B. L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE : DE QUOI PARLE-T-ON ?

1. Le cadre de l'évaluation environnementale avant l'ordonnance du 3 août 2016
a) L'évaluation environnementale des projets
(1) Au niveau européen : le principe de l'évaluation environnementale des projets posé par la directive du 27 juin 1985

C'est la directive n°85/337 du 27 juin 1985 modifiée par la directive n° 97/11 du 3 mars 1997 et la directive n°2003/35/CE du 26 mai 2003 qui définit l'évaluation environnementale des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés.

L'article 2 de la directive de 1985 fixe le principe de cette évaluation : « les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l'octroi de l'autorisation, les projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences » .

Dès 1985 donc, le droit européen pose le principe d'une démarche visant à évaluer les effets et incidences sur l'environnement d'un acte autorisant un projet de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements. Cette démarche prend sa place au sein du processus décisionnel, en amont de la décision et a pour but d'éclairer les différents acteurs concernés.

La directive prévoit que cette évaluation des incidences peut être intégrée dans les procédures existantes d'autorisation des projets des États membres ou, à défaut, dans d'autres procédures. En outre, « les États membres peuvent prévoir une procédure unique et peuvent exempter en totalité ou partie un projet spécifique des dispositions de la directive » , dans des conditions strictement encadrées par l'article 3 de la directive n° 2003/35/CE du 26 mai 2003.

L'article 6 de la directive de 1985 impose aux États membres de prendre des mesures pour que « les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation » . Ces autorités à consulter systématiquement ou au cas par cas doivent recevoir un certain nombre d'informations listées par l'article 5 (descriptif du projet, description des mesures envisagées pour éviter et réduire les incidences négatives importantes et si possible y remédier, les données nécessaires pour identifier et évaluer les effets principaux que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement).

La jurisprudence européenne a jugé que cette obligation d'évaluation environnementale concernait principalement les projets susceptibles d'avoir des « incidences notables » sur l'environnement .

Enfin, la directive distingue deux cas de figure :

- les projets soumis à une évaluation environnementale systématique ;

- les projets faisant l'objet d'un examen au cas par cas .

La liste des projets systématiquement soumis à évaluation environnementale (exemple : les raffineries de pétrole brut, les centrales nucléaires, etc.) figure dans les annexes de la directive.

La directive du 27 juin 1985 a été abrogée par la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, elle-même modifiée par la directive 2014/52/UE du 16 avril 2014.

(2) En droit interne : le Grenelle de l'environnement a introduit le principe de l'« examen au cas par cas »

Avant l'ordonnance du 3 août 2016, le régime juridique de l'évaluation environnementale se caractérisait par la distinction de trois situations :

- étude d'impact systématique ;

- examen au cas par cas de la nécessité ou non d'une étude d'impact ;

- pas d'étude d'impact en dessous de certains seuils.

Aux origines du régime juridique de l'évaluation environnementale en France, on trouve deux lois fondatrices de 1976 :

- la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ;

- la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement .

Ces deux textes législatifs ont posé les premières règles applicables à l'étude d'impact et ont fait de la France un pays précurseur en matière d'évaluation environnementale préalable à l'autorisation d'un projet susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant même les premières directives européennes sur le sujet.

À la suite de la publication de la directive européenne de 1985, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 dite « Grenelle II » (article 230) et le décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011 portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagement ont remanié et enrichi les règles applicables en :

- introduisant, en droit national, pour certains projets, un examen « au cas par cas » ;

- introduisant une liste des projets relevant du champ de l'évaluation environnementale : le tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement distingue les projets soumis à étude d'impact de façon systématique de ceux qui y sont soumis « au cas par cas » : ainsi par exemple, sont soumises de façon systématique à une étude d'impact les installations destinées à la production d'énergie hydroélectrique d'une puissance maximale brute totale supérieure à 500 kW (les autres sont soumises à un examen au cas par cas), ou encore les constructions de lignes aériennes d'une tension égale à 63 kilovolts et d'une longueur de plus de 15 kilomètres (les autres sont soumises à un examen au cas par cas) ;

- établissant un lien entre « évaluation environnementale » et « enquête publique » en prévoyant que l'enquête publique est la procédure de participation du public de droit commun pour les projets faisant l'objet d'une étude d'impact.

Toutes ces dispositions sont codifiées au sein du chapitre II « Évaluation environnementale » du titre II du livre I er du code de l'environnement ( articles L. 122-1 et suivants ) ainsi qu'aux articles R. 122-1 et suivants de la partie réglementaire du code.

En outre, depuis la loi Grenelle, l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement prévoit qu'un « cadrage préalable » peut être rendu à la demande du maître d'ouvrage avant la demande d'autorisation.

b) L'évaluation environnementale des plans et programmes
(1) Au niveau européen : le principe de l'évaluation environnementale pour certains plans et programmes posé par la directive du 27 juin 2001

La directive n° 2001/42/CE du 27 juin 2001 fixe le principe de l'évaluation environnementale pour certains plans et programmes susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (article 3).

Lorsqu'une évaluation environnementale est requise, un « rapport sur les incidences environnementales » doit ainsi être élaboré (article 5) « dans lequel les incidences notables probables de la mise en oeuvre du plan ou du programme, ainsi que les solutions de substitution raisonnables tenant compte des objectifs et du champ d'application géographique du plan ou du programme, sont identifiées, décrites et évaluées. » La liste de ces informations figure dans l'annexe I de la directive. Un résumé non technique de ces informations doit être également fourni.

