B. UNE RÉFORME GLOBALEMENT ET LARGEMENT APPROUVÉE

L'avant-projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, publié en février 2015 et soumis à consultation publique, suscita plus de 300 contributions adressées à la chancellerie, représentant plus de 3 200 pages au total.

Les sources de cette ordonnance sont multiples, au premier rang desquelles figurent l'« avant-projet Catala » et l'« avant-projet Terré », ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation, mais le rapport de présentation de l'ordonnance au Président de la République 17 ( * ) revendique expressément comme autre source d'inspiration les projets d'harmonisation européenne du droit des contrats.

L'intention du Gouvernement a été de moderniser et de rendre plus lisible le droit français des contrats sans le bouleverser, en l'adaptant aux enjeux contemporains et en prenant mieux en compte l'impératif d'efficacité économique du droit des contrats, tout en consolidant la jurisprudence.

Le rapport au Président de la République énonce les deux objectifs poursuivis par le Gouvernement : d'une part, renforcer la sécurité juridique du droit des contrats, en améliorant sa lisibilité et son accessibilité, et d'autre part, renforcer l'attractivité du droit français , du point de vue strictement économique, vis-à-vis des entreprises, mais également du point de vue de l'influence du système juridique français à l'étranger.

Votre rapporteur s'interroge sur ce deuxième objectif, dont l'atteinte est impossible à vérifier, tant l'attractivité du droit ne semble pas dépendre de facteurs étroitement juridiques, mais bien davantage de la puissance économique de l'État, de la réputation de ses juridictions ou encore de celle de ses cabinets d'avocats. Une entreprise faisant du « law shopping » choisit rarement un droit en fonction uniquement de sa qualité intrinsèque. Au moins votre rapporteur souhaite-t-il que la réforme ait rendu le droit français des contrats plus attractif pour les entreprises françaises et plus adapté à la vie des affaires. Modernisé, le droit français devrait également redevenir une référence, mieux prise en compte dans les travaux européens, à la différence des années 2000 où ceux-ci l'ignoraient ou le contredisaient.

En revanche, le premier objectif est manifestement atteint, au vu des auditions et des consultations menées par votre rapporteur, sous réserve de quelques dispositions qui demeurent abondamment discutées, un an après l'entrée en vigueur de l'ordonnance.

Les nouvelles dispositions du code civil issues de l'ordonnance se caractérisent effectivement par une plus grande clarté de la rédaction, avec un « vocabulaire contemporain » 18 ( * ) , ainsi que par un plan du livre III du code, « plus pédagogique » 19 ( * ) , qui distingue mieux le droit des obligations en général et le droit des contrats. Les chapitres portant sur le contrat sont didactiques, en suivant la vie du contrat à compter de sa formation et jusqu'à sa fin. Votre rapporteur tient à souligner ce progrès de la lisibilité du code.

En outre, en codifiant autant que possible la jurisprudence établie de la Cour de cassation, la réforme améliore grandement l'accessibilité du droit des contrats en faisant mieux coïncider le droit positif et le droit écrit, dans le respect de la tradition juridique française, alors qu'il était particulièrement jurisprudentiel, au point que l'on pouvait dire que le droit n'était plus dans le code. Comme l'indiquait Pierre Catala dans la présentation de son avant-projet, il faut que « la loi soit, avant la jurisprudence, mère de l'ordre juridique ». En principe, la jurisprudence a été codifiée à droit constant, mais parfois la réforme a voulu surmonter une jurisprudence jugée excessive ou trop rigide, comme en matière d'exécution forcée en nature par exemple, ou bien clarifier l'état du droit en cas de jurisprudence incertaine ou erratique.

Votre rapporteur veut spécialement souligner l'intérêt du chapitre introductif au droit des contrats. Il énonce d'abord les principes directeurs du droit des contrats, que sont le consensualisme, la liberté contractuelle et la force obligatoire du contrat, mais aussi le respect de l'ordre public et de la bonne foi, associés à une définition du contrat fondée sur l'autonomie de la volonté des parties, dans un ensemble cohérent, clair et concis. Il précise ensuite les modalités de l'articulation entre le droit commun du code civil et les droits particuliers en matière de contrats, sujet alimentant d'abondants débats. Enfin, il définit les différentes catégories de contrats.

Un autre débat important concerne l'application de la réforme aux contrats conclus avant son entrée en vigueur, au vu notamment d'arrêts récents de la Cour de cassation en la matière.

La réforme procède aussi à une actualisation et à une modernisation, avec quelques innovations. Alors que la cause disparaît, même si demeurent, selon votre rapporteur, ses éléments constitutifs 20 ( * ) , font leur entrée dans le code civil, par exemple, la promesse unilatérale de contrat et la cession de contrat ou de dette, mécanismes déjà connus de la pratique que la réforme vient fixer. Sont créées plusieurs actions interrogatoires ou interpellatives, de nature à assurer dans certaines situations une meilleure information des parties. La réforme institue une obligation précontractuelle d'information, qui se veut la déclinaison du principe de bonne foi désormais applicable au stade des négociations, avant même la formation du contrat - période que la jurisprudence avait déjà visitée.

