TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITIONS

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Mme Agnès Buzyn,
ministre des solidarités et de la santé
et M. Gérald Darmanin,
ministre de l'action et des comptes publics

Réunie le 17 octobre 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé et M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics.

M. Alain Milon , président . - Je suis heureux d'accueillir ce matin Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé et M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics pour la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018.

Avant d'examiner ce PLFSS, notre commission donnera un avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 qui définit la trajectoire des finances sociales pour les cinq ans à venir et traduit d'ores et déjà les principaux choix du quinquennat en matière de prélèvements obligatoires et de dépenses.

Ce PLFSS pour 2018 est le premier de la législature. Il est marqué par des mesures en recettes - hausse de la contribution sociale généralisée (CSG), transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), suppression ou allègements de cotisations - qui modifient en profondeur la structure du financement de la sécurité sociale et, au-delà, de la protection sociale. En 2018 et 2019, ce sont ainsi plus de quarante milliards d'euros de recettes, deux points de PIB, qui sont « déplacés » par le projet de loi de financement.

Ces transferts de recettes marquent des choix forts : faire contribuer les retraités, concentrer plus encore les allègements sur les bas salaires, financer l'assurance chômage par l'impôt. Nous aurons l'occasion d'y revenir. Le projet de loi traduit également l'engagement présidentiel de la suppression du régime social des indépendants (RSI).

En dépenses, nous notons une certaine continuité des choix par rapport au précédent gouvernement. C'est le cas en matière de politique familiale, avec une accentuation des objectifs de lutte contre la pauvreté, mais aussi pour l'assurance maladie, avec la poursuite et l'accentuation du plan d'économies sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et le déport de dépenses vers d'autres acteurs.

C'est également le cas en matière de retraites, où l'on dégrade à nouveau le solde du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) en le privant de recettes sans prendre de mesures plus structurelles. Sur ce point, le Gouvernement a annoncé une réforme importante.

Cependant, un fait nouveau nous alerte : si nous sommes habitués aux transferts entre branches et entre entités de la sphère sociale, au profit notamment de l'assurance maladie, de nouvelles relations s'instaurent entre l'État et la sécurité sociale avec le retour des mesures non compensées, décidées de surcroît en loi de finances, comme c'est le cas pour la taxe sur les salaires. C'est donc un PLFSS riche en mesures d'importance qui nous est soumis.

J'ai surtout abordé le volet financier. Notre rapporteur, Catherine Deroche, traitera du volet santé mais je voudrais ajouter que j'apprécie particulièrement les mesures fortes concernant la vaccination et le prix du tabac.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé . - Je suis très heureuse de présenter devant votre commission le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale de cette mandature. Ce PLFSS est un texte dense, qui fait des choix et qui porte une orientation politique forte.

Le texte a quatre dimensions. C'est d'abord le PLFSS des engagements tenus, sur le pouvoir d'achat ; l'aide aux entreprises et aux entrepreneurs, l'adossement du RSI au régime général, la priorité forte donnée à la prévention et l'attention portée à ceux de nos concitoyens qui sont dans les situations les plus difficiles et les plus vulnérables.

Si le projet de loi permet de tenir les engagements pris devant les Français, c'est parce qu'il est un PLFSSS de responsabilité. En tant que ministre en charge des solidarités, je suis particulièrement attentive, et vous l'êtes aussi, à l'équilibre des comptes, parce qu'il conditionne la confiance de nos concitoyens, à moyen et long terme, dans notre système de protection sociale. Le déficit de la sécurité sociale - régime général et FSV - devrait s'établir en 2017 à 5,2 milliards d'euros, en amélioration de 2,6 milliards par rapport à 2016. En 2018, ce déficit sera de 2,2 milliards d'euros, soit une nouvelle amélioration de 3 milliards d'euros. C'est le déficit le plus faible depuis 2001. Nous sommes donc clairement sur la trajectoire du retour à l'équilibre à l'horizon 2020, conformément à l'engagement pris par le Premier ministre dans son discours de politique générale.

C'est aussi un PLFSS de la solidarité : nous avons fait des choix, mais ces choix privilégient les personnes, les familles les plus en difficulté, pour lesquelles la solidarité nationale doit jouer en priorité.

Le PLFSS revalorise le minimum vieillesse. Le Président de la République s'est engagé à le revaloriser de 100 euros pendant le quinquennat. Cela commencera avec une augmentation de 30 euros le 1 er avril prochain, puis de 35 euros en 2019, et de 35 euros en 2020. Nous harmoniserons la date des revalorisations des avantages vieillesse au 1 er janvier, en avançant celle du minimum vieillesse de trois mois et en reculant celle des pensions de trois mois.

Cette mesure représente un moindre gain temporaire pour les pensionnés mais elle doit être mise en regard de l'effort de solidarité très important que représente la revalorisation du minimum vieillesse, un effort sur moins de trois ans de plus de 500 millions d'euros.

Je veux également mieux répondre aux besoins des personnes âgées en perte d'autonomie. Ce PLFSS crée 4 500 places d'hébergement permanent en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), 1 500 places d'accueil de jour ou d'hébergement temporaire. Nous renforçons l'encadrement en soins des Ehpad, avec 100 millions d'euros de crédits consacrés à cet objectif. Nous aiderons au déploiement d'infirmières de nuit pour une meilleure évaluation et une meilleure prise en charge des difficultés des personnes âgées pendant la nuit et éviter des hospitalisations inutiles. Cette forme d'organisation, adaptée, a fait ses preuves.

En matière de politique familiale, le PLFSS traduit ma priorité aux familles qui ont le plus de difficultés et en particulier aux familles monoparentales. Telles sont les orientations de la politique familiale que j'ai exposée au conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) début septembre : augmenter et améliorer les solutions de garde des jeunes enfants ; créer une véritable politique de soutien à la parentalité, qui fait parfois défaut ; soutenir les familles fragiles, notamment monoparentales, et permettre aux femmes de travailler quelle que soit leur situation ; lutter contre la pauvreté des enfants, et nous lançons aujourd'hui avec le Président de la République une concertation nationale pour aboutir en mars 2018 à un plan d'ensemble de lutte contre la précarité des enfants et des jeunes.

Plusieurs dispositions du PLFSS augmenteront les prestations à destination des familles les plus fragiles. Les familles nombreuses les plus pauvres bénéficieront de la hausse du complément familial majoré au 1 er avril 2018, une augmentation de 17 euros par mois qui concernera 450 000 familles. Le montant de l'allocation de soutien familial sera revalorisé, au 1 er avril également, pour 750 000 familles monoparentales. Le montant maximum de l'aide à la garde d'enfants pour les parents qui recourent à un assistant maternel, une garde à domicile ou une micro-crèche augmentera de 30 %. Ainsi, un parent avec un enfant, qui perçoit 2 000 euros de revenus et qui emploie directement une assistante maternelle, percevra jusqu'à 138 euros de plus par mois pour payer la garde de son enfant.

Nous faisons évoluer le montant du barème et le montant de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Ce faisant nous dégageons des marges d'action pour satisfaire aux besoins prioritaires, nous redonnons une cohérence dans l'articulation de ces deux prestations qui assurent la continuité de la prise en charge des enfants, et nous mettons fin au gel depuis près de cinq ans de la prime de naissance.

Cette mesure d'harmonisation du montant et du barème de la Paje ne sera appliquée qu'au flux des bénéficiaires, pour les enfants nés à compter du 1 er avril 2018, elle ne touchera pas les bénéficiaires actuels.

C'est enfin un PLFSS de transformation. L'ambition de réforme concerne d'abord le champ de la protection sociale. Le 1 er janvier 2018, le RSI sera adossé au régime général. C'est l'une des réformes les plus importantes depuis la création de la Sécurité sociale en 1945, nous nous donnons le temps nécessaire pour la mener : une période de deux ans sera ouverte pour faire évoluer les organisations et mener le dialogue social avec les représentants des caisses. Nous avons dit aux personnels du RSI et à celui des organismes conventionnés gérant l'assurance maladie des travailleurs indépendants toute l'attention que nous portons à cette mutation, qui ne doit pas les pénaliser. La dimension sociale du projet est l'objet de toutes nos attentions.

L'ambition de transformation concerne également le champ de la santé. Je construis une stratégie nationale de santé. J'indiquerai en décembre les choix retenus, qui seront le cadre d'un plan national et de plans régionaux de santé, au printemps.

Cette stratégie privilégie quatre priorités : la prévention, l'égal accès aux soins, l'innovation et la pertinence et la qualité des soins. La promotion de la prévention est centrale dans ma politique. Ce PLFSS comporte deux mesures très fortes et emblématiques avec un impact financier et je souhaite que le Sénat soutienne ces orientations. Je veux rendre obligatoires pour les jeunes enfants onze vaccins - obligatoires ou recommandés actuellement dans le calendrier vaccinal. De sept à huit enfants sur dix les reçoivent déjà : ce n'est donc pas un bouleversement des habitudes. Ce taux est toutefois insuffisant pour éviter des épidémies. Je souhaite atteindre le taux de neuf enfants vaccinés sur dix pour éviter des épidémies, des handicaps ou des décès inutiles chez les enfants.

Ce PLFSS porte aussi une hausse importante des prix du tabac, sur trois ans, avec une hausse d'un euro par paquet dès le 1 er mars 2018. Le tabagisme, première cause de mortalité évitable en France, cause près de 80 000 morts par an, des souffrances pour les familles et des vies abrégées. Je remercie vivement M. Darmanin pour le dialogue noué avec son ministère -c'est suffisamment rare et inhabituel- pour progresser vers cet objectif majeur de santé publique. Nous accompagnerons cette hausse par la prévention, avec un deuxième programme national de réduction du tabagisme (PNRT) en mars. Nous lutterons également contre les marchés parallèles.

L'égalité d'accès aux soins comporte une double dimension, sociale et territoriale. Le PLFSS ne comporte pas directement de dispositions relatives au « reste à charge zéro » mais j'ai proposé de reporter la mise en oeuvre du règlement arbitral dans le domaine dentaire afin de rouvrir un espace de négociation avec les professionnels. La négociation qui s'est ouverte doit prendre en compte l'objectif du zéro reste à charge pour des soins indispensables. Ce chantier couvre aussi l'optique et les audioprothèses et je ferai connaître très rapidement le cadre de travail et de concertation pour aboutir à un accord avant la fin du premier semestre 2018. Ces dispositions figureront donc dans le PLFSS pour 2019.

J'ai présenté vendredi dernier avec le Premier ministre un plan pour renforcer l'égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire. Je sais l'importance que vous attachez à cette question et je remercie M. Daudigny et M. Cardoux pour la grande qualité de leur rapport mais aussi Mme Doineau qui a accepté d'accompagner la mise en oeuvre de ce plan, qui comporte quatre axes : le renforcement de l'offre de soins dans les territoires par une présence médicale et soignante accrue ; la mise en oeuvre de la révolution numérique en santé, une meilleure organisation des professions de santé pour assurer une présence soignante pérenne et continue et une nouvelle méthode de gouvernance, qui fait confiance aux acteurs et promeut une responsabilité territoriale. Ce plan sera copiloté avec les élus et ne requiert pas de mesure législative de mise en oeuvre.

Ce PLFSS portera la généralisation de l'usage de la téléconsultation et de la téléexpertise, en les sortant de leur cadre expérimental pour les faire entrer dans le droit commun. Il donnera également une base légale pérenne au dispositif Asalée (action de santé libérale en équipe).

S'agissant de l'innovation et de la pertinence des soins, je veux faciliter l'expérimentation de formes d'organisation et de rémunération nouvelles pour dépasser les logiques sectorielles ville-hôpital, rémunérer par exemple au forfait des séquences de soins, et prendre en compte la prévention et la pertinence des actes réalisés.

Je vous propose donc d'adopter un cadre général pour lancer et évaluer ces expérimentations. Je souhaite faire évoluer et compléter les dispositifs actuels - rémunération à l'acte ou tarification à l'activité (T2A). Le levier tarifaire est fondamental pour l'évolution de notre système de santé, vers plus de prévention et de pertinence des soins. Nous prévoyons un Ondam fixé à 2,3 %, taux conforme à l'engagement du Président de la République et supérieur à celui des trois années précédentes. Il consacre 4,4 milliards d'euros de plus pour la couverture des soins, prend en compte des engagements déjà souscrits, dont la convention médicale avec les médecins libéraux signée en 2016. Son impact, important en 2017, le sera encore en 2018. C'est pourquoi le sous-objectif des soins de ville sera supérieur au taux global d'Ondam à 2,4 %. Cette convention va dans le sens de mes orientations, elle valorise mieux l'action des généralistes et prend mieux en compte notamment les actes complexes ou ceux réalisés dans des situations d'urgence. Les recettes des établissements augmenteront de 2,2 %, soit un taux supérieur à l'an passé, grâce à l'apport du relèvement de deux euros du forfait journalier. Ce dernier n'a pas augmenté depuis 2010 et correspond à l'inflation constatée depuis lors et à celle anticipée de 2018.

Un Ondam à 2,3 % reste un Ondam exigeant. J'entends les critiques de l'industrie du médicament puisqu'il prévoit des baisses de prix de près d'un milliard d'euros. Mais nous avons augmenté à 3 % le taux Lh d'évolution des prescriptions hospitalières, ce qui favorisera les produits les plus innovants pour les maladies orphelines ou graves. J'entends aussi les critiques de l'industrie ou des distributeurs de dispositifs médicaux. Je recherche une plus grande pertinence dans la prescription et l'usage de ces dispositifs.

Cet Ondam exigeant permettra un investissement immobilier et numérique à hauteur de 400 millions d'euros et l'amélioration des prises en charge médico-sociales.

Ce PLFSS met en oeuvre des réformes concrètes au bénéfice des citoyens et engage des transformations en profondeur de nos systèmes de santé et de protection sociale.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics . - J'évoquerai surtout la trajectoire financière, la modération de la dépense publique, l'équilibre de nos comptes sociaux et, enfin, le PLFSS comme facteur de transformation de l'activité économique. Ce projet comprend notamment la bascule des cotisations sociales vers la CSG et il est donc à examiner en parallèle avec le projet de loi de finances (PLF) qui sera débattu par le Parlement à partir des prochains jours.

Sur le rétablissement des comptes, l'Ondam est tenu pour la huitième année consécutive, avec plus de quatre milliards d'euros d'économies, des dépenses maitrisées sur la gestion administrative des caisses et une amélioration de la conjoncture économique. L'année prochaine, nous prévoyons des cotisations assises sur une augmentation de la masse salariale d'un peu plus de 3 %, en écho à l'augmentation de 3 % de cette année. La situation de toutes les branches s'améliore : le déficit de l'assurance maladie s'améliore de 700 millions d'euros en un an, soit le meilleur résultat depuis 2001 ; la branche accidents et maladies professionnelles connaît un excédent de plus d'un milliard d'euros, celui de la branche vieillesse 1,3 milliard d'euros. Pour la première fois depuis dix ans, nous prévoyons un excédent de 300 millions d'euros - certes modeste, mais positif - pour la branche famille. Le déficit du FSV continue de se résorber. Le Gouvernement souhaite atteindre l'équilibre des comptes sociaux d'ici 2020 et poursuivre ce désendettement d'ici 2024 pour les rétablir définitivement.

Je reviens sur plusieurs mesures économiques et sociales de ce PLFSS de transformation. Le PLFSS comprend les engagements de la majorité parlementaire et du Président de la République sur la fin du RSI tel qu'il est connu actuellement. Au 1 er janvier 2018, le RSI fusionne dans le régime général, avec une phase transitoire de deux ans. Il est particulièrement délicat d'écouter les agents du RSI qui ne sont pas responsables de « l'accident industriel » dont nous connaissons tous les conséquences sur les artisans ou commerçants et qui sont inquiets de leur devenir. Avec la ministre des solidarités et de la santé, nous leur avons assuré qu'il n'y aurait aucune mobilité géographique forcée ni de séparation de collaborateurs. Ces deux ans de transition garantiront une fusion dans de bonnes conditions.

Les indépendants ne perdront pas leurs avantages : ils n'auront pas de hausse de cotisations ni de pertes qui leur seraient imputées à cause de la fusion du RSI. Ils resteront indépendants, mais le système sera géré par le régime général et les systèmes informatiques fusionnés. Nous avons confié une mission à M. Dominique Giorgi, qui présentera ses conclusions devant la représentation nationale.

Le CICE sera transformé en allègement de charges généralisé pour les entreprises jusqu'à 1,6  Smic à partir du 1 er janvier 2019. Pour la première fois dans notre pays, toute entreprise qui embauchera en 2019 une personne au Smic ne paiera aucune charge pour cette embauche. L'année blanche de cotisations pour les créateurs d'entreprise les encouragera et simplifiera leurs démarches. La simplification administrative est également très forte sur les déclarations des activités économiques, notamment pour les TPE et les PME.

Le Gouvernement choisit d'augmenter de 1,7 point la CSG pour les salariés, les agents publics et aussi sur le capital, puisque la CSG les touche tous proportionnellement, et supprime des cotisations pour les salariés correspondant à 3,15 points de cotisation. En janvier s'appliqueront les deux tiers de la suppression des cotisations et un tiers de gain de pouvoir d'achat pour les salariés et au mois d'octobre le tiers de cotisation restante sera supprimé et les deux tiers de pouvoir d'achat attribués. Une personne au Smic à 1 152 euros gagnera 160 euros de pouvoir d'achat l'année prochaine et en année pleine, 260 euros. C'est proportionnel par rapport au revenu.

Cette suppression de cotisations revient à passer d'un régime de statut à un régime universel, soit à un système plus beveridgien que bismarckien. Ce n'est plus une multiplication de cotisations qui accompagne ces transformations mais bien un impôt universel que chacun peut payer. Le travail doit payer et le pouvoir d'achat augmenter pour ceux qui sont salariés et notamment ceux qui ont les revenus les plus bas.

Le seuil de déclenchement de l'augmentation de la CSG pour les retraités est de 1 400 euros, contrairement à ce que l'on peut entendre. Certes, les retraités de moins de 65 ans voient cette augmentation s'appliquer à partir de 1 289 euros, mais la plupart des retraités ont plus de 65 ans. À partir de 65 ans, il y a un abattement, c'est donc le seuil de 1 400 euros qui s'applique.

En lien avec le PLF, la mesure de compensation du pouvoir d'achat pour les classes moyennes - le salaire médian est à 1 700 euros - se réalise avec la suppression de la taxe d'habitation : la taxe d'habitation, par personne seule, est supprimée à partir de 2 500 euros net. Tous les salariés gagnent à l'augmentation de la CSG, les agents publics également - nous avons rassuré hier les employeurs publics sur la compensation intégrale de la CSG par le budget de l'État. Nous connaissons tous des personnes avec des petites retraites, en ville ou dans le monde agricole avec des retraites de 500 à 700 euros, éligibles au minimum vieillesse. Ces petites retraites seront augmentées de 100 euros par mois dans la durée du quinquennat, dès l'année prochaine. Ces personnes ne seront pas concernées par les mesures d'augmentation de la CSG. Les personnes au-dessus du minimum vieillesse mais gagnant moins de 1 400 euros ne seront pas touchées par l'augmentation de la CSG mais verront leur taxe d'habitation supprimée sur trois ans, avec un tiers dès l'année prochaine. Les personnes gagnant de 1 400 à 2 500 euros verront leur CSG augmenter mais une suppression de taxe d'habitation la comblera ; leur pouvoir d'achat sera maintenu voir amélioré ; ceux qui touchent une retraite personnelle de plus de 2 500 euros verront leur taxe d'habitation maintenue et une augmentation de la CSG.

L'augmentation de la CSG est déductible pour ceux qui déclarent et paient des impôts sur le revenu. Elle touche également les produits du capital. La négociation avec les partenaires sociaux de la fonction publique prévoit que l'État compensera l'augmentation de la CSG de l'intégralité des agents de la fonction publique - y compris les contractuels, la fonction publique territoriale ou hospitalière - par des suppressions de cotisations payées par les agents - comme la cotisation de solidarité de 1 % des fonctionnaires ou la cotisation maladie de 0,75 % des contractuels - et en parallèle la suppression de cotisations employeurs que nous inscrirons dans la loi. Cette prime non dégressive et pérenne touchera aussi les nouveaux agents publics entrant au 1 er janvier, qui connaîtront aussi cette compensation intégrale de CSG.

M. Alain Milon , président . - Merci. Madame la ministre, quelles sont vos positions sur le tiers-payant et sur l'évolution de la tarification dans les Ehpad ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Ce PLFSS est un exercice nouveau pour vous, ministres, intéressant et habituel pour nous. Vous avez fait référence à plusieurs rapports du Sénat, dont certaines recommandations - sur la prévention, la pertinence des actes et l'accès aux soins notamment - sont reprises, ce dont nous nous félicitons.

Néanmoins je m'interroge en particulier sur le volet financier. Je ne reviendrai pas sur la CSG, détaillée par le ministre mais reste la question que vous avez élégamment traitée du revenu fiscal de référence retenu pour l'application du taux réduit. Vous évoquez 1 400 euros pour une personne seule, c'est un revenu assez faible... L'impact de cette mesure peut être considérable. Le revenu fiscal de référence est évolutif, ne faut-il pas profiter de cette réforme sur la CSG pour le faire évoluer ? Le taux réduit de 3,8 % pour la CSG s'applique en fonction de ce revenu fiscal de référence.

Quant au CICE, le Gouvernement a concentré les allègements sur les bas salaires. C'est un vrai débat entre économistes. Faut-il privilégier les bas salaires pour favoriser l'emploi ou privilégier un positionnement plus haut de gamme en allégeant les cotisations des salaires plus élevés ? Cette occasion de transformer le CICE ne se reproduira plus. Pouvez-vous revenir sur votre position ?

Notre collègue Jean-Noël Cardoux, fin connaisseur du RSI, y reviendra sans doute. Depuis plusieurs années, la marque RSI a été durablement affectée par la crise du recouvrement des cotisations. Mais la cause principale en est la défaillance du système informatique des URSSAF, détaillée dans l'annexe 3B du PLFSS, qui montre aussi les progrès importants réalisés. L'offre de service et d'accueil n'est pas affectée. Le transfert des travailleurs indépendants vers le régime général ne va-t-il pas dégrader à court terme le service des prestations d'assurance maladie et d'assurance vieillesse ? Le transfert de l'activité retraites implique de demander à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) de gérer non seulement plusieurs millions de personnes supplémentaires, mais aussi le régime complémentaire des indépendants, soit une activité nouvelle pour la Cnav, a fortiori dans un contexte où certaines caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) sont en difficulté. Ce calendrier n'est-il pas trop ambitieux ? Faire tout cela en deux ans, alors qu'une réforme systémique des retraites est prévue, pose question. Par ailleurs, que deviendront les 17 milliards d'euros d'excédent du régime complémentaire des indépendants ?

Sur la loi de programmation des finances publiques et le périmètre du PLFSS, différent de celui des administrations de sécurité sociale (Asso), vous avez fait plusieurs annonces sur le pilotage des comptes sociaux avant même d'envisager une révision, nécessaire, de la loi organique. Renforcerez-vous l'information du Parlement sur la contribution des différentes Asso à la trajectoire prévue par la loi de programmation ?

M. Alain Milon , président . - Chaque année, nous avons une réponse positive à cette question mais non suivie d'effet...

Mme Catherine Deroche , rapporteur pour la branche assurance maladie . - Vous avez notre soutien sur la vaccination et le prix du tabac. Avec M. Daudigny, j'ai publié un rapport relatif à la fiscalité comportementale préconisant une augmentation de 10 % par an pendant cinq ans du prix du tabac.

Nous notons le report du règlement arbitral pour l'égal accès aux soins. Il faut ouvrir une négociation car nous sommes très sollicités par les chirurgiens-dentistes.

L'entrée du remboursement de la télémédecine dans le droit commun est positive. De nombreux verrous réglementaires persistent sur « qui peut faire quoi ». En Pays-de-la-Loire, des projets d'expérimentation et d'innovation sur la téléconsultation butent sur l'impossibilité pour le médecin traitant de pratiquer lui-même la téléconsultation.

Le comité d'alerte de l'Ondam a souligné le caractère important mais incertain des économies nécessaires pour respecter l'objectif de dépenses pour 2018. Respecter une progression de l'Ondam de 2,3 % par an face à des tendanciels de dépenses très dynamiques, notamment en soins de ville, est difficile. Quelle stratégie comptez-vous mener au-delà de 2018 pour respecter la progression de l'Ondam ? Quel équilibre de prise en charge entre les régimes de base et complémentaires envisagez-vous ?

D'après l'étude d'impact, le cadre d'expérimentation pour l'innovation dans le système de santé aurait un coût net d'amorçage de 10 millions d'euros en 2018 et un autofinancement attendu dès 2019. La réactivité de ce cadre n'est pas toujours opérante, notamment pour la télémédecine. Comment assurer cette réactivité ?

MM. Alain Milon et Jacky Le Menn avaient publié un rapport sur la tarification et la T2A, montrant sa pertinence mais aussi ses limites. Sur plus long terme, quel regard portez-vous sur ce mode de financement des hôpitaux ? Envisagez-vous des aménagements rapides ?

Mme Élisabeth Doineau , rapporteur pour la branche famille . - Je soutiendrai, moi aussi, les mesures relatives à la vaccination, mais il conviendra de tordre le cou à tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux à ce sujet ; ce sera sans doute la principale difficulté...

Mes questions portent sur la branche famille. Après près de dix années de déficit, cette branche devrait connaître un excédent de 300 millions d'euros en 2017 et de 1,3 milliard d'euros en 2018. Il faut certes s'en réjouir mais cela est partiellement dû à des mesures mises en oeuvre depuis 2012, avec une économie nette de 1,5 milliard d'euros à l'échelle de la politique familiale, qui ne touche pas que les ménages les plus aisés.

On aurait donc pu s'attendre à un relâchement des efforts demandés aux familles l'année prochaine. Or le PLFSS contient une nouvelle mesure d'économie portant sur les ménages modestes, ainsi qu'une mesure favorable aux familles monoparentales dont l'impact financier demeure limité. Comment conserver son ambition à la politique familiale alors que le nombre de naissances continue de baisser ?

Par ailleurs, après la modulation des allocations familiales intervenue en 2015, on parle aujourd'hui de mettre définitivement cette prestation sous condition de ressource. Cela porterait un coup majeur au principe d'universalité de la politique familiale, selon une logique que nous ne souhaiterions pas étendre aux autres branches. Quelle est votre position sur cette question ? Les aides aux familles ne doivent-elles que lutter contre la pauvreté ou la solidarité horizontale demeure-t-elle selon vous pertinente ? Le Gouvernement sera-t-il défavorable à d'éventuels amendements visant à mettre fin à l'universalité des allocations familiales ?

Enfin, en ce qui concerne le complément de mode de garde, le CMG, qui serait revalorisé pour les familles monoparentales, je voudrais souligner le fait que les familles doivent avancer le premier mois de garde, ce qui reste un effort important pour eux.

M. Jean-Noël Cardoux . - Mes deux questions seront ciblées. Premièrement, il me semble que la réforme du RSI se fait contre la volonté des travailleurs indépendants, qui y sont unanimement opposés et expriment des craintes importantes. En effet, on ne s'attaque pas aux causes du problème, qui remonte à 2008, quand on a institué l'interlocuteur social unique. À cette époque, on a mis face à face deux blocs : l'Acoss et les caisses de travailleurs indépendants, qui ont refusé de se parler pendant trois ans. Le ver était donc dans la pomme...

En outre, le logiciel de recouvrement SNV2 est, de l'avis de tous, totalement obsolète, et le montant à investir pour le remettre à niveau serait colossal. Par conséquent, la fusion des régimes ne réglera pas le problème informatique ; or c'est par là qu'il faut commencer. Par ailleurs, des efforts considérables ont été réalisés ; par exemple, le RSI a créé une cellule pour les parlementaires, qui accélère la résolution des problèmes quand elle est saisie. J'ajoute que la réduction des acomptes, qui figurait dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, n'a jamais été appliquée parce que tout le monde en ignorait l'existence...

Il faudrait donc prendre du temps, écouter les interlocuteurs et, surtout, faire des simulations pour les travailleurs indépendants car c'est là que réside leur principale crainte.

Il conviendrait aussi de convier l'ordre des experts comptables autour de la table. Il était disposé à travailler avec l'ensemble des interlocuteurs et il préconisait une solution, l'auto-déclaration, qui résoudrait une partie important des problèmes de rappel de provisions.

Il faut réformer, soit, mais pas contre les travailleurs indépendants, et il faut leur fournir des éléments financiers leur permettant de juger de l'impact de la réforme du régime sur les cotisations et sur les prestations.

Ma seconde question porte sur les déficits cumulés figurant dans les comptes de l'Acoss. Nous avons auditionné la semaine dernière le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, et je lui ai demandé s'il était favorable à une augmentation de la CRDS pour annuler le stock de dette demeurant au sein de l'Acoss.

Je vous rappelle que le secrétaire d'État chargé du budget du précédent gouvernement avait épuisé le plafond des autorisations de transfert des déficits à la Cades, à hauteur de 23,6 milliards d'euros ; ces transferts sont désormais impossibles et l'Acoss est obligée de supporter des déficits dont le cumul représentera bientôt 30 milliards d'euros. Ainsi, si par malheur les taux d'intérêt augmentent - ce qui arrivera - l'Acoss explosera.

Ne serait-il donc pas plus opportun d'autoriser de nouveau les transferts de l'Acoss à la Cades en fixant une augmentation de la CRDS d'environ 0,4 point. Cela ne serait pas insurmontable et cela rééquilibrerait les comptes. Le Premier président de la Cour des comptes a indiqué être favorable à cette solution.

Mme Laurence Rossignol . - J'observe une forme de continuité par rapport au gouvernement précédent. Je m'en réjouis car on sait que la prévisibilité en telle matière est un élément important mais je suis aussi frustrée car on ne retrouve pas les engagements de campagne du président Macron. Je parlais de continuité mais c'est presque du conservatisme...

Il était par exemple question de l'évolution de la rémunération des médecins de ville, destinée à mieux valoriser les actes de prévention ; qu'en est-il ? Par ailleurs, comment comptez-vous remédier aux gaspillages, à hauteur de 7 milliards d'euros, en matière de dépenses de médicaments ? En outre, quelle réforme de la T2A prévoyez-vous pour favoriser les financements liés à des priorités de santé publique ?

Par ailleurs, concernant la politique familiale, je me réjouis que vous augmentiez le CMG mais le coût des modes de garde n'est qu'un facteur, l'offre de garde étant l'autre aspect de la question. Comment augmenter les offres de places en crèche, notamment en zone rurale ?

Mme Catherine Deroche , rapporteur . - À ce sujet, il n'y a pas de continuité.

Mme Laurence Rossignol . - Le coût de fonctionnement est très lourd et l'augmentation des subventions à l'investissement ne suffit pas. Ne pourrait-on donc discuter de la nécessité d'un service public de la petite enfance ? Cela serait vital pour bien des familles.

Pour ce qui concerne la PMA, le fait que cette question figure dans les lois de bioéthique me rend assez perplexe. Il s'agit d'une question politique. L'examen des lois de bioéthique est long et on risque d'obérer des sujets sérieux. Pourquoi pas un projet de loi dédié à cette question ?

Enfin, le plan interministériel de lutte contre violences aux enfants prévoyait la présence d'un médecin référent dans chaque service d'urgence. Où en est-on sur ce point ?

M. Gérald Darmanin, ministre . - En ce qui concerne la CSG, monsieur le rapporteur général, je conçois qu'avec 1 400 euros par mois on ne soit pas riche mais j'aimerais que les retraités de ma commune gagnent autant car ils touchent plutôt cinq cents ou six cents euros par mois. Nous augmentons le minimum vieillesse de cent euros par mois, ce que personne n'avait fait jusqu'à présent.

On peut toujours discuter du seuil, mais pendant les campagnes présidentielle et législative, on avait évoqué un seuil de 1 200 euros. Nous le fixons à 1 400 euros ; on peut certes l'augmenter mais il y aura toujours des effets de distorsion car vivre avec cette somme à Paris ou en province, c'est différent.

Sans doute, si l'on ne considère que l'augmentation de la CSG, on trouvera des cas de personnes en difficulté mais il faut considérer les mesures du PLFSS avec celles du projet de loi de finances, qui sont complémentaires, notamment avec la suppression de la taxe d'habitation.

Les mesures touchant au revenu fiscal de référence, question technique, peuvent alimenter les réseaux sociaux. Cela dit, seules les feuilles de salaire, de traitement ou de pension montreront que l'on gagne du pouvoir d'achat jusqu'à 2 500 euros net par mois.

Néanmoins, il est vrai qu'il y a un choix politique clair de la part du Gouvernement. Certains veulent augmenter la TVA de deux points sur les produits consommés mais cela aurait un effet négatif plus fort pour les retraités qu'une augmentation de la CSG.

Nous avons fait un choix : au-dessus de 2 500 euros, il n'y a pas de gain de pouvoir d'achat mais une redistribution aux salariés les plus modestes. C'est un choix politique, qui peut prêter à la discussion ; on peut aussi considérer que les retraités qui ont travaillé toute leur vie et qui gagnent 3 000 euros par mois grâce à l'argent qu'ils ont mis de côté ne doivent pas contribuer à la redistribution envers les salariés mais se concentrer sur la solidarité intergénérationnelle au sein de la famille. Néanmoins, notre choix est assumé : au-dessus de 2 500 euros par mois, il y a redistribution non seulement intergénérationnelle mais aussi au travers de la solidarité car, sans doute, des personnes aident déjà leurs parents ou leurs enfants mais ce n'est pas le cas de tout le monde.

