CINQUIÈME PARTIE
ASSURANCE VIEILLESSE

___________

Alors que le précédent gouvernement s'était félicité l'année dernière d'avoir durablement réglé le problème de l'équilibre financier des retraites, la présentation de ce premier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) du quinquennat permet de remettre les pendules à l'heure .

En juin dernier, le Conseil d'orientation des retraites (COR), à l'issue d'un nouvel exercice de projections à long terme (horizon 2070), a dressé des perspectives dégradées du solde financier du système de retraite selon lesquelles ce dernier, quel que soit le scénario en matière de croissance économique ou de chômage, serait négatif jusqu'en 2040 .

De plus, contrairement aux prévisions de court terme abusivement optimistes établies dans la LFSS pour 2017, et qui prévoyaient un retour à l'équilibre de la branche vieillesse en 2020, les prévisions à l'horizon 2021 inscrites dans le présent projet de loi reprennent la trajectoire esquissée dans la LFSS pour 2016 : le solde de la branche vieillesse (régimes de base et Fonds de solidarité vieillesse) 53 ( * ) en constante amélioration depuis 2010 va recommencer à se dégrader à partir de 2018 .

Évolution des soldes de la branche vieillesse et du FSV de 2012 à 2021
(en gras, prévisions du PLFSS pour 2018 comparées à celles du PLFSS 2017)

(en milliards d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Régime général

- 4,8

- 3,1

- 1,2

- 0,3

1,1/ 0,9

1,6/ 1,3

0,6/ 0,2

0,7/ - 0,8

1,1/ - 2,0

- 3,0

Tous régimes
de base

- 6,1

- 3,6

- 0,8

0,2

1,2/ 1,6

1,6/ 1,5

0,4/ 0,1

0,1/ - 1

0,1/ - 2,4

- 3,9

FSV

- 4,1

- 2,9

- 3,5

- 3,9

- 3,8/ - 3,6

- 3,8/ - 3,6

- 2,6/ - 3,4

- 1,3/ - 2,7

0,3/ - 1,4

- 0,8

Total branche vieillesse

- 10,2

- 6,5

- 4,3

- 3,7

- 2,6/ - 2

- 2,2/ - 2,1

- 2,2/ - 3,3

- 1,2/ - 3,7

0,4/ - 3,8

- 4,7

Total
des régimes de sécurité sociale

- 19,2

- 16

- 12,8

- 10,2

- 6.9/ - 7,0

- 4,1/ - 4,9

- 0,7/ - 2,2

2,7/ 0,6

6,7/ 4,8

8,6

Source : Annexes B des lois de financement de la sécurité sociale pour 2017 et 2018

C'est donc dans ce contexte financier dégradé que va se lancer, au cours de l'année 2018, le projet de réforme systémique des retraites promise par le Président de la République qui avait pourtant affirmé pendant sa campagne que le problème n'était plus financier.

Votre commission, qui s'associera pleinement à la réflexion sur une réforme systémique qu'elle appelle de ses voeux depuis plus de dix ans, prend donc pleinement la mesure du défi financier qu'il reste à surmonter et sera prête, le moment venu, à formuler des propositions courageuses.

I. LA BRANCHE VIEILLESSE : DEUXIÈME « HOMME MALADE » DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

A. EN 2016 ET 2017, UN DÉFICIT DE LA BRANCHE CONTENU AUTOUR DE 2 MILLIARDS D'EUROS

1. Les régimes de base en excédent : la réforme des retraites de 2010, principale responsable

• En 2016 et 2017, les dépenses de prestations de retraite progressent à un rythme similaire. Les régimes de base ont versé un montant de prestations de 223,4 milliards d'euros en 2016 (+ 1,6 % par rapport à 2015) et de 226,9 milliards d'euros en 2017 (+ 1,6 % également par rapport à 2016) 54 ( * ) . Cette tendance résulte de trois facteurs :

- une progression des effectifs de retraités qui connaît, avec le départ à la retraite des générations du baby-boom une croissance annuelle soutenue et régulière depuis le début des années 2000. Les 607 000 départs à la retraite enregistrés dans le seul régime général en 2016 et les 625 000 de 2017 contribuent à la progression de la population totale de retraités en France qui avoisine les 14 millions de personnes.