La réforme est marquée par le développement de l'unilatéralisme , en matière par exemple de résolution du contrat ou de fixation du prix, de façon à permettre aux parties de ne pas avoir à saisir le juge, avec un souci accru de maintenir le contrat plutôt que d'y mettre fin, mais également par l' accroissement du rôle du juge , au travers d'autres dispositions.

Ces deux tendances contraires sont également critiquées. Toutefois, le renforcement des pouvoirs du juge sur le contrat l'est bien davantage, en particulier par les représentants des milieux économiques - mais aussi par une large partie de la doctrine - chez qui il suscite des craintes de voir le juge devenir un régulateur du contrat ou exercer une véritable police du contrat, au détriment de la liberté contractuelle et de l'autonomie des parties. Ces nouvelles prérogatives du juge lui permettraient de réviser le contrat ou d'y mettre fin, à la demande d'une partie seulement, en cas de changement de circonstances imprévisible, de réputer non écrites des clauses abusives dans les contrats d'adhésion dont les conditions générales ont été imposées par une des parties ou de sanctionner l'abus de l'état de dépendance d'une partie. L'idée que le juge puisse, dans le dispositif de l'imprévision, modifier le contrat paraît très contestable voire inconcevable pour beaucoup.

Ainsi, alors que le Gouvernement a entendu renforcer l'attractivité du droit des contrats en direction des entreprises, nombre de personnes entendues en audition ont indiqué que la réforme, en l'état, ne détournerait pas les grandes entreprises françaises du droit suisse, du droit anglais ou du droit de l'État de New York, utilisés en fonction de la nature de leurs relations commerciales et de leur secteur d'activité, et inciterait encore moins les entreprises étrangères à choisir le droit français, pour leurs contrats internationaux. En effet, le renforcement du rôle du juge sur le contrat, qui est source d'imprévisibilité et d'aléa judiciaire dans l'exécution du contrat, serait un symbole négatif pour l'attractivité du droit français. Certains ont considéré que les modes alternatifs de règlement des litiges s'en trouveraient davantage utilisés en matière contractuelle.

Certes, l'idée sous-jacente de ces nouvelles prérogatives du juge est de mieux protéger la partie faible au contrat, selon un principe de « justice contractuelle » 21 ( * ) , mais c'est sans doute là qu'il faut voir, pour votre rapporteur, la dimension la plus politique et la plus novatrice d'une réforme pourtant présentée comme essentiellement technique pour justifier le recours à une ordonnance. Alors que l'habilitation n'était pas aussi explicite sur de telles innovations, celles-ci auraient justifié à elles seules l'examen de la réforme par le Parlement .

Dans son rapport, notre collègue Thani Mohamed Soilihi considérait d'ailleurs que « la réforme du droit des obligations pose des questions politiques majeures, qu'il revient au seul Parlement de trancher », s'agissant en particulier de « l'équilibre à retenir entre l'impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge, ou une modification des termes du contrat, et celui qui s'attache à l'autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu'une partie reste tenue par ces engagements, même s'ils lui deviennent défavorables ».

Certes circonscrites, ces innovations modifient l'esprit du droit des contrats dans le code civil , en l'éloignant de l'idée d'équilibre et d'égalité des parties 22 ( * ) , alors qu'il appartient aux droits spéciaux - baux d'habitation et baux commerciaux, code de la consommation... - d'appréhender les cas de relations contractuelles structurellement déséquilibrées.

Néanmoins, dès lors que l'ordonnance, globalement bien reçue par la doctrine et par les praticiens, consolide, modernise et clarifie le droit des contrats, sans le bouleverser ni constituer une rupture, et que très peu de dispositions demeurent sérieusement contestées, la ratification n'en est que moins difficile pour votre commission, à condition toutefois d'apporter les corrections de nature à répondre aux critiques les plus fondées.


* 17 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000032004539

* 18 Rapport au Président de la République.

* 19 Ibid .

* 20 Voir les articles 1128 et 1162 du code civil, qui précisent que la validité du contrat est subordonnée à un « contenu licite et certain » et que le contrat « ne peut déroger à l'ordre public (...) par son but ».

* 21 Rapport au Président de la République.

* 22 Dans la présentation de son avant-projet, en 2005, Pierre Catala indiquait ainsi :

« Le droit civil est un droit d'équilibre, pareillement soucieux des intérêts en présence, sans a priori favorable à l'une ou l'autre partie. C'est à d'autres codes ou lois qu'incombe le soin de régler la balance contractuelle vers plus d'efficacité ou de sécurité, en fonction des situations juridiques en cause et de l'utilité sociale recherchée. »

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