Tel est notre choix, même s'il faut le tempérer au regard de la suppression de la taxe d'habitation.

Pour ce qui concerne le CICE, on a eu tout un débat démontrant la nécessité de diminuer les charges, puis on nous dit que le CICE fonctionne finalement très bien ; c'est très français... C'est un peu la même chose avec le RSI ; j'apprends maintenant qu'il fonctionnerait très bien. Pourtant, quand je prononce le mot « RSI » dans une salle et que j'annonce sa suppression, on se lève et on m'applaudit. Le RSI souffre d'un dysfonctionnement évident.

M. Jean-Marie Morisset . - Alors, on ne parle pas de la même chose...

M. Gérald Darmanin, ministre . - Pourtant, tous les candidats à la présidentielle voulaient le supprimer, monsieur le sénateur. Sans doute, il est évident qu'il y a eu des améliorations, qu'il existe des problèmes informatiques et que les agents du RSI ne sont pas responsables de cette situation ; mais la marque est, selon moi, définitivement entachée. Il y aura donc fusion.

On me dit qu'une période de deux ans serait peut-être trop rapide mais j'entends aussi dire que c'est trop lent. C'est, selon nous, le temps nécessaire pour rassurer tous les salariés du RSI. Un moment viendra où le rapporteur général et les ministres expliqueront à la commission le processus, étape par étape, et, s'il faut plus de temps, on le prendra.

En tout état de cause, il n'y aura pas d'augmentation des cotisations et, je le répète, les 17 milliards d'euros que vous évoquiez, monsieur le sénateur, resteront dans le régime des indépendants. Certes, on peut s'opposer à cette transformation mais, pour ma part, je constate que les indépendants que je connais sont pour cette suppression, alors que les dirigeants de caisse que je connais - qui sont aussi des travailleurs indépendants - sont contre.

L'allègement de 6 points de charges jusqu'à 2,5 Smic, niveau assez élevé, touche aussi, contrairement au CICE, l'économie sociale et solidaire et le monde associatif employeur, ne l'oublions pas ; il faut donc mettre cela en perspective avec les annonces du Gouvernement sur les emplois aidés. Il n'y a ainsi plus aucune charge sur le Smic.

Sur le renforcement des pouvoirs du Parlement, je propose au rapporteur général qu'il soumette un amendement visant à ce que le Gouvernement s'engage à fournir les informations que vous souhaitiez. Je serai toujours favorable aux dispositions permettant d'éclairer le Parlement sur les tuyauteries complexes. Parlons-en en amont pour que nous puissions vous donner toute l'information que vous souhaitez.

En ce qui concerne le tabac, je suis, comme Mme Buzyn, favorable à l'augmentation très forte du prix du tabac. Toutefois, il y a des conséquences. D'abord, cela n'entraînera pas des recettes très importantes, ce n'est d'ailleurs pas l'objectif, contrairement à ce que l'on croit parfois. En outre, il peut y avoir des effets d'aubaines pour la contrefaçon et la contrebande, surtout en zone frontalière. Il faudra donc lutter contre cela, avec les services des douanes - dont nous augmentons à cette fin les effectifs dans le projet de loi de finances - mais aussi avec la police et la gendarmerie.

En outre, il faut accompagner les buralistes, qui ne sont pas des tabatiers. Ils représentent notamment des lieux de socialisation dans les villages ; nous allons donc leur proposer des changements de travail. Il y a un avenir pour eux. On peut à la fois lutter fortement contre la première cause de cancer et conserver ce métier. Je rencontrerai les buralistes vendredi prochain dans ce but. Si vous avez des idées, cela m'intéresse.

Mme Agnès Buzyn, ministre . - Monsieur le président, vous nous avez demandé où en est la généralisation du tiers payant. Nous attendons les conclusions du rapport que nous avons commandé au mois de juillet sur la faisabilité de cette généralisation au 1 er décembre prochain. Ce rapport nous sera rendu en fin de semaine ; nous nous déciderons sur ce fondement.

En ce qui concerne le financement des Ehpad, il y aura une mesure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec une augmentation de 100 millions d'euros des sommes affectées aux soins et un accroissement du nombre de postes d'infirmières de nuit car les résidents sont de plus en plus âgés et de plus en plus malades. Nous prenons donc en compte la difficulté croissante de la prise en charge de nos aînés.

En outre, nous instaurons un comité de suivi de la tarification des Ehpad, qui s'est réuni fin septembre pour sa première réunion au ministère. Cette réforme doit se faire sur sept ans, nous avons le temps d'accompagner les établissements. Pour l'instant, l'évolution de la tarification est favorable pour 80 % des établissements et défavorable pour 20 % d'entre eux.

En ce qui concerne votre question sur la télémédecine, madame Deroche, nous considérons comme vous qu'il y a encore trop de verrous réglementaires. Les expérimentations ont mis trop de temps à se mettre en oeuvre, elles sont trop limitées, alors que la télémédecine est entrée dans l'usage des professionnels de santé, on ne peut l'ignorer. Nous intégrons donc cette pratique dans le droit commun.

Toutefois, je souhaite saisir la Haute Autorité de santé sur l'encadrement de sa pratique car tous les actes médicaux ne peuvent se faire par télémédecine. Nous allons avancer de manière pragmatique avec les professionnels de santé sur ce sujet.

L'Ondam, fixé à 2,3 %, est considéré par certains comme trop exigeant mais le comité d'alerte de l'Ondam a souligné que notre prévision est réaliste. Nous souhaitons engager un milliard d'euros d'économies grâce à la baisse des prix des médicaments. Nous allons faire monter en puissance les génériques et avancer sur les biosimilaires. Il y a des marges de progrès sur le coût des traitements.

Nous souhaitons aussi travailler avec les professionnels de santé sur la maîtrise médicalisée, que j'appelle plutôt « pertinence des soins ». Ce sujet est central pour maîtriser les dépenses et pour bien soigner car il ne s'agit pas que d'efficience. Il faut octroyer le bon acte au bon patient et au bon moment. Nous avons à ce sujet un plan quinquennal commun avec l'assurance maladie et les ARS.

Le niveau d'économie à l'hôpital est équivalent à celui de 2017. Cela accompagne l'évolution des hôpitaux ; les groupements hospitaliers de territoire, les GHT, constitueront un levier d'économie, notamment grâce aux achats. Ces évolutions s'articulent autour de la pertinence et de l'efficience sur cinq ans ; ce n'est donc pas une révolution.

En ce qui concerne l'innovation, vous avez évoqué, madame Deroche, le fonds d'amorçage de 10 millions d'euros pour le fonds d'intervention régional uniquement, le FIR, qui est à la main des ARS ; nous ajoutons à cela 20 millions d'euros dans un fonds pour l'innovation, qui fera l'objet d'un comité stratégique incluant les professionnels de santé et les fédérations hospitalières, et qui siègera au niveau de la Cnamts. Il devra être capable de financer et de suivre des expérimentations. Ce fonds servira aussi à payer les rémunérations innovantes, notamment au forfait, au parcours ou à la pertinence des soins.

Ce sont des modes innovants de tarification que nous souhaitons accompagner au travers de ce fonds. Tout ce qui se révélera utile sera ensuite déployé à l'échelon national. Cela ne se substituera pas à la tarification à l'acte ou à la T2A, cela viendra en complément. Ce fonds de vingt millions d'euros sera abondé en tant que de besoin à partir du fonds national de gestion du risque.

La T2A représente 60 % du financement des établissements de santé ; je souhaite que cette proportion diminue. On connaît les dérives de cette tarification, la pression sur les professionnels de santé et sur les établissements. Nous souhaitons inciter financièrement à la pertinence du parcours de soins (article 35 du PLFSS), augmenter la prise en compte de la qualité dans le modèle de financement (les incitations financières à l'amélioration de la qualité, ou IFAQ), intensifier le virage ambulatoire, moderniser les soins de suite et de réadaptation ou encore accompagner l'offre de soins avec notamment la télémédecine (article 36 du projet de loi).

Il y a donc beaucoup de projets de modification en profondeur, dont les effets se manifesteront progressivement au cours des cinq prochaines années.

Madame Doineau, nous souhaitons effectivement accompagner l'extension des obligations vaccinales d'un effort de communication à l'égard du grand public et des professionnels de santé. En effet, si je suis très bien soutenue à cet égard par les sociétés savantes et par les académies de médecine, de pharmacie et des sciences, 30 % des généralistes ont des doutes sur la vaccination et 25 % en font part aux patients.

Nous devons donc accompagner les médecins de terrain par de l'information rigoureuse et des outils de communication. Nous travaillons sur des supports devant être publiés le 1 er janvier 2018.

La branche famille de la sécurité sociale sera, vous l'avez dit, excédentaire mais il y a tout de même un déficit sur l'ensemble du régime général. Nous souhaitons donc que l'esprit de responsabilité touche l'ensemble des branches. En outre, il y aura 70 millions d'euros de dépenses supplémentaires à destination des familles les plus en difficulté car le taux de pauvreté a augmenté ces dernières années.

En ce qui concerne les crèches, il faut favoriser le nombre de places de garde. Il ne faut pas un modèle unique ; il faut favoriser les crèches, les assistantes maternelles, la garde à domicile. Tous les territoires n'ont pas les mêmes besoins. Cela fera l'objet d'objectifs de la convention d'objectifs et de gestion, la COG, que je vais signer avec la Cnaf.

La question n'est pas de porter atteinte, via le PLFSS, à l'universalité des prestations sociales, ce que je ne souhaite pas mais de remettre en cause notre politique familiale à l'aune de la baisse flagrante de la natalité française depuis deux ans. Est-ce que notre politique familiale répond à cet enjeu ? Je veux que l'on ait à ce sujet un débat apaisé et non idéologique ni doctrinaire. Cela aura aussi une traduction dans la COG.

Vous avez aussi évoqué l'allocation sur le complément de mode de garde, qui est décalée d'un mois. Les familles n'auront plus à assurer l'avance des frais.

Madame Rossignol, j'ai répondu à votre question sur les modes de garde et sur la T2A. Vous parliez de continuité avec le mandat précédent mais je vois pour ma part deux ruptures : l'expérimentation ambitieuse de nouvelles tarifications sur cinq ans et le temps de discussion que je souhaite avoir autour de la PMA. Il s'agit d'ailleurs pour moi d'un sujet relevant d'une loi de bioéthique, qui implique la tenue d'états généraux. Il ne faut pas de dogmatisme, pas d'idéologie. Cela fera donc l'objet d'une loi de bioéthique.

Pour les violences faites aux enfants, le médecin référent se met progressivement en place dans les établissements. Nous débutons une mission autour de la continuité des soins car il faut non seulement un référent mais il faut aussi des médecins capables d'assurer les soins pertinents.

M. Yves Daudigny . - Vous avez affirmé quatre priorités : la prévention, l'égalité d'accès aux soins, l'innovation et la pertinence et la qualité des soins ; en outre, vous poursuivez l'effort vers l'équilibre de la sécurité sociale. Tout le monde adhère à ces objectifs.

L'Ondam pour 2018 ouvre 4,4 milliards d'euros de dépenses nouvelles mais l'effort demandé à l'assurance maladie (3,3 milliards d'euros) est très important. L'Ondam hospitalier ne s'élève qu'à 2 % ; l'hôpital peut-il supporter de nouveaux efforts de maîtrise des dépenses sans mettre en danger ses missions, les soins et les conditions de travail de son personnel ?

Je veux aussi évoquer le cas particulier des praticiens diplômés hors de l'Union européenne. Une loi de 2012 avait apporté des dispositifs dérogatoires pour les praticiens engagés avant 2010. Ils sont aujourd'hui nombreux mais sont dans une situation précaire, sans avenir professionnel, alors qu'ils contribuent à l'offre de soins sur les territoires. Nous avons été alertés sur ce point ; envisagez-vous d'autres dispositions ?

Sur les médicaments, comment trouver le point d'équilibre entre le rapport de la Cour des comptes qui met en cause la garantie de prix européens et les professionnels du secteur ? Je pense en particulier à la fragilisation de l'autorisation temporaire d'utilisation, l'ATU. Le risque serait que les médicaments innovants ne soient plus mis aussi rapidement à la disposition des Français.

Je veux aussi vous interroger sur les génériques et les biosimilaires. L'article 38 prévoit des tarifs uniques de remboursement pour les médicaments, y compris les génériques et les biosimilaires. Si les tarifs de remboursement sont les mêmes pour les médicaments princeps, les génériques et les biosimilaires, quel est l'intérêt du générique ?

Enfin, comment envisagez-vous le déploiement du dossier médical partagé, le DMP ?

M. Dominique Watrin . - Madame la ministre, vous avez évoqué le nécessaire devoir de solidarité des retraités et une hausse de la CSG. Pour ma part, j'aurais aimé que vous parliez également de l'allégement de l'ISF. Ce sont 5 milliards d'euros de solidarité à l'envers, au profit des plus riches !

Le plan de lutte contre les déserts médicaux prévoit, comme c'est le cas depuis vingt ans, des mesures incitatives, alors qu'elles sont pourtant des échecs. Alors qu'il n'y a jamais eu autant de praticiens dans notre pays, le nombre de médecins exerçant en secteur I diminue inexorablement et leur répartition sur le territoire est de plus en plus inégale.

Pourquoi vous interdisez-vous d'instaurer des mesures de régulation des médecins alors que de telles mesures ont donné des résultats positifs dans certaines professions paramédicales ?

Ma deuxième question porte sur les structures d'exercice de la médecine de groupe. Vous annoncez un nouveau plan de développement des maisons de santé, mais vous ne dites pas un mot des centres de santé. Or le maillage du territoire par ces structures permettrait de répondre à l'aspiration des jeunes diplômés, qui souhaitent exercer en tant que salariés et pourrait être un levier nouveau de lutte contre la désertification médicale.

M. Michel Amiel . - Madame la ministre, la mesure que vous annoncez en matière de vaccination demandera un effort de communication important, en particulier en direction des médecins généralistes car ils sont assez réticents sur cette question et ce pour des raisons parfois confuses. Il faut également envisager des mesures un peu coercitives s'agissant de la vaccination contre la grippe, cette maladie étant la première cause de mortalité infectieuse. Or les professionnels de santé, en particulier en milieu hospitalier, ne sont pas vaccinés et peuvent propager allègrement la maladie.

Je suis bien conscient, monsieur le ministre, qu'il faut ménager les buralistes. Je rappelle toutefois que seule une augmentation brutale du prix du tabac est efficace sur les comportements. N'aurait-il donc pas été opportun de porter tout de suite le prix du paquet à 10 euros ?

Dans sa dernière analyse, la Cour des comptes a parlé d'éléments d'insincérité, s'agissant en particulier de la sortie de l'Ondam du Fonds de financement pour l'innovation pharmaceutique. Pensez-vous l'y réintégrer, madame la ministre, même si l'innovation générera des dépenses considérables ?

Par ailleurs, ne pourrait-on pas simplifier le circuit de validation des prix du médicament en créant une seule agence ? Aujourd'hui, la Haute Autorité de santé s'occupe du volet médical pur, le Comité économique des produits de santé, du prix.

La prévention est la première priorité de la stratégie nationale de santé. À cet égard, je rappelle que certains secteurs de la médecine sont oubliés, pour ne pas dire sinistrés : la médecine du travail, les soins palliatifs et la pédopsychiatrie.

M. Bernard Jomier . - Ma première question porte sur les annonces que vous avez faites vendredi, madame la ministre, concernant le partage des tâches et de nouvelles formations pour les professionnels de santé. Ce partage des tâches, couplé au développement de la télémédecine, pourrait produire des effets réels sur l'offre de soins dans nos territoires. Or cette orientation n'apparaît que de façon très timide dans le PLFSS. Pouvez-vous nous éclairer sur votre calendrier ?

Ma deuxième question porte sur la santé environnementale. Lors d'un colloque la semaine dernière, Brune Poirson a déclaré que la santé environnementale serait un axe majeur de votre politique de santé et de la stratégie nationale de santé. Or cette orientation n'est pas traduite dans le PLFSS. Je rappelle que les trois principales causes de mortalité dans notre pays sont le tabac, l'alcool et la pollution de l'air. Des collectivités territoriales ont engagé des travaux et éliminé les produits néfastes pour la santé humaine. De tels dispositifs vous paraissent-ils envisageables ?

Ma troisième question porte sur l'hôpital. Nos établissements hospitaliers sont depuis des années confrontés à une trajectoire financière difficile, malgré les plans d'efficience qui se succèdent. L'Ondam pour l'hôpital est fixé cette année à 2 %. Pensez-vous qu'il soit raisonnable de tenir cet objectif sans ouvrir un nouveau chantier sur le périmètre des missions de l'hôpital, sur l'articulation entre le secteur hospitalier, les territoires de santé et la ville ? Dans un rapport publié le mois dernier, le Sénat trace des pistes tout à fait intéressantes sur les urgences. Notre système doit évoluer s'il veut tenir ses engagements.

Mme Michelle Meunier . - Monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, jusqu'à présent, les Ehpad associatifs à but non lucratif bénéficiaient du crédit d'impôt de taxe sur les salaires, le CITS, soit le pendant du CICE, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, dont bénéficient les Ehpad privés à but lucratif. Il semble que l'article 43 du projet de loi de finances supprime ce dispositif, ce qui inquiète de nombreux gestionnaires. Que pouvez-vous nous dire sur cette question ?

M. Jean-Marie Morisset . - Je vous remercie, madame la ministre, d'être revenue sur les arbitrages de Mme Touraine s'agissant de la convention dentaire. Mes questions porteront sur l'amélioration de la prise en charge des personnes fragiles.

Si les personnes handicapées sont satisfaites de la revalorisation dont elles bénéficieront en 2018 et 2019, elles sont inquiètes des modifications des règles de prise en compte des revenus. En 2019, le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome risquent d'être fusionnés. Pourriez-vous les rassurer sur ces points ? Les 90 euros que vous allez leur donner d'un côté ne risquent-ils pas d'être absorbés par cette évolution, de l'autre ?

Monsieur le ministre, comment allez-vous compenser la hausse de la CSG pour les personnes vivant en maison de retraite, sachant qu'elles ne paient pas de taxe d'habitation ?

Lorsque nous avons adopté la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement, nous n'avions pas envisagé qu'elle aurait des répercussions importantes sur le financement des Ehpad. La mise en place du forfait dépendance sur un point GIR départemental a des conséquences désastreuses.

Dans mon département, certains établissements connaissent une baisse de 20 % du tarif dépendance et ne peuvent plus embaucher de personnel. Quant aux départements, ils ne veulent pas supporter sur le tarif hébergement des décisions auxquelles ils n'ont pas été associés.

Pour terminer, j'évoquerai les maisons de santé. À quoi correspondent les 500 millions d'euros que prévoit l'État ? Est-ce la DETR, la dotation d'équipement des territoires ruraux ? Quelles aides l'État prévoit-il pour permettre aux collectivités territoriales de construire des maisons de santé dans les zones rurales ?

Mme Victoire Jasmin . - Je ferai tout d'abord une remarque sur l'accès aux soins et sur les droits des personnes en situation de handicap. Les personnes malentendantes ne peuvent accéder à une traduction simultanée lors d'une consultation médicale. De même, les personnes à mobilité réduite n'ont pas toujours la possibilité d'accéder à la prévention, notamment pour les examens gynécologiques. Il faut prévoir des équipements adaptés à ces personnes.

La T2A pose des difficultés dans les territoires d'outre-mer et plus singulièrement en Guadeloupe. Notre CHU connaît de très grandes difficultés liées à notre insularité, aux frais d'approche, aux démarches de certification, d'accréditation et de mise aux normes de nos différents services, qui entraînent des surcoûts insurmontables.

Le taux de chômage en Guadeloupe est très élevé et beaucoup de personnes bénéficient de très petites retraites. Le problème de la hausse de la CSG se pose donc également.

Enfin, madame la ministre, les personnels de l'Établissement français du sang de Guadeloupe sont inquiets. Qu'en est-il du projet de transférer les analyses de sang en France ? Il serait scandaleux que les prélèvements sanguins réalisés en Guadeloupe soient transférés alors que nous sommes en mesure de réaliser l'intégralité des examens sur place. J'ajoute que la durée de vie des plaquettes est limitée et qu'un tel transfert poserait problème pour les transfusions nécessaires pour traiter certains cancers et les cas de drépanocytose.

M. Martin Lévrier . - Ma question porte sur la suppression du CITS, destiné aux associations à but non lucratif. Quel est le mécanisme de compensation prévu ? Son montant ? Pensez-vous qu'il permettra facilement de remplacer les emplois aidés ?

Mme Brigitte Micouleau . - J'ai bien noté les mesures destinées à améliorer l'accès aux soins mais qu'en est-il du manque cruel de médecins généralistes, du numerus clausus et du problème des déserts médicaux ?

Mme Patricia Schillinger . - L'articulation entre les baisses de cotisations et la hausse de CSG et les spécificités du régime d'Alsace-Lorraine a-t-elle été bien étudiée ? Comme vous le savez, les Alsaciens et les Mosellans paient aussi l'équivalent de la cotisation patronale.

Par ailleurs, 9 000 dossiers concernant les frontaliers suisses sont en attente. Une décision politique est nécessaire.

L'instauration d'une Journée nationale sans alcool est-elle prévue ?

Enfin, le métier d'hygiéniste dentaire n'a toujours pas été mis en place en France. Avance-t-on sur ce dossier ?

M. Daniel Chasseing . - Madame la ministre, vous avez annoncé quelques avancées pour lutter contre les déserts médicaux sans toutefois évoquer la question du numerus clausus, ni la suppression de l'internat national classant au profit d'un internat par faculté.

Par ailleurs, certes les buralistes jouent un rôle très important et il faut essayer de les consolider. Il faut également veiller à maintenir les pharmacies dans les zones rurales, à avoir assez de personnels pour prendre en charge les personnes dépendantes dans les Ehpad et trouver une solution pour contrebalancer la hausse de la CSG pour les personnes âgées vivant en maison de retraite.

Mme Pascale Gruny . - La situation s'améliore pour le RSI. Mais certaines des personnes concernées ont compris qu'avec la réforme, on allait supprimer des cotisations, même si on leur explique qu'elles paient déjà moins de cotisations que sur un revenu salarié. Les difficultés commencent lorsque les artisans et commerçants ne peuvent plus payer leurs échéances, ou au début ou à la fin de leur activité. La fusion au sein du régime général ne changera rien à cela.

Madame la ministre, je siège au conseil de surveillance du centre hospitalier de Saint-Quentin. Venant du monde de l'entreprise, j'ai été choquée d'apprendre que le tarif pour une transfusion de fer était passé de 450 euros à 13 euros. Avec de telles réductions, jamais les hôpitaux ne pourront être à l'équilibre !

M. Jean Sol . - En matière de lutte contre le tabagisme, madame la ministre, que comptez-vous faire concrètement contre les marchés parallèles, en particulier dans les départements frontaliers ?

Par ailleurs, quelles mesures envisagez-vous pour lutter contre les fraudes sociales relativement nombreuses aujourd'hui, en particulier dans certains départements ?

Que faire pour enrayer l'absentéisme du personnel hospitalier, qui hypothèque bon nombre de marges de manoeuvre ?

Pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes, allez-vous tenir compte de la démographie et de la cartographie départementales ?

M. Gérald Darmanin, ministre . - Pour commencer, je rappelle que l'ISF, c'est non pas 5 milliards d'euros, mais 3 milliards d'euros. Cette question n'a rien à voir avec le PLFSS, même si moins de chômeurs signifie plus de cotisations, mais je n'entrerai pas dans ce débat.

Vous m'avez interrogé sur le CITS. La mesure que nous proposons représentera pour les établissements concernés un gain de 1,4 milliard d'euros. Permettra-t-elle de remplacer les emplois aidés ? Je rappelle que ces contrats n'ont pas été conçus pour remplacer les personnels relevant de la fonction publique ou du statut de contractuel. Les préfets ont beaucoup encouragé les élus à y avoir recours, les gestionnaires ont ainsi essayé de rendre un service moins cher. Je n'ignore pas que la situation est complexe. Dans le secteur médico-social, 200 000 contrats aidés sont budgétisés contre un pic à 400 000 à la veille de l'élection présidentielle. Cet allègement de charges pérenne permettra à l'ensemble des établissements concernés de faire la bascule et de créer des emplois qui ne seront pas précaires.

La suppression du RSI n'entraîne pas une suppression de cotisations, nous le redirons. J'ai du mal à comprendre ceux qui veulent garder le RSI alors que les artisans et les commerçants avaient perdu toute confiance en ce régime au point de nous faire part de leur déprime, voire de leurs pensées suicidaires durant la campagne présidentielle. Tous les candidats à cette élection proposaient d'ailleurs sa suppression.

La diminution de la taxe d'habitation pour les personnes résidant en maison de retraite est une question importante et complexe. Le Parlement doit être parfaitement éclairé afin de bien comprendre ce que souhaite faire le Gouvernement.

Pour les personnes vivant en maison de retraite, il faut distinguer trois cas de figure. Premier cas : une personne seule vivant dans une maison de retraite, ayant la jouissance totale de son lieu et ayant gardé, pour différentes raisons, sa résidence principale, paiera sa taxe d'habitation si ses revenus sont supérieurs à 2 500 euros. S'ils sont inférieurs, elle bénéficiera d'un dégrèvement de la taxe d'habitation. Deuxième cas : cette personne vit dans une maison de retraite médicalisée, elle n'a pas la jouissance totale de son lieu, elle ne paie pas de taxe d'habitation. Dans ce cas, le projet de loi de finances prévoira que l'établissement pourra demander le dégrèvement de la taxe d'habitation et qu'il devra ensuite répercuter cette baisse dans son prix. Troisième cas : la personne ne paie pas de taxe d'habitation, l'établissement non plus, ils en ont été exonérés. Nous proposerons dans ce cas une réduction d'impôt dans le projet de loi de finances pour compenser la hausse de la CSG.

Aujourd'hui, 60 % des retraités sont concernés par l'augmentation de la CSG, 80 % des Français, donc une grande partie de ces retraités, par la suppression de la taxe d'habitation.

Dans les maisons de retraite et les EHPAD, les gens sont en moyenne plus pauvres : 60 % des retraités dans les EHPAD ont des revenus inférieurs à 1 400 euros. Il n'y a donc pas de gens, nous l'avons vérifié, qui ne bénéficieront pas de la suppression de la taxe d'habitation, même s'ils n'en paient pas. Si leurs revenus sont supérieurs à 1 400 euros, alors ils paient l'impôt sur le revenu et bénéficieront d'une réduction d'impôt. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors du débat parlementaire.

Je laisserai Mme la ministre répondre sur la fonction publique hospitalière et sur les difficultés des personnels soignants. Je rappelle simplement que nous avons rétabli le jour de carence dans la fonction publique et qu'il vaut pour toutes les fonctions publiques.

Mme Agnès Buzyn, ministre . - Monsieur Daudigny, l'augmentation du forfait journalier de 2 euros constituera une recette supplémentaire pour l'hôpital et permet de fixer l'Ondam hospitalier à 2,2 %.

De nombreuses transformations sont nécessaires. Nous devons développer l'ambulatoire et fermer des lits. Malheureusement, la tarification à l'activité ne favorise pas la fermeture de lits. On peut réaliser au moins un milliard d'euros d'économies sur les achats. Grâce aux réformes qui ont déjà été engagées, notamment en ce qui concerne les groupements hospitaliers de territoire, les GHT, l'ambulatoire, et à celles que nous ferons, nous aurons les moyens de respecter l'Ondam à 2,2 %.

Beaucoup d'établissements fonctionnent aujourd'hui avec des praticiens diplômés hors Union européenne car ils en ont besoin. En tant que ministre, je dois m'assurer qu'ils fournissent des soins d'une qualité optimale à nos concitoyens. Je vais veiller à accompagner ces professionnels en termes de formation, d'ouvertures de places aux concours, notamment dans les spécialités très déficitaires. Il s'agit d'accompagner au mieux ces praticiens et de ne pas abandonner en rase campagne ceux qui auraient été recalés trois fois à l'examen. Il faut leur permettre d'exercer dans des conditions dignes, tout en demeurant exigeant sur la qualité des soins. Toutes les mesures seront prises dans l'année qui vient.

La garantie de prix européen est un sujet complexe. Cette garantie ne s'applique qu'aux médicaments ayant un service médical rendu (SMR) I, II ou III, soit un nombre restreint de médicaments. C'est néanmoins une contrainte pour la négociation des prix. La Haute Autorité de santé fait, en parallèle de l'évaluation du SMR, une évaluation médico-économique, laquelle permet de calculer l'efficience de ces produits et d'avoir un outil supplémentaire pour la négociation. Par ailleurs, des médicaments anciens constituent des rentes de situation, nous le savons. Nous avons des marges de progrès dans les négociations. Je suis bien placée pour le savoir, ce qui me permet d'être particulièrement efficace sur ce sujet.

En matière de médicaments génériques et biosimilaires, nous avons d'énormes progrès à faire par rapport à nos voisins. Nous rembourserons aux établissements le tarif du générique afin de les obliger à consommer plus de génériques que de produits princeps.

Le dossier médical partagé peine effectivement à se déployer, car l'équipement informatique des établissements et des professionnels de santé n'est pas interopérable. Le grand plan d'investissement qui a été présenté par le Premier ministre il y a quinze jours prévoit 400 millions d'euros pour l'informatisation afin de permettre le déploiement du DMP.

Monsieur Watrin, nous savons que l'obligation d'installation ne fonctionne pas pour lutter contre les déserts médicaux. Je crains que ce ne soit vrai pour le secteur 1 et pour le secteur 2. La démographie médicale n'est pas à la hauteur de ce qu'elle était il y a quelques années. Elle continuera de dégringoler jusqu'en 2025, année où nous récupérerons le taux de praticiens actuel. Les jeunes professionnels souhaitent mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. Beaucoup de femmes veulent s'engager dans un secteur salarié. Si nous imposons des contraintes trop importantes en termes d'installation, les jeunes médecins se tourneront vers un exercice salarié, soit vers la médecine du travail, soit vers la médecine scolaire, voire vers l'industrie pharmaceutique. Ils pourraient même arrêter l'exercice de la médecine, comme le font aujourd'hui près de 40 % des professionnels qui s'installent. Instaurer plus d'obligations, c'est prendre le risque d'accroître le déficit. Mon plan est donc très incitatif, très « facilitant ». Il vise à lever tous les freins et à donner du temps médical aux territoires. Pour être moi-même une professionnelle de santé, je peux vous dire que peu de choses m'auraient contrainte à m'installer dans un territoire où je n'aurais pas eu d'attaches.

Vous avez raison concernant les centres de santé. Dans le grand plan d'investissement que j'ai présenté, les maisons de santé et les centres de santé sont placés au même niveau. Nous ne faisons aucune différence entre eux. Nous parlons de maisons de santé par facilité. Tous deux bénéficient exactement des mêmes mesures : 400 millions d'euros permettront à ces maisons ou centres de santé de s'installer sur le territoire.

Monsieur Amiel, le vaccin contre la grippe a été à un moment obligatoire. Cette obligation a été levée par décret, car le bénéfice de ce vaccin pour les professionnels était trop faible à l'échelon individuel, contrairement au vaccin contre l'hépatite B, qui est obligatoire dans les établissements de santé. On ne meurt pas de la grippe entre 20 et 60 ans. Dès lors, on ne peut pas imposer les mêmes obligations que pour les enfants. Dans ce dernier cas, le bénéfice est certes collectif, mais également nettement individuel. Il s'agit là selon moi d'un sujet déontologique, dont je parle d'ailleurs régulièrement avec le Conseil national de l'Ordre des médecins.

Pourquoi ne pas porter le prix du paquet de tabac à 10 euros d'un coup ? Une augmentation d'un euro par an me semble déjà substantielle. Elle permettra aux fumeurs d'entamer une démarche d'arrêt en étant accompagnés. Une augmentation en trois ans permettra de concilier un objectif de santé public avec l'objectif pragmatique d'accompagner des personnes souffrant d'une maladie addictive, la seule volonté ne suffisant pas. Nous suivrons l'impact de cette augmentation sur le tabagisme et nous en ferons part aux acteurs de santé.

Vous m'avez ensuite interrogée sur l'existence d'une seule agence pour négocier le prix des médicaments, associant la commission de la transparence de la HAS et le CEPS. Seule l'Italie dispose d'une agence unique effectuant à la fois l'évaluation des médicaments et du service médical rendu et la négociation des prix. Pour notre part, il nous a semblé très difficile de réunir au sein d'une même agence des gens négociant avec des industriels et d'autres ayant vocation à procéder à des évaluations purement scientifiques, en se détachant de la notion de prix. Si l'on en tête le coût d'un traitement lors de l'évaluation du service médical rendu, on risque de pénaliser nos concitoyens dans l'accès aux médicaments innovants.

Sur la prévention, nous avons effectivement un problème de médecine scolaire. Je n'ai pas de recette magique, car la démographie médicale est en déclin. Jean-Michel Blanquer et moi souhaitons que la visite de prévention à 6 ans, qui est obligatoire, mais qui n'a lieu que dans 20 % des cas, devienne effective dès la rentrée 2018. Nous allons travailler avec les maisons et les centres de santé, avec les généralistes afin de leur permettre d'intervenir au sein de l'école. Nous avons fixé des objectifs chiffrés. Il y a là un enjeu en termes de réduction des inégalités sociales, pour la détection des troubles « dys », des problèmes de vue et d'audition, d'obésité, etc.

