TRAVAUX DE LA COMMISSION

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I. AUDITION DE MME MURIEL PÉNICAUD, MINISTRE DU TRAVAIL

M. Alain Milon , président . - Je remercie Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, de venir répondre à nos questions sur le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, dont l'Assemblée nationale a terminé l'examen jeudi dernier.

Madame la Ministre, ce texte concerne notre législation du travail dans un grand nombre de domaines.

Nous avons bien compris que le Gouvernement entend renforcer le rôle de la négociation collective en entreprise, simplifier les institutions représentatives du personnel et réduire un certain nombre d'aléas juridiques pesant sur les procédures de licenciement.

Le projet de loi embrasse également d'autres sujets, comme le compte pénibilité ou le travail détaché, mais sur ces seuls trois thèmes centraux, il ouvre la perspective de multiples évolutions de la législation, sans qu'il nous soit possible, pour le moment, de véritablement mesurer la portée des changements que le Gouvernement retiendra dans les futures ordonnances.

En effet, parallèlement à l'examen parlementaire des habilitations demandées, vous menez une concertation avec les partenaires sociaux sur le contenu de ces ordonnances, les arbitrages devant être rendus avant la fin de l'été.

Cette méthode a suscité beaucoup d'interrogations lors de nos échanges, la semaine dernière, avec les organisations syndicales et patronales.

Il nous paraît donc important que vous puissiez aujourd'hui préciser les intentions du Gouvernement, au vu des concertations engagées depuis le mois de juin. Avez-vous d'ores et déjà privilégié, ou au contraire écarté, certaines options ? Quelles sont, sur les principaux sujets en débat, les différentes alternatives en discussion ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Je suis heureuse de vous présenter la méthode et le contenu de la réforme que nous entreprenons. Conformément à l'engagement de campagne du Président de la République, le Gouvernement a choisi d'aller vite, tant est forte l'attente de nos concitoyens pour une transformation de nos règles. Le code du travail vise des sujets structurants, la réforme aura des effets de long terme, en profondeur, ce qui n'enlève rien à son urgence.

Notre objectif, c'est de libérer la dynamique de création d'emplois, tout en confortant les protections des salariés, réformées pour correspondre au monde d'aujourd'hui et de demain. Nous recourons aux ordonnances parce qu'elles articulent la démocratie politique, avec le débat au Parlement sur les projets de loi d'habilitation puis de ratification - et la démocratie sociale, ce qui est bien le moins pour une loi dont l'objet est de renforcer la démocratie sociale : c'est le sens de la concertation que nous menons avec les partenaires sociaux. Les ordonnances sont ainsi co-construites avec les partenaires sociaux et le Parlement.

Le Président de la République a reçu les trois organisations patronales et les cinq organisations syndicales, puis le Premier ministre et moi-même les avons reçues à notre tour, puis je les ai reçues chacune à deux reprises sur les trois grands sujets que nous avons identifiés - soit 48 réunions depuis le 9 juin et jusqu'au 21 juillet ; cette méthode nous fait aller au fond, examiner les idées nouvelles, les convergences possibles ; à la fin de ce cycle, je rendrai compte de l'ensemble à chaque responsable des huit organisations concernées. Il y a, également, le temps du débat au Parlement, à l'Assemblée nationale et au Sénat, sur la loi d'habilitation. Puis notre objectif sera de rédiger les ordonnances pour fin août, de les transmettre et de les publier avant la fin de l'été, soit le 21 septembre prochain - ce pourrait être lors du conseil des ministres du 20 septembre. Les ordonnances sont d'application immédiate mais nous reviendrons au Parlement pour leur donner force de loi, grâce à la ratification.

Le débat parlementaire est partie prenante. Le projet de loi d'habilitation s'est enrichi de 45 amendements à l'Assemblée nationale, sur 424 proposés, ils sont venus de nombreux bancs ; nous savons combien vous avez travaillé en profondeur sur la réforme du code du travail ces dernières années : vos éclairages sont précieux, notre état d'esprit est d'en tenir tout à fait compte.

