créée par le Statut de Rome du 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1 er juillet 2002 après avoir été ratifié par soixante États, la CPI est la première juridiction pénale internationale siégeant de façon permanente, à La Haye, et aussi la seule à avoir une vocation universelle . Elle est composée de dix-huit juges rassemblés dans trois chambres, d'un bureau du procureur et d'un greffe. L'une des spécificités de la CPI est sa complémentarité avec les juridictions pénales nationales : la CPI n'intervient pas si une procédure a été mise en oeuvre, de bonne foi, au niveau national. Le principe de subsidiarité prévaut en la matière. La Cour est compétente uniquement envers les personnes qui ont commis les crimes les plus graves ayant une portée internationale - les États sont donc exclus : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crime d'agression. Sa compétence est également limitée dans le temps et dans l'espace : elle ne peut juger, d'une part, que des crimes énumérés ci-dessus commis après l'entrée en vigueur du Statut de Rome, et, d'autre part, que des crimes commis sur le territoire d'un État partie au Statut ou commis par un ressortissant d'un État partie (ou également un État qui n'est pas partie au Statut, mais qui a accepté la compétence de la CPI). Toutefois, la compétence n'a pas besoin d'être acceptée lorsque le Conseil de sécurité de l'ONU porte l'affaire devant la CPI. L'affaire peut également être portée par un État partie ou faire l'objet d'une enquête à l'initiative du procureur.

JUGER LES COMBATTANTS TERRORISTES ÉTRANGERS DEVANT LES JURIDICTIONS PÉNALES INTERNATIONALES : EST-CE POSSIBLE ? EST-CE OPPORTUN ?

Il est indispensable que, compte tenu de la gravité des crimes commis en Syrie et en Irak par Daech et les individus qui s'en réclament, leurs auteurs ne restent pas impunis.

Pour autant, il n'est pas certain que cet objectif soit atteint grâce à l'institution d'une juridiction pénale internationale spécifique ni par le recours à la Cour pénale internationale.

DES CRIMES PARTICULIÈREMENT GRAVES, DONT CERTAINS SERAIENT CONSTITUTIFS DE CRIMES DE GUERRE, DE CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ ET DE GÉNOCIDE

Les trois juridictions pénales internationales existantes jugent les mêmes catégories de crimes, essentiellement violations du droit humanitaire international, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide .

Or, il existe aujourd'hui une convergence d'opinions pour considérer que certains des crimes commis par les individus qui agissent avec ou pour Daech relèvent de cette catégorie de crimes.

Ainsi, dans sa résolution 2091 (2016) précitée sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) relevait que les « individus [agissant au nom de Daech] ont commis des actes de génocide et d'autres crimes graves réprimés par le droit international » et ajoutait : « Il importe que les États agissent en vertu de la présomption que Daech commet un génocide et qu'ils aient conscience du fait que cette situation impose d'agir au titre de la convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 ».

Dans sa résolution 2190 (2017) du 12 octobre 2017 intitulée Poursuivre et punir les crimes contre l'humanité voire l'éventuel génocide commis par Daech , l'APCE réitère sa position en la documentant davantage : cette position politique traduit « les évaluations réalisées par les experts d'éminents mécanismes internationaux comme la commission d'enquête internationale indépendante des Nations Unies sur la République arabe syrienne, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme et la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités ».

Cette résolution dresse la longue liste des crimes de Daech : massacres et meurtres isolés, préjudices corporels ou psychologiques graves, torture, traitements dégradants et inhumains, viols, esclavage et abus sexuels, travail forcé, endoctrinement terroriste, formation d'enfants à l'attentat-suicide à la bombe, malnutrition, refus de soins, utilisation de « boucliers humains », destruction systématique de lieux de culte, pillages de maisons, etc. Elle note que « ces actes ont été commis par Daech avec l'intention de détruire en tout ou partie les groupes minoritaires yézidis, chrétiens et non sunnites » et que « Daech a fait de nombreuses déclarations politiques et de doctrine visant notamment la destruction des minorités yézidies, chrétiennes et musulmanes non sunnites en tant que groupes ainsi que des déclarations d'intention en vue de commettre des actes génocides précis contre ces minorités, avant et pendant la commission de ces actes ». Aussi le rapport afférent à cette résolution 20 ( * ) considère-t-il que « les atrocités perpétrées par Daech satisfont à la définition du génocide donnée à l'article II de la convention de 1948 contre le génocide » 21 ( * ) .