Nous manquons de pédopsychiatres. Je fais de ce dossier une priorité personnelle. J'ai obligé les doyens à ouvrir des postes de pédopsychiatres dans les facultés dès la campagne de 2018 pour mieux former des jeunes. La question qui va se poser secondairement est celle de l'ouverture de lits dédiés. Je souhaite y travailler dans le cadre de la stratégie nationale de santé dont nous discutons aujourd'hui avec les professionnels.

Monsieur Jomier, la délégation de tâches est effectivement un énorme sujet. Le plan de lutte contre les déserts médicaux permettra de faire de la délégation de tâches encadrée et financée dans le cadre de protocoles afin de favoriser l'accès aux soins sur les territoires. Cette délégation de tâches sera déployée non pas sur l'ensemble du territoire, mais uniquement dans les endroits où, de fait, elle se fait déjà. Il s'agit de mieux l'évaluer et de mieux l'encadrer.

Par ailleurs, les dispositions sur les pratiques avancées peinent à se mettre en route. Je souhaite donc que, dès 2018, les facultés puissent former les infirmières en pratiques avancées afin qu'elles sortent de l'école en 2020. Nous avançons sur les deux jambes avec une mesure généraliste et une mesure dédiée aux territoires les plus en difficulté.

Nicolas Hulot et moi faisons effectivement de la santé environnementale une priorité. Elle ne figure pas dans le PLFSS parce que nous n'avons pas prévu de mesures budgétaires dédiées. Nous mettons en place une feuille de route commune.

Dans la stratégie nationale de santé, un chapitre sera dédié à la santé environnementale. J'indique d'ailleurs que la pollution de l'air n'est pas la troisième cause de mortalité. Elle provoque une mortalité anticipée chez les personnes âgées et les malades. Il ne faut donc pas la placer au même niveau que la mortalité liée au tabac et à l'alcool.

Vous avez évoqué un débat sur la place de l'hôpital public. Lorsque je présidais la Haute Autorité de santé, j'avais ouvert la Paris Healthcare Week sur cette question : quelle sera la place de l'hôpital public en 2025 ? Quelle sera sa valeur ajoutée ? Quelle sera sa place dans le territoire ? Quelles seront ses missions ? Je n'ai pas eu le temps de mener cette réflexion dans le cadre du PLFSS. Ce sera un sujet pour l'année 2018. Il faut redonner du sens à l'hôpital public.

Nous allons également travailler sur la question des urgences. Le Sénat a produit un excellent rapport sur cette question. Nous devons également mener une réflexion collective sur l'objet des soins non programmés.

Monsieur Morisset, nous sommes attentifs à la situation des départements. Il n'y aura aucun perdant dans la réforme de la tarification des Ehpad, d'où le comité de suivi et l'augmentation du budget sur les soins. Des mesures spécifiques accompagneront les départements en difficulté au cas par cas sur certains établissements, avec une enveloppe dédiée en 2018.

Madame Jasmin, un chapitre du Plan handicap, en cours de discussion avec Sophie Cluzel, est dédié à l'accès aux soins. Je suis extrêmement attentive à l'accès aux soins et notamment au dépistage. J'avais déjà inclus le dépistage du cancer du col dans le Plan cancer. Nous devons muscler la capacité des établissements à s'équiper, certes pas partout, mais avec des filières dédiées pour que les personnes à mobilité réduite accèdent à certains équipements et plateaux techniques.

Nous avons d'énormes difficultés à accompagner la mise aux normes des établissements de santé, et notamment dans les départements d'outre-mer (DOM). Nous allons travailler avec Annick Girardin, lors des assises de l'outre-mer, sur la santé dans les DOM. La Stratégie nationale de santé comprend aussi un chapitre dédié à la santé dans les DOM, reprenant les quatre axes de la stratégie, dont celui de l'accès aux soins.

Je souhaite qu'il y ait un chapitre par département d'outre-mer, car les problèmes diffèrent selon les départements - j'ai visité récemment le Centre hospitalier et universitaire de Guadeloupe.

Je ne rentrerai pas dans le débat sur l'Établissement français du sang, très technique et qui ne relève pas du PLFSS, même si j'entends vos questions.

Madame Micouleau, effectivement le manque de médecins généralistes s'aggravera jusqu'en 2025 avant de s'améliorer. Je veux impérativement dégager du temps médical et supprimer la paperasserie pour les médecins, afin qu'ils fassent de la médecine et rien d'autre. Aidons-les sur la délégation de tâches et la coopération interprofessionnelle.

Certains professionnels comme des infirmières peuvent intervenir sur la gestion d'un INR (International Normalised Ratio) et l'adaptation d'un traitement anticoagulant, grâce à des protocoles qui feront gagner du temps médical.

Madame Schillinger, l'alcool fera partie du chapitre sur les addictions de la Stratégie nationale de santé, nous vous répondrons après les consultations. Sur la situation des frontaliers, nous attendons les décisions de justice, et notamment celle de la Cour de cassation, avant de tirer des conclusions pour accompagner ces professionnels.

Monsieur Chasseing, je n'ai pas parlé du numerus clausus car il ne répond pas à la question de la désertification médicale : il faut douze ans pour former un professionnel. Or dès 2025, nous aurons une augmentation importante de la démographie médicale du fait de l'ouverture du numerus clausus ces dix dernières années. Voyez les projections de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) : je ne veux pas reproduire les erreurs de mes prédécesseurs qui ont mal anticipé les besoins en médecins en fermant le numerus clausus et en l'ouvrant trop tardivement, faute d'avoir anticipé les modifications de la pratique médicale et les aspirations des jeunes professionnels à avoir des horaires différents. Je préfère mener une réflexion collective sur le métier de médecin en 2025, leur accompagnement, la place de la médecine algorithmique, la délégation de tâches, et mettre en regard les besoins en médecins et la progression des professions paramédicales, beaucoup moins régulées. Ayons un regard général sur la démographie des professionnels de santé en 2025 et de « qui fait quoi », plutôt que d'ouvrir le numerus clausus, même s'il s'agissait d'une promesse du président de la République sur laquelle nous travaillerons. S'il est ouvert aujourd'hui, ces professionnels arriveront en 2029. Quel sera l'exercice de la médecine alors ? Privilégions cet angle plutôt que celui des déserts médicaux.

Nous avons répondu sur les buralistes. Je tiens au maillage territorial des pharmacies, je ne souhaite pas les regrouper à tout prix. Nous allons renforcer le tarif soins pour avoir plus d'infirmières en Ehpad, et nous augmenterons le nombre d'infirmières. L'Ehpad d'aujourd'hui ne ressemble pas à son objectif initial. Les résidents actuels ne sont pas les mêmes qu'il y a dix ans. L'Ehpad est-il l'unique modèle d'accompagnement du vieillissement ? Certainement pas. Nous lancerons une mission sur ce que doivent être les différentes étapes avant l'entrée en Ehpad, alors qu'actuellement ils accompagnent des personnes extrêmement grabataires.

Madame Gruny, en tant qu'hématologue, je connais particulièrement bien le sujet du tarif de la perfusion de fer. Il a été diminué car il n'y a quasiment aucune indication de la perfusion de fer. Cette perfusion était réalisée à mauvais escient et elle représentait quelques dizaines de malades par an. Arrêtons des perfusions en fer totalement inutiles chez des personnes carencées, qui peuvent être remplacées par un traitement oral. Cette mesure est totalement volontaire : arrêter un acte non pertinent trop bien tarifé.

Monsieur Sol, M. Darmanin a répondu sur les marchés transfrontaliers. Nous travaillons avec les départements sur une cartographie départementale des places en Ehpad, afin que les places soient disponibles au bon endroit.

M. Alain Milon , président . - Merci, Madame et Monsieur les ministres, pour vos réponses complètes - ce qui est assez nouveau. J'approuve à 1 000 % le programme santé, un peu moins le programme financier...

M. Didier Migaud,
premier président de la Cour des comptes

Réunie le 10 octobre 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes.

M. Alain Milon , président . - Nous accueillons cet après-midi M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, qui va nous présenter le rapport annuel de la Cour sur les lois de financement de la sécurité sociale.

Cette contribution essentielle à l'analyse de notre système de protection sociale marque traditionnellement le début de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Celui-ci sera délibéré demain en Conseil des ministres et nous entendrons dès la semaine prochaine les ministres concernés et les dirigeants des différentes branches.

Le rapport annuel de la Cour apporte comme à l'accoutumée un nombre considérable d'éléments très stimulants pour notre réflexion. Il a tout d'abord le mérite de clarifier la réalité de la situation financière de la sécurité sociale, en confirmant ce que nous avions souligné lors de la discussion du projet de loi de financement de l'an dernier, à savoir la persistance d'un déficit élevé de l'assurance maladie et une tendance à l'accentuation des charges de retraite. Par ailleurs, le rapport de cette année contient un certain nombre d'analyses plus détaillées sur l'organisation des soins, sur les dépenses de médicament ou encore sur les aides aux familles.

Pour cette présentation, M. Didier Migaud est accompagné de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre, de M. Henri Paul, rapporteur général de la Cour, et de M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître.

Notre réunion fait l'objet d'une retransmission vidéo.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes . - Je suis heureux de vous présenter notre rapport 2017 sur la sécurité sociale. Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui sera déposé demain sur le bureau de votre assemblée.

J'ai auprès de moi, pour vous présenter le travail de la Cour, Antoine Durrleman, président de la sixième chambre chargée de sa préparation, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport et Delphine Rouilleault, rapporteure générale adjointe. De nombreux autres rapporteurs ont contribué à ce rapport.

Dans le prolongement de son audit général des finances publiques de juin dernier, comme de ses précédents rapports annuels sur la sécurité sociale, la Cour s'est attachée à approfondir l'analyse de la trajectoire financière de la sécurité sociale à l'horizon 2020 et de ses déterminants.

De cette analyse, la Cour a tiré quatre constats principaux.

Tout d'abord, la Cour constate que la réduction du déficit de la sécurité sociale et le reflux de la dette sociale se sont poursuivis en 2016, ce qui témoigne d'efforts certains de maîtrise des dépenses. Toutefois - et c'est le deuxième constat - la situation financière de la sécurité sociale n'est pas encore assainie. Ensuite, le caractère incomplet et fragile du redressement financier appelle à engager ou à amplifier des réformes structurelles qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, ont des résultats importants. Enfin, pour accélérer le retour à l'équilibre, il convient d'exploiter beaucoup plus activement les marges importantes d'efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie. Cette année, la Cour illustre ces marges dans deux domaines : le médicament et les soins médicaux.

De ces observations découle en définitive un message central et essentiel : si les progrès que relève la Cour sont très lents et encore inaboutis, et si la persistance des déficits depuis 2002 fragilise cet instrument majeur de solidarité entre assurés sociaux et entre générations qu'est la sécurité sociale, cette situation n'a rien d'inéluctable.

Revenir plus rapidement à l'équilibre financier, éteindre totalement la dette sociale, éviter par la suite de retomber dans la spirale des déficits et de l'endettement est non seulement indispensable, mais est, selon nous, possible.

J'en viens au premier constat de la Cour. En 2016, le déficit de la sécurité sociale a poursuivi le mouvement de baisse progressive engagé depuis 2010, année où il avait atteint le niveau historiquement élevé de près de 30 milliards, dans le contexte de la crise économique.

Ainsi, le déficit agrégé de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est établi en 2016 à 7 milliards, contre 10,3 milliards en 2015. Le déficit du régime général seul et du FSV, qui constitue l'essentiel des enjeux financiers, a été ramené pour sa part à 7,8 milliards, contre 10,8 milliards en 2015.

La Cour relève à cet égard cinq évolutions positives. En premier lieu, le déficit est revenu, pour la première fois, à un niveau inférieur à celui de l'avant-crise financière. Ensuite, pour la première fois également, la baisse du déficit a été pour l'essentiel de nature structurelle, indépendante de la conjoncture économique : le déficit structurel s'est réduit de 0,1 point de PIB.

Par ailleurs, contrairement aux autres années, la réduction du déficit a été obtenue sans mesures d'augmentation nette des recettes. Pour la première fois encore, toutes les branches et le FSV ont vu leur solde s'améliorer simultanément. Enfin, grâce à la réduction des déficits, la dette sociale a confirmé le mouvement de reflux engagé en 2015 : elle a baissé de 5,3 milliards pour atteindre 151,1 milliards fin 2016.

La Cour met donc en lumière les progrès enregistrés en 2016, qui s'inscrivent dans une trajectoire de retour progressif à l'équilibre. Toutefois, un chemin important reste encore à parcourir pour assainir la situation financière de la sécurité sociale. Son déficit reste en effet très élevé. Il se réduit moins fortement qu'affiché et est de plus en plus concentré sur l'assurance maladie et l'assurance vieillesse. C'est le deuxième constat formulé par la Cour.

En ce qui concerne l'année 2016 tout d'abord, la Cour a établi quatre observations moins favorables que celles que j'évoquais à l'instant. Tout d'abord, le déficit a été minoré par un produit exceptionnel de contribution sociale généralisée (CSG) de 740 millions, dépourvu de base juridique, qui n'aurait pas dû être inscrit en recette de la branche maladie. Corrigé de cette écriture comptable, le déficit atteint en réalité 8,5 milliards, soit une diminution de 2,3 milliards qui est finalement du même ordre qu'en 2015. Ensuite, le déficit conserve toujours une importante composante structurelle. Ainsi, il aurait fallu environ 4 milliards de mesures supplémentaires de redressement pour parvenir en 2016 à l'équilibre structurel. En troisième lieu, comme c'est le cas depuis 2014, la réduction du déficit repose pour partie sur des recettes exceptionnelles, non reconductibles. Enfin, si le montant total de la dette sociale se réduit, une partie de celle-ci n'a pas été transférée à la Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale) pour en assurer le remboursement, mais demeure portée par l'Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale). La répétition des déficits annuels conduit à faire grossir cette composante de la dette, qui est exposée à la remontée des taux d'intérêt à court terme et dont le remboursement n'est pas organisé.

Plus particulièrement, le retour de la sécurité sociale à l'équilibre se heurte aux déficits persistants de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse. En effet, la réduction du déficit de l'assurance maladie, corrigé du produit exceptionnel de CSG que j'évoquais à l'instant, se révèle très limitée, le déficit s'établissant à 5,5 milliards en 2016 contre 5,8 milliards en 2015.

Le déficit de l'assurance maladie représente désormais les deux-tiers du déficit total de la sécurité sociale. Il y a deux ans, c'était moins de la moitié.

En 2016, la branche vieillesse du régime général est certes pour la première fois à l'équilibre depuis 2004. Mais le FSV, qui finance une partie de ses dépenses, a toujours un lourd déficit. De ce fait, les retraites de base des salariés du secteur privé connaissent encore un important déséquilibre global, soit 2,8 milliards en 2016 après 4,2 milliards en 2015.

Pour ce qui concerne 2017, le déficit de la sécurité sociale va continuer à se réduire, mais moins fortement que ne le prévoyait la loi de financement pour 2017. La loi de financement pour 2017 prévoyait un déficit du régime général et du FSV de 4,1 milliards. La commission des comptes de la sécurité sociale avait revu à la hausse cette estimation à 5,5 milliards en juillet dernier. Compte tenu d'une progression des recettes plus forte qu'attendu, du fait d'une croissance plus rapide de la masse salariale, la commission des comptes réunie le 28 septembre dernier a ramené l'estimation du déficit à 4,4 milliards.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 présenté le même jour rehausse néanmoins à 5,2 milliards la prévision de déficit pour 2017. Cette révision est due à une modification du périmètre des recettes. En effet, le projet de loi supprime une mesure de financement dont la Cour avait souligné la complexité : la création d'une contribution supplémentaire à la contribution sociale de solidarité des sociétés, partiellement acquittée sous forme d'acompte versé en fin d'année. En outre, il met fin à une incertitude, également relevée par la Cour : le crédit d'impôt de taxe sur les salaires au bénéfice des associations et organismes à but non lucratif ne sera finalement pas compensé par l'État à la sécurité sociale.

En tout état de cause, malgré d'importants transferts de recettes en provenance de la branche vieillesse (1,7 milliard), le déficit de l'assurance maladie, qui pourrait atteindre 4,1 milliards, continuera de constituer en 2017 l'essentiel du déficit de la sécurité sociale. La dynamique des dépenses reste en effet forte. La loi de financement pour 2017 a relevé à 2,1 % le taux de progression de l'Ondam (Objectif national des dépenses d'assurance maladie). Le projet de loi de financement pour 2018 porte en définitive la progression de l'Ondam à 2,2 % pour 2017 et la fixe à 2,3 % pour les années 2018 à 2021. Ces évolutions marquent une rupture sensible par rapport à la période récente au cours de laquelle le taux d'augmentation de l'Ondam avait continûment diminué (+ 1,75 % en 2016).

En outre, la progression réelle des dépenses en 2016 et en 2017 est pour partie masquée par les biais de plus en plus marqués qui affectent la sincérité de l'Ondam. Les cas de figure sont nombreux. Certaines dépenses sont ainsi rattachées à l'année suivante : c'est le cas d'une partie des dépenses des établissements de santé relatives aux molécules sous ou post autorisation temporaire d'utilisation (ATU), pour un montant de 180 millions en 2016. D'autres sont sorties de manière injustifiée du périmètre de l'Ondam : en 2017, une partie des dépenses de médicaments est ainsi reportée sur un nouveau fonds de l'innovation pharmaceutique, à hauteur de 220 millions. En outre, les diminutions de charges liées à des contractions de dépenses avec des recettes sont prises en compte en tant qu'économies alors qu'elles n'ont aucun effet sur le déficit de l'assurance maladie, puisque ses produits baissent aussi : c'est le cas de la part des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés prise en charge par l'assurance maladie, pour 270 millions en 2017. Enfin, certaines dépenses sont reportées sur d'autres financeurs publics, pour 410 millions en 2017, ce qui ne réduit en rien le déficit des administrations publiques dans leur ensemble. Ainsi en est-il du transfert à divers organismes hospitaliers de la contribution de l'assurance-maladie au Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés.

C'est une part croissante des dépenses qui échappe ainsi à l'Ondam. En définitive, quand on neutralise les effets de ces divers procédés, ce n'est pas de 1,8 % que l'ONDAM a progressé en 2016, mais de 2,2 %. Pour 2017, son augmentation prévisionnelle n'est pas de 2,1 %, comme affiché par la loi de financement pour 2017, ni même de 2,2 % comme réestimé par celle pour 2018, mais de 2,4 %. Dès lors, même si l'objectif a été respecté en 2016, pour la septième année consécutive, ce résultat a de moins en moins de portée.

La Cour ne peut qu'appeler à mettre fin aux pratiques qui affectent ainsi la sincérité de l'Ondam. En particulier, toutes les dépenses de médicaments devraient être prises en compte dans l'objectif, alors qu'une partie d'entre elles en a été sortie par la création du fonds de financement de l'innovation pharmaceutique. De plus, ce fonds a été doté par un simple jeu d'écritures comptables, sans que lui soient apportées de véritables ressources.

En ce qui concerne les années à venir, le projet de loi de financement pour 2018 prévoit un retour à l'équilibre de la sécurité sociale en 2019. Notre rapport souligne que cette prévision de retour à l'équilibre est fragile. Selon les prévisions du projet de loi de financement pour 2018, le déficit de l'assurance maladie devrait se contracter fortement en 2018, puis faire place à des excédents croissants à partir de 2019. Cette amélioration serait cependant due avant tout à une forte croissance des recettes, sous l'effet notamment de la hausse des droits de consommation sur le tabac et de la CSG. Ce que montre la Cour, c'est qu'il serait dangereux de faire reposer sur une embellie de la conjoncture le rétablissement pérenne de l'équilibre des comptes. Les dépenses d'assurance maladie augmentent en effet à un rythme rapide et leur progression risque de s'accélérer, possiblement au-delà des 2,3 % prévus pour l'Ondam entre 2018 et 2021. Ce risque découle non seulement des augmentations tarifaires accordées aux professionnels libéraux de santé (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes...) et des augmentations salariales dans la fonction publique hospitalière, mais aussi d'un défaut persistant de maîtrise des dépenses de soins de ville. En effet, les dépenses de dispositifs médicaux, de transports, d'indemnités journalières et d'actes de spécialistes et d'auxiliaires médicaux augmentent à des rythmes de moins en moins soutenables. Le seul poste de dépenses maîtrisé aujourd'hui est celui des médicaments.

L'évolution des dépenses de retraites est un autre facteur de risque. Le Conseil d'orientation des retraites, dans son rapport de juillet dernier, indique que l'augmentation des dépenses va s'accélérer à partir de 2018 et qu'en raison d'évolutions démographiques et économiques moins favorables, la situation des régimes de retraite va se dégrader beaucoup plus rapidement et plus profondément qu'il ne l'avait estimé l'année dernière. Ces nouvelles projections attestent du bien-fondé de la prudence à laquelle la Cour avait appelé dans son rapport de l'an dernier. Elle avait estimé que les perspectives financières du système de retraite qui avaient alors été rendues publiques étaient entachées de biais d'optimisme.

Dans son rapport, la Cour relève au surplus que la loi de financement pour 2017 a masqué la dégradation du solde de l'assurance vieillesse des salariés du secteur privé à partir de 2018.

En effet, les prévisions établies dans l'annexe B de la loi, qui décrit l'évolution des agrégats de dépenses, de recettes et de soldes du régime général, de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV pour la période 2017-2020, ont intégré des transferts de recettes des trois autres branches de la sécurité sociale (maladie, accidents du travail - maladies professionnelles et famille). D'un montant de 3 milliards d'ici à 2020, ces transferts modifiaient très sensiblement les soldes prévisionnels des branches par rapport à leur évolution spontanée. Pourtant, aucun élément d'information n'avait été transmis à leur sujet au Parlement dans l'annexe B. À l'évidence, il y avait là un défaut manifeste d'information du Parlement.

De manière générale, les transferts incessants de recettes entre branches et avec le FSV que prévoient les projets de loi de financement, année après année, nuisent fortement à la clarté de la situation financière de la sécurité sociale et de ses branches.

À cet égard, l'observation de la Cour sur les prévisions de solde par branche contenues dans l'annexe B a eu un effet rapide et je m'en réjouis : d'après les informations qui nous ont été communiquées, dans le projet de loi de financement pour 2018, les prévisions de solde sont bien présentées à périmètres constants de recettes et de dépenses. Pour l'assurance vieillesse, FSV compris, elles font ainsi apparaître des déficits prévisionnels qui dépassent 3 milliards pour chacune des années 2018 à 2021.

Des économies supplémentaires sur les dépenses d'assurance vieillesse et d'assurance maladie apparaissent ainsi nécessaires pour garantir le retour durable à l'équilibre de la sécurité sociale à l'échéance de 2019, réduire au maximum l'accumulation de déficits laissés à l'Acoss et faciliter ainsi le remboursement de la dette sociale correspondante.

Revenir plus rapidement à l'équilibre financier de la sécurité sociale, mais aussi éteindre la totalité de la dette sociale d'ici à 2024, date à laquelle est prévue l'extinction de la Cades, sont des objectifs essentiels. En 2016, le paiement des intérêts et le remboursement des emprunts contractés pour financer les dépenses sociales des années passées ont nécessité pas moins de 15 milliards. La Cour appelle ainsi les pouvoirs publics à fixer sans attendre une trajectoire de remboursement de la dette sociale aujourd'hui laissée à l'Acoss, en l'accompagnant de l'attribution des ressources nécessaires à la Cades.

Le caractère incomplet et fragile du redressement financier de la sécurité sociale appelle à engager ou à amplifier des réformes qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, produisent des résultats importants. C'est le troisième des quatre constats du rapport.

On entend souvent dire que la France se réforme peu, dans le domaine de la sécurité sociale comme dans les autres. Cette assertion n'est pas exacte. Des réformes importantes et difficiles ont été faites. Elles obtiennent des résultats. Si j'ose dire, les efforts paient.

Dans son rapport de l'année dernière, la Cour avait ainsi souligné que les retraites de base et complémentaires des salariés du secteur privé avaient été réformées à plusieurs reprises depuis 1993 et que ces réformes avaient permis d'améliorer très nettement leurs perspectives financières, même si de nouveaux ajustements étaient à anticiper. Ces nouveaux ajustements seront d'autant moins douloureux qu'ils auront été engagés sans attendre et que la gestion des retraites sera assurée avec toute la rigueur requise.

À cet égard, l'analyse par la Cour des conditions de versement des pensions aux assurés résidant à l'étranger (6,5 milliards en 2015) montre que les actions de contrôle mises en oeuvre sont nettement insuffisantes au regard des risques de fraude : certaines situations sont tout à fait aberrantes.

Afin de réduire ces risques, la Cour recommande de développer les échanges informatisés de données avec les régimes des pays représentant les principaux enjeux, de mutualiser les certificats d'existence entre les régimes de retraite et de développer des contrôles sur place, ciblés notamment sur les assurés les plus âgés.

Après les retraites, la Cour dresse cette année un premier bilan d'ensemble d'une autre série de réformes de grande ampleur, celles des soutiens fiscaux et sociaux aux familles pour près de 60 milliards en 2015, engagées entre 2012 et 2015. Il s'agit de la baisse en deux étapes de l'avantage fiscal du quotient familial ; de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus ; de la sélectivité accrue de la prestation d'accueil du jeune enfant et des fortes revalorisations de l'allocation de rentrée scolaire, du complément familial pour les familles nombreuses et de l'allocation de soutien familiale pour les familles monoparentales. À partir d'études pour la plupart inédites, la Cour éclaire de manière détaillée les effets des réformes sur la situation des familles en fonction de leur revenu et de leur configuration. Conformément aux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, des transferts massifs sont intervenus dans le sens d'une redistribution nettement accrue entre familles aux deux extrémités de la distribution des revenus.

Notre système de prestations familiales a ainsi connu une mutation historique, qui le rapproche de celui de la plupart de nos voisins : la quasi-totalité des prestations est désormais placée sous condition de ressources ; les aides fiscales et sociales aux familles n'ont plus un caractère globalement croissant avec les revenus ; la fameuse « courbe en U », qui reflétait l'augmentation des aides avec celle du revenu, principalement par le jeu du quotient familial, est désormais aplanie, sans être pour autant parfaitement linéaire. Mais notre politique familiale n'est pas exempte de limites, voire de contradictions, même après les réformes. La Cour a procédé à une mise en perspective internationale des aides aux familles qui montre que d'autres pays, au prix de choix plus affirmés, obtiennent parfois de meilleurs résultats en matière de réduction de la pauvreté ou de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. À cet égard, l'objectif de création de 275 000 nouvelles solutions de garde entre 2013 et 2017 sera loin d'être atteint. La garde des enfants en bas âge à l'extérieur du cadre familial, en crèche ou par une assistante maternelle, connaît des disparités territoriales et sociales majeures.

Plus généralement, les comparaisons internationales auxquelles a procédé la Cour mettent en lumière des questions essentielles pour les objectifs et les outils de notre propre politique familiale. Faut-il mettre l'accent sur les prestations monétaires ou sur les solutions d'accueil pour permettre à un plus grand nombre de mères de travailler ? Faut-il privilégier l'universalité des prestations ou les cibler plus fortement ? Faut-il continuer à apporter un soutien croissant en fonction du nombre d'enfants ou mieux prendre en compte des charges liées à la venue d'un premier enfant ? Faut-il maintenir une dualité de la gestion des aides sociales et fiscales aux familles, assurées respectivement par une branche de la sécurité sociale et par le budget de l'État, singularité que nous ne partageons qu'avec la Belgique ?

La Cour appelle ainsi à mieux mettre en perspective les enjeux de la politique familiale, à établir plus clairement ses priorités et à mieux articuler en conséquence ses outils.

Les réformes structurelles intervenues dans les domaines des retraites et de la famille contrastent très fortement avec la forme d'attentisme qui prévaut trop souvent en matière d'assurance maladie, qui est en déficit continu depuis 25 ans, soit une génération entière.

Bien entendu, l'enjeu financier n'est pas un objectif en soi. Si la Cour réitère ses avertissements, c'est bien parce que la persistance des déficits, qui alimentent la dette sociale dans les conditions coûteuses et alors même que d'importantes marges d'efficience existent, risque de remettre en question l'efficacité des politiques publiques que porte la sécurité sociale et, à terme, le dispositif essentiel de solidarité qu'elle constitue.

Voilà pourquoi il s'agit d'un enjeu fondamental, bien au-delà de toute considération étroitement comptable. Or, l'assurance maladie peine à remplir sa mission première, qui est d'assurer l'égal accès de tous aux meilleurs soins, en intégrant en permanence tous les apports, souvent très coûteux, du progrès médical. La protection qu'elle assure tend à s'éroder, comme la Cour l'a montré l'année dernière en analysant l'évolution générale des modalités de prise en charge des dépenses de santé et les difficultés importantes qui en résultent dans certains domaines, comme les soins bucco-dentaires. C'est pourquoi il convient d'exploiter beaucoup plus activement les importantes marges d'efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie. C'est le quatrième et dernier constat sur lequel je souhaite revenir.

L'exemple du médicament, qui fait l'objet d'une partie du rapport, montre qu'il n'y a pas de fatalité à la dérive des dépenses quand une action cohérente, résolue et continue est conduite, et même si des gisements importants d'économies restent à mobiliser. La Cour met en effet en évidence l'importance des progrès intervenus dans la politique du médicament par rapport à la situation qu'elle avait constatée dans une précédente enquête en 2011.

La loi a complété ou précisé le cadre juridique de la fixation du prix des médicaments. Les ministres adressent à l'instance interministérielle qui négocie les prix avec les entreprises -le Comité économique des produits de santé (Ceps)- des lettres d'orientation qui fixent des objectifs de plus en plus exigeants.

Une clause de sauvegarde plafonnant la dépense totale de médicaments et une contribution spécifique aux médicaments très onéreux de traitement de l'hépatite C ont été instaurées afin d'encadrer l'évolution des dépenses. Fait suffisamment rare pour être souligné, les dépenses de médicaments en ville remboursables par l'assurance maladie, à la dynamique très vive et constante jusqu'en 2010, sont orientées à la baisse. En 2015, elles ont retrouvé leur niveau de 2008 (29,8 milliards).

Mais, avec l'arrivée sur le marché de nouveaux traitements dont les prix demandés pourraient être très élevés, comme pour le cancer, l'assurance maladie est confrontée à un défi de soutenabilité de la dépense de médicaments.

Par ailleurs, même réduit par des remises, le prix de nombreux médicaments reste imparfaitement corrélé à leur apport thérapeutique réel. Des considérations de nature industrielle peuvent interférer et conduire parfois à des prix anormalement élevés. Des progrès importants restent nécessaires pour rééquilibrer la position de négociation des pouvoirs publics face à des entreprises pharmaceutiques mondialisées et pour gérer plus activement le stock des prix de médicaments anciens.

La Cour recommande ainsi de renforcer les moyens humains et matériels de l'instance qui négocie les prix, qui sont très insuffisants, de réviser des dispositions conventionnelles par trop favorables aux entreprises pharmaceutiques comme la garantie de prix européen, de développer l'évaluation médico-économique, encore trop rare, et enfin de rendre systématiques les révisions de prix et la transformation des remises en des baisses de prix passé un certain délai.

Aborder la question du prix des médicaments suppose de prendre la mesure d'une de ses composantes, le coût de leur distribution, qui n'est pas suivi par les pouvoirs publics. Pourtant, en 2015, ce coût a représenté le tiers de la dépense totale de médicaments dispensés par les pharmacies, soit 8,3 milliards, dont 7,4 milliards ont été perçus par les pharmacies elles-mêmes. En plus de leur rémunération réglementée de 5,4 milliards, ces dernières ont en effet bénéficié de 2 milliards de rémunérations supplémentaires, dont 1,5 milliard provenant d'avantages commerciaux accordés par les entreprises pharmaceutiques et 500 millions d'une partie de la marge réglementée de la distribution en gros. Le coût de distribution des génériques est particulièrement considérable : la moitié des dépenses de génériques sert en effet à rémunérer les pharmacies qui les dispensent. Cette situation contribue à placer les prix des génériques à un niveau nettement plus élevé que chez nos voisins. J'ai déjà eu l'occasion d'aborder cette question.

Dans une large mesure, le niveau du coût de distribution des médicaments est corrélé à la densité de pharmacies par habitant, pour laquelle la France est en deuxième position en Europe occidentale, après l'Espagne. Chaque pharmacie dessert ainsi en moyenne près de 3 000 habitants, contre 4 000 en Allemagne et 4 500 au Royaume-Uni.

En définitive, la Cour recommande une refonte des modes de rémunération des pharmacies afin de réduire les coûts de distribution, en les désensibilisant complètement au nombre comme au prix des boîtes vendues et en révisant les marges très élevées consenties pour la distribution des génériques. Elle propose aussi de favoriser la rationalisation du réseau officinal, notamment en encourageant le développement de modes de distribution alternatifs pour les médicaments à prescription médicale facultative : ventes sur internet et dans d'autres réseaux de distribution.

Bien entendu, ces évolutions devraient s'inscrire dans un respect strict et rigoureusement contrôlé par l'Ordre des pharmaciens des règles déontologiques qui s'appliquent à la profession de pharmacien.

Par ailleurs, un maillage territorial étroit des pharmacies doit être préservé afin d'assurer un accès de proximité au médicament, en ciblant des aides sur celles, 400 à 500 environ, dont l'existence pourrait être menacée alors qu'elles jouent un rôle essentiel.

