B. LA POLITIQUE FAMILIALE EN QUESTIONS

1. Une réflexion doit être menée sur la refonte des aides aux familles

La comparaison internationale réalisée par la Cour des comptes dans son Ralfss 2017 fait apparaître que la France se distingue par la diversité des types d'aides en direction des familles qu'elle mobilise. Notre politique familiale comprend en effet dans des proportions importantes à la fois des prestations monétaires, des prestations en nature et des avantages fiscaux.

Soutien aux familles ventilé par modalité d'intervention
(en % du PIB, 2013 ou dernière année disponible)

Source : Cour des comptes Ralfss 2017

Les prestations monétaires elles-mêmes sont diverses et répondent à des règles différentes, ce qui les rend difficilement lisibles pour les familles.

Les allocations familiales (AF) sont versées à toutes les familles ayant au moins deux enfants 98 ( * ) mais leur montant est modulé en fonction du revenu et en fonction du nombre d'enfant et de leur âge.

Le complément familial (CF) est versé sous condition de ressources aux familles avec au moins trois enfants, tous âgés de plus de trois ans. La LFSS pour 2014 a prévu une majoration en deçà d'un plafond de revenu. L'allocation de soutien familial est une prestation uniforme versée aux familles monoparentales. La LFSS pour 2016 99 ( * ) a créé une ASF différentielle, versée lorsque le parent isolé perçoit une pension alimentaire dont le montant est inférieur à celui de l'ASF.

Enfin, l'allocation de base (AB) peut, bien qu'elle soit une des composantes de la Paje, être considérée comme une prestation d'entretien. Elle est versée sous condition de ressources aux familles ayant au moins un enfant de moins de trois ans. La LFSS pour 2014 a institué une modulation du montant de l'AB. Si l'AB et le CF ne sont pas cumulables, ces deux prestations ont vocation à se succéder pour un certain nombre de familles. Or, leurs montants et les plafonds de ressources applicables diffèrent. L'article 26 du présent projet de loi traite cette question en retenant le principe d'une harmonisation par le bas sans toutefois aller jusqu'à la fusion de ces prestations

Règles applicables à différentes prestations familiales

Public visé

Condition de ressources

Modulation

AF

Familles avec au moins
deux enfants

Non

Oui, en fonction du nombre et de l'âge des enfants et des revenus des parents

CF

Familles avec au moins
trois enfants, tous âgés d'au moins trois ans

Oui

Oui, en fonction des revenus

AB

Familles avec au moins
un enfant de moins de trois ans

Oui

Oui, en fonction des revenus

ASF

Familles monoparentale

Non

Non 100 ( * )

Source : Commission des affaires sociales

Le mode de calcul des plafonds des différentes prestations est par ailleurs particulièrement complexe. Il fait généralement intervenir un montant de référence valable pour zéro enfant, qui est majoré en fonction du nombre d'enfant, tantôt de manière linéaire (AB) tantôt en tenant compte du rang de l'enfant (CF). La composition familiale et l'activité des parents sont également pris en compte pour le calcul des montants et des plafonds de ressources. Enfin, les plafonds tiennent compte du dernier revenu fiscal de référence, soit celui de l'année n-2.

Si un accompagnement des caisses d'allocations familiales peut être mis en place pour aider les familles à connaître leurs droits, la complexité du paysage des prestations familiales rend difficile leur réforme et incertain les effets que peuvent avoir les différentes mesures 101 ( * ) .

Une réforme du système de prestations familiales doit donc être étudiée. Une telle réforme pourrait tendre vers l'instauration d'une allocation unique dont le montant serait personnalisé en tenant compte des différents éléments de la situation familiale que sont le nombre et l'âge des enfants, la structure du couple et ses ressources. Un scenario similaire a été proposé par le rapport produit par M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil à la famille, publié en avril 2013 102 ( * ) .

