B. LA PARTICIPATION DU PUBLIC : DE QUOI PARLE-T-ON ?

1. Le cadre général de la participation du public avant l'ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016

L'adoption de la loi n° 83-630 relative à la démocratisation des enquêtes publiques , dite « loi Bouchardeau » a été la première étape majeure en matière de participation du public aux décisions ayant un impact sur l'environnement. En modernisant la procédure d'enquête publique, précédemment centrée sur la protection de la propriété privée, cette loi a étendu son périmètre aux « aménagements, d'ouvrages ou de travaux, exécutés par des personnes publiques ou privées [...] lorsqu'en raison de leur nature, de leur consistance ou du caractère des zones concernées, ces opérations sont susceptibles d'affecter l'environnement ».

Une seconde étape significative a été la création de la procédure de débat public par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », qui a par ailleurs créé la Commission nationale du débat public (CNDP).

Cette procédure a été profondément modifiée par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. La CNDP est alors devenue une autorité administrative indépendante 11 ( * ) , « chargée de veiller au respect de la participation du public au processus d'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement d'intérêt national [...] dès lors qu'ils présentent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l'environnement ou l'aménagement du territoire » (art. L. 121-1 du code de l'environnement).

Le développement de la participation du public aux décisions dans le domaine de l'environnement s'appuie également sur le droit international et européen .

La convention internationale d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée le 25 juin 1998 et ratifiée par la France en 2002, a guidé les évolutions législatives en France, en particulier son article 6. Le droit européen prévoit également une participation du public aux décisions ayant un impact sur l'environnement, notamment la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 mai 2003 prévoyant la participation du public lors de l'élaboration de certains plans et programmes relatifs à l'environnement.

Le droit de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement dispose par ailleurs d'un fondement constitutionnel, depuis l'adoption de la Charte de l'environnement et son intégration au bloc de constitutionnalité en 2005 12 ( * ) .

CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT

Article 7

« Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. »

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « loi Grenelle 2 », a renforcé les dispositions relatives à la consultation du public, sans en changer la structure générale. Elle confirme une pratique existante, en prévoyant la désignation d' un garant chargé de veiller à ce que la concertation recommandée par la CNDP - lorsqu'elle estime qu'un débat public n'est pas nécessaire - permette au public de présenter ses observations et contre-propositions (art. L. 121-9). Au stade de la participation en aval, la loi a également créé une procédure de mise à disposition du public pour les projets, plans et programmes soumis à évaluation environnementale mais exemptés d'enquête publique.

Par ailleurs, la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 et l'ordonnance n° 2013-714 du 5 août 2013 relatives à la mise en oeuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement ont créé une procédure de mise à disposition du public pour les décisions ayant une incidence sur l'environnement, et non soumises à une procédure particulière de participation du public.

a) La participation du public à l'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire

La participation du public à l'élaboration d'un projet peut prendre deux formes principales : le débat public ou la concertation préalable . L'objectif est alors de permettre au public de s'exprimer sur l'opportunité du projet, lors des phases d'étude, et en amont de toutes les décisions majeures pour le projet.

Le périmètre des projets concernés correspond aux projets d'aménagement ou d'équipement qui, par leur nature, leurs caractéristiques techniques ou leur coût prévisionnel répondent à des critères ou excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'État (art. L. 121-8). Défini par le tableau annexé à l'article R. 121-2, ce champ comprend notamment les projets d'autoroutes et de lignes ferroviaires, de pistes d'aérodromes et d'infrastructures portuaires, de lignes électriques et de canalisations de gaz naturel, d'installations nucléaires de base, de barrages hydroélectriques et de grands équipements.

Dès lors qu'un projet relève d'une de ces catégories et répond aux seuils et critères prévus, il doit faire l'objet d' une saisine de la CNDP , chargée de veiller à la participation du public pour de tels projets.

Un débat public est une procédure qui dure de 4 à 6 mois, organisée par la CNDP qui crée pour cela une commission particulière. La concertation préalable est une procédure alternative au débat public. Le choix du format incombe à la CNDP, en fonction des enjeux du projet (art. L. 121-9) 13 ( * ) . Lorsqu'elle recommande une concertation préalable, elle peut désigner un garant , chargé de veiller à l'information et à la participation effectives du public.