Autre domaine sur lequel la Cour s'est penchée cette année : l'organisation des soins. Dans ce domaine, la recherche de l'efficience est un objectif majeur qui doit être partagé par tous. L'assurance maladie ne saurait s'exonérer de l'effort demandé à l'ensemble des acteurs. En effet, si la Cour a noté les actions qui visent à faire revenir à l'équilibre financier les établissements sanitaires et sociaux dont l'assurance maladie assure la gestion, elle souligne que ces actions sont encore insuffisantes.

De fait, les questions de fond sont esquivées, notamment celle, centrale, du bien-fondé même de la gestion d'établissements de soins par l'assurance maladie, qui est sans synergies véritables avec sa mission de gestion du risque maladie. La Cour recommande donc d'aligner sur le droit commun les modalités de financement de ces établissements et d'engager la transformation du cadre de leur gestion pour favoriser, à terme, leur autonomie.

Plus généralement, la Cour rappelle que, loin de s'opposer entre eux, les objectifs de renforcement de la qualité et de l'accessibilité des soins et de maîtrise des dépenses sont en réalité convergents. Les exemples des soins de spécialité, des activités chirurgicales et de la télémédecine le mettent clairement en évidence. Tout d'abord, l'organisation de la médecine de spécialité - 16 milliards de dépenses de santé en 2015 - présente un paradoxe apparent : les médecins spécialistes sont de plus en plus nombreux mais les inégalités d'accès aux soins se creusent et favorisent le report de la demande de soins sur les urgences hospitalières.

Ces inégalités sont d'une part territoriales, entre les zones urbaines sur-dotées et les zones péri-urbaines et rurales sous-dotées, entre certains départements, et dans un même département entre certaines communes, qui se trouvent désertées par certaines spécialités ; d'autre part, ces inégalités sont financières, en raison de la croissance forte et continue sur le long terme des dépassements d'honoraires pratiqués par les spécialistes de secteur 2, de plus en plus nombreux.

À l'inverse, les spécialistes de secteur 1 à honoraires conventionnels sont de plus en plus minoritaires dans certaines disciplines et dans les zones urbaines sur-dotées.

L'assurance maladie a développé tardivement des incitations financières à la modération des tarifs, qui ont favorisé un léger repli du taux moyen de dépassement d'honoraires des spécialistes de secteur 2. Mais, dans le même temps, les possibilités d'accès au secteur 2 ont été élargies pour les spécialistes de secteur 1. En définitive, l'assurance maladie ne dépense pas moins de dix euros en incitations financières pour éviter un euro supplémentaire de dépassement des honoraires conventionnels !

C'est ce que constate la Cour, en toute rigueur, en comparant l'évolution des dépassements des spécialistes de secteur 2 adhérents au contrat d'accès aux soins (CAS) à ceux des non-adhérents et en appliquant au montant de leurs dépassements de 2012 le taux d'augmentation des dépassements des non-adhérents entre 2013 et 2015. En 2015, 18 millions de dépassements ont ainsi été évités au regard de 183 millions d'incitations financières.

Il faut aussi avoir conscience que les incitations financières de l'assurance maladie ne sont pas le seul facteur explicatif du repli du taux moyen de dépassement des spécialistes de secteur 2. Ce repli a en effet débuté en 2012, avant qu'elles n'entrent en vigueur, en raison d'une conjoncture économique dégradée, du plafonnement croissant de la prise en charge des dépassements par les complémentaires santé - à la suite notamment de la réforme des « contrats responsables » de 2014 - et de l'augmentation du nombre de titulaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS), auxquels les médecins ne peuvent appliquer de dépassements, sauf exception. Dans ce contexte, la Cour recommande de mettre en oeuvre des instruments de régulation plus contraignants. Elle préconise la révision des nomenclatures des actes médicaux, qui sont obsolètes et déconnectées des coûts ; le déploiement de forfaits de rémunération des soins médicaux pour les patients affectés par des maladies chroniques, remédiant ainsi aux effets inflationnistes du paiement à l'acte ; la mise en place d'un conventionnement sélectif des médecins spécialistes. Ainsi, dans les zones sur-dotées, seuls des spécialistes de secteur 1 devraient pouvoir s'installer afin d'y recréer une offre de soins financièrement abordable.

L'organisation des soins chirurgicaux - 5,9 millions d'interventions et près de 16 milliards de dépenses d'assurance maladie en 2015 -, quant à elle, se modernise : les surcapacités de chirurgie conventionnelle se réduisent et la chirurgie ambulatoire se développe, même si les objectifs fixés dans ce domaine par les pouvoirs publics à l'horizon 2018 ne seront pas atteints.

Mais la permanence d'une offre de soins éclatée entre un grand nombre d'établissements publics et privés pratiquant une gamme étendue d'opérations est, selon de nombreuses études, de nature à nuire à la qualité et la sécurité des soins, quand elle repose sur des équipes opératoires insuffisamment étoffées ou stables, ou lorsque ces équipes pratiquent peu d'opérations. On constate que 29 établissements comportent des services de chirurgie qui ont enregistré moins de 750 séjours en 2015.

La Cour recommande ainsi de concentrer plus fortement l'offre de soins chirurgicaux en fixant des seuils d'activité par site géographique d'établissement, et à terme par chirurgien, et en les faisant appliquer rigoureusement. De fait, moins de 6 % des actes chirurgicaux sont aujourd'hui encadrés par des seuils d'autorisation par établissement, et leur respect n'est pas toujours assuré. La Cour propose aussi d'organiser, dans le cadre des nouveaux groupements hospitaliers de territoire, une prise en charge chirurgicale graduée des patients selon la complexité des interventions que requiert leur état.

En outre, l'outil tarifaire serait à mobiliser beaucoup plus activement pour assurer la pertinence des interventions chirurgicales et le développement de la chirurgie ambulatoire.

À cet égard, je voudrais attirer votre attention sur l'article 46 du projet de loi de financement. Il prévoit la suppression du mécanisme de dégressivité tarifaire, qui visait, depuis 2014, à inciter les établissements de santé à modérer le volume de certaines de leurs activités chirurgicales afin d'améliorer la pertinence des soins. Si ce dispositif présente des limites, la Cour estime qu'il concourt utilement à réguler l'activité des hôpitaux. C'est pourquoi elle appelle à le réformer pour en améliorer l'efficacité, suivant plusieurs pistes d'évolution présentées dans le rapport.

Enfin, comme le montrent les exemples étrangers, la télémédecine peut apporter une contribution majeure à l'accessibilité, la qualité et l'efficience des soins. Pourtant, sa place demeure plus que marginale en France. Elle pâtit du manque de cohérence et de continuité de l'action des pouvoirs publics, qui multiplient les expérimentations sans financement stable ni évaluation, tandis que l'assurance maladie avance de son côté, de manière autonome. Pour que la télémédecine se développe, des préalables juridiques et techniques restent à lever. Après l'échec coûteux du dossier médical personnel, il faut désormais réussir la généralisation du dossier médical partagé. Des modalités de rémunération innovantes, s'éloignant de la rémunération à l'acte de chaque intervenant, sont à mettre en place.

C'est à la condition d'une stratégie forte et cohérente que notre système de santé pourra bénéficier des possibilités d'amélioration de la prise en charge des patients que recèlent les différentes formes de télémédecine, notamment la télésurveillance des patients affectés par des maladies chroniques. Celle-ci pourrait dégager, selon certaines études, jusqu'à 2,5 milliards d'économies.

En conclusion, le retour à l'équilibre de la sécurité sociale est non seulement indispensable, mais il est possible. Les déficits ne sont en rien une fatalité. Encore faut-il que le mode de pilotage financier de la sécurité sociale soit à même d'éviter la spirale des déficits et de la dette.

Depuis 2011, la sécurité sociale revient progressivement à l'équilibre, mais c'est au prix de 37 milliards de hausses de prélèvements obligatoires et d'importants transferts de l'État : au-delà de la seule compensation des allègements généraux de charges, ce dernier a apporté à la sécurité sociale près de 4 milliards de ressources, alors même que son propre déficit se creusait. La période de croissance économique relativement forte, avant 2009, n'a pas été mise à profit pour remettre la sécurité sociale à l'équilibre. Celle-ci est entrée dans la crise avec de lourds déficits. Les 220 milliards de déficits accumulés entre 2002 et 2016 ont ainsi une origine essentiellement structurelle, indépendante de la conjoncture économique.

Afin d'éviter de reproduire à l'avenir une trajectoire de ce type, c'est un nouveau cadre de responsabilité qu'il importe de définir pour créer les conditions d'un équilibre pérenne, proscrire la formation de nouveaux déficits structurels et la résurgence d'un endettement social dont l'extinction reste pour partie à organiser.

La Cour propose les modalités de ce nouveau cadre de responsabilité, à partir d'une analyse rétrospective des déterminants du déficit persistant de la sécurité sociale depuis 2002, des limites des outils utilisés pour son redressement et des difficultés qui demeurent. Elle recommande ainsi d'articuler précisément les lois de financement de la sécurité sociale, les lois de finances et les lois de programmation des finances publiques, en organisant en particulier une discussion commune du volet « recettes » des lois financières afin de mieux éclairer le Parlement. Elle préconise également de rendre plus transparents les transferts entre branches et entre l'État et la sécurité sociale. Enfin, elle appelle à interdire le financement de déficits structurels dans le cadre de la gestion courante de la trésorerie de la sécurité sociale par l'Acoss et de mettre en place des mécanismes de lissage conjoncturel des recettes, en les alimentant quand la conjoncture est favorable et en utilisant les sommes ainsi mises en réserve quand elle se détériore.

La situation de l'assurance maladie et celle des retraites appellent des mesures rapides de redressement qui passent par l'engagement ou l'amplification de réformes structurelles. Ces réformes, si difficiles soient-elles parfois, obtiennent des résultats probants. Mais il faut, dans le même temps, aller au-delà de l'objectif du seul retour à l'équilibre pour reconstruire une cohérence d'ensemble du pilotage de la sécurité sociale qui mette sous une contrainte partagée l'ensemble des acteurs.

Certes, les déficits vont encore reculer en 2017 et, selon les prévisions, en 2018. Mais de telles améliorations ont déjà été constatées dans le passé sans être durables car l'effort s'est trop vite relâché. Faire des choix clairs, s'attaquer méthodiquement et avec ténacité par des réformes structurelles aux sources d'inefficacité et d'inefficience et poursuivre ces actions avec détermination dans la durée sont autant de leviers pour préserver le haut degré de protection sociale de notre pays. C'est dans ces perspectives que s'inscrivent les constats, les analyses et les recommandations de la Cour, étant entendu que le dernier mot vous revient, chers parlementaires.

M. Alain Milon , président . - Merci, monsieur le Premier président. Parmi vos observations, il me semble avoir reconnu celles que le Sénat avait formulées lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

En matière de retraites, chers collègues, je vous invite à vous reporter à la page 78 de la synthèse de la Cour des comptes : certains retraités de 117 ans perçoivent toujours leur pension !

La télémédecine est certainement promise à un grand avenir mais la téléconsultation en vue d'un deuxième avis médical m'inquiète. Elle risque de mettre en danger la solidarité telle qu'elle a été définie en 1945 lors de la création de la sécurité sociale. Quant aux réseaux de soins, ils installent une médecine à deux vitesses.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Merci, monsieur le Premier président de la Cour des comptes. Est-ce la force de l'habitude ou mon attention plus soutenue ? Ce rapport, très complet, bien documenté, est surtout très pertinent à la veille de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Merci pour cette belle feuille de route.

Comme le président Milon, je constate que vos remarques sur la sous-estimation de l'Ondam pour 2017 corroborent notre analyse, effectuée lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 et contestée par le précédent gouvernement. Vous soulignez une dégradation sensible des retraites, comme notre commission - nous avions proposé une mesure d'âge à 63 ans. L'équilibre a été trouvé mais sans le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Des mesures s'avèreront nécessaires.

En matière de dette, vous insistez fortement sur la nécessité de clarifier les rôles de l'Acoss et de la Cades. Ce n'est en effet pas le rôle de l'Acoss de gérer cette dette. Les pistes de la Cour destinées à maîtriser la dépense nous intéressent.

L'assurance maladie peine. Vous insistez sur de nombreuses marges d'efficience : médicament, molécules innovantes - nous avons mené une mission spécifique sur le prix du médicament -, télémédecine... Autant de sujets dont la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat s'est saisie. La question des pharmacies trouvera facilement un écho au sein de notre commission, compte tenu de sa composition, tout comme vos remarques sur la médecine de spécialité, qui rejoignent les conclusions de deux rapports récents de la commission sur les déserts médicaux et la pertinence des soins.

Notre objectif, impératif, est l'équilibre des comptes. Vous dites que ce n'est pas impossible mais que les progrès sont trop lents. Vous proposez une stratégie. Je vous en remercie. Mes questions sont inspirées de vos conclusions. Dans son chapitre sur le pilotage de la trajectoire financière de la sécurité sociale, la Cour met en évidence le brouillage qui s'est instauré dans le financement de la sécurité sociale à mesure que les cotisations cédaient la place à d'autres sources de financement. Elle montre les effets sur le solde de l'assurance vieillesse des transferts opérés au profit de l'assurance maladie tandis qu'elle plaide par ailleurs pour la budgétisation des prestations familiales. Comment envisagez-vous aujourd'hui la place des notions d'assurance et de contributivité dans le financement des régimes d'assurance vieillesse, d'incapacité et d'invalidité, d'accidents du travail et maladies professionnelles ou encore d'assurance chômage, qui ne sont pas dans le champ de la sécurité sociale mais dont le Gouvernement envisage d'alléger les cotisations ? Sont-elles encore pertinentes ou la diversification des financements a-t-elle vocation à les faire disparaître ?

La Cour plaide, depuis plusieurs années, pour un examen conjoint des recettes de l'État et de la sécurité sociale. L'autonomie, relative, des finances sociales à raison de la nature des recettes - cotisations - ou des dépenses - prestations - que reconnaissait l'existence des lois de financement a-t-elle encore une justification ?

M. Jean-Noël Cardoux , président de la Mecss . - Monsieur le Premier président, vous faites allusion à la nécessité de mettre fin à l'endettement social. Préconisez-vous au Parlement de donner une nouvelle autorisation de transfert de déficits de l'Acoss à la Cades ? L'an dernier, le précédent gouvernement en avait annihilé la possibilité. Ne serait-il pas plus pertinent d'augmenter la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) de quelques dixièmes de point plutôt que d'augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 point ? Le stock de la dette de l'Acoss était l'an dernier de 30 milliards, financés à court terme et exposés au risque de hausse des taux d'intérêt.

Mme Élisabeth Doineau . - Merci de votre éclairage. Les Français entendent, depuis plusieurs années, que le déficit de la sécurité sociale est récurrent. Ils ont parfois lieu de se plaindre des prestations qui leur sont offertes. Lorsqu'il y a un déficit, on s'attend à une amélioration. La situation est difficile à accepter pour les Français.

Page 69 de sa synthèse, la Cour évoque la budgétisation des prestations familiales. Cette idée fait écho à leur concentration sur les familles modestes, dans une logique de lutte contre la pauvreté dont on ne peut que se féliciter. La politique familiale n'a-t-elle plus vocation à relever de la sécurité sociale ? Doit-elle s'intégrer dans les autres dispositifs de redistribution horizontale ?

M. Yves Daudigny . - Merci, monsieur le Premier président, de cet exposé. Celles et ceux qui ont soutenu l'action du précédent gouvernement n'ont pas à en rougir, puisqu'il a obtenu des résultats : maîtrise des dépenses, réduction des déficits. Le dossier du médicament contre l'hépatite C a bien été géré par le ministère de la santé. Citons également la politique familiale accordant la priorité aux familles les plus en difficulté.

Nous partageons l'objectif de la Cour d'un retour à l'équilibre de l'assurance maladie, difficile à atteindre en raison de défis importants : maladies chroniques, allongement de la vie, territoires désertés par la présence médicale.

Est-il possible, aujourd'hui, de réduire les dépenses sans mettre en danger le fonctionnement des hôpitaux et la sécurité des patients, notamment dans les zones rurales où les services de proximité se diluent ?

Le président de la Mecss a souligné un point sensible : la Cades a épuisé son pouvoir de reprise de dette. La situation est invraisemblable. Un rapport souligne que l'Acoss a dégagé des bénéfices grâce à des emprunts à taux négatifs ! Faut-il augmenter la CRDS ? Aucun gouvernement ne l'a décidé depuis sa création.

Je partage vos propos sur les médicaments génériques. Les médecins n'ont pas suffisamment été associés à leur promotion. Dans le domaine du médicament, des efforts considérables de maîtrise des coûts, de l'ordre d'un milliard d'euros par an, ont été fournis. La dernière loi de financement de la sécurité sociale comportait des mesures sur les autorisations temporaires d'utilisation (ATU). Ne craignez-vous pas que ces restrictions conduisent les laboratoires à ne plus mettre de médicaments innovants sur le marché français - ou à les introduire plus tard en France qu'en Allemagne ou ailleurs ? Ce serait regrettable pour nos malades. Le système ATU a pourtant été salué à l'échelle mondiale.

Mme Catherine Deroche . - Vos observations reprennent celles qu'avait faites le Sénat lors de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale de 2017. Notre système d'encadrement de l'innovation thérapeutique est obsolète, malgré la notion d'ATU. Cette commission devra y travailler pour répondre aux attentes des patients, des médecins et des laboratoires - qui font un travail considérable. Dans le domaine de la médecine de spécialité, s'il y a une telle fuite du secteur 1 vers le secteur 2, c'est que la tarification des actes en secteur 1 est insuffisante. Je n'ai pas compris l'équilibre que vous préconisiez entre zones sur-dotées et sous-dotées. Concernant les retraites, doit-on aller plus loin que le simple contrôle des prestations versées à l'étranger ? La télémédecine peut être une solution pour le manque d'accès aux soins dans les territoires, mais elle bute aujourd'hui contre des obstacles réglementaires. L'élargissement des pratiques avancées par des professionnels de santé non médecins ne permettrait-elle pas de faire des économies ?

M. Didier Migaud . - Nous n'avons pas cherché à reprendre les propositions du Sénat : il se trouve simplement que nous partageons quelques préoccupations avec vous ! Ces observations s'inscrivent dans la continuité de ce que nous disons depuis plusieurs années. Comment le Parlement pourrait-il aborder ces sujets ? Si la création des lois de financement de la sécurité sociale, faisant du Parlement le décideur des recettes, des dépenses et du solde de ce budget, a été un grand progrès, nous pensons que ce cadre de réflexion aurait vocation à être modernisé : les lois de financement de la sécurité sociale pourraient être transformées en lois de financement de la protection sociale, incluant les régimes complémentaires de retraite et l'assurance chômage ; le pilotage de la sécurité sociale pourrait être enrichi d'une vision structurelle, comme c'est le cas dans la loi de programmation des finances publiques, les soldes nominaux étant complétés d'une évolution des soldes structurels, ce qui permettait de mesurer l'ampleur des efforts consentis indépendamment de la conjoncture ; les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pourraient faire l'objet d'une discussion générale commune, faisant apparaître une cohérence générale, compte tenu des transferts de l'État vers la sécurité sociale et les mesures fiscales.

Oui, monsieur Cardoux, nous préconisons une hausse de l'autorisation de transfert de déficit de l'Acoss vers la Cades, sans aller forcément au-delà de 2024. La gestion par l'Acoss d'une partie de la dette sociale n'est pas sans risque. Certes, les intérêts ont été négatifs une année ; mais cela ne durera pas.

Dans le domaine de la politique familiale, l'articulation est de plus en plus difficile entre les aides fiscales et les prestations. À l'exception de la Belgique, qui a un système analogue au nôtre, la majorité des pays a budgétisé l'ensemble des dépenses relatives à la famille.

Oui, monsieur Daudigny, on peut réformer l'hôpital sans mettre en danger la sécurité des patients et l'accès aux soins. C'est même parfois le maintien de certaines situations qui comporte un danger pour les patients. Oui, il faudrait davantage responsabiliser les prescripteurs et les patients.

Il y a deux ans, nous avions constaté, à l'occasion d'une analyse comparative entre la France et l'Allemagne, à quel point l'esprit de responsabilité caractérisait cette dernière, avec des médecins qui acceptent les mesures de régulation et bénéficient dès lors de revenus supérieurs, et des patients qui acceptent de contribuer à un meilleur équilibre du système de santé.

Il faut plus de contrôle des retraites des résidents à l'étranger. Sur les perspectives financières de l'assurance vieillesse, la Cour a longtemps considéré que les hypothèses du Conseil d'orientation de retraites étaient un peu trop optimistes. Nous sommes heureux de constater qu'il a modifié sa vision - même si ce n'est pas très agréable... mais plus vite les mesures d'ajustement seront prises, et moins elles seront douloureuses. Nous avions fait l'année dernière la liste des mesures permettant d'aller vers l'équilibre.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre . - Nous constatons un double décalage concernant les finances sociales. Les cotisations ne représentent plus aujourd'hui que 55 % des ressources, la CSG représentant 29 % et les autres impôts et taxes 12 %, érosion que nous avions constaté dans notre étude d'il y a quelques années. L'effort contributif individuel est aussi de plus en plus décalé avec l'accès au droit : un système assurantiel à l'origine est devenu de plus en plus universel, depuis 1975 pour la branche famille et depuis la CMU pour l'assurance maladie. Les prestations en espèce elles-mêmes - invalidité, accident du travail ou vieillesse - ressortissent elles-mêmes d'un système mixte, avec le minimum contributif par exemple. La lisibilité du financement de la sécurité sociale s'en trouve entachée, sans compter ses évolutions incessantes. Nous tenterons l'an prochain d'éclairer ce sujet de l'adhésion au régime.

La politique familiale s'est vue transférée peu à peu vers le budget de l'État, avec les aides au logement par exemple. Les caisses d'allocations familiales distribuent aujourd'hui plus de prestations pour le compte des départements et de l'État que de prestations propres. C'est un point qui mérite réflexion.

Concernant la dette, plusieurs solutions s'offrent à nous si l'on veut respecter la date d'expiration de la Cades fixée en 2024 : soit nous définissons une trajectoire de prise en charge par l'Acoss, ce qui suppose d'affecter des ressources spécifiques et des réserves - comme les réserves inutilisées du fonds de réserve des retraites ; soit nous profitons des taux d'intérêt bas pour faire rembourser progressivement sa dette à chaque branche - ce qui suppose qu'il y ait des excédents suffisamment importants, soit 25 milliards d'euros.

L'hôpital reste l'armature de l'accès au soin qu'il était devenu à partir de 1958, les médecins libéraux étant moins nombreux et n'acceptant pas toujours l'affiliation à la sécurité sociale. Mais certains établissements ont une gamme de soins trop importante, à tel point que pour certains, les patients votent avec leurs pieds en fuyant l'hôpital de proximité pour celui du chef-lieu. Nous avions montré il y a deux ans combien certains établissements pouvaient avoir une activité insuffisante pour garantir la qualité des soins. Or ce n'est qu'à cette condition que l'hôpital gardera son trésor intact, qu'il avait conquis en cessant d'être un lieu d'abandon pour un lieu d'excellence : la confiance des patients.

Nous avions dressé la liste des pistes pour équilibrer l'assurance vieillesse dans notre dernier rapport. Il est important de prendre les mesures suffisamment tôt, et d'agir de manière concertée sur le régime de base mais aussi sur les régimes complémentaires, afin de répartir l'effort équitablement entre les générations. C'est ce dernier point qui fait de ce sujet un sujet aussi sensible.

M. Michel Amiel . - La sortie de l'Ondam du fonds de financement de l'innovation thérapeutique met en doute sa sincérité. On l'a vu en 2014, les antirétroviraux directs comme le Sovaldi utilisés contre l'hépatite C peuvent coûter des sommes considérables. Le dispositif spécifique alors mis en place a permis un règlement relativement satisfaisant de cette question, mais peut-il être généralisé ? Il n'y a pas lieu de conserver un fonds pour l'innovation s'il ne permet pas l'accès de tous à cette dernière. Dans le cas du Sovaldi, cela n'avait pas été le cas, puisque sa prescription était réservée aux formes évoluées et on se retrouvait à dire aux gens : nous avons un médicament qui marche à 100 %, mais vous n'êtes pas assez malade pour en bénéficier...

La méfiance à l'égard de l'industrie pharmaceutique est malsaine : elle participe à la recherche et constitue un véritable fleuron économique pour la France, même si nous sommes passés en trente ans dans ce domaine de la deuxième à la sixième place. Auriez-vous des pistes pour une innovation simplifiée et apaisée ?

Mme Laurence Rossignol . - Je remercie la Cour pour la partie de son rapport sur la branche famille. Merci pour la comparaison internationale qui constitue une véritable leçon de modestie pour la France, sans être pour autant déshonorante. Je me réjouis qu'il constate une augmentation des aides pour les familles les plus vulnérables, d'un côté de la courbe vers l'autre. Nous avons de surcroît procédé à ce transfert avec une grande rigueur, puisque la branche famille est quasiment en équilibre pour la première fois depuis fort longtemps.

Ces discussions ne me semblent pas dissociables de celle qui concerne les finalités de la politique familiale, qui poursuit de nombreux objectifs. Je suis très perplexe sur sa vocation nataliste par exemple et j'ai du mal à faire le lien entre les mesures prises en 2015 et la baisse de la natalité constatée en 2016 ; je sais que tout va vite aujourd'hui, mais... Je vous remercie de noter toutefois que le taux de natalité est plus élevé qu'ailleurs. Merci d'avoir relevé la pauvreté spécifique des familles avec un seul enfant.

Certes l'objectif des 275 000 places d'accueil n'a pas été atteint, car les aides à l'investissement des caisses d'allocations familiales aux collectivités territoriales ne suffisent pas à les rassurer sur les risques en termes de dépenses de fonctionnement que nous ne parvenons pas à réduire sans réduire la qualité de l'accueil. Pensez-vous qu'il faille faire de l'accueil des jeunes enfants une compétence obligatoire d'un quelconque niveau de collectivité ? Ne craignez-vous pas que les économies imposées aux collectivités ne fassent baisser le taux d'accueil ?

M. Daniel Chasseing . - Vous avez expertisé méthodiquement le sujet et découvert des irrégularités notamment concernant l'Ondam. J'ai été étonné par vos préconisations sur les pharmacies : dans le monde rural, il faut absolument les conserver.

Je peux témoigner du travail qu'elles font, notamment pour les Ehpad, où elles sécurisent les prescriptions. J'ai rencontré de nombreux responsables de clinique : la chirurgie ambulatoire pourrait se développer encore car son coût est faible.

Je rejoins le président de la commission sur la télémédecine, qui doit être encadrée. Même si cela peut choquer mes confrères, ne faudrait-il pas refuser le conventionnement aux généralistes qui s'installent dans des zones hyperdenses ? De nombreux jeunes médecins voulant être salariés, les groupements hospitaliers de territoire ne pourraient-ils pas devenir les employeurs de généralistes qui s'installent en zone rurale dans des maisons de santé ?

M. Olivier Henno . - On croit souvent que les inégalités territoriales sont causées par les efforts de régulations ; or vous démontrez que non. Les spécialistes sont en effet de plus en plus nombreux, et cela ne les empêche pas d'être répartis de manière inégale. Le système suédois, que j'ai étudié, a renforcé l'accès aux soins des plus modestes tout en se réformant. La régulation n'est pas contradictoire avec la justice sociale.

Mme Patricia Schillinger . - Quel est l'impact budgétaire de la fin du droit d'option des assurés frontaliers travaillant en Suisse ? Il y a 9 000 dossiers en suspens ou en contentieux. Avez-vous analysé ce sujet ? Quel sera l'impact en Alsace-Moselle de la baisse des cotisations salariales ?

M. Didier Migaud . - Ces dernières questions devraient plutôt s'adresser au Gouvernement. Monsieur Henno, nous sommes en effet convaincus que des mesures d'économie sont possibles sans remettre en cause l'accès aux soins et leur qualité. Nous avons tenté d'illustrer cette conviction dans les domaines du transport sanitaire, de l'hôpital, des soins bucco-dentaires et ophtalmologiques : il n'y aucune fatalité au déséquilibre des comptes sociaux. Ce dernier est d'ailleurs une anomalie dans le monde : la France est le seul pays de sa catégorie qui accepte des déficits durables, alors que les dépenses concernées n'ont aucune raison d'être financées par les générations futures à travers l'emprunt.

M. Antoine Durrleman . - Les innovations pharmaceutiques ont toutes les chances d'être très importantes dans les années qui viennent. La sortie de l'Ondam du financement de ces spécialités onéreuses donne aussi à l'industrie un levier supplémentaire pour déployer sa stratégie de prix, qui a changé. Si l'industrie pharmaceutique réclamait autrefois un retour sur investissement, elle préfère aujourd'hui différencier ses prix dans tel ou tel marché selon la capacité à payer de chaque système de santé, et cibler des pays riches comme la France. Cela exige un rééquilibrage des termes de la négociation, d'adopter une position qui ne soit pas isolée, et donc de développer une capacité de négociation au niveau européen. C'est ce que le Gouvernement a commencé à faire pour le Sovaldi, mais ce suppose que les États membres s'accordent au lieu de croire qu'ils seront seuls gagnants dans une négociation pays par pays.

Ensuite, il convient sans doute de négocier les prix indication par indication et non pas rechercher un prix global. L'ATU est un atout pour notre pays, puisqu'il permet une mise à disposition rapide du médicament sur le marché, mais les pouvoirs publics pourraient reprendre la main si ces médicaments étaient tarifés par indication.

Enfin, une meilleure évaluation médico-économique des médicaments est indispensable. La HAS a de la peine à exercer cette mission et à revenir sur ses évaluations une fois que le médicament est sur le marché. Nous sommes convaincus que des leviers existent pour améliorer le système.

Nous n'avons pas examiné les systèmes d'accueil obligatoires des jeunes enfants qui existent en Suède, mais aussi en Allemagne où existe un droit opposable au mode de garde.

Nous sommes convaincus que les pharmaciens sont des acteurs essentiels mais certains connaissent des difficultés économiques dans des zones géographiques spécifiques. Avec moins de pharmacies dans ces zones, l'équilibre serait meilleur : d'ailleurs, certains professionnels estiment avoir besoin d'outils de regroupement ou de fusion.

Le problème de tarification de la chirurgie ambulatoire pourrait s'améliorer si le nombre de lits conventionnels diminuait.

Il est important que les groupements hospitaliers de territoire et les autres établissements de soins privés à but lucratif ou non lucratif travaillent ensemble. Si l'on veut imposer une prise en charge efficiente, tous les acteurs doivent s'impliquer. Sinon, les filières publiques et les filières privées entreront en concurrence, ce qui se fera au détriment de la bonne utilisation des fonds publics.

Nous n'avons pas encore étudié la question des frontaliers suisses.

A la demande de votre commission, nous avions effectué une enquête sur le régime d'Alsace-Moselle il y a quelques années, régime uniquement financé par des cotisations patronales supplémentaires. Nous n'avons pas examiné l'effet des réformes récentes.

Mme Véronique Guillotin . - Avez-vous évalué l'impact des praticiens intérimaires sur l'équilibre budgétaire des hôpitaux ? Disposez-vous d'une cartographie ?

Ne faudrait-il pas prendre en compte les soins qui auraient été faits à l'hôpital pour évaluer le coût réel de la chirurgie ambulatoire ?

Ne faudrait-il pas développer la prévention pour réduire les dépenses de soins ?

Enfin, l'équilibre des comptes ne doit pas se faire au détriment de la qualité des soins. N'oublions pas non plus la fracture territoriale. Quid des nouveaux métiers, des délégations de tâches, de la télémédecine ?

M. Didier Migaud . - Sur ce dernier point, nous reviendrons devant votre commission présenter notre rapport sur l'avenir de l'assurance maladie : la sixième chambre devrait être en mesure de le faire fin novembre, début décembre. Un autre rapport vous sera présenté un peu plus tard sur l'accès aux soins.

Je vous invite à consulter le rapport très complet du député Olivier Véran sur l'impact des praticiens intérimaires : cette solution de court terme n'est pas satisfaisante car elle est coûteuse.

M. Antoine Durrleman . - Le prochain rapport sur la sécurité sociale de septembre 2018 traitera du virage ambulatoire : nous voulons mettre à plat ce transfert d'activités. Nous croyons aux nouveaux métiers et la loi est déjà intervenue en ce domaine, mais beaucoup reste à faire en matière de pratiques professionnelles. L'article 51 de la loi HPST de juillet 2009 prévoit une mécanique extraordinairement compliquée, si bien que peu de projets ont vu le jour. Des simplifications devront donc avoir lieu.

M. Alain Milon , président . - Merci pour vos interventions.

M. Yann-Gaël Amghar,
directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale

Réunie le 25 octobre 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de M. Yann-Gaël Amghar,
directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale.

M. Alain Milon, président . - Nous accueillons ce matin le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui constitue la branche « recouvrement » de la sécurité sociale. Elle collecte également des contributions pour des organismes extérieurs au champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), comme l'Unédic, mais cette frontière n'est désormais plus aussi étanche avec la réforme du financement de l'assurance chômage entamée dans le PLFSS pour 2018.

L'Acoss mesure en temps réel les rentrées de cotisations. Où en sommes-nous et quelles sont les perspectives pour 2018 ? Peut-on escompter une dynamique des recettes de nature à rééquilibrer les comptes sociaux ?

Qu'en est-il également de la dette des différentes branches inscrite dans les comptes de l'Acoss, faute de pouvoir effectuer de nouveaux transferts à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ? C'est une question récurrente qui préoccupe notre commission, mais aussi la Cour des comptes.