Ce rapport doit être mis à disposition des autorités responsables de l'environnement et du public pour avis.

L'article 9 prévoit également une obligation d'information sur la décision des autorités consultées sur le fondement de l'article 6, et du public.

(2) En droit interne : l'ordonnance du 3 juin 2004

La directive du 27 juin 2001 a été transposée en droit français par l'ordonnance n° 2004-489 du 3 juin 2004 .

L'article L. 122-4 du code de l'environnement prévoit que font l'objet d'une évaluation environnementale au regard des critères de la directive de 2001, « les plans, schémas, programmes et autres documents de planification susceptibles d'avoir des incidences sur l'environnement qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation de travaux ou prescrire des projets d'aménagement, sont applicables à la réalisation de tels travaux ou projets » .

Le tableau annexé à l'article R. 122-7 du code de l'environnement liste les plans, schémas, programmes et autres documents de planification devant faire l'objet d'une évaluation environnementale et ceux devant faire l'objet d'une évaluation environnementale au cas par cas (dont la procédure est définie à l'article R. 122-18), comme par exemple le plan de prévention des risques technologiques et le plan de prévention des risques naturels prévisibles. Dans le cas où une évaluation est décidée par l'autorité administrative de l'État compétente en matière d'environnement, la personne publique chargée de l'élaboration du plan, schéma, programme ou document de planification peut consulter cette autorité administrative sur l'ampleur et le degré de précision des informations à fournir dans le rapport environnemental.

Enfin, l'article R. 122-20 du code de l'environnement fixe le contenu de l'évaluation environnementale .

2. La volonté de moderniser l'évaluation environnementale et de l'adapter au droit européen

En mars 2015, la Commission européenne a engagé une procédure précontentieuse contre la France en lui faisant grief de n'avoir pas achevé la transposition de la directive 2011/92/CE du 13 décembre 2011 (« directive projets ») concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. La Commission estimait alors que la liste de plans et programmes soumis à évaluation environnementale, incomplète et fermée, n'était pas conforme au droit de l'Union européenne.

En outre, la feuille de route pour la modernisation du droit de l'environnement 1 ( * ) , issue des États généraux de 2013, a abouti à la mise en place de plusieurs groupes de travail thématiques ciblés sur certains sujets sensibles.

Dans ce cadre, un groupe de travail , présidé par Jacques Vernier, a été dédié à l'évaluation environnementale . Il a rendu un rapport public en mars 2015, qui se fonde notamment sur des retours d'expérience.

L'un des reproches les plus fréquemment formulés à l'encontre du régime de l'étude d'impact antérieur à l'entrée en vigueur de l'ordonnance concernait la complexité du tableau de l'article R. 122-2 du code de l'environnement, qui consacre un type d'approche « par projet », alors même que la directive européenne privilégie une approche « par procédure ». Or, comme le relève le rapport Vernier, « cette entrée n'est guère logique car un projet doit nécessiter une étude d'impact en raison de ses caractéristiques et de son impact potentiel sur le milieu naturel et non pas seulement au regard de son régime administratif » . En effet, une zone d'aménagement concerté (ZAC) par exemple, n'a pas en soi un impact sur l'environnement en tant que procédure administrative. C'est l'impact potentiel sur l'environnement de tel ou tel projet envisagé dans son périmètre qu'il convient d'évaluer.

La complexité de ce régime, l'empilement des procédures et la redondance de certaines démarches administratives sont également pointés du doigt comme des facteurs d'allongement des délais, d'incertitude et d'absence de visibilité donc d'insécurité pour les porteurs de projets, voire de blocage des projets.

Au titre des conclusions du rapport, on retrouve donc l'idée que l'approche par projet, et non plus par procédure , permet de mieux évaluer l'ensemble des incidences sur l'environnement et d'éviter des études d'impact redondantes. Dans le cas d'un projet assujetti à plusieurs autorisations, le rapport préconise d'évaluer les impacts dès la première autorisation et au plus tard lors de la dernière autorisation. Il recommande également la possibilité de réaliser des procédures d'évaluation communes ou coordonnées entre plan/programme et projet.

En outre, le rapport Vernier montre que les critiques généralement formulées à l'encontre du régime d'examen au cas par cas (longueur des procédures, risque de contentieux) ne se vérifient pas à l'épreuve des faits.

Les principales propositions du rapport Vernier

1. Privilégier une entrée par « projet » et non plus par « procédure ».

2. Reprendre les définitions de la directive européenne et supprimer la notion de « programme de travaux ».

3. Créer une « clause-filet » permettant de déclencher une étude d'impact, même en-dessous des seuils, lorsque le milieu naturel est sensible.

4. Mettre en place, en l'absence de procédure adéquate, une procédure d'autorisation dite « supplétive » à même de porter les mesures destinées à éviter, réduire ou compenser les effets négatifs notables et à être précédée d'une participation du public.

5. Actualiser l'étude d'impact.


* 1 La modernisation du droit de l'environnement engagée par cette feuille de route repose sur une double démarche : simplifier le droit de l'environnement tout en maintenant un niveau de protection élevé et constant.

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