B. UN SCÉNARIO CRÉDIBLE

Afin d'apprécier la crédibilité du scénario proposé par le Gouvernement, ce dernier peut être comparé aux projections effectuées par la Commission européenne, les organisations internationales et les principaux instituts privés de conjoncture.

1. Un scénario raisonnable sur la période 2018-2020 et modérément optimiste en fin de quinquennat

S'agissant de la croissance effective, les hypothèses retenues par le Gouvernement sont crédibles sur l'ensemble du quinquennat, en dépit d'un biais modérément optimiste en fin de période. L'écart à la moyenne des prévisions est ainsi limité à 0,1 point, sauf en 2022, année au cours de laquelle il atteint 0,4 point.

Scénarios d'évolution de la croissance française sur la période 2017-2022

(en points de PIB)

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Scénario gouvernemental

1,7

1,7

1,7

1,7

1,7

1,8

Commission européenne (mai 2017)

1,4

1,7

1,5

1,4

1,3

1,0

FMI (septembre 2017)

1,6

1,8

1,9

1,9

1,9

1,8

Consensus forecasts (octobre 2017)

1,7

1,7

OCDE (septembre 2017)

1,7

1,6

Écart à la moyenne des scénarios

0,1

0,0

0,0

0,1

0,1

0,4

Source : commission des finances du Sénat

Il peut être observé que si l'estimation du Gouvernement pour l'année 2018 est identique à celle de la Commission européenne (1,8 %), les hypothèses divergent fortement à compter de 2019. Le scénario du Gouvernement reste néanmoins plus pessimiste que celui du Fonds monétaire international (FMI).

Au-delà du scénario de croissance, il apparaît également nécessaire d'apprécier la crédibilité des hypothèses de croissance potentielle et d'écart de production retenues dans le présent projet de loi.

En effet, ces deux variables revêtent une importance décisive pour évaluer le déficit structurel - notion qui a acquis une position centrale au sein de la gouvernance budgétaire nationale et européenne. À titre de rappel, le solde structurel correspond au solde public effectif corrigé du cycle économique - autrement dit, de la conjoncture -, de même que des mesures exceptionnelles et temporaires. L'écart de production constituant précisément une estimation du « potentiel de rebond » de l'économie (ou, à l'inverse, de sa « surchauffe »), le niveau du déficit structurel dépend donc directement de ce dernier : plus le PIB est éloigné de son potentiel, plus la part cyclique du déficit effectif est importante .

L'estimation du déficit structurel par la Commission européenne

Pour déterminer le déficit structurel, la Commission européenne commence par calculer pour chaque État membre le déficit corrigé du cycle, en appliquant la formule suivante :

Déficit corrigé du cycle = Déficit effectif + Écart de production * Semi-élasticité budgétaire

La semi-élasticité budgétaire mesure la sensibilité du déficit effectif à l'écart de production. Sa valeur, mise à jour tous les six ans, est calculée pour chaque État membre à partir de l'estimation économétrique de l'élasticité individuelle des recettes et dépenses sensibles à la conjoncture et de leur poids moyen dans le PIB. Pour la France, la semi-élasticité budgétaire est actuellement estimée à 0,603. En d'autres termes, lorsque l'écart de production se creuse de 1,0 point, la part conjoncturelle du déficit effectif augmente de 0,6 point du PIB.

Une fois le déficit corrigé du cycle, le déficit structurel est obtenu en retranchant les mesures ponctuelles et temporaires.

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Commission européenne, « Vade Mecum on the Stability and Growth Pact », édition 2017, mars 2017)

Or, dans la mesure où la croissance potentielle et le PIB potentiel constituent des variables qui ne peuvent être observées directement et dont la mesure est sujette à controverse, il existe une incitation pour le Gouvernement à surestimer ces dernières, afin de minorer le déficit structurel .

Cette incitation est d'autant plus importante que le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) est contraint par la loi organique 5 ( * ) de calculer le solde structurel avec la trajectoire de PIB potentiel gouvernementale annexée au présent projet de loi lorsqu'il évalue s'il existe un « écart important » avec les objectifs fixés par le législateur. En surestimant l'écart de production dans le cadre du présent projet de loi, le Gouvernement aurait donc pu « neutraliser » le rôle de vigie du Haut Conseil pendant l'ensemble du quinquennat.

Aussi, votre rapporteur général a souhaité renouveler la démarche engagée en 2014, en demandant aux principaux instituts de conjoncture leur scénario de croissance potentielle pour le nouveau quinquennat. De façon inédite, ces derniers ont également été mobilisés pour fournir une estimation du niveau de l'écart de production .