Enfin, le PLFSS prévoit deux mesures majeures qui vous concernent directement. La suppression des cotisations salariales d'assurance chômage, qu'il faudra compenser auprès de l'Unédic ; la suppression du régime social des indépendants (RSI), dont les difficultés résultaient essentiellement des modalités de recouvrement des cotisations. Comment voyez-vous la mise en oeuvre de ces deux mesures en 2018 ?

M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. - L'évolution récente de la conjoncture économique ouvre des perspectives favorables pour les finances sociales. La remontée dynamique de la masse salariale des entreprises du secteur privé, qui devrait être légèrement meilleure que prévue pour 2017, devrait se poursuivre en 2018. Les différents indicateurs dont nous disposons, notamment les encaissements, les déclarations préalables à l'embauche ou encore ceux portant sur la situation de trésorerie des entreprises, témoignent de cette évolution positive, qui se traduit mécaniquement par une amélioration du solde du régime général.

L'an prochain, l'évolution de notre plafond d'emprunt sera modérée, passant de 33 à 38 milliards d'euros. Il s'agit certes de montants importants pour une dette qui, dans la pureté des principes, devrait se limiter à des avances de trésorerie. Toutefois, sur le plan technique, elle ne soulève pas de difficultés de financement. La question du partage de cette dette et de la séparation entre ce qui relève du structurel et du conjoncturel est de nature éminemment politique.

En tant qu'opérateur, sur un plan purement technique, nous constatons que le financement de cette dette ne présente pas de difficulté en raison de la très bonne notation de la France et de l'Acoss et des conditions de marché très avantageuses. Nous empruntons à des taux négatifs, ce qui nous rapporte 100 millions d'euros de revenus financiers.

Toujours en termes strictement techniques, si cette dette avait été transférée à la Cades, l'impact aurait finalement été moins favorable pour les finances publiques, du fait du contexte très particulier que nous avons connu ces dernières années. La Cades emprunte à long terme, ce qui la rend moins à même de tirer profit de cette situation tout à fait exceptionnelle.

Je n'en tire pas de conclusion générale. Je suis tout à fait conscient, je le répète, que cela est lié à un contexte de taux tout à fait particulier. En cas de renversement de contexte de taux, je ne pourrais plus vous dire la même chose.

Les perspectives de moyen et long termes, telles que décrites dans l'annexe B du PLFSS, font état d'un retour à l'équilibre à partir de 2018 puis d'une situation excédentaire. Si ces hypothèses se réalisent, l'Acoss devrait donc s'engager dans une trajectoire durable de désendettement.

Alors que nous avons historiquement deux missions, la perception des cotisations sociales et la gestion des flux financiers pour le compte des régimes, les réformes proposées par le Gouvernement viennent élargir ce champ. Ainsi, l'article 7 du PLFSS, qui modifie le financement de l'assurance chômage, fait en quelque sorte de l'Acoss une chambre de compensation entre l'Etat et l'Unédic.

Pour l'instant, nous percevons les cotisations chômage et les versons à l'organisme bénéficiaire. Aux termes de cet article, les salariés seront exonérés de cotisation, conduisant à une perte de recettes pour l'assurance chômage. Nous continuerons toutefois à verser à l'Unédic des ressources intégrant le montant de ces exonérations, la compensation étant effectuée par l'affectation à l'Acoss d'une recette fiscale, en l'espèce d'une part de TVA. L'écart potentiel entre cette dernière et les ressources qui auraient été obtenues par les cotisations salariales, qu'il soit positif ou négatif, sera réparti entre les différentes branches du régime général par arrêté interministériel. Cela répond à un double objectif : préserver les recettes de l'assurance chômage sans pour autant créer de relations financières directes entre l'Etat et cette dernière.

La suppression du RSI, prévue par l'article 11 du PLFSS, nous mobilise en tant que réseau de recouvrement et aura un impact très fort sur notre activité. Depuis 2008, les Urssaf assurent conjointement avec le RSI la collecte des cotisations des travailleurs indépendants, des artisans et des commerçants. Les très grandes difficultés rencontrées jusqu'à ce jour étaient notamment liées à la mauvaise articulation entre les compétences des Urssaf et celles du RSI. Ainsi, historiquement, le RSI recevait les déclarations de revenus, et l'Urssaf, après avoir calculé leur montant, envoyait les appels de cotisation et était chargée du recouvrement amiable, tandis que le recouvrement forcé relevait du RSI.

La LFSS pour 2017 a permis de simplifier cette organisation en instituant une responsabilité partagée des deux réseaux dans le recouvrement des cotisations des travailleurs indépendants. Au niveau national, ainsi que dans chaque région, des directeurs sont chargés de cette mission et s'appuient sur des agents des Urssaf et du RSI. Ils ont une autorité fonctionnelle sur l'ensemble des équipes intervenant dans ce domaine et relevant de chacune des deux caisses.

D'importants progrès ont ainsi été réalisés en matière de construction commune des politiques de recouvrement. À mes yeux, cette mesure a posé le premier jalon de la réforme à venir car les réseaux travaillent déjà ensemble et un pilotage unique a été mis en place.

Cette réforme, en transférant à terme la responsabilité de l'intégralité du recouvrement au régime général, permet d'aller plus loin en confiant aux équipes de direction, outre l'autorité fonctionnelle qu'elles ont actuellement sur les agents de chaque réseau, un pouvoir hiérarchique sur eux une fois qu'ils auront tous intégré les Urssaf. D'importants progrès devraient également être réalisés en matière de service rendu aux travailleurs indépendants, en rapprochant davantage l'accueil des assurés, au guichet ou par téléphone, de la gestion des dossiers. A l'heure actuelle, l'accent est mis sur le back office, les directeurs régionaux n'étant pas responsables de l'accueil. Pour faire progresser la qualité du service, ces deux aspects doivent être mieux intégrés.

Une réforme d'une telle ampleur doit être mise en oeuvre progressivement et faire l'objet d'ajustements dans le temps. Le PLFSS prévoit une période de transition de deux ans à compter du 1er janvier 2018. Le transfert du personnel du RSI vers le régime général n'est pas possible à cette date, en raison notamment de la nécessité d'identifier les possibilités de reclassement et de consulter les instances le représentant. Dans un premier temps, le fonctionnement restera proche du système actuel : les directeurs régionaux seront secondés par des équipes de l'Urssaf et des caisses locales déléguées pour la protection sociale des travailleurs indépendants, qui succèdent au RSI. À terme, l'intégration des personnels sera complète et nous permettra, en faisant évoluer les organisations, de faire progresser la qualité du service rendu.

Par ailleurs, pour répondre aux attentes des travailleurs indépendants, la modulation des échéanciers de cotisations en temps réel va être mise en place. Le décalage dans le temps entre la perception des revenus et le paiement des cotisations est source d'importantes difficultés pour certains indépendants, alors que les possibilités actuelles de révision des échéanciers ne sont pas suffisamment utilisées. Des possibilités de modulation des échéanciers vont donc être expérimentées en 2018, avant une généralisation en 2019. Le Gouvernement s'est également engagé à améliorer l'offre de service aux autoentrepreneurs, notamment sur le plan numérique.

Cette réforme va conduire la branche « recouvrement » à engager la transformation des outils mis à disposition des travailleurs indépendants, ce qui suppose des travaux informatiques très importants. Toutefois, contrairement à 2008 et à la création du RSI, il ne s'agit pas ici de construire un système nouveau au lendemain d'un « big bang », mais bien d'améliorer l'existant.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général . - Vous n'avez pas montré d'inquiétude quant aux délais prévus par l'article 11 du PLFSS pour adosser la protection sociale des indépendants au régime général. Certes, la situation est différente de celle observée en 2008 lors de la création du RSI, où l'on partait pour ainsi dire de zéro : il ne s'agira donc pas cette fois-ci d'un big bang pour reprendre vos propos. Mais les travailleurs indépendants, qui occupent une place à mi-chemin entre les salariés et les entreprises classiques, se posent beaucoup de questions sur les modalités de cette réforme. Le guichet unique, compétent pour le recouvrement des cotisations et des prestations, sera-t-il maintenu ? Les indépendants auront-ils tous un interlocuteur proche de leurs lieux de travail ? L'Urssaf mesure-t-elle tous les enjeux liés à cette réforme ?

Par ailleurs, ce même article 11 du PLFSS prévoit une expérimentation, dans des termes très vagues, qui permettrait de tester notamment le procédé de l'auto-liquidation. Pensez-vous que des progrès significatifs pourront être réalisés prochainement ? La durée de cette expérimentation, prévue pour deux ans, est-elle suffisante ? L'intégration de la protection sociale des indépendants au sein du régime général va-t-elle freiner la mise en oeuvre de l'expérimentation, dont j'approuve la philosophie ?

Nous avons entendu parler du lancement d'une « start d'up d'Etat » sur le prélèvement à la source des indépendants. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, quel sera l'effet à long terme de l'article 7 du PLFSS pour 2018, qui supprime les cotisations salariales d'assurance maladie et d'assurance chômage ? Cette mesure renforcera-t-elle véritablement le pouvoir d'achat des salariés à terme, ou fera-t-elle baisser le coût du travail ?

M. Yann-Gaël Amghar . - La suppression du RSI aura évidemment des conséquences importantes sur le fonctionnement du régime général. Au sein des Urssaf, la moitié environ des agents seront dédiés aux travailleurs indépendants. Il ne s'agit pas toutefois d'une transformation radicale, puisque nous nous occupons déjà de populations spécifiques, comme les particuliers employeurs, et des dispositifs tels que le chèque emploi service universel (Cesu). Si nous ne devons réussir qu'une réforme, c'est celle du RSI, qui est notre priorité pour les années à venir. Nous voulons améliorer l'ergonomie de notre site internet ainsi que l'accessibilité, la proximité et l'efficacité de nos services à l'attention des travailleurs indépendants. La culture acquise par les agents du RSI nous permettra de nous enrichir et de faire évoluer nos pratiques. Le personnel du RSI sera intégré notamment au sein de notre branche recouvrement ; les compétences de ces agents sont précieuses, nous ferons du sur-mesure. Je pense qu'il faut conserver le guichet unique, ce qui suppose que les autres branches de la sécurité sociale travaillent avec nous pour maintenir les compétences des agents du RSI.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général . - Les guichets uniques pourront-ils continuer à accompagner les travailleurs indépendants en matière d'action sociale ? Environ 130 millions d'euros leur sont consacrés chaque année, avec des résultats satisfaisants.

M. Yann-Gaël Amghar . - Il existe actuellement trois types d'action sociale : pour la maladie, en cas de reste à charge important ; pour les retraités, notamment pour assurer le maintien à domicile des personnes âgées ; et pour les actifs, lorsqu'il s'agit de supporter une partie de leurs cotisations. Les deux premiers seront-ils intégrés au régime général ? La question sera tranchée dans les semaines qui viennent par un schéma stratégique, qui répartira entre les différents régimes la prise en charge des indépendants.

Même si une approche plus ou moins universelle est retenue, il serait bon que l'on prenne en charge cette demande d'un accueil unique et polyvalent et que l'on donne au minimum un premier niveau d'information aux travailleurs indépendants.

L'expérimentation de la modulation des ajustements de cotisations vise à permettre aux indépendants volontaires de faire varier au mois le mois, ou au trimestre pour ceux qui le préfèrent, le niveau de leurs acomptes de cotisation en fonction de leur activité. J'entends certaines personnes qui proposent une retenue à la source pour les indépendants. J'avoue ne pas bien comprendre l'idée, car la source ici, ce sont les clients ! En revanche, il me paraît possible de travailler sur la notion de contemporanéité, afin de limiter le décalage dans le temps entre le calcul des cotisations et leur paiement : nous devons être plus réactifs. Nous pourrons approfondir cette piste de réflexion, peut-être avec des start-up, tout en gardant à l'esprit qu'il faudra alors que leurs projets soient compatibles avec notre système informatique central.

Un amendement du rapporteur général, M. Olivier Véran, a été adopté par l'Assemblée nationale et vise à prolonger de six mois la période de cette expérimentation, qui se terminera donc le 30 juin 2019. C'est un délai sécurisant à mes yeux car les travaux d'adaptation informatique sont par nature incertains.

Toutes les branches se sont engagées à accueillir les agents du RSI, mais il existe un risque d'évaporation de certaines compétences lors de l'adossement au régime général de la protection sociale des indépendants. Ce risque est plus sérieux que celui des dysfonctionnements informatiques. De nombreux agents s'interrogeant sur leurs avenirs professionnels, je crois que personne n'a intérêt à utiliser jusqu'à son terme le délai de deux ans prévu par le PLFSS pour réaliser leurs transferts vers les caisses des Urssaf. Les agents concernés ne le souhaitent pas, c'est compréhensible : ils réclament de la visibilité.

Enfin, s'agissant de l'impact à long terme des exonérations de cotisations salariales, sujet bien documenté dans la littérature économique, tout dépendra du rapport de force entre syndicats et patronat lors des négociations salariales et de l'évolution du Smic.

M. Jean-Noël Cardoux . - En caricaturant vos propos, je dirais que la Cades ne sert pas à grand-chose, compte tenu du rôle que joue l'Acoss et de l'évolution des taux d'intérêt.

Mais la situation actuelle, caractérisée par une politique monétaire très accommodante des banques centrales, risque de se retourner brutalement et de pénaliser l'Acoss : nous en avons les avant-signes avec la surchauffe des bourses. À combien s'élève précisément le stock de la dette sociale ? Au lieu de relever de 1,7 point la contribution sociale généralisée (CSG), pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas fait le choix d'une augmentation de 1,45 point, couplée à une hausse de 0,25 point de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) ? Cette solution aurait permis d'apurer une fois pour toutes la dette sociale à l'horizon 2024.

S'agissant du RSI, son intégration au régime général a été décidée contre la volonté des travailleurs indépendants. Ayant travaillé sur ce sujet depuis plusieurs années au sein de notre commission, j'avais cru comprendre que le logiciel de recouvrement du RSI était obsolète et qu'une remise à nouveau n'était pas envisageable. Or, vous venez de nous indiquer qu'il est devenu opérationnel. Pouvez-vous nous préciser ce point ?

M. Michel Amiel . - Pourriez-vous mettre en perspective les dettes portées respectivement par l'Acoss et par la Cades et clarifier la distinction entre part structurelle et part conjoncturelle ? Pourriez-vous également préciser les relations entre l'Acoss et l'Unédic ?

M. Yves Daudigny . - Nous avons été plusieurs rapporteurs généraux successifs, de droite comme de gauche, à plaider pour une augmentation de la Crds afin qu'elle joue pleinement son rôle de financement de l'amortissement de la dette sociale. Les gouvernements successifs n'ont jamais souhaité augmenter ce prélèvement.

Pour ce qui concerne la compensation des exonérations de contributions salariales d'assurance chômage, l'État utilise l'Acoss comme chambre de compensation. Vous avez toutefois exposé qu'il ne s'agissait pas d'une compensation à l'euro. Pouvez-vous expliquer ce point ? Vous avez indiqué que l'Etat vous transfèrera une part de TVA et je voudrais souligner à cette occasion que la TVA assure déjà une part de financement de notre protection sociale.

M. Philippe Mouiller . - Je voudrais vous interroger sur les incidences de la réforme du RSI en matière de cotisations, de remboursements maladie et de retraite. Au-delà de l'organisation, y aura-t-il une meilleure couverture ? Par ailleurs, quel sera le coût de l'année blanche pour les créateurs d'entreprise ?

Mme Pascale Gruny . - Je suis inquiète au sujet de la réforme du RSI. Sur le terrain, artisans et commerçants ont compris qu'ils ne paieraient plus de cotisations et qu'ils seraient pris en charge comme les salariés. On supprime le RSI et les attentes sont celles-là. En fait, il n'y aura pas de changement et l'on risque de déséquilibrer un système qui marche. Aujourd'hui, les indépendants n'ont qu'un interlocuteur, demain, ils en auront trois ou quatre. Avec cette réforme, vous allez mettre le feu et nous en subirons les conséquences. Sur le prélèvement à la source, je pense que c'est une bonne solution, ce serait une véritable aide pour la gestion de la trésorerie des indépendants et cela permettrait d'avoir des régularisations qui seraient plus acceptables. Il faut penser aussi aux personnels qui sont très inquiets. Ils ont besoin de savoir où ils seront et ce qu'ils feront demain.

Mme Patricia Schillinger . - Avez-vous mis en place une cellule spécialisée pour le traitement des dossiers des frontaliers suisses ?

M. Yann-Gaël Amghar . - Pour ce qui concerne la compensation de l'exonération des contributions d'assurance chômage, l'Acoss versera à l'Unédic les sommes correspondant aux contributions salariales exonérées.

L'affectation à l'Acoss de 5,64 points de TVA doit permettre de financer cette compensation. Cette fraction de TVA est fixée par la loi en fonction du coût estimé à la date d'aujourd'hui. À la différence des exonérations compensées par voie budgétaire, la compensation ne s'effectue pas à l'euro près. Il s'agit d'une recette affectée pour 2018 ; en 2019, les modalités de compensation pourront être revues. Un décalage est donc possible, dans les deux sens, entre le coût de l'exonération et le montant de la compensation. Le solde pourrait être positif pour l'Acoss si le niveau de la consommation permet des rentrées de TVA plus dynamiques que la masse salariale.

Deux centres Urssaf travaillent sur le traitement des dossiers des frontaliers suisses, en Franche-Comté et en Haute Savoie. Il existe effectivement un stock de contentieux lié à l'interprétation de l'accord franco-suisse, en attente d'une décision des juridictions.

La suppression du RSI est une réforme d'organisation. Elle ne modifie pas les taux de cotisations, ni le niveau des prestations. Tous les personnels seront repris et il n'y aura pas de mobilité géographique forcée. Les Urssaf ont 80 sites qui gèrent des travailleurs indépendants, tandis que le RSI a 40 sites qui gèrent les cotisations, il devrait donc être possible de trouver des solutions. Si des déménagements doivent avoir lieu, ce sera au sein d'une même agglomération. Je suis attaché à préserver les compétences et à donner aux personnels une visibilité rapide. L'intégration pourrait se faire dans un an si cela est possible. Ce souhait est assez largement partagé.

Pour ce qui concerne l'organisation, les personnels qui gèrent le risque maladie iront dans les caisses primaires et ceux qui gèrent la vieillesse dans les Carsat. Ce qui reste à trancher, ce sont les personnels attachés à des fonctions transversales, comme l'accueil ou l'action sociale. Aujourd'hui, il existe déjà deux numéros de téléphone distincts selon que l'appel concerne les cotisations ou les prestations et il y a deux interlocuteurs pour les cotisations.

En matière informatique, les choses vont mieux. Les schémas de remplacement complet des systèmes d'information, trop risqués, ont été abandonnés au profit d'un scénario de rénovation « par appartement ».

Mes propos ne visaient pas à nier le rôle de la Cades. La Cades gère des montants qui ne pourraient l'être par l'Acoss en trésorerie. Je ne me prononce pas en opportunité. Le législateur a voulu limiter l'endettement de l'Acoss mais dans le contexte très particulier actuel, le financement de ce niveau de dette ne crée pas de difficulté. Pour 2018, le plafond d'avance de trésorerie est de 38 milliards d'euros. Ce plafond est toujours plus élevé que la dette effective. À fin 2017, la dette du régime général et du FSV sera de 19,9 milliards d'euros ; elle sera de 21,3 milliards d'euros en 2018 et ne serait plus que de 5,8 milliards d'euros en 2021 si les hypothèses figurant à l'annexe B du PLFSS se vérifient.

M. Alain Gubian, directeur financier de l'Acoss . - L'Acoss assume la fonction de trésorerie des organismes de sécurité sociale et doit à ce titre couvrir leurs besoins de financement. Cela nécessite tout d'abord un pilotage infra-annuel de la trésorerie en fonction du calendrier d'encaissement des cotisations et des contributions sociales et de décaissements des prestations.

Chaque mois, l'Acoss emprunte pour près de 9 milliards d'euros pour faire face au besoin de trésorerie de quelques jours lié à ce décalage entre décaissements en encaissements. Nous avons ensuite un second enjeu qui tient au portage d'un déficit conjoncturel lié au ralentissement dans le cycle économique qui comporte des années « hautes » et des années « basses ». Le constat de la persistance d'un déficit depuis plus de 25 ans, indépendant de tout cycle conjoncturel, a conduit à la création de la Cades dont la mission consiste à financer la dette sociale, c'est-à-dire l'accumulation d'un déficit structurel. L'Acoss finance aujourd'hui un déficit cumulé qui, au regard des prévisions d'excédents des branches du régime général, en particulier celui de 6,6 milliards d'euros de la Cnam en 2021, a vocation à disparaître à cet horizon. Garder à l'Acoss ce déficit cumulé n'a de sens que si ce retour prévu aux excédents se réalise effectivement.

J'ajoute que certaines mesures, comme par exemple la diminution de la cotisation AT-MP, finançant cette branche excédentaire depuis plusieurs années, pour augmenter à due concurrence les recettes de la branche maladie, permettent de financer indirectement le déficit porté par l'Acoss. Il convient également de distinguer au sein du plafond d'emprunt de 38 milliards d'euros autorisé pour 2018, plus de 5 milliards d'euros destinés à couvrir les besoins de trésorerie de la mutualité sociale agricole et de la caisse des mines. Le législateur, en 2016, a en effet souhaité que ces caisses n'aient plus à se financer directement auprès des banques pour qu'elles puissent bénéficier des taux faibles et mêmes négatifs actuellement de l'Acoss. Nous leur servons donc 100 % de leur financement.

Mme Corinne Imbert . - Je reviens sur la suppression du RSI. Pouvez-vous préciser qu'il s'agit bien d'une réforme uniquement organisationnelle qui n'aura pas d'impact sur les cotisations ou les prestations ? Est-il prévu de les modifier ? Par ailleurs, l'intégration du RSI au sein du régime général aura-t-elle un coût, je pense en particulier au transfert des personnels, et si oui sera-t-il supporté par les travailleurs indépendants ?

M. Yann-Gaël Amghar . - La réforme proposée est bien une réforme organisationnelle qui n'engendrera pas de coûts supplémentaires : le personnel du RSI sera intégré dans les différentes branches selon une clé de répartition qui est actuellement en discussion et qui s'attachera à tenir compte de la spécificité des métiers de la sécurité sociale des travailleurs indépendants et de l'action sanitaire et sociale au profit des indépendants. Sur l'évolution des cotisations et des prestations, c'est une question qui relève de la décision politique et non d'un opérateur.

Enfin, en réponse à la question du sénateur Mouiller sur « l'année blanche », je précise qu'il s'agit d'une extension du dispositif de l'aide aux demandeurs d'emploi créant ou reprenant une entreprise (Accre). Les conditions qui limitent l'attribution de cette aide seront supprimées en 2019. Je vous communiquerai le coût précis de la mesure.

M. Nicolas Revel,
directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie

Réunie le 25 octobre 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de M. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie.

M. Alain Milon, président . - Je souhaite la bienvenue à M. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie. Il est accompagné de Mme Véronika Levendof, responsable du département juridique.

La branche maladie représente plus de 40 % des dépenses de sécurité sociale et plus de 50 % des dépenses du régime général depuis la mise en place de la protection maladie universelle. Chaque année, depuis longtemps déjà, notre discussion, lors du PLFSS, porte sur les moyens de réduire un déficit qui atteignait environ 10 milliards par an après la crise de 2008, et qui s'est maintenu autour de 5 à 7 milliards par an depuis 2012.

Le Gouvernement a prévu en 2018 une marche importante en vue du retour à l'équilibre, avec un déficit limité à 800 millions, grâce à diverses actions sur les dépenses et sur les recettes.

Monsieur le directeur général, je souhaiterais que, dans un propos introductif, vous puissiez nous donner votre sentiment général sur les perspectives de l'assurance maladie et sur les moyens de concilier la soutenabilité financière et l'accès à des soins de qualité auquel nous sommes tous attachés. Peut-être pourrez-vous également évoquer les principales mesures du PLFSS qui concernent l'assurance maladie.

Notre rapporteur, Catherine Deroche, et les membres de la commission vous poseront ensuite leurs questions.

M. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie . - Pour laisser le temps aux échanges, je ciblerai mon propos introductif sur quelques chiffres clés et sur les articles à la portée la plus importante pour l'assurance maladie.

Le montant de 4 milliards d'euros, tout d'abord, représente à la fois la progression de la dépense et le quantum d'économies à réaliser, ce qui peut apparaître paradoxal.

Le tendanciel de la dépense d'assurance maladie, c'est-à-dire son évolution naturelle, est d'environ 8 milliards d'euros par an.

Pour 2018, le taux de progression de l'Ondam, fixé à 2,3 %, représente 4,4 milliards de dépenses supplémentaires, ce qui permet de répondre aux besoins de santé.

Un système de santé dont les dépenses progresseraient de 4 % par an serait condamné au déficit. Un taux situé aux alentours de 2 % met en capacité de trouver un équilibre et c'est le choix que font la plupart des pays. Depuis 5 ans, la maîtrise de la progression de l'Ondam à ce niveau a permis une réduction du déficit de la branche maladie.

L'année 2016 a constitué une année particulièrement difficile, compte tenu d'une configuration en jours ouvrés défavorable et d'une évolution de l'Ondam à 1,75 %. La trajectoire pluriannuelle à 2,3 % pour 2018-2020 constitue un bon point d'équilibre.

Les efforts d'économies se répartissent entre les différents acteurs :

- 1,4 milliard d'euros concernent les établissements de santé, notamment par des économies sur les achats ou encore un travail sur les parcours de soins et les hospitalisations évitables sur lesquelles beaucoup de progrès restent à faire ;

- 1 milliard d'euros sur le médicament, à travers l'intervention sur les prix mais aussi sur la pertinence des prescriptions ;

- 1,1 milliard d'euros portent sur d'autres actions de pertinence des actes et de bon usage des prescriptions ;

- environ 550 millions d'euros relèvent de diverses mesures, telles que le relèvement du forfait hospitalier ou de la contribution des organismes complémentaires au financement du forfait patientèle médecin traitant.

Le montant est plus élevé que les années précédentes : l'objectif est exigeant mais atteignable. En 2016, les objectifs de maîtrise médicalisée n'ont pas été complètement atteints. Mais ce devrait être le cas en 2017.

Le PLFSS pour 2018 comporte des mesures impactant les ressources de la branche maladie. En outre, trois dispositions impliquent particulièrement l'assurance maladie : l'intégration du RSI ainsi que les articles 35 et 36.

L'article 35 crée un dispositif d'innovation technologique et organisationnelle : il s'agit d'un élément structurel important. Cette disposition reprend une proposition forte de l'assurance maladie dans son dernier rapport sur les charges et produits.

L'article 36 permet, pour deux actes de télémédecine, à savoir la téléconsultation et la téléexpertise, le passage d'une expérimentation qui n'a jamais vraiment décollé à une tarification de droit commun dès 2018. Cela apportera notamment une réponse à la question de l'accès aux soins dans les territoires.

Mme Catherine Deroche, rapporteur pour la branche assurance maladie. - Vous avez indiqué que les objectifs en matière de maîtrise médicalisée avaient été difficiles à atteindre en 2016. Quels ont été les principaux obstacles rencontrés ?

Le PLFSS crée, suivant une proposition formulée par la Cnam, un « cadre d'expérimentation pour l'innovation dans le système de santé » ainsi qu'un fonds dédié géré par la Cnam. Jugez-vous réaliste la perspective d'un autofinancement de ces dispositifs innovants dès 2019 ?

Comment envisagez-vous d'aborder les discussions conventionnelles sur la télémédecine ? Un cadre interprofessionnel est-il privilégié ?

Quel bilan tirez-vous de la contractualisation en cours entre les établissements de santé, les ARS et les Cpam sur la qualité, l'efficience et la pertinence des soins ? Peut-elle constituer une base solide au cadre d'intéressement créé par le PLFSS pour 2018 ?

Quel regard portez-vous sur les difficultés rencontrées au stade des commissions de hiérarchisation des actes et prestations (CHAP) dans la procédure d'inscription des actes à la nomenclature ? La solution proposée par l'article 38 du PLFSS vous paraît-elle pertinente ?

Quelles sont les perspectives et conditions de généralisation du dossier médical partagé (DMP) au terme de la phase de test menée par la Cnam ?

M. Nicolas Revel . - La mesure du taux de réalisation des objectifs de maîtrise médicalisée s'apprécie en ramenant l'évolution naturelle des dépenses à une progression compatible avec le cadrage de l'Ondam. En 2016, les dépenses ont augmenté à un rythme trop rapide sur quasiment tous les postes de consommation de soins, notamment les actes techniques. En 2017, la tendance est plus favorable. Il nous faut toutefois réfléchir à la manière dont nous construisons nos actions. De nombreux chantiers sont ouverts pour agir plus efficacement.

L'article 35 constitue un dispositif important. Alors même que notre système de santé n'est pas sous-financé si on le compare aux autres pays de l'OCDE, il vit la régulation comme une source de tension. Cela tient à ses rigidités, au déséquilibre entre la ville et l'hôpital, au caractère atomisé des soins de ville. La construction de notre système de santé sur le tarif à l'acte et à l'activité entretient une recherche des volumes et cloisonne les acteurs.

Il serait très compliqué de réformer en profondeur le mode de rémunération. Il faudrait, comme tous les pays autour de nous l'ont fait, pouvoir tester des modes de rémunération « intelligents », basés sur les notions de parcours, de prise en charge globale, de rémunération d'un collectif de professionnels ou encore de coordination. Nous devons expérimenter de nouveaux modes de rémunération au lieu de croire que nous pourrons réussir par le biais d'une loi ou d'un décret.

Or, je fais le constat d'un engourdissement au sujet des expérimentations : déroger aux règles en vigueur dans le cadre d'une expérimentation nécessite l'adoption d'une disposition législative, puis d'un décret, suivie de celle d'un cahier des charges. Je citerai l'exemple de l'expérimentation de la télémédecine, prévue par l'article 36 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, et pour laquelle le cahier des charges est sorti en 2016. C'est très long et très peu souple.

Par ailleurs, il manque un cadre qui permettrait aux expérimentations territoriales d'être prises en compte au niveau national. De nombreux acteurs sur le terrain souhaiteraient en effet pouvoir s'organiser différemment, avec des modes de rémunération adaptés, des délégations de compétences qu'il faudrait pouvoir tester. Le législateur devrait nous habiliter dans un cadre plus souple, qui serait précisé par un décret en Conseil d'État, à autoriser, au fil de l'eau, la réalisation de telles expérimentations.

Cela permettrait de décider beaucoup plus vite puis de faire un travail d'évaluation qui fait encore trop souvent défaut aujourd'hui. C'est la raison d'être de l'article 35 du PLFSS pour 2018. Ce dispositif n'est pas qu'un fonds, même s'il faudra évidemment le financer. Ce fonds devra également financer un peu d'ingénierie de projet et l'évaluation. Même si le fonds est géré par l'assurance maladie, celle-ci ne sera pas le propriétaire du dispositif.

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a proposé d'introduire dans le texte une mention d'un comité stratégique qui serait ouvert à tous les acteurs qui ont vocation à accompagner les acteurs publics et d'un comité technique, décisionnaire, qui rassemblerait les différents partenaires (DGOS, DSS, Cnam). Les mutuelles ne demandent pas à être au comité technique mais au comité stratégique. Le fonds est financé par l'assurance maladie obligatoire.

S'agissant de la télémédecine, nous allons ouvrir les négociations début 2018. Elles vont porter sur la téléconsultation et la télé-expertise. Elles partiront d'une page blanche car nous ne sommes pas liés par le cadrage des expérimentations qui concernait tout un ensemble de pathologies en ALD. On peut tout à fait considérer qu'il est possible d'aller au-delà de celles-ci. A priori, les modes de rémunération respectifs de la consultation et de la téléconsultation se fondent sur le même prix. Pour la télé-expertise, les choses sont plus compliquées. Il en va de même pour la rémunération du requérant. Je ne vois pas pourquoi on le rémunérerait systématiquement. Il faudra voir comment caractériser les choses.

Le sujet du choix entre chambre professionnelle et chambre pluri-professionnelle concerne principalement les médecins. D'autres professions de santé seront concernées, notamment les infirmières. Je vais commencer par une négociation mono-professionnelle avec les médecins libéraux avant de l'élargir, sur la notion de requérant, à d'autres professions selon une approche soit mono-professionnelle, soit pluri-professionnelle. Je commencerais par définir la rémunération des médecins, qui me paraît être l'élément socle du dispositif.

Les contrats conclus entre les agences régionales de santé (ARS), l'assurance maladie et les établissements pour intéresser ces derniers à toute mesure permettant de favoriser une plus grande pertinence et qualité des soins ainsi que des mesures d'économies sur les actes, produits et transports sanitaires sont un dispositif créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Je suis convaincu qu'ils jouent un rôle majeur car on ira chercher des économies que lorsqu'on aura réussi à concilier sens médical et rationalité économique. Cette notion d'intéressement des acteurs et des professionnels est indispensable, comme le montrent les dispositifs de rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) des médecins généralistes. Mais tout est dans l'exécution : la loi impose à tous les établissements une conclusion de ces contrats pour la fin 2017, la mobilisation est encore en cours et, dans ces conditions, je pense que les contrats que nous sommes amenés à signer ne sont pas suffisamment travaillés.

