B. LA CNSA, UN OPÉRATEUR FINANCIER À L'AVENIR INCERTAIN

1. Un compte de résultat structurellement déficitaire

Le financement des établissements et services médico-sociaux constitue la mission principale de la CNSA, qui y a mobilisé en 2016 près de 84 % de son budget . Les cinq autres sections de la Caisse sont respectivement consacrées au financement de l'Apa (section II), de la PCH (section III), aux dispositifs d'appui aux aidants familiaux (section IV), aux autres dépenses essentiellement liées à l'aide à la modernisation et aux conférences des financeurs (section V) et à l'aide à l'investissement (section VII).

Chacune de ces sections présente des règles budgétaires autonomes en matière de ressources et de charges, toutes rigoureusement définies par l'article L. 14-10-5 du CASF. La seule porosité des sections entre elles est organisée par ce même article, qui prévoit diverses contributions des trois premières sections au financement des deux autres. Le fléchage précis des diverses ressources de la CNSA sur les sections de son budget aboutit à des situations d'excédent pour certaines d'entre elles (sections II, III et V) et à des déficits pour les autres (sections I, IV et VII). La synthèse des sections aboutit à un déficit total établi à 95 millions d'euros pour 2016, et anticipé à 391 millions d'euros pour 2017 .

Le modèle financier de la CNSA inspire à votre rapporteur deux grandes séries d'observations.

La première tient à la viabilité financière de la CNSA . L'aggravation de son déficit est en effet de nature à susciter de très vives inquiétudes. La dimension structurelle de ce dernier n'a jusqu'alors provoqué aucune réponse systémique de la part des pouvoirs publics , qui ont eu recours aux recettes inemployées (les fameux « fonds propres » ou plus usuellement « réserves ») pour absorber les déficits successifs . L'opération se montrait d'autant plus commode que ces recettes inemployées, retracées dans le bilan mais pas dans le budget de la CNSA, ne figuraient sur aucun document transmis à la représentation nationale.

Ce n'est qu'à la faveur d'un amendement de notre collègue René-Paul Savary au PLFSS pour 2017 31 ( * ) que la Caisse a désormais l'obligation de mentionner dans son rapport annuel le montant de ses fonds propres.

Le caractère nécessairement temporaire de ces réserves ne permettra pas à la Caisse d'entretenir un tel rythme de déficit à long terme. Il va très rapidement devenir indispensable de faire le choix de réduire l'amplitude des missions de la CNSA ou d'augmenter ses ressources budgétaires . À très court terme, votre rapporteur a au cours de ses auditions recueilli plusieurs craintes de voir le premier sacrifice à venir sur les missions de la CNSA porter sur la section VII, consacrée à l'aide à l'investissement. L'article L. 14-10-5 du CASF ne mentionne de dotation de la section VII, à hauteur de 100 millions d'euros par an, que jusqu'en 2018 .

2. Les fonds propres de la CNSA : un recours moins soutenu mais un modèle financier qui reste à repenser

Régulièrement dénoncé comme déconnecté des missions réelles de la CNSA , l'usage fait de ses fonds propres - que ce soit le financement d'actions ponctuelles 32 ( * ) ou la résorption du déficit de la Caisse - n'est que la partie visible de leur dysfonctionnement.

Tableau des flux de trésorerie de la CNSA pour l'exercice 2017

(en millions d'euros)

Montant initial

Flux de trésorerie positifs

Flux de trésorerie négatifs

Montant final (p)

Provisions sur le plan d'aide
à la modernisation
(section V)

158

Déficit 2017 33 ( * )

391

Provisions sur les fonds relatifs
au financement de l'APA 2 (section II)

102 34 ( * )

« Gel » consacré
au financement de l'Ondam global

110

Provisions sur les fonds relatifs
au financement des conférences
de financeurs
(section V)

91,6 35 ( * )

Contribution
des fonds propres
au financement de l'OGD

90

Provisions sur le plan d'aide
à l'investissement
(section VII)

16,5

Provisions sur les fonds relatifs
à la « réponse accompagnée
pour tous
» (section V)

1,9

681 36 ( * )

+

370

-

591

460

Évolution des fonds propres

- 221

Votre rapporteur anticipe, pour l'année 2017, une baisse du niveau des fonds propres de la CNSA d'environ 221 millions d'euros, pour un montant global au 1 er janvier 2018 de 460 millions d'euros .

a) Les flux négatifs : un recours regrettable aux éléments de bilan notamment pour absorber le déficit

Le tableau ci-dessus retrace, notamment dans la partie relative aux flux de trésorerie négatifs, les éléments évoqués pour la construction de l'OGD. Pour l'exercice 2017, les fonds propres sont d'abord sollicités pour couvrir l'important déficit budgétaire de 391 millions d'euros. Une telle destination n'a en soi rien de choquant, puisque les fonds propres sont constitués des résultats non consommés de sections budgétaires excédentaires de la CNSA.