Pour les projets relevant des catégories visées par l'article R. 121-2 mais d'importance moindre, le maître d'ouvrage décide de saisir ou non la CNDP . Dans le second cas, il lui incombe de rendre public son projet et de préciser les modalités de concertation préalable qu'il souhaite retenir. Pour ces projets, la CNDP peut également être saisie par dix parlementaires, une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités, ou une association de protection de l'environnement agréée au niveau national (art. L. 121-8).

L'article L. 121-16 prévoit par ailleurs la possibilité pour le porteur du projet , le cas échéant à la demande de l'autorité administrative, d'organiser une concertation préalable, sans toutefois que le contenu de cette initiative soit particulièrement précisé par le code de l'environnement. En pratique, cette procédure a été peu utilisée.

b) La participation du public aux décisions publiques susceptibles d'avoir un impact sur l'environnement

La participation du public lors de la demande d'autorisation d'un projet , ou d'approbation d'un plan ou programme, s'appuie principalement sur la procédure d' enquête publique 14 ( * ) .

Conduite par un commissaire-enquêteur, ou une commission d'enquête pour les dossiers importants, désigné par le président du tribunal administratif, elle s'appuie sur un dossier mis à disposition du public, composé notamment de l'étude d'impact pour un projet ou d'une évaluation environnementale  pour un plan ou programme. L'enquête publique se conclut par un rapport d'enquête, qui vise à éclairer l'autorité compétente lors de la prise de décision.

Pour tous les projets, plans ou programmes faisant l'objet d'une évaluation environnementale mais n'étant pas soumis à enquête publique, une procédure de mise à disposition du public est prévue, afin d'assurer l'information et la participation du public prévues par la Charte de l'environnement (art. L. 122-1-1 et L. 122-8). Une procédure analogue est prévue pour les décisions ayant une incidence sur l'environnement mais non assujetties à une procédure particulière de participation du public (art. L. 120-1 à L. 120-3).

À un stade avancé d'élaboration des projets, une procédure de consultation locale a été créée par l'ordonnance n° 2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement. Prévue aux articles L. 123-20 à L. 123-33 du code de l'environnement, cette consultation est déclenchée à l'initiative de l'Etat sur « un projet d'infrastructure ou d'équipement susceptible d'avoir une incidence sur l'environnement dont la réalisation est subordonnée à la délivrance d'une autorisation relevant de sa compétence, y compris après une déclaration d'utilité publique » (art. L. 123-20). Ces dispositions visaient en particulier à permettre l'organisation d'une consultation sur le projet de déplacement de l'aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes .

2. Une volonté de renforcer et de moderniser la démocratie environnementale

Face aux blocages, tensions et incidents, parfois tragiques, observés sur certains projets d'aménagement ou d'équipement emblématiques, résultant de désaccords profonds en matière de protection de l'environnement, le président de la République a annoncé des travaux de modernisation et de renforcement du dialogue environnemental , lors de l'ouverture de la troisième conférence environnementale le 27 novembre 2014.

En matière de participation du public, une commission spécialisée sur la démocratisation du dialogue environnemental a été créée au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE), présidée par notre collègue Alain Richard, et composée de représentants de l'État, des collectivités territoriales, des salariés et des employeurs, d'ONG, de parlementaires et d'experts. Comme le rappelle la lettre de mission, le fil directeur de cette commission était « de renforcer les procédures existantes, d'assurer la transparence du débat public, sans en allonger les délais » 15 ( * ) .

Ces travaux ont été menés parallèlement à ceux dirigés par Jacques Vernier sur l'évaluation environnementale et par Jean-Pierre Duport sur l'autorisation environnementale unique. Ils se sont par ailleurs appuyés sur les travaux du groupe de travail dirigé par Gérard Monédiaire sur la participation du public. La commission a remis son rapport à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie le 3 juin 2015, intitulé « Démocratie environnementale : débattre et décider ».