2. La question des aides à la garde du jeune enfant doit être posée
a) Une question au croisement du soutien aux familles et de l'égalité femmes-hommes

Une réflexion sur l'avenir de la politique familiale devra également tenir compte de la problématique des solutions d'accueil du jeune enfant. Cette question s'inscrit en effet à la fois dans une logique de soutien aux familles et de lutte contre les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes en facilitant la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

En effet, si l'écart de taux d'activité entre les femmes et les hommes est relativement faible en France en comparaison avec certains de nos voisins 103 ( * ) , la maternité demeure un facteur important d'éloignement de l'emploi.

Source : Eurostat, 2015, sélection de pays

Source : Insee

Le développement d'une offre de garde accessible et répondant aux attentes des familles s'inscrit par ailleurs dans la logique de compensation des charges liées à la présence dans le foyer d'un enfant.

b) Les résultats médiocres en matière de création de solutions d'accueil du jeune enfant

Plus de 60 % des enfants de moins de trois ans sont aujourd'hui gardés à titre principal par leurs parents, et l'offre en modes de garde formels couvrait 56,6 % des enfants de moins de trois ans 104 ( * ) en 2015.

Source : Drees, 2013

La COG État-Cnaf pour la période 2013-2017 avait fixé des objectifs ambitieux de création de solutions d'accueil du jeune enfant. 275 000 solutions devaient en effet être créées, dont 100 000 en accueil collectif 105 ( * ) , 100 000 en accueil individuel et 75 000 par le biais de la scolarisation avant trois ans.

Si l'objectif était ambitieux, les résultats se sont avérés médiocres, voire inquiétants.

Alors que le nombre d'enfants gardés par un assistant maternel connaît une baisse liée notamment à la démographie de cette profession, la préscolarisation a régressé et l'emploi à domicile connaît une progression contenue, qui fait craindre une recrudescence de l'emploi dissimulé.

On constate par ailleurs que la progression de l'accueil collectif est principalement tirée par les ouvertures de micro-crèches financées par le CMG. La progression du nombre de places en accueil collectif entre 2015 et 2016 (+7 900 places) s'explique ainsi à hauteur de 75 % par les créations de places au sein de ce type de structures 106 ( * ) . Or, les micro-crèches financées par le CMG sont plus coûteuses à la fois pour les familles et pour la branche famille.

En outre, elles ne sont soumises à aucune régulation de la part de la Cnaf ou des collectivités territoriales. Les ouvertures de micro-crèches n'entrent donc pas nécessairement en cohérence avec les besoins identifiés par les schémas départementaux de services aux familles, dont la généralisation 107 ( * ) avait au contraire pour but de mieux faire correspondre l'offre en mode de garde aux besoins des territoires.

Évolution de la capacité théorique d'accueil
des enfants de moins de trois ans par mode de garde

2013

2014

2015

2016 (provisoire)

Évolution 2013-2016

Assistants maternels agréés

800 700

803 300

795 600

nd

- 5 100

(2015-2013)

Accueil collectif

403 700

419 200

428 500

436 400

32 700

École maternelle

96 900

96 100

93 300

96 300

- 600

Salarié à domicile

41 700

41 400

41 600

42 700

1 000

Offre totale

1 342 900

1 35 900

1 359 100

nd

16 200

Source : PQE et Onape, septembre 2017

La capacité théorique d'accueil

On mesure la capacité d'accueil théorique en additionnant :

- le nombre de places en établissement disponibles, sans tenir compte de leur occupation réelle ;

- le nombre de places disponibles auprès d'assistants maternels, estimé à partir du nombre d'agréments délivrés ;

- le nombre d'enfants gardés par un salarié à domicile ;

- le nombre d'enfants de deux ans scolarisés.