Le procédé auquel elle fait appel est en revanche beaucoup plus discutable, puisqu'au lieu de financer le déficit par une fongibilité des excédents figurant au compte de résultat, la CNSA a recours à des éléments du bilan - ses excédents de sections étant portés en provisions - dont la transparence est beaucoup moins aisée à établir. Par ailleurs, le procédé donne au Gouvernement une latitude excessive, car seules les ressources budgétaires font l'objet d'un fléchage défini par la loi, les éléments du bilan pouvant être réemployés à discrétion 37 ( * ) .

Les autres flux de trésorerie négatifs comprennent la contribution de l'Ondam médico-social à la consolidation de l'Ondam global, qui s'élève en 2017 à 110 millions d'euros : elle n'est pas à proprement parler ponctionnée sur les fonds propres de la CNSA, puisqu'elle fait l'objet d'une mise en réserve prudentielle des crédits de l'Ondam médico-social. Elle n'est néanmoins pas intégrée aux comptes consolidés de la CNSA dont nous disposons, d'où la nécessité de la faire apparaître indépendamment du déficit. Enfin, la contribution directe des fonds propres à la consolidation de l'OGD se chiffre en 2017 à 90 millions d'euros . Ainsi, cette « ponction » des réserves de la CNSA s'élève en 2017 à 200 millions d'euros, soit moins que les 230 millions d'euros initialement annoncés dans le dossier de presse du PLFSS pour 2017. Il y a tout lieu de s'en réjouir, même si votre rapporteur continue d'appeler à la vigilance.

b) Les flux positifs : le provisionnement de charges non consommées

L'alimentation des flux de trésorerie positifs est, quant à elle, entretenue par le cloisonnement excessif des sections du budget de la CNSA et le provisionnement des recettes inemployées qui en découle. Ces dernières sont principalement situées aux sections II et V du budget, respectivement chargées du financement de l'Apa et du financement d'actions innovantes.

Les crédits mis à disposition des départements pour le financement de l'Apa 2, initialement dotés d'un montant de 306 millions d'euros, n'ont en fait été exécutés qu'à hauteur de 204 millions d'euros, laissant une provision de 102 millions d'euros. Le phénomène se reproduit pour les crédits prévus pour le financement des conférences des financeurs : les 180 millions d'euros versés à la section V du budget de la CNSA n'ont en fait été dépensés qu'à hauteur de leur moitié. L'Assemblée des départements de France (ADF), qui a confirmé ces chiffres à votre rapporteur, explique la reprise par la CNSA de ces crédits par un accompagnement insuffisant des réformes structurelles de la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) au niveau local . Le déploiement de l'Apa 2, qui suppose une revalorisation de tous les plans d'aide, et l'organisation des conférences des financeurs entraînent des délais de mise en oeuvre qui empêchent les départements de consommer dans les temps tous les crédits autorisés.

Ces rigidités budgétaires aboutissent à la situation paradoxale d'acteurs locaux soumis à de fortes contraintes financières mais incapables de consommer le montant total de certains crédits qui leur sont alloués, compte tenu de leur destination rigoureusement définie. Ces crédits non dépensés sont donc repris par la CNSA et nourrissent l'essentiel des excédents budgétaires de ses sections et, à chaque exercice, le montant de ses fonds propres.

La solution à apporter à ces provisionnements excessifs réside dans une plus grande porosité à aménager entre les différentes sections . Le fléchage strict des différentes ressources défini à l'article L. 14-10-5 du CASF montre ainsi ses limites. Essentiel à ce qu'aucune des missions de la CNSA ne pâtisse d'une sous-budgétisation par rapport aux autres, il est néanmoins nécessaire qu'il soit assoupli.

L' article 8 du présent projet de loi entame la démarche en prévoyant que les ressources de la Casa puissent désormais abonder la section I du budget de la CNSA. Cette ressource spécifique alimentait jusqu'alors exclusivement les sections II et V, précisément celles qui montraient un excédent structurel. Cet ajustement bienvenu va dans le bon sens mais doit être renforcé .


* 31 Amendement n° 101 à l'article 46 du PLFSS pour 2017.

* 32 En 2017, les fonds propres ont notamment financé pour 50 millions d'euros un fonds d'appui aux dépenses du RSA pour les départements en difficulté. Ces crédits sont retracés dans la section V.

* 33 D'après l'annexe 8 du PLFSS pour 2018 ( le déficit n'intègre pas les « gels » ).

* 34 Sur les 306 millions d'euros initialement prévus.

* 35 Sur les 180 millions d'euros initialement prévus.

* 36 D'après le rapport annuel de la CNSA, avril 2017.

* 37 Notre collègue René-Paul Savary avait proposé lors du vote du PLFSS pour 2017, sans avoir recueilli le soutien du Gouvernement, de diriger l'usage des fonds propres de la CNSA sur les seules sections II et III de son budget (amendement n° 103 rect.).

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