Quant au Parlement européen, dans une résolution du 4 février 2016 22 ( * ) , il a condamné « une fois de plus vigoureusement le soi-disant groupe "EIIL/Daech" et ses violations caractérisées des droits de l'Homme, qui équivalent à des crimes contre l'humanité et à des crimes de guerre en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale ».

La position des autorités françaises est proche. Ainsi, en réponse à une question écrite 23 ( * ) , le ministère des affaires étrangères et du développement international indiquait, le 30 avril 2015, que Daech « est engagée dans une tentative d'éradication ethnique et religieuse, comme l'illustre l'exode des chrétiens d'Orient, dont la présence millénaire sur ces terres est remise en cause ». De même, en réponse à une question orale au Sénat 24 ( * ) , le 13 mai 2015, le Gouvernement, présentant son action en faveur de la protection des chrétiens d'Orient, a indiqué qu'il avait proposé l'élaboration par les Nations Unies d'une charte d'action comprenant quatre volets, dont « la lutte contre l'impunité pour les auteurs des crimes, dont certains sont constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité ».

Dans une résolution du 6 décembre 2016 25 ( * ) , adoptée sur le fondement de l'article 34-1 de la Constitution à l'initiative de notre collègue Bruno Retailleau, le Sénat a considéré que les crimes commis en Syrie et en Irak, en particulier par Daech, « relèvent des incriminations prévues de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide » et que « des ressortissants français engagés auprès de ces organisations terroristes et criminelles se rendent coupables de ces crimes ». Deux jours plus tard, l'Assemblée nationale, à son tour, a considéré que « les violences et les crimes commis par l'État Islamique en Syrie et en Irak à l'encontre des populations chrétiennes, yézidies et d'autres minorités réunissent les critères de la définition du génocide » et que « des ressortissants Français sont engagés aux côtés de l'État Islamique pour commettre de telles violences et de tels crimes » 26 ( * ) .

Les États-Unis ont adopté des positions similaires.

Néanmoins, comme on l'a vu, les tribunaux français, comme les juridictions des autres États membres de l'Union européenne, du fait de la compétence universelle, sont en mesure de juger ce type de crimes.

Du reste, la justice irakienne, très désireuse de juger les combattants terroristes étrangers présents en Irak et qui ont été ou seront faits prisonniers par les autorités du pays, ne se situe pas sur le terrain du crime contre l'humanité ou du génocide, mais sur celui de la participation à un groupement terroriste.

L'intérêt de créer une juridiction pénale internationale ad hoc , ou de saisir la Cour pénale internationale, pour juger les auteurs de tels crimes est donc très limité, voire inexistant.

De toute façon, le contexte international rend cette voie quasiment impossible à emprunter.

L'IMPOSSIBILITÉ, DANS LE CONTEXTE ACTUEL, DE SAISIR LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Compte tenu de la nature des crimes commis par Daech en Syrie et en Irak, la Cour pénale internationale - pour s'en tenir à cette hypothèse - pourrait-elle être compétente pour juger leurs auteurs ? Dans le contexte international actuel, rien n'est moins sûr.

La CPI peut exercer sa compétence si le crime allégué a été commis sur le territoire d'un État partie ou par l'un de ses ressortissants, ou par le ressortissant d'un État ayant accepté la compétence de la Cour pour le crime en question. Dans le cas contraire, la CPI est compétente si le Conseil de sécurité des Nations Unies défère la situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis au procureur. Le procureur peut décider d'ouvrir une enquête sur les crimes commis par les ressortissants d'un État partie au Statut de Rome ou qui a accepté la compétence de la Cour.