Nous allons respecter la loi mais il faudra assez vite revenir vers les établissements, début 2018, pour prévoir des avenants aux contrats afin de personnaliser davantage les objectifs. Nous allons faire en sorte, comme le veut le PLFSS pour 2018, que l'intéressement s'applique à tous les volets des contrats. Peut-être pourrons-nous monter l'intéressement jusqu'à 30 % s'il s'avère que c'est un bon chiffre.

En ce qui concerne la commission de hiérarchisation des actes et des prestations (CHAP), il s'agit d'une instance que l'assurance maladie accueille en son sein et qui permet aux professionnels de santé d'intervenir sur la valorisation médicale de la difficulté d'un acte. Ceci est l'un des éléments d'inscription à la nomenclature.

L'article 37 du PLFSS pour 2018 prévoit que si la CHAP ne s'est pas prononcée sur un nouvel acte un an après que la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu son avis, le directeur général de la Cnam prend la main. Je n'ai pas demandé cette disposition ; je n'ai pas vu d'acte innovant sur lequel la CHAP ait tardé à répondre. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a proposé de supprimer l'article afférent avec, je crois, un avis favorable du Gouvernement et sans que j'y voie d'inconvénient. Cet article relève d'un malentendu comme on peut en voir lors de la fabrication d'un projet de loi.

Enfin, en ce qui concerne le dossier médical partagé (DMP), dont la loi de 2016 nous a confié la responsabilité, nous y travaillons intensément afin de définir les conditions de sa réussite. Il faut permettre une ouverture massive des DMP. Lorsque nous avons été investis de la responsabilité du DMP, il en existait 500 000 pour la France entière, dont la moitié étaient vides. Le but serait d'avoir en quelques années quelques dizaines de millions de DMP ouverts, qu'il y figure de l'information, qu'ils puissent être consultés facilement par les professionnels afin que ceux-ci aient envie de l'alimenter et, enfin, que les patients eux-mêmes se l'approprient.

Nous avons élargi les possibilités d'ouvrir un DMP, avec une expérimentation dans neuf départements pilotes. Il ne me paraît pas raisonnable de penser que les médecins ont du temps à consacrer à cela. Les assurés peuvent désormais ouvrir directement leur DMP en ligne. Cette possibilité a un certain succès mais ce ne sera pas le vecteur principal. La possibilité est également ouverte dans les accueils des caisses primaires. Ces deux dispositifs ont déjà permis d'ouvrir 250 000 DMP en l'espace d'un an. Cela ne suffira pas ; c'est pourquoi je souhaite que les pharmaciens aient la possibilité d'ouvrir un DMP. J'ai conclu cet été un accord avec eux en ce sens. Nous leur proposons une rémunération de un euro par DMP ouvert. Quant aux syndicats médicaux, ils étaient, il y a encore deux ans, divisés sur le DMP. Mais la réflexion progresse. Je pense que les infirmières libérales vont elles aussi pouvoir ouvrir des DMP au domicile des patients.

Dès qu'un DMP est ouvert, nous y versons l'historique des remboursements sur deux ans, présenté à partir de données médicales. On sait quel médicament a été remboursé, quel médecin a été consulté. En revanche, le DMP ne permet pas encore d'avoir le contenu d'un acte dont on sait qu'il a été réalisé, par exemple un acte d'imagerie.

Il va falloir compléter les DMP à partir de l'information hospitalière ; le DMP sera un instrument du lien entre la ville et l'hôpital. Nous réalisons à ce sujet un travail de terrain très minutieux, hôpital par hôpital, clinique par clinique, pour étudier leurs systèmes d'information. La même chose devra être faite avec les Ehpad. Nous menons par ailleurs un travail avec les laboratoires d'analyses, le but étant là aussi d'avoir une alimentation directe de tous les DMP. Il restera ensuite le secteur de l'imagerie sur lequel le travail doit se poursuivre.

Nous mettrons par ailleurs en place, dans deux départements pilotes, une application permettant aux assurés relevant du régime général de consulter leur DMP sur leur smartphone. Enfin, s'agissant du calendrier, la généralisation du dispositif est prévue pour le second semestre 2018.

Il s'agit certes là d'un nouveau report ; des développements informatiques importants sont cependant encore nécessaires, et je considère que nous ne perdons pas de temps lorsque nous nous efforçons de bien faire les choses.

M. Gérard Dériot . - Je m'interroge quant à la méthode qui a permis de fixer le montant du prélèvement opéré sur la branche AT-MP au profit de la Cnam. Il s'élèvera cette année à un milliard d'euros - payé par les entreprises à l'heure où l'on parle de faire baisser le coût du travail... Il s'agit en définitive ni plus ni moins que d'une cotisation indirecte permettant de renflouer les comptes de l'assurance maladie et je ne doute pas que la décision sur ce point ait été plus politique que strictement comptable et technique.

M. Michel Amiel . - La ministre de la santé a indiqué que 25 à 30 % des actes pratiqués ne seraient pas pertinents. Ces chiffres vous paraissent-ils justes ? Quelles mesures avez-vous mises en place pour faire diminuer l'impertinence des actes ? J'observe par ailleurs que la superposition des cartes retraçant respectivement le nombre d'actes pratiqués dans chaque région et la répartition des professionnels médicaux sur notre territoire est, pour le moins, troublante. Pour le dire de manière raccourcie, plus il y a d'urologues et plus il y a de chirurgies de la prostate... Ne pourrait-on pas envisager un dispositif similaire à celui des ROSP pour améliorer la pertinence des soins ? L'enjeu est d'importance car les montants en jeu sont considérables.

M. Yves Daudigny . - A propos des comptes de la branche maladie, une revue sociale spécialisée dont la réputation est plutôt sérieuse, a publié hier un article indiquant que l'évolution envisagée du déficit pour l'année prochaine constituerait « un coup politique et financier » permis par les décalages de trésorerie liés à la mise en place de la réforme de la CSG, pour un montant de 3 milliards. Il s'agit là d'une accusation grave : pourriez-vous nous fournir des précisions quant à cette lecture des comptes ?

Comme mon collègue Michel Amiel, j'ai lu dans la presse que la ministre évoquait jusqu'à 30 % d'actes inutiles. Ce problème ne s'inscrit-il pas dans une certaine culture française des soins médicaux, autant du côté des patients, qui en sont demandeurs, que des professionnels ? En tout état de cause, la mise en place du DMP ne pourra qu'aller dans le sens d'une amélioration de la situation en ce qu'il permettra par exemple de supprimer les examens redondants.

Enfin, si je regarde avec intérêt et faveur les dispositions des articles 35 et 36, il me semble que la notion de pratiques avancées en est assez absente.

M. Bernard Jomier . - L'article 35 du PLFSS me paraît fondamental en ce qu'il porte la possibilité d'une profonde évolution de notre système de soins. Je m'interroge cependant, en tant que parlementaire, sur sa place dans ce texte : une évolution aussi importante peut-elle vraiment être tracée au détour d'un article du PLFSS, qui plus est formulé en termes à la fois très vastes (quant au champ couvert) et très flous ? Je ne suis pas contre les expérimentations qui permettent bien souvent de déverrouiller des situations bloquées et je souscris par ailleurs à la plupart des pistes que vous avez tracées ; mon interrogation porte sur la nature du véhicule utilisé pour les mettre en oeuvre.

J'observe par ailleurs que les établissements de l'AP-HP qui se sont le plus engagés dans le virage ambulatoire connaissent une situation financière très dégradée, du fait notamment du mode de tarification de ce type de prise en charge. Comment répondre à ces difficultés ?

Enfin, l'extension des dispositifs d'avance de frais vous semble-t-elle de nature à faire reculer le renoncement aux soins ?

M. Guillaume Arnell . - Je suis préoccupé de constater qu'une part non négligeable des économies annoncées sur l'Ondam portera sur les établissements de santé, alors que ceux-ci font déjà face à des contraintes fortes. Comment nous assurer que ces économies ne remettront pas en cause la qualité des soins hospitaliers ? Certains territoires, comme celui de Saint-Martin et les outre-mer voisins, ont besoin de soins de pointe dans certaines spécialités, comme l'endocrinologie ; nous devons pouvoir continuer de les financer demain.

Mme Pascale Gruny . - Êtes-vous réellement prêts à accueillir les affiliés au RSI ? Il faut avoir en tête le profil particulier de ces assurés qui sont habitués au guichet unique couvrant un champ très large, y compris l'aide sociale.

M. Daniel Chasseing . - Il faut espérer que le DMP, en portant la trace des examens réalisés, permette de limiter les actes impertinents, notamment en matière d'imagerie et de biologie.

De nombreuses difficultés nous ont été rapportées -ce n'est pas nouveau- quant à l'adéquation du financement hospitalier à l'acte jusqu'à la prise en charge des polypathologies. Pouvez-vous nous préciser si des travaux sont en cours quant au développement d'un financement mixte ? Je rejoins par ailleurs la remarque précédemment formulée sur le financement de l'ambulatoire : il semble que les forfaits proposés soient trop bas pour garantir un développement effectif de ce secteur.

Je me pose enfin la question de la possibilité pour les médecins hospitaliers, salariés par les établissements de santé, d'exercer ponctuellement dans le cadre des maisons de santé. Il me semble que ce pourrait être un moyen de répondre à la demande de soins dans les territoires souffrant de la désertification médicale.

Mme Laurence Cohen . - Le projet de financement qui nous est soumis comporte 4,4 milliards d'économies à réaliser sur les soins. Or, il me semble que l'on passe sous silence que l'évolution tendancielle des dépenses est estimée à la même somme. Nous aurions pourtant les moyens de financer cette évolution, avec un peu de volonté : il suffirait pour cela de supprimer la taxe sur les salaires pesant sur les établissements hospitaliers. J'observe au passage que ces montants correspondent au produit de l'ISF... Tout est affaire de choix.

Le développement de l'ambulatoire n'est pas nécessairement la panacée : lors de la mission que nous avons conduite sur les urgences hospitalières, nous avons pu constater qu'il pouvait s'accompagner de retours précipités à l'hôpital.

Cette formule de prise en charge n'est pas adaptée à tous les profils et à toutes les pathologies et nécessite une importante coopération avec les médecins de ville et les centres de santé (qui, je le souligne, pratiquent d'ores et déjà le tiers payant - oui, tout est bien affaire de choix). Nous devons en tous cas garder en tête que des sorties trop précoces sont parfois non seulement inadaptées, mais également coûteuses.

J'entends bien les interrogations posées quant à la pertinence des actes ; je souhaiterais cependant que l'on s'intéresse également davantage au coût du renoncement aux soins.

Je rejoins enfin l'interrogation de mon collègue Gérard Dériot quant à l'abondement des comptes de l'assurance maladie par la branche AT-MP.

M. Michel Forissier . - Je voudrais aborder le sujet de la prévention. Les médecins scolaires et les médecins du travail étaient très investis, mais on connaît les difficultés de recrutement dans ces secteurs. Dans ce domaine, les inégalités territoriales sont inquiétantes.

Il existe de nombreuses initiatives locales en matière de prévention mais il manque un pilotage national. Or, les perspectives financières ne semblent pas témoigner d'une ambition forte en la matière.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général . - Sur la pertinence des soins le chiffre de 30 % d'actes inutiles ou redondants évoqué par la ministre peut en surprendre certain. Toutefois, il est cohérent avec les conclusions du rapport que j'ai rédigé en juillet dernier. Il est également proche du chiffre évoqué dans un récent rapport de l'OCDE, ce n'est donc pas une problématique propre à la France.

Au cours des derniers exercices, un milliard d'euros d'économies ont déjà été réalisés au titre de la pertinence des soins. Il y a donc une grande marge de progrès.

Il est nécessaire de développer en la matière une stratégie marquant une volonté politique claire et sur plusieurs années. Une telle stratégie devra interroger les modes de tarification, en introduisant un système mixte tempérant le principe de rémunération à l'acte.

Vous nous avez indiqué que le DMP ne pourra pas être mis en oeuvre au 1er janvier, j'espère néanmoins que ce sujet, qui est ouvert depuis longtemps, ne sera pas encore retardé d'une année entière. Il s'agit d'un outil indispensable pour mettre en oeuvre un réel dialogue entre professionnels de santé, notamment entre la ville et l'hôpital.

Pourriez-vous nous indiquer dans quelle mesure la lettre de sortie est réellement mise en oeuvre ?

Le DMP a-t-il fait l'objet de tests, notamment auprès de médecins ?

La ministre a répété l'engagement présidentiel d'assurer la prise en charge totale des soins dentaires et ophtalmologiques. Disposez-vous d'un calendrier de mise en oeuvre ? Quelle sera la place des assurances complémentaires ?

Mme Victoire Jasmin . - Je voudrais évoquer le sujet de la prévention et notamment auprès des personnes handicapées qui connaissent des difficultés d'accès à la mammographie ou même à des examens gynécologiques.

Les CCAS sont souvent sollicités pour compléter l'action de l'assurance maladie, notamment en faveur des publics fragiles. Comment soutenir l'action des CCAS ?

Sur la vaccination, mais également les questions de résistances aux antibiotiques ou sur l'impact de l'alimentation ou de l'agriculture en termes de santé publique, un travail global doit être mené.

Mme Véronique Guillotin . - L'innovation peut provenir de la technologie mais également des modes d'organisation. Les initiatives locales ne manquent pas, mais il est parfois nécessaire de fournir l'ingénierie permettant de développer ces expérimentations.

Par ailleurs, une évolution des modes de tarification est nécessaire pour permettre une meilleure coordination des professionnels de santé.

Le développement de l'hospitalisation en ambulatoire pose aussi la question de l'hospitalisation à domicile, qui connaît un développement plus ou moins facile selon les territoires.

En matière d'accès à la prévention dans les territoires les plus défavorisés, ne serait-il pas pertinent de mettre en place des maisons de la prévention ?

M. Jean Sol . - Où en sommes-nous dans la conclusion des contrats d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins (Caques) ? Quel est l'échéancier de signature de ces contrats ? Quelles modalités d'incitation ou de pénalité pour les établissements de santé sont envisagées ? Ces contrats comportent-ils un volet relatif à l'éducation thérapeutique ? Comment ces contrats concerneront-ils les GHT ?

M. Nicolas Revel . - Concernant la branche AT-MP, nous n'avons pas de moyens techniques de connaître la réalité de la sous-déclaration. Elle est évidemment nettement plus importante en matière de maladies professionnelles.

Une commission présidée par Jean-Pierre Bonin estimait cette sous-déclaration aux alentours de 1 milliard d'euros, chiffre qui est repris dans le PLFSS.

Néanmoins la branche est en excédent structurel. On aurait pu proposer une réduction des cotisations mais il a été décidé, en concertation avec les employeurs, de transférer 500 millions d'euros de cotisations vers la branche maladie.

S'agissant des 30 % d'actes inutiles ou redondants, l'estimation avancée par la ministre, qui a une longue expérience professionnelle dans le monde de la santé, est cohérente avec les calculs de l'OCDE, dont je ne doute pas du sérieux.

Ce chiffre donne un ordre de grandeur qu'il n'est certainement pas possible d'affiner mais tous les professionnels s'accordent pour dire qu'il y a des actes inutiles ou redondants qui pourraient être évités. Cela passe par une réflexion sur la tarification, sur la mise en oeuvre du DMP.

Il faut aussi agir pour éviter d'avoir à ré-hospitaliser des patients pris en charge en ambulatoire ou sur le recours aux SSR alors que des soins de villes seraient suffisants. Une réflexion peut aussi être menée sur la surconsommation des médicaments et des dispositifs médicaux et sur les quantités dispensées. On constate également que des traitements sont parfois délivrés mais que le patient ne les suit pas.

La sous-médicalisation coûte cher également, il faut agir sur la prévention et veiller à prendre en charge à temps.

Enfin, la question de la formation des professionnels de santé et de la diffusion des recommandations formulées notamment par la HAS doit être traitée.

Il existe donc de nombreux leviers d'efficience médico-économique sur lesquels on peut agir sans nuire à la bonne prise en charge.

Tous les pays sont concernés. Il y a un important travail à faire sur les recommandations de bonne pratique. L'evidence-based medicine est très développée dans des pays comme la Belgique ou la Finlande : le sujet est ouvert avec le Collège de médecine générale. La sur-densité en professionnels de santé peut également conduire à la non pertinence : des négociations sont en cours avec les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes. Un autre levier est d'agir sur l'intéressement des acteurs. Le discours volontariste porté par la ministre aidera à avancer sur ce sujet essentiel.

Sur la répartition entre les branches du produit de CSG, je n'ai pas connaissance d'un effet quelconque de trésorerie. Il faut interroger la direction de la sécurité sociale.

Les pratiques avancées n'entrent pas dans le cadre des expérimentations de l'article 35 du PLFSS. Pour les coopérations portées par l'association Asalee, une pérennisation des financements est par ailleurs prévue.

L'article 35 consiste-t-il à demander au Parlement de signer un chèque en blanc ? Aujourd'hui, des expérimentations ne marchent pas et des initiatives locales sont bloquées. Nous avons proposé ce choix qui repose sur le pari d'une habilitation large. Un enjeu sera ensuite celui du suivi des expérimentations par le comité stratégique et le Parlement, et des suites qui y seront données. Le débat ne sera pas capté par les gestionnaires.

Concernant la chirurgie ambulatoire, la question sur les tarifs susceptibles d'être un frein à son développement me surprend. Ce point doit être approfondi.

L'hospitalisation à domicile bénéficie d'un milliard d'euros. Nous travaillons à lui trouver sa juste place.

Le tiers-payant, obligatoire pour les bénéficiaires de la CMU-C et de l'ACS, est une réponse au problème du renoncement aux soins mais ce n'est pas la seule. Une consultation avec la carte Vitale donne lieu à un remboursement dans le délai de 7 jours.

Un rapport de l'assurance maladie et des organismes complémentaires est parvenu à peu près aux mêmes conclusions que celui de l'Igas qui vient d'être remis à la ministre en charge de la santé. Seul le tiers payant intégral présente un réel intérêt en termes d'accès aux soins. Or, les organismes complémentaires n'ont pas encore atteint ce degré d'avancement.

Pour la ministre, le tiers payant demeure l'horizon. Il a vocation à se développer dès lors que les outils existent mais il est inutile d'en faire un totem empêchant d'avancer sur le reste. D'ailleurs, dès que cela fonctionne, les médecins s'en saisissent.

S'agissant de l'évolution du RSI, je pense que la formule du guichet unique sera bien trop complexe à transposer ; il me semble trop difficile de gérer un front office commun à au moins trois branches de la sécurité sociale. Les ex-affiliés au RSI seront donc traités comme l'ensemble des assurés du régime général. Il me semble en outre que l'on rencontre rarement un problème global de cotisation ou de prestation qui conduise à devoir s'adresser le même jour à plusieurs branches de protection sociale... L'action sanitaire et sociale continuera cependant de faire l'objet d'une gouvernance spécifique.

Sur la question des transports sanitaires inter-établissements, l'enjeu me paraît être celui de la responsabilisation des établissements, alors que les dépenses correspondantes leur sont aujourd'hui totalement exogènes et ne relèvent d'ailleurs même pas de l'Ondam hospitalier. Il me semble indispensable de responsabiliser sur cette question l'ensemble des prescripteurs dont les établissements hospitaliers font partie. L'intégration des dépenses afférentes aux transports inter-établissements me paraît être une manière de le faire même si je sais les réactions que cette solution suscite.

Il sera demain possible aux praticiens hospitaliers qui le souhaitent d'effectuer des consultations dans des centres ou maisons de santé ; il me semble que c'est là une des réponses à apporter à la pénurie d'installations nouvelles dans les territoires sous-dotés.

S'agissant de l'évolution des dépenses de soins, la solution que vous proposez, Madame Cohen, nécessiterait de trouver 4 milliards supplémentaires chaque année : ce n'est pas si simple. Surtout, une progression annuelle des dépenses de l'ordre de 4 % me paraîtrait assez peu légitime, compte tenu des nombreux leviers d'efficience qui existent toujours dans notre système de soins. Le plus important me semble être d'équilibrer les comptes afin d'éviter des déremboursements d'ampleur.

Lutter contre le renoncement aux soins est un des leviers de maîtrise des dépenses. La Puma a réduit les cas de rupture des droits. Il existe cependant des assurés qui renoncent aux soins en raison du reste à charge mais également pour des raisons psychologiques. Les caisses primaires travaillent sur ce sujet, notamment au travers du dispositif Pfidass pour assurer l'accès à des soins effectifs.

Sur la prévention, une stratégie nationale de santé sera prochainement annoncée, elle sera déclinée au printemps en un plan national. Le PLFSS prévoit d'ores et déjà des mesures fortes sur la vaccination et le tabac.

L'assurance maladie dispose d'un Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires, qui doit être renégocié dans le cadre de la prochaine convention d'objectifs et de gestion et d'un fonds tabac.

Les modes de rémunération doivent tenir compte des objectifs de prévention, à travers la ROSP notamment.

Nous discutons beaucoup avec les syndicats de médecin mais également avec les médecins de terrain au sujet de la mise en place du DMP.

Les négociations relatives à la prise en charge des soins dentaires sont ouvertes depuis septembre, les travaux relatifs aux audioprothèses et à l'optique seront lancés avant la fin de l'année. Ces travaux associent les professionnels mais aussi les organismes d'assurance complémentaire. Ils doivent permettre de définir des paniers de soins pris en charges ainsi que des plafonds de prix.

La signature de Caques avec l'ensemble des établissements est en cours, la loi nous oblige à le faire d'ici la fin de l'année. Une réflexion devra par la suite être menée sur le contenu de ces contrats et notamment sur les indicateurs retenus.

Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels
de la Caisse nationale d'assurance maladie

Réunie le 31 octobre 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie.

M. Alain Milon , président . - Nous poursuivons à présent nos auditions préalables à l'examen, la semaine prochaine, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Nous recevons Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, pour évoquer la situation de la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), aux spécificités de laquelle nous sommes particulièrement attachés.

Avec un peu plus de 13 milliards d'euros de dépenses, cette branche pèse d'un poids relativement modeste au sein de la sécurité sociale. Pour autant, elle soulève des enjeux majeurs pour l'amélioration de la prévention des sinistres d'origine professionnelle. Le renforcement des actions portant sur la santé au travail est l'une des priorités définies dans la convention d'objectifs et de gestion, ou COG, signée par la branche avec l'État pour les années 2014 à 2017.

D'autres objectifs ont été assignés à la branche AT-MP au cours du temps, comme la prise en charge des victimes de l'amiante. Depuis le 1 er octobre dernier, elle est également en charge du compte personnel de prévention réformé par les ordonnances « travail ». L'enjeu est de faire de ce compte un réel outil de prévention et non pas seulement de réparation.

Dans ce contexte qui semble évoluer très vite, pourriez-vous, madame la directrice, nous dresser un panorama général de la branche et des principales orientations retenues pour les années à venir ?

Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. - La branche AT-MP, quoique plus que centenaire, produit encore des résultats, notamment en matière de sinistralité. Le nombre d'accidents du travail s'est stabilisé depuis quelques années, après avoir été diminué de près de 80 % depuis 1945. Quant aux maladies professionnelles, elles s'atténuent légèrement ; les troubles musculo-squelettiques y sont désormais dominants. Ces résultats ne sont pas dus au hasard : ils sont le fruit de l'accompagnement quotidien des entreprises qu'effectue le réseau des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail, ou Carsat.

Investir dans la prévention est rentable ! Il est important de le rappeler quand on débat, dans le cadre de la renégociation de la COG, d'une possible réduction des moyens qui y sont alloués.

Par ailleurs, nous restons un assureur ; nous tarifons en fonction du risque. Cette tarification modulée, incitative à la prévention, est efficace. Elle produit également de bons résultats financiers : notre branche est en excédent de plus d'un milliard d'euros.

Les transferts représentent toujours un poids financier important : 15 % de nos ressources font l'objet d'un transfert vers la branche maladie. Le poids historique de l'amiante diminue au cours du temps, grâce à la réduction de l'exposition, mais reste important. La  branche supporte désormais un nouveau poids, qui sera sans doute durable, du fait de la réforme du compte professionnel de prévention, ancien compte pénibilité, qui a été transféré vers notre branche par les ordonnances « travail ». Ce poids a été mutualisé, dans une majoration de taux, entre l'ensemble des entreprises, quelle que soit l'exposition de leurs salariés à la pénibilité.

Le poids du contentieux reste lui aussi important : l'employeur ou l'assuré font souvent grief à la branche AT-MP de la reconnaissance ou non d'un sinistre. Notre gestion des contentieux a été améliorée mais ils pèsent toujours plus de 400 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable.

Notre branche a su s'adapter aux évolutions du monde du travail et, notamment, à la tertiarisation de l'économie. Les lombalgies représentent aujourd'hui 20 % des accidents du travail et nous coûtent 1 milliard d'euros par an ; nous lancerons prochainement une campagne de prévention sur ce sujet. Les risques psycho-sociaux sont aussi très importants ; il faut documenter la réalité dans les différents secteurs d'activité afin de développer par la suite des actions de prévention.

Notre branche s'adapte aussi au vieillissement de la population des travailleurs salariés. Toujours plus de travailleurs âgés, souffrant de maladies chroniques, doivent être pris en charge. La France est en retard par rapport à d'autres pays européens quant au maintien en emploi de ces personnes. C'est un réel enjeu de société : maintenir quelqu'un dans l'emploi non seulement lui assure une insertion sociale, mais lui permet aussi de continuer de cotiser. Il faut accompagner les entreprises pour qu'il ne soit pas plus avantageux pour elles de licencier ou de placer ces travailleurs en invalidité. Ce sera un grand volet de notre prochaine COG.

Notre branche essaie de s'adapter aux besoins de ses publics. Pour les assurés, nous pouvons faire plus pour la détection en amont des maladies professionnelles et pour permettre aux salariés d'accéder à leurs droits : la sous-déclaration est un problème. Accompagner les assurés dans leur demande de reconnaissance de maladie professionnelle est crucial ; c'est encore aujourd'hui un parcours du combattant. Pour les entreprises, nous développons, conjointement avec l'assurance maladie, une offre de services numériques moderne, notamment pour répondre aux besoins des TPE. Une offre « grands comptes » est aussi en cours de développement.

M. Gérard Dériot , rapporteur de la branche accidents du travail et maladies professionnelles . - Si la branche est bénéficiaire, c'est grâce à son mode de financement, qui repose quasi-exclusivement sur les entreprises, via les cotisations employeurs.

Celles-ci sont donc incitées à faire diminuer le nombre d'accidents du travail et le résultat est là. En revanche, on constate une légère fluctuation de l'incidence des accidents de trajet qui surviennent entre le domicile et le lieu de travail.

La branche a été capable de prendre en charge l'indemnisation des travailleurs victimes de l'amiante, ce qui représente une charge importante puisque ces prestations constituent 16 % des dépenses totales.

Depuis le 1 er octobre dernier, elle assure une nouvelle mission : le financement de la réforme du compte professionnel de prévention de la pénibilité. Quelles en sont les conséquences pour l'organisation de la caisse ? Quelles seront les modalités précises de financement par la branche AT-MP ? Quid de l'impact sur la fraction mutualisée du taux de cotisation ? Comment envisagez-vous la montée en charge du dispositif, en termes à la fois de nombre d'assurés et de dépenses ? Il s'agit d'une nouvelle dépense mutualisée de la branche, à rebours de la logique de prévention qui constituait sa vocation historique.

Je voudrais également évoquer la contribution de la branche AT-MP à la branche maladie au titre de la sous-déclaration. Le montant de cette contribution s'élève aujourd'hui à 1 milliard d'euros, soit près de 8 % des dépenses de la branche. J'ai interrogé le directeur général de la Cnam sur ce point, mais il m'a pas répondu ne pas disposer de statistiques précises, alors que la Cnam se montre capable d'en produire sur les sujets les plus divers ! Comment mieux évaluer cette sous-déclaration ? La commission ad hoc l'a estimée à un montant compris entre 800 millions et 1,5 milliard d'euros, une fourchette vraiment très large !

La situation financière de la branche AT-MP est saine, avec une dette apurée et des excédents depuis cinq exercices. Nous avons donc les ressources financières pour renforcer les efforts de prévention. Pouvez-vous nous indiquer comment seront employés les excédents ?

Enfin, pouvez-vous faire un point sur l'évolution de la sinistralité, à la fois pour les accidents du travail et les maladies professionnelles ?

Mme Marine Jeantet. - Le nombre d'accidents de trajet est en réalité extrêmement fluctuant, ni en hausse ni en baisse. Deux éléments expliquent leur nombre : la politique de sécurité routière - les accidents ont beaucoup baissé au moment de la mise en place du permis à points et des radars - et la météo.

J'insiste sur le changement de nom du compte pénibilité, devenu compte professionnel de prévention (C2P). Il est axé sur une logique de prévention, et sa gestion, auparavant confiée à la Cnav, nous revient désormais. Le transfert s'achèvera d'ici à la fin de l'année. La Cnav avait mis en place un dispositif d'ouverture et de gestion des droits, et n'avait pas développé l'activité de prévention en entreprise.

Quatre facteurs - trois portant sur les troubles musculo-squelettiques, un sur l'exposition aux risques chimiques - ont été « renvoyés » vers le dispositif de 2010 et ne permettent plus de créditer des points. La contrepartie de l'accord conclu avec les partenaires sociaux sur ce sujet a été le renforcement de la prévention.

Nous évoquerons cette question avec l'État lors des négociations, qui commenceront la semaine prochaine, sur les moyens alloués à la convention d'objectifs et de gestion.

Pour l'instant, nous sommes soumis à la réduction moyenne envisagée pour l'ensemble des branches de la sécurité sociale. Mais la prévention suppose l'emploi de personnels chargés de se rendre dans les entreprises pour y encourager les actions nécessaires, une méthode que nous savons efficace. Ne serait-il pas préférable d'investir dans ces effectifs pour éviter un coût social ? La ministre du travail approuve tout à fait cette logique de prévention. Nous verrons quels seront les arbitrages faits dans les prochains mois et les moyens qui nous seront attribués.

Je veux aussi évoquer l'impact sur le processus de reconnaissance des maladies professionnelles. Les quatre facteurs supprimés représentent 100 000 personnes : si 30 % d'entre elles font une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, nous aurons une augmentation de 30 % du nombre de dossiers à examiner, ce qui ne pourra qu'avoir un impact sur les délais d'instruction.

Les ordonnances ouvrent un nouveau droit à la formation aux assurés. La branche s'est construite à la fin du XIXe siècle sur la nécessité de prévoir un revenu de substitution pour ceux qui devaient s'arrêter de travailler. Les rentes constituaient une forme de réparation. Aujourd'hui, dans une économie tertiarisée, la problématique est différente. Les victimes, notamment celles qui ont fait un burn-out, cherchent avant tout une forme de reconnaissance et une aide pour retrouver du travail. Il s'agit souvent de personnes assez jeunes, qui doivent encore travailler plusieurs décennies. Le droit à la formation peut être intéressant dans cette perspective.

J'en viens à la sous-déclaration, qui est un sujet sensible au sein de la branche ! Elle concerne surtout les maladies professionnelles, car les accidents du travail doivent être déclarés dans les 48 heures par l'employeur, qui risque gros s'il ne le fait pas. La demande de reconnaissance de maladie professionnelle, à l'inverse, doit être faite par l'assuré. Or nombreux sont ceux qui ne connaissent pas leurs droits.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Ils ont peur de perdre leur travail !

Mme Marine Jeantet. - Généralement non, car les cancers touchent le plus souvent des personnes qui sont déjà à la retraite.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Pourquoi ne déclarent-ils pas leur maladie ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Plus les personnes sont modestes, moins elles connaissent leurs droits.

Mme Marine Jeantet. - Effectivement, les personnes concernées sont plutôt d'origine modeste et sont davantage préoccupées par la lutte contre leur maladie que par une éventuelle demande de reconnaissance de maladie professionnelle.

Nous proposons deux mesures. Il s'agit, d'une part, d'améliorer la détection de ces maladies, comme nous l'avions fait pour les cancers de la vessie il y a quelques années, en démarchant les personnes atteintes d'une affection de longue durée et en utilisant les médecins-conseils pour sensibiliser les patients à l'origine éventuellement professionnelle de leur maladie. Il s'agit, d'autre part, de développer un accompagnement des malades, par exemple en les aidant à constituer leur dossier. Nous essayons d'ailleurs de simplifier la procédure.

Malgré les efforts menés par la branche, le montant de la sous-déclaration est toujours de 1 milliard d'euros.

M. Gérard Dériot , rapporteur . - Il n'a pas évolué depuis trois ans mais il avait augmenté auparavant !

Mme Marine Jeantet. - Certes, mais on craignait que le montant n'atteigne 1,2 milliard d'euros. Tout cela relève d'un arbitrage politique qui n'est pas de ma compétence.

M. Gérard Dériot , rapporteur . - Il faut voir la réalité : cela contribue à l'équilibre de la branche maladie...

Mme Marine Jeantet. - ... qui sera à l'équilibre dans quelques années !

M. Gérard Dériot , rapporteur . - Je ne comprends vraiment pas pourquoi la Cnam ne peut parvenir à des évaluations plus précises !

Mme Marine Jeantet. - L'assurance maladie n'est pas la mieux placée pour établir de telles statistiques. Le recours à une commission extérieure est une bonne solution car elle permet d'agréger les données provenant d'autres organismes.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Un transfert de cotisations AT-MP de 0,3 point à l'assurance maladie n'est-il pas prévu l'an prochain ?

Mme Marine Jeantet. - La contribution au titre de la sous-déclaration représente ce que doit la branche AT-MP pour des accidents de travail ou maladies professionnelles pris en charge par l'assurance maladie.