Cet indicateur comporte des limites méthodologiques. Ainsi, tous les assistants maternels agréés ne souhaitent pas nécessairement exercer cette profession, ou ne souhaitent pas nécessairement accueillir autant d'enfants que leur agrément le permet. Par ailleurs, les capacités d'accueil à domicile et en préscolarisation sont approchées par le nombre d'enfants effectivement gardés. Enfin, cet indicateur ne rend pas compte de l'adéquation géographique entre l'offre et la demande.

c) Les effets de la réforme du congé parental

Dans ce contexte de manque de places d'accueil des jeunes enfants, la réforme du congé parental décidée suite à la loi du 4 août 2014 est préoccupante. En effet, si le but initial de cette réforme était de lutter contre l'éloignement des mères du marché du travail, sa mise en oeuvre s'est faite dans une logique d'économie pour la branche famille. En effet, ainsi qu'il était anticipé, les pères sont très peu nombreux à faire valoir leur droit au congé parental 108 ( * ) . Pour autant, le raccourcissement du congé parental des mères ne s'est pas traduit par une augmentation de l'activité féminine, le taux d'activité des femmes ayant plutôt tendance à s'effriter selon la Cour des comptes 109 ( * ) .

Les exemples européens sont à cet égard intéressants. Si le congé parental est relativement long en France (deux ans à partir du deuxième enfant), il est relativement peu rémunéré (392,09 euros par mois pour une cessation totale d'activité), alors que d'autres pays ont mis en place une prestation modulée en fonction du revenu antérieur, qui peut atteindre 1 800 euros en Allemagne et jusqu'à 3 700 euros au Danemark.

d) Une nécessaire réflexion sur les aides à la garde du jeune enfant.

La négociation de la prochaine COG entre l'Etat et la Cnaf doit donc être l'occasion de tirer les leçons du relatif échec du plan de création de places prévu par la COG précédente. Les objectifs qui seront fixés devront tenir compte d'une analyse plus fine des besoins alors que pour la COG précédente « ni l'objectif d'ensemble ni sa décomposition entre [les] différents modes de garde ne se fondaient sur une analyse précise de la demande », ainsi que le souligne la Cour des comptes dans son Ralfss de septembre 2017.

Plus largement, une réflexion sur les modes de garde doit être menée. Le recours aux différents modes de garde diffère fortement en fonction des modes de garde, et de fortes disparité sociales et géographiques existent, ainsi que le montrent les données de la Drees.

Source : Drees


* 98 En outre-mer, les allocations familiales sont néanmoins versées dès le premier enfant.

* 99 Loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

* 100 Le montant de l'ASF est majoré pour les enfants orphelins de père et de mère ou dont la filiation n'a pas été établie.

* 101 Le Ralfss 2017 présente ainsi les effets des mesures intervenues entre 2012 et 2015 en se basant sur des cas-types et observe des résultats contrastés en fonction du revenu et de la composition familiale.

* 102 Le Royaume-Uni a mis en oeuvre à partir de 2013 une réforme globale de son système de prestations sociales en fusionnant les aides aux familles mais également les allocations chômage et les aides au logement dans une allocation universelle ( universal credit ).

* 103 La France présente un taux d'activité global (71,4 %) et un taux d'activité masculine (75,5 %) inférieurs à la moyenne européenne (72,3 % et 78,1 % respectivement) mais un taux d'activité féminine légèrement supérieur (67,5 % contre 66,5 %).

* 104 France entière, hors Mayotte. Ce taux est de 57,7 % en métropole et 27,7 % dans les départements d'Outre-mer.

* 105 L'objectif de création de places en accueil collectif se décomposait en 66 000 nouvelles places et 34 000 places résultant de l'augmentation du taux d'occupation des places existante

* 106 Source : lettre de l'observatoire national de la petite enfance (Onape), septembre 2017.

* 107 Circulaire n° DGCS/SD2C/2015/8 du 22 janvier 2015 relative à la mise en oeuvre de schémas départementaux de services aux familles.

* 108 Outre les facteurs culturels, cette faible tendance des pères à avoir recours à la Préparee s'explique par le faible montant de cette dernière (392,09 euros), alors ont, dans la plupart des couples, le salaire le plus important.

* 109 Ralfss 2017.

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