Toutefois, chacune de ces trois voies d'accès à la CPI soulève des difficultés potentiellement dirimantes :

- ni la Syrie ni l'Irak ne sont parties au Statut de Rome et n'ont accepté la compétence de la Cour. Celle-ci ne peut donc pas exercer de compétence territoriale pour tous les crimes pertinents commis dans ces pays ;

- en mai 2014, la France a présenté un projet de résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies visant à déférer la situation en Syrie à la CPI, mais ce texte, pourtant soutenu par plus de soixante États, s'est vu opposer le veto de la Russie et de la Chine. Aucune tentative de déférer la situation en Syrie et en Irak à la CPI n'a été faite depuis lors ;

- en avril 2015, la procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda, a considéré que, bien que la Cour ne jouisse pas d'une compétence territoriale sur ces crimes, elle pouvait néanmoins enquêter sur les auteurs supposés de ces actes qui sont ressortissants d'un État partie au Statut de Rome. En effet, de nombreux combattants étrangers, dont des milliers de ressortissants européens, ont rejoint Daech et bon nombre d'entre eux ont pris part, à divers degrés, à la commission de crimes réprimés par le droit international. Cet élément pourrait conduire ces personnes à relever de la compétence de la CPI à titre individuel, même si les crimes qu'elles ont commis n'ont pas eu lieu sur le territoire d'un État relevant de sa compétence. Toutefois, la procureure a aussitôt fait observer que Daech est avant tout dirigée par des ressortissants irakiens et syriens, de sorte que les perspectives d'enquête et de poursuites à l'encontre des dirigeants les plus responsables semblent limitées. Elle concluait donc que, au stade actuel, le fondement juridique nécessaire pour procéder à un examen préliminaire était trop étroit. Elle soulignait également qu' il incombait en premier lieu aux autorités nationales d'enquêter sur les crimes commis à grande échelle et de poursuivre leurs auteurs, en application du principe de subsidiarité qui régit la justice pénale internationale .

En résumé :

1°) les combattants terroristes étrangers, dès lorsqu'ils sont ressortissants d'États parties au Statut de Rome, pourraient, du point de vue de la compétence personnelle, relever de la juridiction de la CPI ;

2°) en revanche, du point de vue de la compétence matérielle de la CPI, les actes de terrorisme ne relèvent pas de la catégorie des crimes internationaux, comme le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, plus particulièrement encore s'ils sont commis en temps de paix et s'ils ne remplissent pas les critères constitutifs de la qualification de crime contre l'humanité aux termes du Statut de Rome. Il convient d'ajouter que l'extension de la compétence de la CPI aux crimes terroristes nécessiterait une définition internationale unanimement reconnue du terrorisme 27 ( * ) qui soit reprise par le Statut de Rome. Or, cet exercice, maintes fois entamé, n'a, jusqu'à présent, jamais abouti. La conférence de Rome elle-même a spécifiquement écarté l'inclusion du crime de terrorisme dans ce statut, décision réaffirmée en 2010 ;

3°) enfin, le Statut de Rome précise qu'une affaire n'est recevable, entre autres éléments, que si l'État ayant compétence n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de juger lui-même, ce qui n'est pas le cas des États de l'Union européenne.

Par ailleurs, les délais de jugement de la CPI sont excessivement longs, compris entre six et dix ans.

Enfin, un dernier élément porte sur la question de l'incarcération des djihadistes de retour dans le pays européen dont ils sont ressortissants, qui est évoquée dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution européenne. Il convient en effet de préciser que, même en cas de jugement prononcé par une juridiction pénale internationale, l'incarcération demeure nationale . Autrement dit, des djihadistes de nationalité française condamnés par une juridiction internationale purgeraient leur peine dans une prison française. Cela ne règle d'ailleurs en rien la question, bien réelle, que soulève aussi à juste titre l'exposé des motifs, de la gestion de la radicalisation de certains détenus dans les prisons.

Ainsi, si l'objectif poursuivi par la proposition de résolution européenne soumise à votre commission des affaires européennes est parfaitement légitime, son caractère opérationnel se heurte à plusieurs objections :

- le système judiciaire français fonctionne bien pour juger les combattants terroristes étrangers de retour en France ;

- le principe de subsidiarité s'applique à la justice pénale internationale ;

- la criminalisation des crimes contre l'humanité et du génocide relève d'une compétence universelle qui permet aux tribunaux d'agir. Pour autant, elle n'est pas la plus efficace. À cet égard, le ministère de la justice a rappelé à vos rapporteurs les propos que le procureur de la République de Paris avait tenus dans son discours à la Cour de cassation, à l'occasion d'un colloque consacré au jugement des crimes contre l'humanité 28 ( * ) : « Retenir la qualification terroriste permet de recourir aux techniques spéciales d'enquête qui présentent un intérêt majeur en terme d'efficacité des investigations. La qualification de crimes contre l'humanité ne le permet pas. [...] En réalité, la qualification de crimes contre l'humanité ne pallierait aucunement à une lacune dans les incriminations ni ne comblerait un vide juridique » ;

- l'institution d'une telle juridiction ou la compétence de la Cour pénale internationale ne serait pas une solution aux problèmes de l'incarcération des djihadistes éventuellement condamnés.