S'agissant de la croissance potentielle, le « consensus » retient une estimation moyenne de 1,3 % pour la période 2017-2022.

Consensus de la croissance potentielle de la commission des finances du Sénat

(en %)

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Euler Hermes

1,5

1,5

1,7

1,7

1,7

1,7

Axa

1,3

1,4

1,5

1,7

1,9

2,0

BNP Paribas (recherche économique groupe)

1,2

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

Exane

1,1

1,1

1,2

1,2

1,2

1,2

Coe-Rexecode

1,2

1,2

1,2

1,2

1,2

1,2

PAIR Conseil

1,2

1,3

1,4

1,4

1,5

1,5

Oxford Economics

1,5

1,3

1,2

1,2

1,1

1,1

Citi

1,2

1,3

1,4

1,5

1,6

1,7

BIPE

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

OFCE

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

1,3

Natixis

0,9

0,9

1,0

1,0

1,0

1,0

Moyenne

1,2

1,3

1,3

1,3

1,4

1,4

Source: commission des finances du Sénat

L'estimation du Gouvernement apparaît ainsi en ligne avec le « consensus » et les projections du FMI et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Seule la Commission européenne retient un scénario de croissance potentielle plus pessimiste (1 % en 2022), comparable à celui de la banque Natixis.

Scénarios d'évolution de la croissance potentielle sur la période 2017-2022

(en %)

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Scénario gouvernemental

1,25

1,25

1,25

1,25

1,3

1,35

Commission européenne (mai 2017)

1,2

1,2

1,2

1,1

1,0

1,0

FMI (septembre 2017)

1,1

1,3

1,4

1,4

1,5

1,5

Consensus de la croissance potentielle

1,2

1,3

1,3

1,3

1,4

1,4

OCDE (septembre 2017)

1,2

1,2

Écart à la moyenne des scénarios

0,1

0,0

0,0

0,0

0,0

0,1

Source: commission des finances du Sénat

Ainsi que le relève le Haut Conseil des Finances Publiques, le scénario de croissance potentielle retenu par le Gouvernement constitue donc « une base raisonnable pour asseoir la programmation des finances publiques à moyen terme » 6 ( * ) .

S'agissant de l'écart de production, le « consensus » apparaît moins optimiste que le Gouvernement en fin de période. Après s'être résorbé en 2021, l'écart de production atteindrait ainsi 0,3 % du PIB potentiel, contre 1,1 % dans le scénario retenu par le présent projet de loi.

Consensus de l'écart de production de la commission des finances du Sénat

(en points de PIB potentiel)

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Euler Hermes

- 1,9

- 1,2

- 0,6

0,2

1,2

2,0

BNP Paribas (recherche économique groupe)

- 1,0

-0,5

- 0,1

0,3

0,4

0,5

Exane

- 1,4

- 1,0

- 0,5

- 0,1

0,2

0,5

PAIR Conseil

- 1,1

- 0,9

- 0,6

- 0,4

- 0,2

0,0

Oxford Economics

- 1,9

- 1,3

- 0,9

- 0,6

- 0,4

- 0,2

Citi

- 1,7

- 1,2

- 0,5

0,0

0,1

0,1

OFCE

- 2,5

- 2,3

- 2,1

- 1,7

- 1,3

- 1,0

Moyenne

- 1,6

- 1,2

- 0,8

- 0,3

0,0

0,3

Source: commission des finances du Sénat

Les comparaisons avec les prévisions du FMI et de la Commission européenne tendent à confirmer ce diagnostic , ces derniers retenant un écart de production en 2022 identique à celui du « consensus ».

Scénarios d'évolution de l'écart de production sur la période 2017-2022

(en points de PIB potentiel)

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Scénario gouvernemental

- 1,5

- 1,1

- 0,7

- 0,2

0,2

0,6

1,1

Commission européenne (mai 2017)

- 1,3

- 1,1

- 0,6

- 0,3

0

0,3

0,3

FMI (septembre 2017)

- 2,2

- 1,8

- 1,3

- 0,8

- 0,3

0

0,3

Consensus de l'écart de production

- 1,6

- 1,2

- 0,8

- 0,3

0

0,3

OCDE (septembre 2017)

- 2,2

- 1,7

- 1,4

Écart à la moyenne des scénarios

0,4

0,5

0,4

0,4

0,4

0,5

0,8

Source: commission des finances du Sénat

Par rapport au scénario de la Commission européenne, la divergence d'appréciation tient principalement au rôle de « limitateur de vitesse » joué par la croissance potentielle : alors que la Commission européenne considère que la croissance effective ralentira immédiatement une fois l'écart de production résorbé, afin de revenir au niveau de la croissance potentielle, le Gouvernement estime à l'inverse que la croissance pourra temporairement rester supérieure à son rythme potentiel, faisant ainsi entrer l'économie dans une phase de légère « surchauffe ». De ce fait, la prévision de croissance de la Commission européenne pour 2022 (1 %) est significativement inférieure à celle retenue par le Gouvernement (1,8 %), comme cela a été précédemment indiqué.

