B. DE NOUVEAUX TRANSFERTS MIS À LA CHARGE DE LA BRANCHE EN APPLICATION DES ORDONNANCES « TRAVAIL » DE SEPTEMBRE 2017

1. Le compte professionnel de prévention et l'élargissement du dispositif de retraite anticipée

La loi du 15 septembre 2017 pour le renforcement du dialogue social a habilité le Gouvernement à simplifier par ordonnance les dispositions législatives relatives au compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et son régime juridique 51 ( * ) .

Le C3P résultant de la réforme des retraites de 2014

Institué par la loi n° 2017-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice de notre système de retraites, le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) permet à des salariés d'acquérir des droits à des heures de formation, à une réduction du temps de travail sans perte de salaire ou jusqu'à huit trimestres de majoration de la durée d'assurance afin d'anticiper leur départ en retraite dès lors qu'ils ont été exposés, à leur poste de travail, à des facteurs de risques professionnels et que cette exposition, mesurée annuellement, a été supérieure à des seuils déterminés par voie réglementaire.

Il s'agit d'un outil individuel, rattaché à chaque salarié, et qui fonctionne selon un système de points : chaque année d'exposition à un facteur de pénibilité équivaut à l'acquisition de quatre points ; en cas de pluri-exposition, le nombre annuel de points est porté à huit. La gestion des comptes était dévolue à la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), chargée de créditer les comptes sur les C3P en fonction des déclarations des expositions effectuées par les employeurs par l'intermédiaire du dispositif de déclaration sociale nominative (DSN).

Pour la mise en oeuvre de ce dispositif, l'article D. 4161-2 du code du travail définit dix facteurs de pénibilité répartis en trois catégories :

. les contraintes physiques marquées : manutentions manuelles de charges lourdes, postures pénibles définies comme positions forcées des articulations, vibrations mécaniques ;

. l' environnement physique agressif : agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées, activités exercées en milieu hyperbare, températures extrêmes, bruit ;

. certains rythmes de travail : travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l'exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte.

En application de la réforme des retraites de 2014, le financement du C3P était assuré par un fonds dont les ressources provenaient d'une double cotisation versée par les employeurs : une cotisation de 0,01 % de la masse salariale, due par toutes les entreprises ; une cotisation de 0,2 % de la masse salariale acquittée par les entreprises ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité.

Initialement, la mise en oeuvre du C3P était prévue, pour l'ensemble des facteurs de pénibilité, au 1 er janvier 2015. Devant les difficultés apparues pour aboutir à une définition des seuils d'exposition et des modalités de mesure des expositions, cette mise en oeuvre a cependant été partiellement repoussée. Seuls quatre facteurs d'exposition ont ainsi pu être pris en compte dès le 1 er janvier 2015 (travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif, travail en milieu hyperbare), la prise en compte des six autres ayant été repoussée à deux reprises pour finalement faire l'objet d'une simple obligation déclarative des employeurs à compter du 1 er juillet 2016 .

Au cours de cette période transitoire, plusieurs mesures de simplification ont été adoptées, en particulier pour réduire les contraintes pesant sur les petites entreprises. La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi 52 ( * ) a ainsi supprimé la fiche individuelle de prévention des expositions, que chaque employeur devait tenir pour chaque salarié exposé, pour privilégier une déclaration dématérialisée des expositions via la DSN. Des référentiels professionnels définissant les postes de travail ou métiers exposés à la pénibilité, élaborés par les branches, ont par ailleurs été envisagés pour faciliter les déclarations.

Cependant, malgré les mesures de simplification adoptées, il est apparu qu'un grand nombre d'entreprises, en particulier les plus petites dans des secteurs à forte pénibilité tel que le bâtiment, étaient encore confrontées à d'importantes difficultés de mesure des expositions, notamment pour quatre facteurs : les manutentions manuelles de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les agents chimiques dangereux.

Dans ces conditions, l'habilitation donnée au Gouvernement à procéder par ordonnance à une réforme de la prise en compte de la pénibilité au travail portait sur l'adaptation des facteurs de risques professionnels mesurés dans le cadre du C3P, des obligations de déclaration, des conditions d'appréciation de l'exposition à certains des facteurs, des modes de prévention, des conditions de compensation de la pénibilité ainsi que des modalités de financement du compte.

Sur ce fondement, l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l'exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention a profondément réformé le dispositif :

• Le C3P est désormais dénommé « compte professionnel de prévention ».

• Les quatre facteurs de risques professionnels qui posaient le plus de problèmes font désormais l'objet d'un mécanisme de compensation spécifique distinct dans le cadre d'un élargissement du dispositif de départ en retraite anticipée en cas d'incapacité permanente créé par la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites .

Ainsi, les personnes exposées à la manutention de charges lourdes, aux postures pénibles, aux vibrations mécaniques ou aux agents chimiques dangereux pourront bénéficier d'un départ anticipé à la retraite dès lors qu'une visite médicale, en fin de carrière, aura permis de démontrer qu'ils ont contracté une maladie professionnelle conduisant à un taux d'incapacité permanente d'au moins 10 %, sans durée d'exposition minimale requise . Ces facteurs ne font plus l'objet d'une obligation déclarative de l'employeur.

• Le financement du compte professionnel de prévention ne sera plus assuré par des cotisations spécifiques versées par les entreprises mais transféré à la branche AT-MP. Ce besoin de financement supplémentaire généré pour la branche AT-MP sera couvert par une hausse de la majoration M4 qui constitue l'une des parties du taux de cotisation employeur couvrant les dépenses mutualisées de la branche au titre du dispositif de retraite anticipée.

La gestion du dispositif est confiée à la direction des risques professionnels de la Cnam et son réseau, la caisse pouvant déléguer tout ou partie de ses missions à un autre organisme par convention. Les droits et obligations du fonds chargé du financement des droits liés au compte sont transférés à la branche AT-MP. Le montant de dépenses prévisionnelles au titre de ces deux dispositifs sera fixé chaque année en loi de financement de la sécurité sociale.

Le dispositif de départ en retraite anticipée en cas d'incapacité permanente
prévu par la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites

Ce dispositif ouvre la possibilité d'un départ en retraite au taux plein dans deux cas de figure :

- pour les personnes justifiant d'un taux d'incapacité permanente supérieur à 20 % résultant d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail ;

- pour les personnes dont le taux d'incapacité permanente est supérieur à 10 % et qui ont été exposées pendant au moins dix-sept ans à l'un des dix facteurs de pénibilité si elles justifiaient du lien direct entre cette exposition et leur invalidité, après examen de leur dossier et validation de leur demande par une commission pluridisciplinaire composée notamment du directeur de la caisse de retraites, du médecin-conseil régional de l'assurance maladie et d'un praticien hospitalier particulièrement qualifié en pathologies professionnelles.

Selon les informations communiquées par le Gouvernement, le montant total des dépenses au titre du compte professionnel de prévention et du dispositif de retraite anticipée pour incapacité permanente est évalué pour la branche AT-MP du régime général à 186 millions d'euros en 2018 :

- 104 millions d'euros au titre du compte professionnel de prévention ;

- 82 millions d'euros au titre du dispositif de retraite anticipée pour incapacité permanente (avec un surcoût de l'élargissement du dispositif estimé à 15 millions d'euros en 2018).

La montée en charge de ce double dispositif serait la suivante :

(en millions d'euros)

2018

2019

2020

2021

Compte professionnel de prévention

106

166

201

233

Élargissement du dispositif de retraite anticipée

15

60

89

98

Source : Direction de la sécurité sociale

Votre rapporteur a néanmoins été sensibilisé au fait qu'il s'agit d'une première estimation très générale, aucun chiffrage précis n'étant pour l'instant disponible , d'autant plus qu'il semble que la Cnam-AT-MP ait pris connaissance assez tardivement du transfert envisagé par le Gouvernement. L'étude d'impact du projet de loi pour le renforcement du dialogue social de septembre 2017 indiquait que 793 760 salariés avaient à ce jour acquis des droits au titre du C3P. Selon toute probabilité, la branche AT-MP sera confrontée à une hausse non négligeable des demandes de reconnaissance de maladies professionnelles. De plus, la Cnav avait mis en place un dispositif d'ouverture et de gestion des droits mais n'avait pas développé l'activité de prévention en entreprise. Si des garanties devront être rapidement apportées quant à la prise en compte des droits déjà acquis et leur liquidation, votre rapporteur souhaite ainsi que tous les moyens nécessaires au développement du volet prévention puissent également être mobilisés afin d'éviter de rester dans une simple logique de réparation.

2. L'intégration du solde de la branche AT-MP des marins

A ces nouvelles dépenses de transfert s'ajoute le fait qu'à partir de 2018, le solde des charges et produits du risque AT-MP du régime des marins sera retracé dans les comptes de la branche AT-MP du régime général. Cette mesure augmente les charges de la branche pour 2018 de 60 millions d'euros (article 18 du PLFSS pour 2018).

Selon les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre dernier, les prestations AT-MP versées par le régime des marins (caisse générale de prévoyance de l'Enim) s'élèvent en effet à 61 millions d'euros en 2017 et 60 millions d'euros en 2018. Le besoin de financement diminue tendanciellement, en cohérence avec la baisse des prestations légales (- 3,7 % entre 2015 et 2016, - 0,6 % prévu entre 2017 et 2018).

Pour mémoire, la branche AT-MP du régime des marins était équilibrée par la CNAM depuis 2006.


* 51 1° de l'article 5 de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 pour le renforcement du dialogue social.

* 52 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

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