Dès lors, vos rapporteurs sont d'avis de ne pas adopter cette proposition de résolution européenne.

Néanmoins, et compte tenu de l'importance du traitement judiciaire des combattants terroristes étrangers que soulève notre collègue Nathalie Goulet, vos rapporteurs souhaitent insister sur les avancées qui pourraient être attendues de l'extension à la lutte contre le terrorisme des compétences du parquet européen, comme le Sénat l'avait d'ailleurs déjà envisagée .

Certes, la directive précitée du 15 mars 2017 a réaffirmé la compétence des États membres en matière de lutte contre le terrorisme.

Néanmoins, l'article 86.4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aménage la possibilité pour le Conseil européen, si l'unanimité est obtenue, d'adopter une décision visant à « étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière », pouvant ainsi inclure notamment les crimes terroristes.

Du reste, lors de la réunion du Conseil JAI du 12 octobre 2017, au cours de laquelle les vingt États membres qui ont accepté de s'engager dans la voie d'une coopération renforcée ont officiellement adopté le règlement créant le Parquet européen, la Garde des Sceaux, ministre de la justice, Mme Nicole Belloubet, a évoqué la « réelle importance de la perspective d'une telle extension du champ de compétence du Parquet européen ». Ces propos prolongeaient ceux du Président de la République dans son discours sur l'Europe, à la Sorbonne, le 26 septembre dernier.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie, le jeudi 16 novembre 2017, pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. André Reichardt, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-Yves Leconte . - Je partage les conclusions des rapporteurs. La perspective ouverte par cette proposition de résolution européenne est différente du contexte dans lequel avaient été institués les tribunaux pénaux internationaux actuels. Il s'agit aujourd'hui de prévenir plus que de réprimer, et je pense en particulier à la situation des mineurs. Face au retour des djihadistes français, notre dispositif conjugue réponse judiciaire et prévention. Par ailleurs, il me semble que la reconstruction de l'Irak requiert que ses tribunaux soient compétents pour juger les djihadistes. Nous devons faire confiance aux autorités irakiennes et leur accorder éventuellement notre assistance. De même, la création d'une juridiction d'exception serait un obstacle au renforcement de la coopération européenne entre les systèmes judiciaires nationaux. Enfin, la meilleure application des principes fondamentaux du droit passe en France par la coopération entre le procureur et le préfet de Paris actuellement pratiquée.

M. André Gattolin . - Je félicite les rapporteurs et approuve leurs conclusions. Je rappelle qu'il n'existe pas de définition internationale du terrorisme et que ce concept fait souvent l'objet d'une instrumentalisation, comme on a pu le voir avec la Chine qui a cherché à faire des Ouïgours des terroristes alors qu'ils veulent seulement échapper à l'oppression de Pékin. Le véritable problème aujourd'hui, c'est celui du manque de coopération effective entre les services de police et les systèmes judiciaires. Il convient donc de mieux coopérer au niveau européen.

M. Pierre Ouzoulias . - J'ai été vivement impressionné par la qualité de l'analyse des rapporteurs sur un sujet aussi complexe. J'approuve également leur démarche qui consiste à privilégier la réflexion juridique dans un contexte marqué par l'émotion. Je partage donc leurs conclusions. Je rappelle que la France poursuit depuis longtemps les criminels de guerre. Je donnerai l'exemple du mercenaire Bob Denard, qui était également recherché par la justice italienne, mais qui n'a pu être jugé avant sa mort. Il me semble en effet que les crimes commis en Syrie et en Irak vont au-delà des crimes de guerre. Il sera néanmoins indispensable de rassembler les preuves pour démêler l'écheveau des responsabilités dans ce conflit, ce qui sera très difficile pour la justice.