Le nombre de départs à la retraite subit encore, pour les années 2016 et 2017, un vent contraire. Le recul de l'âge minimum légal décidé par la réforme des retraites de 2010 contribue à diminuer les dépenses de la branche retraite de 1 milliard d'euros en 2016 et de 2 milliards d'euros en 2017 . A l'inverse, le dispositif de retraite anticipé pour carrière longue élargi de façon déraisonnable par le précédent Gouvernement 55 ( * ) , entraîne une croissance exponentielle des dépenses de retraite dont le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale 56 ( * ) précise, pour la première fois, les montants :

Les retraites anticipées pour carrières longues

2015

%

2016

%

2017 (p)

%

2018 (p)

%

Régime général

Nombre de bénéficiaires d'une RACL en moyenne annuelle

226 040

+ 21

259 600

+ 15

307 340

+ 18

284 130

- 8

Masses de pensions RACL
(en millions d'euros)

2 406

+ 23

2 788

+ 16

3 359

+ 20

3 216

- 4

Ensemble des régimes de base

Masses de pensions RACL
(en millions d'euros)

4 929

+ 10

5 590

+ 13

6 274

+ 12

6 225

- 1

Source : DSS/SDEPF/6A - régimes de retraite

En 2017, le nombre de bénéficiaires de ce dispositif atteindrait son pic (307 000 soit près de la moitié des départs à la retraite) entraînant une dépense supplémentaire de 3,4 milliards d'euros pour le régime général et de 6,2 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes de base , soit une augmentation de 12 % par rapport à 2016 (après une hausse de 10 % déjà enregistrée cette année-là).

- une croissance de la pension moyenne servie pour les nouvelles générations de retraités, qui s'explique par un plus fort taux d'activité des femmes et par des carrières de cotisants plus complètes 57 ( * ) . En 2015, le montant mensuel brut moyen de l'avantage principal de droit direct tous régimes confondus (base et complémentaire) est de 1 334 euros par mois (1 673 pour les hommes et 1 021 euros pour les femmes) 58 ( * ) . Il était de 1 174 euros en 2008. La mise en oeuvre de la liquidation unique des régimes alignés (Lura) depuis le 1 er juillet 2017 devrait avoir un effet limité sur le niveau de la pension moyenne, le nombre de retraités perdants et de retraités gagnants devant s'équilibrer 59 ( * ) ;

- une revalorisation très modérée des pensions indexée sur l'inflation pour la seule année 2017. Après une revalorisation de 0,1 % en 2015, il n'y a pas eu en effet de revalorisation en 2016 et cette dernière s'est limitée à 0,8 % au 1 er octobre 2017 60 ( * ) .

• Au niveau des recettes , la branche vieillesse bénéficie en 2016 comme en 2017 de la moitié du produit des cotisations sociales perçues en France : 130 milliards d'euros sur un total de 261 milliards d'euros en 2016 et 134 milliards d'euros sur 269 milliards d'euros prélevés en 2017. La hausse du taux de cotisation retraite décidée en 2012 et 2014 explique le dynamisme de cette recette pour la branche vieillesse (+ 2,7 % en 2016 et + 3,3 %). En 2017, cette augmentation aurait rapporté près d'un milliard d'euros.

Les hausses de cotisations vieillesse entre 2012 et 2017

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Taux de cotisation salariale

6,75 %

6,85 %

7,05 %

7,15 %

7,25 %

7,30 %

Taux de cotisation patronale

9,90 %

10,00 %

10,20 %

10,30 %

10,40 %

10,45 %

La branche vieillesse bénéficie également, par l'intermédiaire du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), d'un financement par la CSG prélevée sur les revenus du capital (patrimoine et placement) à hauteur de 9,5 milliards d'euros en 2016 et 2017. L'assiette de ce prélèvement s'avère particulièrement dynamique en 2016 (+ 6 %) et en 2017 (+ 3,4 %).

Enfin, les régimes de base et le FSV sont affectataires d'un volant de recettes tirées des contributions sociales et autres impôts et taxes pour un montant de 22,5 milliards d'euros en 2016 et 21,3 milliards d'euros en 2017. Les variations enregistrées en la matière sont moins le résultat d'un moindre dynamisme de la ressource que des modifications annuelles, opérées par l'administration, dans les arbitrages d'affectations de ressources entre les différentes branches de la sécurité sociale.

La contribution employeur payée par l'État pour le régime de retraite des fonctionnaires s'élève à 38,8 milliards d'euros en 2016 comme en 2017 et qui demeurera relativement constant en 2018 (39,7 milliards d'euros).

La branche vieillesse illustre donc parfaitement le constat formulé par la Cour des comptes dans son dernier rapport sur l'application des lois de financement quant à la politique menée par le précédent Gouvernement en matière de finances sociales : une « dynamique de dépense insuffisamment maîtrisée » mais « un apport déterminant des hausses de prélèvements dans la réduction progressive des déficits » 61 ( * ) .