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT DE LA COMMISSION SUR LA DÉMOCRATISATION DU DIALOGUE ENVIRONNEMENTAL

Au préalable, le rapport propose un bilan nuancé des modalités existantes de la participation du public , soulignant en particulier : « la très grande majorité des projets d'initiative privée ou publique va à son terme normal dans de bonnes conditions [...] cependant, l'émergence d'oppositions vives et persistantes à des projets d'importance et d'enjeux divers témoigne aussi des difficultés que peut rencontrer le dialogue environnemental dans des cas certes limités mais très souvent symboliques ».

Tout en reconnaissant l'utilité de l'enquête publique et de la mise à disposition du public, au stade de l'autorisation ou de l'approbation des projets, plans et programmes, le rapport recommande d' accroître dans son ensemble la participation du public en amont , au stade de leur élaboration.

Il relève notamment que la participation préalable pour les plans et programmes est d'autant plus indispensable que ceux-ci constituent « les motivations fondatrices des grands équipements d'énergie ou de transports, par exemple », qui font souvent l'objet de conflits au stade du projet ; conflits accrus par un sentiment d'irréversibilité lorsque la discussion préalable a été absente ou insuffisante.

Afin de proportionner la participation préalable aux enjeux , le rapport propose de systématiser la concertation amont pour les plus grands projets, plans et programmes, sous l'égide de la CNDP, et de soumettre à plusieurs options l'engagement de la concertation sur les projets « moyens » ou « locaux », en évitant de mettre en place une procédure préliminaire généralisée.

Pour cela, le rapport préconise en particulier :

- de généraliser la saisine de la CNDP pour les plans et programmes d'importance nationale et régionale, sans nécessité de changer significativement le régime applicable aux grands projets, déjà soumis à cette procédure ;

- de diversifier les possibilités d'engagement d'une concertation préalable pour les projets, plans et programmes de moindre ampleur (par le maître d'ouvrage, l'autorité compétente ou le public par un droit d'initiative), sans la systématiser ;

- de créer à ce titre un droit d'initiative au profit des citoyens, collectivités ou associations , en fixant des conditions de représentativité et en soumettant cette demande de concertation à la validation d'une autorité publique ;

- d'exiger des maîtres d'ouvrage de projets d'initiative publique l'élaboration d' une « déclaration d'annonce de projet » pour informer le public de l'existence du projet et permettre l'exercice du droit d'initiative ;

- d'établir un socle commun d'objectifs et de garanties associées au principe de participation du public ;

- de renforcer le rôle de tiers-garant dans la participation préalable, assuré par la CNDP ou par une personnalité présentant une qualification adaptée.

Attachée à proposer des évolutions équilibrées en matière de démocratie environnementale, afin de permettre aux divergences de s'exprimer dans le droit, la commission conclut ainsi son rapport : « Un débat, même mené en temps utile et entouré de garanties de loyauté, n'efface pas les divergences d'appréciation et d'intérêts, pas plus que la concertation ne supprime toute contestation . Elle croit seulement que la clarté et la largeur de la concertation menée suffisamment tôt réduisent les incompréhensions et écartent les causes de conflit liées au déficit d'information et à l'apparition de solutions déjà tranchées devant un problème aux enjeux complexes . »


* 11 La CNDP est composée de 25 membres, nommés pour un mandat de 5 ans, renouvelable une fois. En 2017, elle est dotée d'un budget de 3,45 millions d'euros et de 9 ETPT.

* 12 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement.

* 13 À titre d'illustration, en 2013 la CNDP a été saisie de 9 projets, dont 8 ont donné lieu à une forme de concertation : 4 débats publics et 4 concertations préalables.

* 14 D'après la fiche d'impact de l'ordonnance, le nombre annuel d'enquêtes publiques est estimé à 5 550 en moyenne, ainsi réparties entre les différentes catégories de maîtres d'ouvrage : 20 % pour les entreprises, 75 % pour les collectivités territoriales, 5 % pour l'État.

* 15 Lettre de mission de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie adressée à M. le sénateur Alain Richard, 4 février 2015.

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