M. Benoît Huré . - Je félicite les rapporteurs pour la qualité et la clarté de leurs conclusions. Il serait, selon moi, préjudiciable d'envoyer un mauvais signal consistant à retirer aux tribunaux nationaux leur compétence pour juger les djihadistes. Cela serait également le cas pour les pays aujourd'hui en guerre auxquels nous ne devons pas donner l'impression de manquer de considération pour leurs tribunaux. En revanche, nous devons appeler l'attention des pouvoirs publics français pour qu'ils ne soient pas dépassés par le phénomène des djihadistes de retour, comme ils ont pu l'être dans le passé, par exemple sur la question des mineurs non accompagnés qui ont été confiés aux départements sans moyens spécifiques dédiés.

Mme Fabienne Keller . - Je salue la qualité du travail des rapporteurs. Je suis surprise que la Cour pénale internationale ne puisse juger les crimes terroristes. Nous sommes confrontés au retour, notamment de mineurs qui ont vécu la guerre et ses horreurs, et je voulais dès lors savoir ce qu'il en était de leur suivi sur la durée. Nous devrions aussi nous intéresser sur la place du Royaume-Uni dans la lutte contre le terrorisme, une fois qu'elle aura quitté l'Union européenne. Je propose que la commission puisse réentendre M. Gilles de Kerchove pour faire un bilan des actions européennes entreprises et tracer des perspectives.

Mme Colette Mélot . - Je salue le travail des rapporteurs. Mme Goulet a eu le mérite d'appeler notre attention sur un sujet important qui nous a permis d'avoir un débat de fond. Le retour des djihadistes évoque aussi des situations individuelles souvent dramatiques et traumatisantes. Enfin, je considère que des progrès sont nécessaires en matière de coordination européenne.

M. André Reichardt . - Je voudrais d'abord apporter une précision importante : Nathalie Goulet n'avait pas pour intention, avec cette proposition de résolution européenne, de retirer aux tribunaux nationaux la possibilité de juger des djihadistes. Elle souhaitait que l'ensemble des djihadistes de retour, et pas seulement les français, puissent rendre compte de leurs actes devant la justice, et que la juridiction internationale qu'elle propose d'instituer ait son siège sur le théâtre des opérations de manière à ce que les djihadistes y soient jugés et y purgent leur peine. Or, sur ce dernier point, même en cas de jugement rendu par un tribunal international, l'incarcération serait nationale.

La commission d'enquête du Sénat sur les réseaux djihadistes avait rapporté les grandes difficultés auxquelles notre système pénitentiaire est confronté face à cette problématique et avait proposé un encellulement individuel des djihadistes, mais je crains que la mise en oeuvre de cette recommandation ne soit guère effective. L'incompétence de la Cour pénale internationale pour juger le terrorisme tient à l'absence de définition du terrorisme faisant l'objet d'un consensus international. Enfin, le groupe Union centriste du Sénat aurait obtenu, au titre de son droit de tirage, la création d'une structure temporaire relative au suivi des returnees et il est nécessaire que notre commission soit bien représentée en son sein.

M. Pierre Ouzoulias . - Plus de 2 000 monnaies anciennes, dont 21 dinars en or venus d'Espagne et du Maroc, viennent d'être découvertes à l'Abbaye de Cluny, ce qui prouve les interactions entre les différents espaces. Au sein de cette abbaye a longtemps siégé Pierre le Vénérable qui a été le premier à traduire le Coran en latin !

M. Jean Bizet , président . - Je tiens à rappeler que notre commission travaille depuis longtemps sur ces problématiques. Je suis favorable à ce qu'elle auditionne de nouveau M. de Kerchove. Enfin, je note que la commission suit la position des rapporteurs de ne pas adopter cette proposition de résolution européenne.

*

À l'issue de ce débat, la commission conclut à l'unanimité au rejet de la proposition de résolution européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE REJETÉE

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les résolutions européennes du Sénat n° 88 (2014-2015) relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne du 1 er avril 2015 et n° 124 (2015-2016) sur l'Union européenne et la lutte contre le terrorisme du 9 avril 2016,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en particulier son chapitre VI relatif à la justice,

Vu la résolution législative du Parlement européen du 16 février 2017 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme,

Vu la directive (UE) 2017/541 du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil,

Salue les résultats obtenus jusqu'à présent au niveau de l'Union européenne et des États membres dans la lutte antiterroriste, en particulier grâce aux réformes de l'espace Schengen, à l'adoption du nouveau mandat d'Europol et à la création d'un Centre européen de lutte contre le terrorisme au sein de cette agence,