Hypothèses de croissance et de croissance potentielle retenues pour l'année 2022

(en %)

Source: commission des finances du Sénat

À cet égard, il peut être noté que l'apparition d'un écart de production positif en fin de période a pour conséquence de faire passer le niveau du déficit structurel au-dessus du déficit nominal . En effet, dans la mesure où l'économie évolue au-delà de son potentiel de production soutenable à moyen terme, une partie du surcroît de recettes liée à la croissance est attribuée à la conjoncture et vient réduire le solde structurel.

Évolution du solde public nominal et du solde public structurel
sur la période 2017-2022 dans le scénario du Gouvernement

(en points de PIB, en points de PIB potentiel)

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Solde nominal

- 2,9

- 2,6

- 3,0

- 1,5

- 0,9

- 0,2

Solde structurel

- 2,2

- 2,1

- 1,8

- 1,6

- 1,2

- 0,8

Écart de production

- 1,1

-0,7

- 0,2

+ 0,2

+ 0,6

+ 1,1

Source: commission des finances du Sénat

S'agissant du scénario du FMI, la divergence tient au contraire à l'estimation initiale de l'écart de production. En effet, le FMI considère que le potentiel de rebond actuel de l'économie française est supérieur à l'hypothèse retenue par le Gouvernement 7 ( * ) . Avec un scénario de croissance légèrement plus favorable que celui du Gouvernement, le FMI obtient ainsi un écart de production identique à celui de la Commission européenne en fin de quinquennat (0,3 point de PIB potentiel) et inférieur à celui du Gouvernement (1,1 point de PIB potentiel). À cet égard, il peut être observé que, dans le scénario du FMI, la croissance commence à ralentir en 2022, une fois la capacité de rebond de l'économie française épuisée, alors qu'elle accélère au contraire dans le scénario du Gouvernement - confirmant ainsi le caractère volontariste de ce dernier.

Au total, « l'hypothèse d'un écart de production positif en fin de période est plutôt optimiste », ainsi que le relève le Haut Conseil 8 ( * ) .

2. La réalisation du scénario de croissance de la Commission européenne amputerait d'un tiers la réduction du déficit nominal prévue au cours du quinquennat

Afin d'apprécier conséquences potentielles des incertitudes relatives aux hypothèses macroéconomiques sur la trajectoire de redressement de la situation budgétaire française, il est proposé de construire un scénario alternatif dans lequel la croissance du PIB serait conforme aux estimations de la Commission européenne à compter de 2019 .

Sensibilité du solde effectif à la conjoncture

(en % du PIB)

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Scénario du Gouvernement

Croissance

1,7

1,7

1,7

1,7

1,7

1,8

Solde effectif

- 2,9

- 2,6

- 3,0

- 1,5

- 0,9

- 0,2

Scénario avec les hypothèses de croissance 2019-2022
de la Commission européenne

Croissance

1,6

1,7

1,5

1,4

1,3

1,0

Solde effectif

- 2,9

- 2,6

- 3,1

- 1,8

- 1,4

- 1,1

Écart

0,0

0,0

- 0,1

- 0,3

- 0,5

- 0,9

Source : commission des finances du Sénat

En cas de réalisation du scénario de croissance de la Commission européenne, le déficit public nominal repasserait au-dessus du seuil de 3 % du PIB en 2019 et atteindrait 1,1 % en 2022 , contre 0,2 % dans le scénario du Gouvernement.

Sensibilité du déficit public aux hypothèses de croissance retenues

(en % du PIB)

Source : commission des finances du Sénat

Ainsi, la réduction du déficit public programmée au cours de l'ensemble du quinquennat (2,7 points de PIB) serait amputée d'un tiers (0,9 point de PIB).


* 5 Article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

* 6 Avis n° HCFP-2017-3 relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, p. 1.

* 7 L'estimation de l'écart de production retenue par le FMI pour 2017 est inférieure de 0,5 point à celle du Gouvernement.

* 8 Avis n° HCFP-2017-3 relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, p. 1.

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