La logique assurantielle de la branche AT-MP veut qu'une fois la dette remboursée, les cotisations doivent baisser. Les négociations ont effectivement conduit à diminuer les cotisations AT-MP et à augmenter, en parallèle, les cotisations pour l'assurance maladie, qui est déficitaire. Il a peut-être été maladroit de lier les deux, car si l'impact sur les cotisations des employeurs était neutre, les cotisations AT-MP avaient, elles, réellement baissé !

Il va se passer de nouveau la même chose en 2018. Comme la branche AT-MP est excédentaire de 1 milliard d'euros, une baisse des cotisations devrait être prochainement décidée. Elle conduira à une réduction du solde de 500 millions d'euros. Le taux est ajusté en fonction des besoins de la branche, ce qui est une mesure de bonne gestion.

Comme la trajectoire financière du C2P n'est pas encore très claire, il est préférable d'attendre de voir comment la situation va évoluer. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas intérêt à diminuer trop rapidement les cotisations, d'autant que nous devons investir dans la prévention.

S'agissant de l'utilisation des excédents, en plus de la baisse des cotisations, nous souhaitons développer des mesures incitatives pour les entreprises. J'aimerais notamment mettre en place, sur le modèle du bonus de rémunération des médecins qui ont rempli leurs objectifs de bonnes pratiques, une rémunération sur objectifs des entreprises. Ma cible prioritaire est les PME qui ont moins de moyens pour investir dans des services de prévention et auxquelles serait proposé un contrat générique, avec des objectifs définis (taux de maintien en emploi des seniors, respect des obligations légales...). Ce type d'instrument incitatif plaît aux entreprises.

Je n'exclus pas non plus d'utiliser les excédents de la branche pour accompagner les entreprises dans le maintien d'assurés spécifiques dans l'emploi. J'ai fait des voyages d'études à l'étranger pour examiner les dispositifs qui pourraient être transposés en France. Pour l'instant, nous n'anticipons pas le retour à l'emploi des personnes en arrêt maladie, alors qu'il s'agit d'une question fondamentale.

Présidence de Mme Colette Giudicelli, vice-présidente

Mme Pascale Gruny . - Je veux évoquer la médecine du travail. La loi « travail » a réduit le nombre de visites et en a modifié les modalités. C'est, à mon avis, une erreur du point de vue de la prévention. Le travail du médecin, en collaboration avec l'entreprise, est souvent très positif pour le maintien dans l'emploi tout au long de la carrière. Les moyens ont diminué...

Mme Laurence Cohen . - On se demande qui les a diminués !

Mme Pascale Gruny . - Par exemple, de nombreuses entreprises, même les plus petites, préparent les documents uniques d'évaluation des risques (DUER), en se faisant aider, le cas échéant, par les chambres de commerce. Mais elles ont aussi besoin des médecins.

Vous évoquez les dispositifs d'incitation à la prévention. J'insiste, mettez des médecins du travail et tout ira mieux !

Mme Marine Jeantet. - Les médecins du travail sont nos partenaires privilégiés. Dans le cadre de la précédente COG, nous avons conclu avec eux des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) sur lesquels le rapport d'évaluation de la COG réalisé par l'IGAS était assez critique. Cela a néanmoins permis de montrer aux ingénieurs et aux médecins que nos approches étaient complémentaires. Nos 1 500 préventeurs et les 15 000 personnes travaillant dans les services de santé au travail sont notre force de frappe. Nous devons mieux nous organiser, ce qui passera par des regroupements de ces services. Nous savons concevoir des programmes, et à terme nous ne ferons plus que cela ; leur déploiement dépendra des services de santé au travail.

Sur le rôle du médecin du travail, il a certes un poids très important mais nous pouvons aussi nous appuyer sur des personnels paramédicaux, des ingénieurs, des techniciens, des ergonomes... Au Danemark, le maintien dans l'emploi est assuré par des assistantes sociales et l'approche est multidisciplinaire. Nous devons sortir de notre vision très « médico-centrée ». Vu le manque de praticiens, je suis persuadée que la médecine du travail n'existera plus dans dix ans. Il faut trouver d'autres moyens d'action et travailler davantage avec les généralistes. C'est le cas au Danemark qui dispose aussi d'ergonomes très bien formés, intermédiaires entre l'entreprise et le médecin généraliste.

Une précision en ce qui concerne les DUER : une étude conduite avec l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) a montré que 50 % des TPE n'en disposaient pas.

Nous allons également élaborer un programme spécifique à destination des experts-comptables afin qu'ils relayent nos offres auprès des chefs d'entreprise car ils sont les tiers de confiance des petites entreprises.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Une estimation financière de l'extension de la reconnaissance de maladies professionnelles au burn-out a-t-elle été réalisée ?

Mme Marine Jeantet. - Nous organisons une conférence de presse le 5 décembre prochain sur cette question. Nous essayons d'évaluer les conséquences de la reconnaissance des risques psychosociaux non seulement en maladie professionnelle mais aussi en accident du travail. De nombreux cas de burn-out sont déjà reconnus comme accidents du travail. Quand nous disposerons d'informations plus détaillées (secteurs d'activité concernés, impact de la consommation d'anxiolytiques sur la santé...), nous pourrons intervenir de manière préventive et plus efficacement. Je veux souligner que la prise en charge n'est en tout cas pas négligeable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Une réflexion est-elle menée sur le déclenchement de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle ? Je pense au récent jugement sur l'amiante.

Mme Marine Jeantet. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 clarifie les choses : la prise en charge pourra prendre effet à compter de la date qui précède de deux ans la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle.

M. Dominique Watrin . - Nous devons bien évidemment avoir un débat sur l'utilisation des excédents de la branche AT-MP. Nous ne sommes pas favorables à une baisse des cotisations. Mais il faut surtout avoir une réflexion plus large, pour passer d'une culture réparatrice et compensatrice à une démarche de prévention, d'éducation et de promotion du travail et de la santé. Les inégalités en termes d'espérance de vie sont telles entre les catégories professionnelles que ce sujet doit être au centre de notre réflexion.

Une part des excédents ne serait donc pas siphonnée et il existerait une marge de manoeuvre dans le cadre de la COG. J'évoquerai trois pistes.

D'abord, la réparation. En Lorraine, comme dans le Nord-Pas-de-Calais, des mineurs ont du mal à faire reconnaître leur maladie professionnelle ou l'aggravation de leur taux de silicose. Les organismes instructeurs de l'assurance maladie poussent au contentieux, ce qui retarde de quelques années les décisions de reconnaissance de maladie professionnelle.

Ensuite, les services à la personne. Le taux de sinistralité est trois fois supérieur à la moyenne nationale. Chaque année, la situation empire. Le travail est normé et cadencé dans ce secteur qui est en crise financière et dont il faudrait revoir le modèle économique.

Enfin, le C2P. Les risques chimiques ayant été retirés, les employeurs sont-ils dorénavant dispensés de rédiger les fiches d'exposition ? La possibilité d'un risque de vide juridique avait été évoquée, ce qui constituerait un recul majeur en termes de traçabilité des modalités des durées d'exposition.

Mme Marine Jeantet. - Les syndicats de mineurs que j'ai récemment reçus m'ont plutôt fait part de leurs inquiétudes quant au suivi post-professionnel qui ne fonctionne pas bien, pour les mineurs comme pour l'ensemble des assurés d'ailleurs. Avant une éventuelle reconnaissance de maladie professionnelle, les assurés ont droit à un dépistage renforcé s'ils ont été exposés à certains risques. Les mineurs sont particulièrement concernés, car ils sont polyexposés. Nous avons préparé une nouvelle mouture du dispositif que nous avons présentée aux syndicats, lesquels ont semblé satisfaits. Elle sera testée sur cette catégorie professionnelle dès 2018 et nous espérons ensuite une rapide montée en charge.

Les services à la personne seront un des axes prioritaires de la future COG qui fixera les objectifs pour les quatre ans à venir. L'État employeur s'est préoccupé de la question car ce service est principalement financé par des fonds publics. La ministre prépare un plan d'action pour les Ehpad. Nous avions déjà testé des actions, puisque les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) avaient mis en place des programmes régionaux d'action sur les soins à la personne. Il faut sensibiliser le payeur, le donneur d'ordre. Le taux de sinistralité est plus important encore que dans le BTP car il n'y a pas de culture de la prévention. Le personnel - il s'agit souvent de femmes très peu qualifiées, en deuxième partie de carrière - est particulièrement exposé. Il ne faut pas oublier non plus de mentionner le problème de la ressource : les conseils généraux peinent à trouver des candidats pour exercer ces métiers !

Sur les fiches d'exposition, la suppression des quatre facteurs n'exonère pas les entreprises de la mise en place d'actions de prévention au-dessus d'un certain seuil qui sera défini par décret. Les Carsat devront suivre les entreprises concernées.

Mme Brigitte Micouleau . - Les lombalgies constituent 20 % des accidents du travail. Les services d'aide à domicile et les maisons de retraite sont les premiers à en pâtir. Outre la prévention et la formation, que faire de plus pour aider ces professionnels lorsqu'ils n'ont plus de personnels ?

Mme Marine Jeantet. - Cela fait cinquante ans que nous travaillons sur cette question ! Nous allons adresser aux établissements une liste des aides techniques existantes car ils les connaissent mal. Je citerai un exemple simple : il faut s'échauffer avant de porter un malade. Nous allons sensibiliser les agences régionales de santé et les conseils départementaux, bref tous les donneurs d'ordre, afin qu'ils intègrent cette dimension dans les exigences de qualité qu'ils imposent aux établissements.

Mme Corinne Imbert . - Je ferai juste une remarque. En ce qui concerne les métiers d'aide à la personne, votre priorité va à la prévention dans les établissements. Mais il ne faut pas oublier les services d'aide à domicile qui sont confrontés à des problèmes de financement et de tarification mais qui souffrent aussi de l'absentéisme des personnels. Ces derniers travaillent de façon isolée, au domicile des personnes dont ils sont chargés. Je rappelle que le maintien à domicile est une priorité. Les départements font déjà beaucoup mais ils ne peuvent être les seuls à intervenir.

Mme Marine Jeantet. - Vous avez raison, d'autant que, comme je l'ai dit, la situation devient critique en raison de l'absence de réserve d'emplois.

MM. Gérard Rivière, président du conseil d'administration,
et Renaud Villard, directeur
de la Caisse nationale d'assurance vieillesse

Réunie le 18 octobre 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de MM. Gérard Rivière, président du conseil d'administration, et Renaud Villard, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse.

M. Alain Milon , président . - Je souhaite la bienvenue à M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, et à M. Renaud Villard, directeur.

Le 4 octobre, le conseil d'administration de la Cnav a émis un avis majoritairement favorable sur le PLFSS. Nous souhaitons aujourd'hui évoquer avec vous les mesures qui concernent les prestations vieillesse et l'organisation de la branche, notamment l'intégration du régime social des indépendants au régime général.

Nous souhaitons aussi connaître votre sentiment sur la mise en place d'un régime universel de retraites, objectif auquel va désormais se consacrer le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, nommé par le Président de la République, et René-Paul Savary, pour notre commission.

Enfin, quelle que soit l'organisation de notre système, elle n'apportera pas nécessairement de réponse à la question du financement des retraites. Nous savons bien, dans cette commission, que le retour à l'équilibre de la branche vieillesse annoncé l'an dernier n'est qu'apparent puisque le Fonds de solidarité vieillesse concentre l'essentiel des déficits. Cette situation n'aura par ailleurs été que très provisoire, le PLFSS prévoyant des déficits croissants à compter de 2019. Ne devra-t-on pas procéder à des mesures d'ajustement sans attendre une future réforme systémique ?

Monsieur le président, je vous laisse la parole pour un propos introductif.

M. Gérard Rivière, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse . - Merci, monsieur le président. Je dirai tout d'abord quelques mots sur les comptes de la Cnav, les projections financières, le Fonds de solidarité vieillesse, et sur la question d'un régime universel.

Depuis une douzaine d'années, le régime général était déficitaire. La réforme des retraites, le décret du 12 juillet 2012 et la loi du 20 janvier 2014 ont modifié l'âge légal de départ en retraite, allongé la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein et apporté des cotisations nouvelles à la branche.

Ces diverses mesures ont permis un retour à l'équilibre. La Cnav était excédentaire de 0,9 milliard d'euros en 2016 et de 1,1 milliard en 2017. Cet excédent aurait pu être supérieur s'il n'avait pas été décidé de retransférer le financement du minimum contributif à la branche vieillesse, lequel avait été transféré au Fonds de solidarité vieillesse en 2010 afin de diminuer le déficit facial de la Cnav. En 2016, la Cnav revenant à l'équilibre, on a fait le mouvement inverse car le Fonds de solidarité vieillesse est toujours lourdement déficitaire !

À partir de 2018, la Cnav sera en très léger déficit de 0,7 milliard d'euros. Le déficit atteindrait 3,06 milliards d'euros en 2020, soit 0,1 point de PIB.

La facilité, c'est de globaliser les comptes de la Cnav et du Fonds de solidarité vieillesse et de dire que le régime général est toujours lourdement déficitaire. Je rappelle que, en 1994, la décision du gouvernement de l'époque de créer un Fonds de solidarité vieillesse avait été unanimement approuvée. Il s'agissait de faire financer par la solidarité nationale toutes les périodes non contributives validées par nos régimes de retraite, essentiellement les périodes de chômage. Sans prise en charge de ces périodes, le niveau des retraites ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui, notamment pour les salariés du privé, dont les fins de carrière sont particulièrement difficiles. Les périodes de maladie et les congés de maternité sont désormais financés respectivement par l'assurance maladie et par la Cnaf. Ces financements ont été clarifiés, ce dont tout le monde se réjouit.

Reste le problème du financement du Fonds de solidarité vieillesse. Ce fonds est en déficit de 3,8 milliards d'euros. Il sera à l'équilibre en 2020.

Sous l'effet de l'amélioration projetée de la situation de l'emploi, le FSV deviendrait ainsi excédentaire dans les années 2020. J'ai volontairement limité les projections de déficit de la branche vieillesse à 2020, même si le Conseil d'orientation des retraites a pris la mauvaise habitude de faire des prévisions à 2040, voire à 2070. En effet, d'ici à 2040, il y aura quatre élections présidentielles et autant d'élections législatives. Si toutes ces échéances démocratiques ne permettent pas de prendre les mesures susceptibles de redresser la situation, c'est à désespérer de tout...

En outre, comment projeter l'augmentation du PIB sur 55 ans ? Cela aboutit à un déficit projeté de 64,5 milliards en 2070, et ni vous ni moi ne serons plus là pour le vérifier. Une échéance fixée à 2030 permet de se projeter et de prendre les mesures nécessaires car le déficit de la Cnav représenterait tout de même 14,5 milliards d'euros, soit 0,5 % de PIB.

Des mesures doivent donc être prises car je ne me satisfais pas d'un déficit, fût-il léger. La sécurité sociale n'a en effet pas vocation à engranger des déficits année après année. L'amortissement de la dette sociale est en vue puisque, toutes choses égales par ailleurs, la Cades devrait avoir terminé le remboursement de la dette d'ici à 2024 ou à 2025.

Je rappelle que 16,5 milliards d'euros sont consacrés chaque année au remboursement de la dette sociale, au travers principalement de la CSG et de la CRDS. L'année 2024 n'est pas demain mais c'est après-demain. Alors, ces 16,5 milliards d'euros seront disponibles pour financer d'autres besoins, pas forcément au sein de la branche vieillesse d'ailleurs.

Sur la réforme systémique, je n'ai pas plus de renseignements que vous. Comme électeur attentif et citoyen informé, je connais le souhait du candidat Macron, devenu Président de la République : faire en sorte qu'un euro de cotisation procure les mêmes droits à la retraite, quel que soit le statut de celui qui cotise. Dès lors, toutes les pistes d'atterrissage sont possibles. On peut considérer que trente-cinq régimes de base et complémentaires peuvent perdurer et s'organiser dans ce but mais on peut aussi considérer qu'une seule caisse de retraite de base et complémentaire unique et universelle est plus adaptée. Tout est possible.

Jean-Paul Delevoye, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, va entamer des concertations à ce sujet, je le rencontre la semaine prochaine. En modeste connaisseur du système de retraite, je pense que la piste d'atterrissage la plus probable devrait vraisemblablement se trouver au milieu, entre les deux extrêmes ; en tout cas, cela me semble souhaitable car le maintien de régimes de base et complémentaires par répartition me semble adapté au modèle social républicain français.

M. Alain Milon , président . - Il faudra un pilote automatique car, s'il y a sans doute beaucoup de pistes d'atterrissage ouvertes, il y a aussi beaucoup de brouillard...

M. Gérard Rivière. - Mais Jean-Paul Delevoye est un homme d'une grande sagesse.

M. René-Paul Savary , rapporteur pour la branche vieillesse. - En ce qui concerne les projections, l'échéance de 2050 paraît effectivement lointaine, mais l'échéance de 2030 semble adaptée. On a aussi évoqué, lors d'auditions antérieures, une période de projection de quinze années glissantes, ce qui semble intéressant. Qu'en pensez-vous ?

Pourriez-vous tirer un premier bilan, après six mois, de la LURA, la liquidation unique des régimes alignés ?

Où en est-on de l'intégration du FSV au sein de la Cnav ? C'était prévu pour le 1 er octobre 2015 mais il existe toujours une entité.

Comment voyez-vous le défi de la reprise du RSI en deux ans ?

Enfin, il faut que l'on examine toutes les pistes de réforme systémique pour trouver une solution. Nous rencontrons prochainement M. Delevoye à ce sujet, toutes les pistes devront être examinées sans a priori.

Par ailleurs, le système de vases communicants du FSV est inacceptable, ce système de tuyauterie me semble volontairement opaque, pour que le parlementaire ne s'y retrouve pas. Quel est votre avis sur le fait que certaines prestations, par exemple le minimum vieillesse, sont financées par le déficit ? Ce déficit, au travers de l'Acoss, qui emprunte à court terme à des taux négatifs, permet de générer des bénéfices !

M. Gérard Rivière. - Pour ce qui concerne les projections sur quinze ans glissants, tout dépendra de la réforme que l'on mènera.

À propos des tuyauteries que vous évoquez, je partage votre sentiment. D'ailleurs, je l'ai dit à la commission des comptes de la sécurité sociale, le 28 septembre dernier, et le secrétaire général de cette commission comme la Cour des comptes vont dans le même sens : il faut mettre un terme à ces financements opaques ; personne ne s'y retrouve, pas même les initiateurs. Depuis plus de vingt ans, j'observe ces transferts d'une année sur l'autre pour boucher des trous en en creusant d'autres ; c'est une politique digne du sapeur Camember... On doit cesser ces pratiques.

M. Renaud Villard. - À propos des quinze ans glissants, je ne sais pas s'il y a une temporalité idéale. L'échéance de 2070 avait vocation à rassurer les jeunes générations -je ne suis pas sûr que l'objectif soit atteint- mais, en 2002, avant les réformes de 2003, de 2008, de 2010 et de 2014, on projetait un déficit de 60 milliards d'euros pour le régime général en 2020, alors que l'on sera en réalité en léger déficit. L'horizon de 15 ou 20 ans est donc déjà très long au regard du temps démocratique, mais aussi de la capacité de notre système de protection sociale à s'ajuster. Cela montre en outre l'effet des réformes, qui corrigent peu à peu ce déficit ; sans elles, nous aurions été en très grande difficulté.

La liquidation unique des régimes alignés revient à un guichet unique pour trois régimes - régime général, salariés agricoles et RSI -, non seulement pour l'accueil mais aussi pour la gestion des pensions des personnes qui ont cotisé dans plusieurs régimes. Un seul des régimes est donc l'interlocuteur unique de ces retraités et il agrège tous leurs droits au travers d'un versement unique.

C'était un défi énorme pour l'organisation et pour la conception même du régime, mais cela s'est très bien passé, il n'y a eu aucun incident notable car les différents régimes impliqués ont accepté de ne plus être « propriétaires » de leurs cotisants. Certes, certains assurés ne comprennent toujours pas cette évolution mais il y a globalement une grande satisfaction qui se traduit par un très faible taux de recours.

En outre, le travail sur le guichet unique nous a préparés à l'adossement ou à la fusion du volet retraite du RSI car nous entretenons déjà un cousinage très proche. Nous avons rapproché nos règles et nos organisations.

Néanmoins, il ne s'agit pas d'une fusion simple, c'est un grand défi, et notre priorité demeure la qualité de service. Si l'on fait un jardin à la française technocratique, on aura fait beaucoup de travail pour rien, c'est pourquoi nous y travaillons d'arrache-pied.

Vous avez mentionné l'adossement en gestion du FSV à la Cnav ; ce projet est un peu avorté. Il s'agissait de mutualiser la gestion du FSV avec celle de la Cnav, mais en réalité, la gestion du FSV est assez limitée. Cela ne posait donc pas de difficulté, mais les tutelles y ont renoncé. Cela dit, nous sommes toujours prêts à le faire ; par rapport au RSI, par exemple, l'activité à absorber est mince, trois ou quatre personnes pourraient s'en charger, tout en conservant une indépendance pour la traçabilité des fonds. Cela pourrait donc être mis en oeuvre très rapidement à la convenance de la tutelle.

J'en viens à la question des taux d'intérêt négatifs, pour les emprunts de la branche retraite. Effectivement, nous empruntons entre huit et dix milliards d'euros à court terme, sur six jours tous les mois, et nous empruntons à des taux négatifs, donc nous gagnons de l'argent. Cela dit, cela est possible parce que la banque de la sécurité sociale qu'est l'Acoss est notée AAA, elle est considérée comme très robuste, ce qui montre la solidité financière de la sécurité sociale. En outre, la dette sociale diminue, puisque nous avons franchi le sommet et nous redescendons avec une fin de parcours prévue en 2024 ou en 2025.

Mme Laurence Cohen . - Merci de ces explications à la fois concises et claires.

On peut se réjouir de la réduction du déficit, mais nous savons que cela passe par l'augmentation des recettes - cela ne dépend pas de vous, je le sais, mais des gouvernements successifs -, et mon groupe désapprouve ces choix. Je suis notamment inquiète de la hausse de la CSG, qui va peser sur les retraités. Il y a eu une grogne importante chez ces derniers et, malgré les mises au point du Gouvernement, je suis très dubitative sur la compensation promise. D'ailleurs, selon Les Échos, 2,5 millions de retraités n'en bénéficieront pas.

Par ailleurs, l'augmentation de l'allocation de solidarité aux personnes âgées passe de 803 à 903 euros ; on est encore très largement sous le seuil de pauvreté.

Cela dit, ces deux remarques liminaires ne vous concernent pas directement.

Ma question, que j'ai déjà posée à la ministre de la santé, porte sur le retard de paiement de certaines pensions par l'assurance retraite d'Île-de-France. 4 000 nouveaux retraités attendraient toujours le paiement de leur pension depuis juin dernier ; cela signifie que 20 000 retraités franciliens perçoivent leurs pensions avec plusieurs moins de retard.

Quelles mesures avez-vous prises pour remédier à ce problème ? Mon ancienne collègue Michelle Demessine était intervenue auprès du précédent gouvernement pour un problème similaire dans la région des Hauts-de-France. Cela est sans doute lié aux faibles moyens des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), qui sont en flux tendus ; il faudrait donc cesser de leur confier plus de missions en leur donnant moins de moyens et sortir du dogme du non-remplacement d'un agent sur deux.

M. Renaud Villard. - Je botterai en touche sur les deux premières remarques ; il ne m'appartient pas de commenter ces choix. Sachez simplement que l'augmentation de la CSG est extrêmement simple à mettre en oeuvre pour nous.

Il en va de même pour la revalorisation de l'Aspa, si ce n'est qu'il nous faudra accompagner les bénéficiaires, et contacter les nouveaux bénéficiaires potentiels. Cela dit, ce qui explique le taux de pauvreté assez faible des retraités en France, c'est justement le minimum vieillesse, qui, couplé avec les APL, dépasse le seuil de pauvreté.

Sur les difficultés de gestion soulevées par L'Humanité, j'aurai une réponse en demi-teinte. Les chiffres que vous évoquez ne sont pas parfaitement exacts, ils émanent d'une section syndicale représentative de la Cnav, qui ne s'exprime évidemment pas en notre nom.

Il est vrai que la gestion est actuellement tendue ; nous avons, en 2017, 50 000 dossiers de plus à traiter par rapport à 2016. Cela a donc mis l'appareil de production en surchauffe. Nous avons pris des mesures exceptionnelles de renfort grâce au mécanisme d'entraide du réseau en faveur de l'Île-de-France, qui était plutôt une caisse aidante jusqu'alors. Nous avons aussi mobilisé des ressources exceptionnelles et des techniciens qui ne liquident pas habituellement des dossiers. Cela a permis de réduire la surchauffe.

Nous avons un indicateur important, la garantie de versement. Elle a été créée après le problème rencontré par la Carsat des Hauts-de-France et elle consiste à s'engager, lorsqu'un assuré verse son dossier complet avant l'échéance, à lui verser sa pension dans les temps. On se situe en général entre 98 % et 99 %, mais on est descendu à 96,5 % au début de l'été. Nous avons donc pris la situation à bras-le-corps et nous étions à 98,1 % en septembre.

Il y a effectivement un afflux important de dossiers, lié au phénomène de « papy-boom » dense, mais nous sommes pleinement mobilisés pour éviter que cet afflux ne se traduise par des retards de paiement.

Mme Laurence Cohen . - Combien de dossiers et de personnes cela représente-t-il ? Derrière les pourcentages, il y a des situations humaines concrètes.

M. Renaud Villard. - Je n'ai pas de données spécifiquement pour l'Île-de-France, je n'ai que des chiffres relatifs à la France entière. La branche retraite liquide environ 700 000 dossiers par an. Sur ce total, 20 000 dossiers sont traités en retard chaque année ; 14 000 le sont parce que le dossier a été déposé après la date de cessation d'activité - on est donc forcément en retard, quel que soit le temps de traitement - et 5 000 à 6 000 dossiers sont traités en retard en raison de la difficulté qu'ils représentent (échanges avec une caisse étrangère avec laquelle nous n'entretenons pas de relation étroite,...).

Au début de l'été, ce stock est monté à 27 000 dossiers, mais nous sommes redescendus sous 25 000 dossiers. Lors des tensions observées dans les Hauts-de-France et à Montpellier, on dépassait 40 000 dossiers en retard. Néanmoins, nous sommes revenus à une situation normale, et nous continuons de communiquer beaucoup pour que les retraités déposent leur dossier dans les temps.

Je tiens à votre disposition les chiffres précis concernant l'Île-de-France.

Mme Nadine Grelet-Certenais . - J'ai été interpellée au sujet de l'articulation entre les caisses de retraite et les dispositifs de prise en charge du handicap. Lorsque des personnes handicapées se retrouvent à la retraite, elles ne relèvent plus des mêmes dispositifs d'aide financière et de soutien. Elles peuvent alors se retrouver en grande difficulté. Il s'agit souvent de très jeunes retraités, qui doivent alors entrer dans un Ehpad, dont on connaît la situation, ou rester à domicile avec une prise en charge lourde.

M. Renaud Villard. - Ce problème concerne les personnes touchant l'allocation adulte handicapé (AAH) et éventuellement d'autres prestations, comme la prestation de compensation du handicap (PCH), qui favorisent le maintien à domicile. Lorsque l'on passe à la retraite, le minimum vieillesse est exactement du même montant que l'AAH, il n'y a donc pas de perte financière, mais les mécanismes d'accompagnement ne sont pas les mêmes. Des mécanismes d'accompagnement existent mais leur articulation n'est pas toujours simple, cela peut se révéler inquiétant pour les assurés et entraîner des variations de revenu, alors qu'ils peuvent pourtant bénéficier de la majoration tierce personne, qui est très supérieure à la PCH.

Je vous rejoins toutefois pour affirmer que mieux on articule le suivi des assurés entre la branche famille (pour l'AAH) et la branche retraite (la retraite et l'Aspa), plus cela rassure les assurés ; l'articulation entre les dispositifs visant à accompagner la perte d'autonomie pourrait être clarifiée, affinée, même s'il y a déjà eu d'importants travaux sur l'articulation entre les minima sociaux.

En tant que gestionnaire, nous veillons toujours, lors de la bascule de l'AAH vers le minimum vieillesse, à ce qu'il n'y ait pas de rupture, mais cela peut arriver, ce qui est inadmissible. C'est pourquoi le conseil d'administration de la Cnav préconise un renforcement de la bascule automatique de l'AAH vers la retraite. Plus cela est automatisé, c'est-à-dire plus la complexité est prise en charge par les caisses plutôt que par les assurés, mieux cela vaudra. Au-delà, il y a aussi des questions de normes réglementaires et législatives mais cela nous échappe à nous, gestionnaires.

M. Alain Milon , président . - Le Premier président de la Cour des comptes, M. Migaud, que nous avons auditionné la semaine dernière, a mis en exergue des paiements indus à des retraités vivant à l'étranger et âgés de 117 ans...

M. Renaud Villard. - J'ai lu ce rapport, le résumé est exact mais la présentation en est trop synthétique. La Cour des comptes a demandé à deux régimes, le régime général et un autre régime de retraite, de lui présenter les cent assurés les plus âgés en Algérie et dans d'autres pays. Or les personnes plus âgées n'étaient pas les mêmes dans les deux régimes et, en l'espèce, l'assuré de 117 ans n'appartient pas au régime général - notre assuré le plus vieux a 106 ans. Nous referons ce croisement de fichiers car il est très instructif ; si un assuré est mort pour un régime, il doit l'être pour l'autre...

M. Gérard Rivière. - La Cour des comptes a raison d'être vigilante mais nous gérons tout de même 14 millions de retraités ; il peut arriver qu'un assuré passe à travers les mailles du filet. Nous contrôlons chaque année l'existence de nos assurés à l'étranger - je rappelle qu'il s'agit d'assurés qui ont cotisé au régime français. Ils doivent nous retourner l'attestation de vie certifiée par une autorité locale, faute de quoi nous supprimons le versement de la prestation.

Il peut toutefois y avoir des faux. Nous souhaitons donc mutualiser les contrôles d'existence. Un retraité à l'étranger peut percevoir des pensions de plusieurs régimes. Aujourd'hui, chaque régime demande cette attestation d'existence à l'assuré, ce qui n'est pas simple pour lui, d'autant que le service postal n'est pas partout aussi performant qu'en France.

Mme Patricia Schillinger . - On a appelé mon attention sur la situation de personnes âgées issues de l'immigration, qui ont rejoint leur enfant en France au titre du regroupement familial tout en touchant une retraite. De quoi s'agit-il ? D'une retraite française, d'une retraite d'un autre pays ou du minimum vieillesse ?

M. Renaud Villard. - Les règles sont très claires. Un étranger qui a cotisé en France touche la retraite française. Pour pouvoir toucher l'ASPA, un étranger doit avoir résidé régulièrement depuis dix ans en France avec un titre de séjour l'autorisant à travailler. Une personne qui arriverait à 65 ans en France au titre du regroupement familial ne pourrait pas toucher le minimum vieillesse.

En revanche, il y a environ 70 000 personnes qui n'ont jamais travaillé mais qui touchent le minimum vieillesse, ce sont souvent des conjoints survivants.

M. Alain Milon , président . - J'ajoute que cette durée de résidence régulière de dix ans a été introduite par le gouvernement Fillon en 2011. Le Sénat l'avait rejetée mais le précédent gouvernement l'a maintenue et elle est toujours en vigueur.

Je vous remercie de votre intervention, messieurs.

M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration
de la Caisse nationale des allocations familiales

Réunie le 18 octobre 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de. M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales.

M. Alain Milon , président . - Nous accueillons ce matin M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), accompagné de MM. Daniel Lenoir, directeur général, Frédéric Marinacce, directeur des prestations légales et sociales, Bernard Tapie, directeur des statistiques, des études et de la recherche et de Mme Patricia Chantin, responsable des relations parlementaires. Cette audition s'inscrit dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 sur lequel le conseil d'administration de la Cnaf a émis le 4 octobre dernier un avis majoritairement défavorable.

Le PLFSS comprend deux mesures sur la branche famille, l'une augmentant le complément de mode de garde pour les familles monoparentales, l'autre révisant le barème de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). Après neuf années de déficit, la branche revient à l'équilibre en 2017, avec des perspectives d'excédents croissants à compter de 2018. Ce résultat est en partie lié à des mesures d'économies sur certaines prestations.

Au-delà des mesures du PLFSS et de la trajectoire financière, nous souhaitons faire le point sur les perspectives d'évolution de la branche. Il y a quelques semaines, la ministre des solidarités et de la santé a présenté devant le conseil d'administration de la Cnaf les orientations gouvernementales en matière de politique familiale, alors qu'une nouvelle convention d'objectifs doit être établie avec l'État. Elle aurait insisté sur la lutte contre la pauvreté et les solutions d'accueil pour les jeunes enfants. Vous nous direz, monsieur le président, votre perception de ces orientations.

Le rapport annuel que nous a présenté le Premier président de la Cour des comptes comporte un volet consacré à la branche famille. Il souligne l'orientation redistributrice suivie ces dernières années et appelle à clarifier les objectifs de la politique familiale, à un moment où notre démographie donne des signes de fléchissement.

M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales . - Merci de nous recevoir. Notre conseil d'administration a émis un vote majoritairement défavorable sur le PLFSS, au regard de l'examen des articles concernant la branche famille de la sécurité sociale. Les organisations patronales ont voté en faveur de ce projet, estimant qu'il fallait laisser la porte ouverte aux propositions du Gouvernement lors de la présentation du premier PLFSS de la mandature.