Réitère son appel à une coopération plus étroite entre les services de renseignement des États membres, qui ont par ailleurs réalisé une évaluation fiable du nombre des combattants terroristes étrangers se rendant à l'étranger, en particulier en Syrie et en Irak, à des fins de terrorisme,

Souligne avec force que ces combattants terroristes étrangers, à leur retour, représentent une menace accrue pour la sécurité dans tous les États membres et au niveau européen,

Demande en conséquence que l'Union européenne prenne une initiative en vue d'instituer une juridiction pénale internationale chargée de juger, dans le respect des droits fondamentaux, les combattants terroristes étrangers ayant pris part aux opérations en Syrie ou en Irak, ou ailleurs dans le monde,

Recommande que la création d'une telle juridiction pénale internationale soit précédée d'une mission de configuration réunissant des organisations internationales et les institutions et agences compétentes de l'Union européenne et les États membres,

Invite le Gouvernement à défendre et faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.


* 1 Texte n° 29 (2017-2018).

* 2 Rapport du 8 janvier 2016 établi par M. Dirk Van der Maelen (Belgique - SOC), au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie de l'APCE (document 13937).

* 3 Résolution 2091 (2016) du 27 janvier 2016.

* 4 Rapport intitulé Filières « djihadistes » : pour une réponse globale et sans faiblesse (n° 388 ; 2014-2015) du 1 er avril 2015, établi au nom de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, par M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur, Mme Nathalie Goulet et M. André Reichardt étant co-présidents.

* 5 Proposition de résolution n° 578 (2013-2014).

* 6 Terrorism situation and trend report 2017, Europol.

* 7 Passenger Name Record .

* 8 Directive (UE) 2017/541 du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil.

* 9 Article 3.1 du règlement (UE) 2016/794 du 11 mai 2016 relatif à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol).

* 10 Allemagne, Espagne, France, Lettonie et Danemark.

* 11 Rapport intitulé Comment le Sénat influe sur l'élaboration des textes européens (n° 441 ; 2015-2016), du 4 mars 2016, établi par M. Jean Bizet.

* 12 Rapport intitulé Négociations européennes : le Sénat vigilant et écouté (n° 365 ; 2016-2017), du 2 février 2017, établi par M. Jean Bizet.

* 13 Rapport (n° 484 ; 2016-2017), intitulé Circuler en sécurité en Europe : renforcer Schengen , établi par M. François-Noël Buffet, au nom de la commission d'enquête sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l'avenir de l'espace Schengen.

* 14 Rapport (n° 633 ; 2016-2017), intitulé Les politiques de « déradicalisation » en France : changer de paradigme , établi par Mmes Esther Benbassa et Catherine Troendlé, au nom de la commission des lois.

* 15 Sur le fondement de l'article 113-6 du code pénal.

* 16 C'est pourquoi des circulaires du 23 et du 24 mars 2017 ont institué une prise en charge des mineurs à leur retour de zone irako-syrienne.

* 17 JUdges Prosecutors Involved in Tackling TERrorism .

* 18 Résolution 827 du 25 mai 1993.

* 19 Résolution 955 du 8 novembre 1994.

* 20 Rapport du 22 septembre 2017, établi par M. Pieter Omtzigt (Pays-Bas - PPE/DC) au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'APCE (document 14402).

* 21 Article II de la convention de 1948 : « Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ».

* 22 Résolution sur le massacre systématique des minorités religieuses par le soi-disant groupe "EIIL/Daech".

* 23 Question écrite n° 15500 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam du 26 mars 2015.

* 24 Question orale n° 1069 S de M. Gilbert Roger du 12 mars 2015.

* 25 Résolution (n° 30 ; 2016-2017) invitant le Gouvernement à utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak.

* 26 Résolution (texte adopté n° 853 ; XIV e législature) invitant le Gouvernement à saisir le Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies en vue de reconnaître le génocide perpétré par Daech contre les populations chrétiennes, yézidies et d'autres minorités religieuses en Syrie et en Irak et de donner compétence à la Cour pénale internationale en vue de poursuivre les criminels.

* 27 Il existe néanmoins une définition européenne des infractions terroristes, qui avait été arrêtée par la décision-cadre 2002/475/JAI du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme, remplacée par la directive 2017/541 précitée.

* 28 Colloque intitulé 70 ans après Nuremberg. Juger le crime contre l'humanité , 30 septembre 2016.

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