Comme l'indiquait l'année dernière votre rapporteur, notre ancien collègue Gérard Roche, le Gouvernement a profité du formidable effet d'aubaine qu'a constitué la réforme des retraites de 2010 sans rien faire sur la baisse des dépenses en matière de retraite 62 ( * ) . Il s'est contenté de piloter le déficit de la branche en augmentant le taux de cotisation « retraites » qui s'élève depuis le 1 er janvier 2017 à 17,75 %. L'augmentation de ce taux, outre qu'elle pèse durement sur le coût du travail, épuise le levier de réforme que représente la hausse des cotisations.

À l'inverse, alors que l'année 2018 sera marquée par l'achèvement du recul de l'âge légal , cette mesure forte de la réforme de 2010 aura contribué à une économie globale de l'ordre de 10,7 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes de base (6 milliards d'euros sur le seul champ de la Cnav) 63 ( * ) depuis 2010. Cette économie est à comparer avec le coût total du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue qui atteint le montant de 23 milliards d'euros depuis 2015.

2. Le Fonds de solidarité vieillesse, un déficit persistant de près de 4 milliards d'euros

En 2016 et 2017, le FSV affiche un déficit de 3,6 milliards d'euros (contre 3,9 milliards d'euros en 2015). Ces deux années ont pourtant été marquées par des changements considérables affectant à la fois les produits et les charges du Fonds.

Les charges et les ressources
du Fonds de solidarité vieillesse en 2018

Créé en 1993, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) est un établissement public de l'État à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministère chargé de la sécurité sociale et du ministère chargé du budget.

Il assure le financement d'avantages vieillesse non contributifs par le biais de transferts aux régimes d'assurance vieillesse de base et complémentaires. Relevant de la solidarité nationale, ces avantages sont financés au moyen de ressources fiscales qui sont affectées au fonds.

Les charges du FSV (19,5 milliards d'euros en 2018) se répartissent entre :

- des prises en charge de cotisations au titre de périodes validées gratuitement par les régimes de base (environ 14,2 milliards d'euros en 2018), principalement au titre du chômage (12 milliards d'euros) et de la maladie (1,8 milliard d'euros) mais également du service national ou depuis 2015 des périodes de stage et de formation professionnelle des chômeurs ;

- des prises en charge des allocations du minimum vieillesse (3,3 milliards d'euros en 2018) et de la moitié du minimum contributif en 2018 (1,7 milliard d'euros) 64 ( * )

Les ressources du FSV (16,2 milliards d'euros en 2018), dont la structure a connu une importante réforme en 2016, sont constituées exclusivement par une partie des prélèvements sociaux sur les revenus du capital (placement et patrimoine) :

- la CSG prélevée sur cette catégorie de revenus (12 milliards d'euros en 2018) ;

- le prélèvement social sur ces revenus (4,1 milliards d'euros).

L'article 18 du présent projet de loi supprime l'affectation au FSV du prélèvement de solidarité sur les revenus du capital (2,5 milliards d'euros en 2017).

- en 2016 , presque l'intégralité des ressources du FSV a été modifiée afin de lui affecter l'essentiel des recettes des prélèvements sociaux (CSG, prélèvement social, prélèvement de solidarité) sur les revenus du capital (placement et patrimoine).

Cette décision intervenait à la suite de l'arrêt « de Ruyter » de la Cour de justice de l'Union européenne qui interdisait à la France de soumettre à des prélèvements sociaux les revenus du capital de personnes étrangères non affiliées à la sécurité sociale française 65 ( * ) . Optant pour une solution juridique très fragile, le Gouvernement a décidé de maintenir cette imposition en affectant toutefois le produit de l'ensemble des prélèvements sociaux sur les revenus du capital au financement de dispositifs de solidarité, en l'espèce ceux de la branche vieillesse par l'intermédiaire du FSV. Comme l'indique le rapport de la commission des comptes, « globalement ces opérations ont conduit à une légère croissance des produits du FSV en 2016 de 0,4 % » ;

- en 2017 , suivant une préconisation du rapport de la Mecss du Sénat 66 ( * ) et dans la logique de cantonnement du financement des seules dépenses de solidarité au sein du FSV, la LFSS pour 2017 a décidé la fin progressive du financement par le Fonds du minimum contributif (Mico) 67 ( * ) .