Après dix ans de déficit, la branche famille retrouve l'équilibre. À mon arrivée à la tête de la Cnaf en 2007, elle était excédentaire. Pour une bonne part, les déficits ultérieurs résultent de transferts de charges à la branche famille, comme les majorations pour enfants des pensions de retraite.

Nous avons les mêmes interrogations que vous sur l'effet redistributif de la politique familiale. Les familles aisées ont été mises à contribution à plusieurs reprises par des mesures fiscales de plafonnement du quotient familial, la fin de l'universalité des allocations familiales par l'introduction d'une modulation, et la modification des plafonds d'ouverture des droits à différentes prestations comme la PAJE. À l'inverse, 400 000 familles modestes bénéficient de la majoration du complément familial, 745 000 foyers séparés de l'allocation de soutien familial, sans compter l'accès au revenu de solidarité active (RSA), et désormais à la prime d'activité. Il y a donc un effet redistributif. Nous avons étudié l'impact sur les familles des réformes intervenues en 2014 et 2015 en matière de politiques sociales et familiales. 3,2 millions de familles auraient perdu en moyenne 67 euros par mois, alors que 2,1 millions de familles auraient vu leurs revenus augmenter de 67 euros. Il y a donc eu plus de perdants que de gagnants et cela a engendré environ 860 millions d'euros d'économies.

Mme Buzyn nous a présenté, lors de notre conseil d'administration en septembre, les axes du PLFSS et sa politique familiale notamment en faveur des familles défavorisées, pour lutter contre la pauvreté des enfants - hier se tenait la journée mondiale du refus de la misère. Près de 70 000 familles monoparentales qui confient leur enfant dans une structure d'accueil voient leur complément de libre choix de mode de garde (CMG) augmenter significativement. En cas d'accueil individuel, la totalité des cotisations salariales est prise en charge, le reste à charge étant diminué du fait de l'augmentation de la prestation avec un montant plafond majoré de 30 %. En année pleine, cela coûtera 40 millions d'euros. La mise en oeuvre en octobre 2018 coûtera 10 millions d'euros à la branche famille.

Le plafond de l'allocation de base de la PAJE sera aligné plus rapidement que prévu sur la base du complément familial, soit une économie de 70 millions d'euros en 2018. En 2015, notre conseil s'était ému que le versement de la prime à la naissance de 923 euros, au départ prévu avant la naissance pour aider à l'accueil du nourrisson, ait été décalé au deuxième mois de l'enfant. Ce décalage était difficilement supportable pour les familles, et les fonds locaux d'action sociale des caisses d'allocations familiales ont attribué des prêts pour corriger le dispositif.

Quel est l'avenir de la politique familiale ? Nous espérons que les négociations pour la nouvelle convention d'objectifs et de gestion (COG) s'ouvriront le plus rapidement possible en 2018. Triste expérience, la précédente COG n'avait été signée qu'en juillet, retardant en septembre la déclinaison opérationnelle et l'obtention des fonds nécessaires par les organismes locaux. Cela a décalé les investissements prévus avec les collectivités. Ainsi, le Fonds national d'action sociale (Fnas) n'a pas été totalement consommé la première année, entraînant son rebasage. Nos concitoyens attendent une politique familiale composée autant de prestations que de services, comme l'accueil du jeune enfant ou l'aide à la parentalité.

M. Daniel Lenoir, directeur général de la Caisse nationale d'allocations familiales . - C'est la dernière fois que je m'adresse à vous en tant que directeur général de la Cnaf, je partirai avant notre président... J'interviendrai en tant que gestionnaire des finances publiques, qui gère un budget de plus de 90 milliards d'euros, dont la moitié correspond à la branche famille au sens de la sécurité sociale et relève donc du PLFSS. Nous sommes aussi concernés par le projet de loi de finances (PLF) : la totalité des allocations logement sont désormais intégrées dans le budget de l'État, alors qu'auparavant l'allocation de logement familiale figurait dans le PLFSS.

La Cour des comptes a repris, dans son rapport, une étude conduite par les services de la Cnaf dirigés par M. Tapie, qui montrait le caractère redistributif en fonction de l'ensemble du système socio-fiscal -incluant donc la prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés (AAH) non prises en charge par la branche famille, et l'effet fiscal du quotient familial...

Dans les années 1980, l'Insee décrivait la « courbe en U de la politique familiale » aux effets très redistributifs pour les premiers déciles et antiredistributifs pour les derniers. Depuis la réforme de 2012, la deuxième partie de la courbe s'est aplatie, il n'y a plus d'effet antiredistributif. Selon une enquête du Credoc que nous avons commandée, 80 % des Français approuvent la modulation des allocations familiales, de même que 78 % des personnes qui subissent cette modulation. Voyez l'acceptabilité sociale de cette mesure, principale source d'économies de la branche -près de 800 millions d'euros. Nous avons tous apprécié le rapport de la Cour des comptes et les comparaisons avec les autres pays européens.

M. Deroussen a détaillé la modification du plafond du CMG, prévue par le PLFSS. Je ne commenterai pas le choix politique de réaliser des économies qui aboutit à modifier des paramètres et à les harmoniser avec d'autres. Quant au décalage de deux mois du versement de la prime à la naissance, il ne s'agissait pas une mesure d'économies, mais d'une mesure de trésorerie qui a permis des économies la première année.

L'année dernière, vous m'aviez interrogé sur les difficultés de financement du RSA par des départements connaissant des retards de paiement. Le problème n'est toujours pas réglé, même si des mesures ont été prises pour que les départements s'acquittent de leurs dettes. Il est anormal que la branche famille fasse cette avance de trésorerie, soutenable encore avec de faibles taux d'intérêt, mais qui ne l'est plus s'ils se redressent ou si un doute s'instaure sur la capacité du département à payer : il s'agirait d'une provision sur les comptes de la branche famille. Nous avons fait diligence avec l'agent comptable, avec « tact et mesure », mais aussi avec fermeté. Ainsi, le département du Nord connaît un plan d'apurement de la dette. Le problème est en cours de règlement dans presque tous les départements, dans des conditions satisfaisantes. Parallèlement nous mettons en place des téléprocédures pour l'accès au RSA, et nous avons refait toutes les conventions avec les départements pour insérer la clause de neutralité financière prévue par la loi. L'avance de la branche famille doit être couverte par les départements ; les retards de paiement atteignaient parfois plusieurs années ! Or nous sommes tenus d'appliquer la loi.

Nous nous félicitons du retour à l'équilibre de la branche famille. D'un point de vue maastrichien, c'est-à-dire de l'ensemble des finances publiques, la branche famille couvre le déficit d'autres branches. C'était le choix du Gouvernement : continuer à faire des économies conformément au plan présenté par M. Darmanin cet été.

La prochaine COG sera signée pour 2018-2022, or j'aurai 65 ans au milieu de cette convention. On ne peut diriger un établissement public au-delà de 65 ans et le Gouvernement a préféré que la même personne élabore le COG et la mette en oeuvre sur l'ensemble de sa durée. Un autre choix eut été possible, celui-ci retardera un peu les négociations de la COG. Depuis deux ans, nous travaillons avec le conseil d'administration sur les priorités de la future COG, à savoir quels seront les moyens de la branche, l'accueil de la petite enfance, l'avenir de la branche famille. Nous avons travaillé sur certaines orientations politiques validées par le conseil d'administration et voulons les transformer en projet stratégique. Les premières COG duraient trois ans, j'aurais souhaité une future COG de cinq ans, pour l'aligner sur le quinquennat, avec une dernière année de bilan et de préparation de la nouvelle COG, plus stratégique que la précédente -et ce n'est pas une critique de l'ancienne.

Pour la future COG, nous prévoyons trois projets stratégiques. Nous voulons généraliser un nouveau modèle de production et de relations de service de la branche famille, pour l'ensemble des prestations. J'ai ainsi mis en partie en place une sorte de Sesam-Vitale pour la branche famille, avec une transmission directe des données de la part des allocataires. Nous avons commencé avec la prime d'activité et la téléprocédure RSA ouverte depuis avant-hier dans une vingtaine de départements, et nous l'envisageons pour les allocations logement dans le cadre de leur réforme. Nous voulons une approche 100 % dématérialisée mais aussi 100 % personnalisée pour régler trois problèmes. Il faut simplifier les prestations - nous avons jusqu'alors échoué - notamment grâce au numérique. Nous avons un taux de recours à la prime d'activité deux fois supérieur à celui du RSA activité. Le numérique n'est pas un obstacle à l'accès aux droits, si l'on s'en donne les moyens. Il peut même être un facteur d'accès aux droits et nous travaillons à l'inclusion numérique avec Emmaüs-Connect pour développer un réseau de points d'accueil numériques.

Deuxième enjeu, il faut assurer la sécurité des paiements -la Cour des comptes certifie nos comptes. C'est l'un de nos talons d'Achille : le risque financier résiduel, au bout de deux ans, est d'un milliard d'euros de dépenses non récupérées. Seules 30 à 40 % constituent de la fraude contre laquelle nous luttons. Le reste consiste en des indus liés à diverses erreurs.

Le nouveau modèle de production et de relations de services s'appuiera sur un système d'acquisition directe de données auprès du payeur -l'employeur, l'assurance maladie, Pôle emploi... Cela assurera le prérenseignement de la feuille de télédéclaration simplifiant la démarche mais aussi donnant des données quasi certaines sur le montant des prestations.

C'est un enjeu de productivité -je n'ai pas honte de le dire ; le service public de qualité doit être rendu au meilleur coût. Cela avait été expérimenté sur la prime d'activité, pour développer la liquidation automatique. Les données transitent du producteur à la machine sans passer par le technicien - même si tout ne peut pas être informatisé. C'est aussi un modèle de relations et de services, et nous avons réalisé d'énormes progrès dans cette convention d'objectifs et de gestion. Nous nous étions engagés à recevoir 100 000 personnes par an, en réalité 270 000 personnes sont reçues en face-à-face pour l'étude de leurs droits. C'est une révolution silencieuse - on parle plus souvent de ce qui ne marche pas... Nous avons modernisé le site internet caf.fr, dont les flux ont été multipliés par deux. Nous sommes désormais le principal service public et allons dépasser Pôle emploi. Plus de 90 % des bassins de vie sont couverts par au moins un accueil numérique, par exemple dans les maisons de service public.

Nous dressons un bilan en demi-teinte de l'accueil de la petite enfance. Il faudra repenser totalement le système de régulation et de création des places de crèche et d'assistant maternel. Il faudrait aussi prendre en compte l'accueil parental, première forme d'accueil. Une lettre ouverte m'a accusé de rendre 523 millions d'euros à l'État mais cet argent n'a pas été dépensé, il accélère le retour à l'équilibre de la branche. Sur cette somme, 220 millions d'euros sont dus à une sous-exécution, la moitié pour la petite enfance, l'autre pour l'accompagnement des nouveaux rythmes éducatifs. Nous avions eu des échanges vigoureux lors de la préparation du rapport sénatorial de Mme Cartron. Ces sommes ont été surbudgétées à cause d'une demande surestimée. Depuis, de nombreuses communes sont revenues à la semaine de quatre jours. Aujourd'hui, 60 % des enfants à l'école publique ont accès à une activité périscolaire, soit bien plus qu'au début de la dernière COG. Au moment où 110 millions d'euros de moins sont prévus pour le FNAS, 25 000 places de crèche -pas forcément au bon endroit- ont été créées à l'insu de notre plein gré, financées par le Fonds national des prestations familiales (FNPF) sur le CMG. Les schémas départementaux de service aux familles sont très utiles, il ne faudrait pas les rendre prescriptibles - comme le proposait Mme Bertinotti -mais opposables.

N'imposons pas de nouvelles places de micro crèche qui déstabiliseraient l'offre existante, mais lançons plutôt des appels à projet dans les zones en manque. J'aimerais que le législateur soit saisi de ce vrai sujet dont nous avons débattu avec les think tanks Terra Nova, l'Institut Montaigne ou France Stratégie. La branche devrait se doter d'un outil de financement de l'évaluation du rendement de la dépense sociale, afin de maîtriser les dépenses. Le conseil d'administration est très proche de ma position.

La budgétisation existe déjà de facto puisque nous versons 31 milliards d'euros de prestations légales pour la branche famille, 42 milliards pour l'État et les départements, 6 milliards pour le FNAS, une dizaine de milliards pour les droits à retraite auprès de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. La partie versée pour le compte de tiers est perçue par le public comme des prestations familiales et sociales. Avoir un seul compte pour toutes les prestations versées serait plus transparent. Cela ne veut pas dire qu'il faut tout budgétiser, des ressources propres étant nécessaires, mais il faudrait une dotation budgétaire pour une image plus claire des dépenses de la branche.

Mme Élisabeth Doineau , rapporteur pour la branche famille . - Merci de vos points de vue différenciés. Au travers des caisses d'allocations familiales, vous êtes un partenaire essentiel des élus locaux, qu'ils soient départementaux ou intercommunaux, avec lesquels vous travaillez sur des projets de territoire. Je me réjouissais, devant les ministres, du retour à l'équilibre de la branche famille après 10 ans d'exercices déficitaires. Cela résulte notamment d'économies successives sur la politique familiale qui représentent 1,5 milliard d'euros en 2018, avec des conséquences sur une natalité en baisse. N'y a-t-il pas un changement de paradigme ? On passe d'une politique familiale, objet d'un large consensus, à une politique essentiellement sociale -certes importante- mais non plus purement familiale.

Nous nous réjouissons que le PLFSS relève le plafond de l'aide aux familles monoparentales dont le nombre augmente sur nos territoires avec des difficultés pour les femmes de trouver un travail et de faire garder leurs enfants.

Une partie de ces familles sont concernées par la réduction du plafond de l'allocation de base de la PAJE et la prime à la naissance. Leur effet combiné aboutit à des économies de plus de 100 millions d'euros. On réalise davantage d'économies d'un côté qu'on n'en distribue de l'autre. Disposez-vous d'une estimation du nombre de gagnants et de perdants, et de l'ampleur des pertes ? Comment conciliez-vous les règles et un regard humain dans la masse des prestations ?

Votre objectif était d'augmenter le nombre de solutions d'accueil des jeunes enfants. Le chiffre de 275 000 places n'a pas été atteint, seulement un cinquième ont été créées. Il faut repenser cette politique et le système de régulation. L'accueil parental pourrait être une solution, mais voyez le nombre de femmes qui travaillent en France, ce sera compliqué ! Il faut plutôt concilier vie familiale et vie professionnelle.

Nous ne disposons pas d'évaluation des schémas départementaux des services aux familles, probablement un bon outil. En quoi ont-ils réalisé un travail partenarial sur les territoires pour améliorer l'accueil des jeunes enfants ?

On constate des disparités importantes entre les territoires et selon les revenus. Quelles offres de garde faut-il prévoir et à quel coût ?

La Cour des comptes propose dans son rapport de réfléchir à une budgétisation totale des aides familiales, ce qui supprimerait la branche famille. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Louis Deroussen . - Les administrateurs de la Cnaf et les conseils locaux ont souligné l'évolution d'une politique familiale vers une politique sociale. Cette politique familiale va au-delà des prestations financières, puisque les familles ont besoin de services comme les places en crèche, l'aide à la parentalité... Certes, un accent plus important est mis sur les situations les plus difficiles - les familles sont monoparentales à la suite d'un décès ou d'une séparation... Regardons les familles dans leur évolution. Nous n'avons pas de données sur les gagnants et les perdants.

Sur les moyens humains et financiers, nous serons plus efficaces demain sur la qualité du service rendu et la dématérialisation, pour éviter les queues au guichet. Mais le face-à-face avec le travailleur social doit être privilégié. Si la COG pointe les réductions de poste, nous devons maintenir des moyens humains suffisants.

Une analyse précise des schémas départementaux de service aux familles montre qu'ils ont rencontrés un grand succès, bien que construits sans cadre commun. Nous devons les reprendre et les affiner. Certains dispositifs d'accueil sont situés dans des localités qui n'en ont pas besoin. Améliorons l'offre tout en travaillant avec les élus, d'autant que les communautés de communes prendront peut-être une autre dimension. Travaillons à la situation la plus pertinente.

Il serait dommage de se priver de la branche famille et de tout ce qui a été construit au nom du bénévolat. Si nous fêtons les 50 ans de la Cnaf, les caisses sont plus anciennes et ont tenté de répondre toujours mieux aux familles.

M. Daniel Lenoir . - Nous n'avons pas le nombre de gagnants ni de perdants à la réforme, faute de base pour l'évaluer - malgré notre importante capacité de prévision. Nous avons été saisis trop tard.

Vous évoquez le fait qu'un cinquième seulement des 275 000 solutions d'accueil prévues dans la COG ont été créées. Il y a là un glissement sémantique. En réalité, étaient prévues par nos calculs 66 000 places en crèche, devenues 100 000 solutions d'accueil, brandies comme une pierre philosophale. J'ai contesté ce calcul. Retenez l'objectif de 66 000 créations nettes. Étaient prévues également 100 000 places chez des assistants maternels et 75 000 places dans des classes passerelle ou préscolaires. Nous n'avons aucune capacité d'agir sur ces dernières et donc aucune responsabilité sur le fait que les objectifs n'aient pas été atteints.

Une note de l'Observatoire national de la petite enfance montre que le recours aux assistants maternels -et non leur nombre- a plutôt diminué. Lorsqu'on créée des places de crèche, cela déplace l'accueil des assistants maternels vers les crèches. Nous voulons améliorer l'accueil par les assistants maternels, et avons généralisé les relais d'assistants maternels, à hauteur de ce que prévoyait la COG et appuyé le développement de maisons d'assistants maternels. Le nombre d'assistants maternels n'a pas augmenté mais cela a amélioré la qualité de l'accueil, quasiment au niveau de celui des micro-crèches. Ce sont les parents qui choisissent leur mode de garde ; souvent ils privilégient l'accueil collectif. Les micro-crèches répondent à ce besoin mais pas à celui de mixité sociale en raison de leur coût.

M. Bernard Tapie, directeur des statistiques, des études et de la recherche de la Cnaf . - Le calcul est extrêmement complexe. La lettre de l'Observatoire mentionne des chiffres approuvés par tous les acteurs du secteur et conclut la polémique. De 54 à 58 000 places en crèche nettes ont été créées entre 2013 et 2017, soit 85 % de l'objectif de 66 000 places. En 2016, un taux similaire a été atteint, soit 87 à 88 %.

M. Daniel Lenoir. - Cela intègre-t-il les places créées par le FNPF ?

M. Bernard Tapie. - Il faut prendre le nombre de places créées par le FNAS et y soustraire 30 000 places de micro-crèches en 2017 et 25 000 en 2016.

M. Daniel Lenoir . - Le phénomène des micro-crèches est massif.

M. Michel Forissier . - Alors que l'argent public est rare, on parle peu de l'avenir. Or les investissements d'aujourd'hui nous permettront de limiter les difficultés de demain.

Les collectivités doivent mettre en place des plans de santé publique locaux et utiliser toutes les armes possibles pour lutter contre les grands problèmes que sont l'échec scolaire, la radicalisation, les difficultés intrafamiliales. Or elles rencontrent aujourd'hui de très grandes difficultés pour investir dans des équipements publics. Les CAF ont toujours été les partenaires efficaces des élus locaux mais les orientations gouvernementales leur permettront-elles toujours d'aider les élus locaux à investir ?

La politique de la ville ne s'arrête pas aux quartiers prioritaires. Nous nous soucions de l'ensemble des populations et proposons ainsi différents modes de garde adaptés aux divers types de familles, qu'elles soient monoparentales ou non. Je rappelle qu'une place de crèche dans une collectivité moyenne coûte environ 14 000 euros par an. Nombre d'élus n'ont plus les moyens.

M. Dominique Watrin . - Je vous remercie, monsieur président, de votre franchise et d'avoir en particulier rappelé l'aberration que constitue le versement de la prime de naissance deux mois après la naissance !

Personne ne peut se satisfaire que l'on passe insidieusement d'un système de solidarité à un système d'assistance. On dénature la mission de la politique familiale.

Les politiques de ciblage peuvent être trompeuses. Ainsi, nous sommes bien sûr favorables à la réévaluation des aides aux familles monoparentales, mais une étude a montré que les familles biparentales ayant un seul enfant rencontraient parfois autant de difficultés, parfois plus, que les familles monoparentales.

On assiste à une fuite en avant concernant les plafonds de ressources. Cette année, 10 % de familles supplémentaires seront exclues de l'allocation de base de la Paje. Quelle dérive ! N'appliquera-t-on pas ce système à d'autres branches demain ?

Comme Mme le rapporteur, je m'inquiète d'une certaine dénaturation de la politique familiale. Je rappelle que la politique familiale ne vise pas uniquement à aider les plus défavorisés. Elle a aussi pour but de développer les capacités dès l'enfance, une telle politique produisant des effets à long terme, de permettre de concilier vie professionnelle et vie familiale, d'assurer la cohésion sociale et de prévenir les comportements à risques. Elle favorise également l'égalité entre les femmes et les hommes.

Les 860 millions d'euros d'économies sont inacceptables.

M. Olivier Henno . - Vous avez évoqué le bilan en demi-teinte de l'accueil dans le domaine de l'enfance et de la petite enfance. Le constat est juste, mais il me semble que nous n'accompagnons pas suffisamment les innovations dans ce domaine, pourtant nombreuses. Je pense notamment aux micro-crèches et aux maisons d'assistants maternels, qui répondent parfaitement à la demande d'accueil collectif, offrent une forme de souplesse et permettent de minorer les coûts, les normes applicables à ces structures étant différentes de celles des crèches collectives. Il me semble que l'on pourrait mieux accompagner ces innovations, les développer plus rapidement et atteindre les objectifs.

M. Philippe Mouiller . - M. Lenoir a évoqué la mise en place des appels à projets pour la création des crèches. Dans le domaine du handicap, les appels à projets ont accru la complexité administrative. Les crédits alloués, souvent peu suffisants, ne sont pas utilisés en raison des délais prévus dans les appels à projets.

Ma question porte sur la prime d'activité. Les outils numériques, en offrant un accès plus large aux bénéficiaires, ont permis d'améliorer le taux de recours. Les objectifs annoncés en matière de taux de recours pour 2017 ont-ils été atteints ? Si oui, quelles sont les incidences financières ? Quels sont les objectifs pour 2018 ?

M. Jean-Louis Tourenne . - Je pense qu'on mélange parfois les objectifs et les moyens de les atteindre. Ainsi, le numérique est non pas un objectif, mais un moyen de rendre un service afin d'atteindre un objectif social.

La France est le deuxième pays industrialisé en termes de déterminisme social. Un petit Français a moins de chances qu'un petit Grec de sortir du milieu populaire dans lequel il est né. Un enfant qui redouble son CP n'a aucune chance de faire des études supérieures car il n'a pas le vocabulaire nécessaire pour apprendre à lire.

Alors que nous parlons d'accueil des enfants, nous ne raisonnons que du point de vue des parents ! Nous voulons des crèches pour que les deux parents puissent travailler. Les crèches sont extrêmement coûteuses pour les communes. Quand 20 enfants sont accueillis en crèche, 300 bénéficient d'un autre mode de garde. Qu'est-ce qui justifie que 20 enfants bénéficient de l'argent public et pas les 300 autres ?

La crèche ne devrait-elle pas permettre d'essayer de compenser des carences éducatives par une intervention extérieure ?

Notre pays est de plus en plus divisé entre ceux qui sont favorisés, pourront suivre des études, réussir leur vie, et ceux qui, parce qu'ils sont nés au mauvais moment dans un mauvais environnement, ont un destin négatif tracé d'avance. Ne faudrait-il pas travailler sur l'affectation des différents modes de garde ? Pourquoi deux parents qui travaillent et sont de bons éducateurs n'auraient-ils pas recours à un assistant maternel ?

Leurs enfants ne subiraient aucun préjudice. Pourquoi ne réserverait-on pas une grande partie des places en crèche à des enfants dont les parents ne travaillent pas afin de leur permettre de disposer des outils nécessaires pour réussir leur scolarité et leur vie ? À titre d'exemple, le département d'Ille-et-Vilaine avait constaté que les crèches n'accueillaient que 1 % d'enfants issus des milieux populaires. Il s'est fixé pour objectif d'atteindre le taux de 40 %. Aujourd'hui, 80 % des crèches de ce département ont atteint cet objectif.

Je souhaite que nous ayons une réflexion approfondie sur l'attribution des différents modes de garde. Le raisonnement selon lequel les parents devraient pouvoir choisir me paraît fallacieux. S'ils veulent choisir, qu'ils paient !

Enfin, pourrait-on cesser de stigmatiser les familles monoparentales ? Un enfant a peu de chances de réussir, non parce qu'il est issu d'une famille monoparentale, mais parce que les conditions économiques privent son parent des moyens matériels de l'élever le mieux possible.

Mme Victoire Jasmin . - Des budgets sont-ils fléchés sur les contrats « enfance et jeunesse » et sur les contrats locaux d'accompagnement à la scolarité ?

Que pensez-vous des modes de garde au sein des entreprises ? Pourriez-vous accompagner ce genre de projets ?

Mme Michelle Meunier . - Concrètement, quel sera l'impact des économies demandées à la branche sur les familles ? Avez-vous effectué des simulations ?

Le Fonds national d'action sociale totalise 523 millions d'euros de crédits non exécutés. N'y a-t-il pas là un paradoxe si l'on pense aux besoins constatés des familles, des associations et des collectivités ?

Mme Véronique Guillotin . - Ma question portera sur la garde des enfants dans les secteurs transfrontaliers, notamment dans le secteur franco-luxembourgeois.

L'État luxembourgeois a étendu aux familles des travailleurs transfrontaliers le bénéficie d'une prestation d'accueil pour celles d'entre elles qui font garder leurs enfants au Luxembourg. Cette aide pourrait désormais également être versée aux crèches publiques ou privées situées sur le territoire français pour les enfants des travailleurs frontaliers. Pour prétendre à ces aides, les crèches françaises doivent répondre à certains critères, le critère majeur étant l'environnement multilingue de la crèche. Concrètement, est-il possible d'accompagner les crèches françaises afin qu'elles puissent percevoir la prestation luxembourgeoise ?

Plus généralement, sachant que le jeune âge est la période où les enfants apprennent le plus rapidement les langues, notre pays ne pourrait-il pas, à l'exemple de nos voisins luxembourgeois, instaurer un multilinguisme dans les crèches ? Ce serait une bonne chose pour les enfants, en particulier pour ceux d'entre eux qui sont issus des milieux défavorisés.

Mme Patricia Schillinger . - Dans une crèche, le ratio est d'une personne pour neuf enfants de dix-huit mois.

Dans le secteur frontalier, les crèches accueillent surtout les enfants des parents ayant les moyens, peu les enfants des parents en difficulté. Ces derniers restent au chômage.

Par ailleurs, le service public ne pourrait-il pas trouver de solution pour prendre en charge les enfants lorsqu'ils sont malades ?

Les personnels des crèches sont sous-payés, alors qu'ils ont pourtant fait des études et qu'ils exercent des responsabilités. En conséquence, le turn-over est important.

Les crèches ont des horaires très restreints et contraignants. Elles ouvrent rarement à six heures du matin.

Les municipalités ont tendance à supprimer des places de crèches. Ainsi, ma commune, qui avait réservé des places dans une crèche d'entreprise, les a supprimées arguant qu'elle créait des MAM. Or ces structures n'ont pas du tout la même vocation que les crèches.

Il faut revoir l'ensemble du système.

M. Jean-Marie Morisset . - Les familles sont pénalisées à hauteur de 450 millions d'euros alors que la branche est à l'équilibre et qu'elle sera excédentaire l'année prochaine.

Vous l'avez dit, une révolution silencieuse est à l'oeuvre, l'informatisation réduisant les contacts humains. On ferme des permanences et on ouvre des maisons de services au public, qu'il conviendrait d'ailleurs d'évaluer car on n'en voit pas pour l'instant le côté positif.

Enfin, les communautés de communes ont parfois pris la compétence scolaire, de la garderie au périscolaire, en passant par les centres de loisirs. Les caisses pourraient-elles être des partenaires dans ces domaines et investir, au moment où l'État se désengage ?

Mme Frédérique Puissat . - Je souligne les excellentes relations entre les collectivités et les caisses d'allocations familiales.

Ne devrions-nous pas également parler de bloc départemental, intégrant à la fois les départements et la caisse d'allocations familiales, et pas seulement du bloc communal, afin de travailler davantage sur les droits et devoirs des allocataires ? En matière de droits, les agents des caisses d'allocations familiales devraient être plus présents auprès des agents du département sur l'intégralité des territoires. En matière de devoirs, ne pourrait-on pas faciliter la lutte contre la fraude en permettant une plus grande fluidité : des agents ne pourraient-ils passer d'une entité à l'autre ? Des fichiers ne pourraient-ils pas être partagés de façon plus simple ?

Mme Nadine Grelet-Certenais . - Les crèches proposant des horaires adaptés aux besoins des parents ayant des horaires atypiques coûtent très cher à la collectivité. Ces parents peuvent-ils bénéficier d'aides, sachant qu'ils sont en grandes difficultés en termes d'emploi ?

Qu'en est-il de l'accueil des enfants handicapés, reconnus ou non, dont les parents travaillent ? Les aides de la CAF sont modestes lorsque le handicap est reconnu. L'accueil de ces enfants requiert une vigilance et une attention des personnels qui ne sont pas valorisés dans les coûts de la structure.

J'évoquerai également les relations humaines. En termes d'accueil, il y a certainement des choses à revoir. Le numérique ne résout pas tout. Certaines familles modestes n'ont pas d'équipement informatique à domicile. Quant aux personnes âgées, elles sont très en difficulté face à l'outil informatique. La formation et le soutien pour ces publics doivent être renforcés.

M. Jean-Louis Deroussen . - Je vous remercie d'avoir salué la collaboration entre les CAF et vos territoires. Ce travail doit se poursuivre. Les CAF doivent vous associer à ses expérimentations, recueillir vos avis afin d'enrichir l'offre de services en direction des citoyens.

On l'a vu, certaines choses n'avaient pas été prévues dans la convention d'objectifs et de gestion qui s'achève, comme la question de la radicalisation. En 2013, on n'imaginait pas que notre pays serait confronté aux drames que nous avons connus et que nous devrions porter un regard plus attentif sur les jeunes.

Nous allons réclamer des moyens et l'utilisation des fonds d'action sociale. Vous avez souligné la sous-exécution importante. Nous aurions souhaité dépasser certains objectifs dans certains cas, mais nous n'avons pas obtenu la fongibilité qui nous aurait permis de mieux exécuter certains budgets.

À titre personnel, je ne vois pas pourquoi on devrait pénaliser une famille biparentale. Nous n'avons pas à privilégier un type de famille en particulier. On aura l'occasion d'en discuter dans le cadre des schémas départementaux des services aux familles.

Il faut également éviter les quotas - de familles pauvres, d'enfants porteurs de handicap. Il faut s'adapter à la demande pour répondre au mieux aux situations et aux attentes des familles, pour le bien-être de tous les enfants.

Les CAF apporteront les réponses les plus pertinentes aux travailleurs transfrontaliers.

M. Daniel Lenoir . - Je me focaliserai sur quatre points car il ne me sera pas possible de répondre à toutes les questions.

Premièrement, une place de crèche, c'est une cellule de prison en moins : c'est un investissement social. À cet égard, je partage le point de vue de M. Tourenne mais pas ses conclusions.

Un outil d'évaluation de cet investissement social est nécessaire. Nous avons développé des méthodes d'évaluation du rendement social de la dépense. C'est très important pour la représentation nationale et pour le Gouvernement, pas seulement pour la branche.

En termes de mixité, les résultats d'une enquête montrent que nous sommes très au-dessus du taux de 10 % prévu dans le COG : en moyenne, 20 % d'enfants de familles précaires sont accueillis dans les crèches.

Vous avez raison, monsieur Tourenne, toutes les familles monoparentales ne sont pas précaires, mais 60 % des familles précaires sont des familles monoparentales. La mise en place de l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires est à cet égard un motif de fierté. On n'en parle pas suffisamment alors que cela a été une très belle réforme.

Deuxièmement, vous m'avez interrogé sur l'accès aux droits et la prime d'activité. Soyons clairs : je n'ai jamais dit que j'étais favorable au tout-numérique. J'ai toujours dit : « 100 % dématérialisé, 100 % personnalisé ». Même si nous avons encore des progrès à faire, nous avons su articuler l'accueil physique et l'accès numérique. A contrario, les travaux que nous avons menés avec Emmaüs Connect sur l'inclusion numérique montrent que ne pas aider les familles précaires à s'inclure numériquement, c'est les préparer à des lendemains difficiles. Il s'agit donc d'éviter un facteur d'exclusion supplémentaire.

La densité des points d'accueil numérique est très supérieure à celle des permanences d'autrefois.

Troisièmement, je rappelle que la fraude ne représente qu'une partie des indus et pas la plus importante. En matière de lutte contre la fraude, nous avons développé un nouvel outil redoutablement efficace, avec l'autorisation de la CNIL, et qui respecte le droit à l'erreur.

Quatrièmement, en matière de coopération transfrontalière, il y aurait beaucoup à dire. Nous avons un programme de travail de plusieurs années avec les Allemands sur le recouvrement des pensions alimentaires, sur le développement des crèches.

M. Alain Milon , président . - Nous vous remercions. Vous pourrez répondre par écrit aux questions auxquelles vous n'avez pas pu répondre.

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