Dispositif « hybride », relevant d'une solidarité professionnelle, le Mico sera progressivement repris jusqu'en 2020 par les régimes de base qui le financeront à terme exclusivement. Cette décision entraîne une diminution des dépenses du FSV de 1 milliard d'euros en 2017. Elle conduira en 2020 à la disparition de la section 2 du budget du FSV ( voir tableau infra ) qui avait été créée en 2016 pour bien distinguer d'une part, les mécanismes de pure solidarité financés par les prélèvements sur les revenus du capital et d'autre part, les autres dispositifs financés par le FSV.

On notera par ailleurs le poids persistant de la dépense liée à la prise en charge des périodes assimilées au titre du chômage qui pèsent pour plus de 11 milliards d'euros sur les 20 milliards d'euros de dépenses du Fonds. Comme l'avait expliqué le rapport du Sénat sur le FSV, la faible diminution du nombre de chômeurs est compensée par le mécanisme de calcul de la prise en charge des cotisations des périodes assimilées au titre du chômage qui prend également en compte la progression du Smic horaire 68 ( * ) .

Votre rapporteur remarque, au titre de ces deux exercices, qu'en matière de relations entre le FSV et le reste de la sphère sociale, « il faut que tout change pour que rien ne change » ... Ces décisions majeures affectant le compte du FSV n'ont pas eu d'effet significatif sur le niveau de son déficit dont les gouvernements successifs semblent parfaitement s'accommoder, comme le montrent une fois de plus les mesures prises dans ce PLFSS ( voir infra ). Depuis 2010, le déficit du FSV n'a été inférieur à 3,5 milliards d'euros qu'à deux reprises avec un niveau moyen de déficit sur la période 2014-2016 de 3,7 milliards d'euros, supérieur à celui de la période antérieure (- 3,5 milliards d'euros) 69 ( * ) .


* 53 Le périmètre de la branche vieillesse dans le PLFSS n'inclut pas les régimes complémentaires du secteur privé (Agirc-Arrco) qui versent un montant de 75 milliards d'euros environ de prestations chaque année. La dépense globale des régimes de retraite obligatoires (base et complémentaires) s'élève à plus de 300 milliards d'euros, soit près de 14 % de notre PIB.

* 54 Pour une dépense globale de la branche vieillesse pour 2016 et 2017, respectivement de 227,2 et 231,1 milliards d'euros. La différence correspond à des transferts et aux coûts de gestion (env. 2,5 Mds€).

* 55 Décret n° 2012-847 du 2 juillet 2012 relatif à l'âge d'ouverture du droit à la pension de vieillesse.

* 56 Rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, septembre 2017, p. 91.

* 57 Ce phénomène est connu sous le nom « d'effet noria ».

* 58 D'après le programme d'efficience et de qualité « retraite », annexé au PLFSS pour 2018.

* 59 Voir la note de la Cnav sur les prévisions de l'impact de la Lura, document n° 9 de la réunion du 1 er mars 2017 du Conseil d'orientation des retraites.

* 60 La LFSS pour 2016 a modifié la règle de calcul du coefficient de revalorisation, qui est fonction de l'évolution de la valeur moyenne des indices des prix à la consommation calculée sur les douze derniers mois.

* 61 Rapport d'application des lois de financements de la sécurité sociale, Cour des comptes, septembre 2017.

* 62 La mesure d'allongement de la durée d'assurance, prévue en 2014, ne prendra effet qu'en 2020.

* 63 D'après les estimations de la Drees, communiquées à votre rapporteur.

* 64 À partir de 2020, le Mico sera intégralement financé par les régimes de base, ce qui aura pour conséquence de supprimer la section 2 du budget du FSV. Voir présentation infra la présentation des comptes du fonds.

* 65 Voir le rapport sur le PLFSS pour 2016.

* 66 Rapport d'information fait au nom de la Mecss du Sénat n° 668 sur l'avenir du Fonds de solidarité vieillesse, Catherine Génisson et Gérard Roche, juin 2016.

* 67 Allocation différentielle permettant de compléter la pension d'un bénéficiaire, ayant cotisé pendant tout ou partie de sa carrière sur la base de revenus modestes, dans la limite d'un plafond de 1 135,73 euros (2016). Depuis la LFSS pour 2015, le FSV prenait en charge la moitié des dépenses du Mico soit 3,5 milliards sur les 7 milliards d'euros que coûte ce dispositif.

* 68 Voir pp. 24-25 du rapport de la Mecss n° 668.

* 69 Comme le fait remarquer la Cour des comptes, RALFSS, septembre 2017.

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