Pourquoi rénover le dialogue social dans notre pays ? Nous n'entendons pas toucher à notre modèle social, à ses valeurs profondes qui fondent la société française, mais prendre en compte le fait que la loi a surchargé de détails le dialogue social, au point de le freiner ; la réponse consiste à définir les principes qui fondent le socle à quoi nous tenons, et à ouvrir davantage le dialogue social. De fait, notre code du travail et nos pratiques de dialogue social prennent insuffisamment en compte l'internationalisation de l'économie et les mutations du travail qui sont devant nous - l'OCDE estime par exemple que, dans les dix ans à venir, la robotisation et la numérisation auront détruit un emploi d'aujourd'hui sur dix et transformé profondément un sur deux, tout en ne créant qu'un dixième des emplois d'aujourd'hui. Dès lors, soit on subit cette transformation, avec d'énormes problèmes d'adaptation, soit on l'anticipe en définissant un cadre, pour que notre pays appréhende le futur avec confiance - et la France a tous les atouts pour le faire, technologiques en particulier.

Ensuite, les aspirations des salariés ont évolué, c'est un fait générationnel mais qui touche l'ensemble des salariés : ils demandent à être davantage partie prenante sur leur formation, sur leur évolution professionnelle, sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, nous voulons en tenir compte.

Sur le fond, notre objectif c'est plus de liberté pour les entreprises afin de libérer leur potentiel de création d'emploi quand la croissance reprend, en particulier les TPE et PME, plus de liberté également pour les salariés, mais aussi une protection et une sécurité juridique mieux établies pour les salariés comme pour les entreprises, en particulier parce que nous aurons mis fin à l'insécurité juridique qui est un frein à l'embauche et qui fragilise les perspectives des salariés.

La réforme est un ensemble qui comprend six volets, sur lesquels nous voulons aboutir dans les prochains dix-huit mois.

Premier volet, la refonte du code du travail, c'est l'objet des ordonnances dont je vous présente la loi d'habilitation.

Deuxième volet, l'élargissement de l'assurance chômage, pour que le filet de sécurité qu'il représente bénéficie également aux indépendants et, sous certaines conditions, aux démissionnaires. Aujourd'hui, les protections sont liées aux statuts, ce qui était pertinent quand on avait un emploi à vie ; dès lors que cette forme d'emploi devient marginale, le système de protection par statut laisse de côté de plus en plus de nos concitoyens, dans les trous du filet. Mieux vaut, alors, une protection à la personne et des droits transportables, comme vous l'avez fait avec le compte personnalisé de formation.

Troisième volet, la formation professionnelle. Des réformes ont été prises dans la bonne direction, il faut aller plus loin.

Quatrième sujet, l'apprentissage : nous peinons à atteindre quatre cent mille jeunes apprentis, alors que c'est une voie primordiale pour la professionnalisation, il faut la développer.

Cinquième sujet, la réforme des retraites, que je ne vous présente pas ici.

Sixième sujet, le pouvoir d'achat, c'est en particulier le sens de la suppression des cotisations salariales pour le chômage et la maladie.

Ces six domaines d'action visent, ensemble, à libérer l'initiative économique, donc la création d'emplois, à sécuriser les parcours professionnels adaptés au monde d'aujourd'hui et de demain plutôt qu'attachés à celui d'hier.

Ce projet de loi comprend lui-même trois volets.

Premièrement, il clarifie le rôle de la loi, de la branche professionnelle et de l'entreprise dans le dialogue social, en y renforçant la branche et l'entreprise. L'agilité économique et le progrès social exigent d'être au plus près de l'échelon pertinent, les textes généraux ne peuvent régler les choses dans leur détail, il faut donner plus d'espace au dialogue social et économique : c'est le fil rouge de ce texte. Nous voulons clarifier et étendre le champ des responsabilités des branches professionnelles et des entreprises ; nous sommes parvenus à un accord sur ce point, la répartition est claire, elle va dans le sens de la confiance aux acteurs et de la dynamisation de l'entreprise.

Deuxième bloc, nous voulons réformer le dialogue social dans l'entreprise, avec la fusion des instances d'information-consultation et la recherche d'une solution pour le dialogue social dans les petites entreprises. Actuellement, notre pays compte, et c'est une exception, quatre modes de représentation des salariés, dont trois sont d'information et de consultation, et un de négociation; ce système est complexe, il occasionne des doublons et il sépare artificiellement le dialogue entre la stratégie d'un côté, les questions de santé et de travail d'un autre, et les problèmes du quotidien d'un autre côté encore. La fusion des trois instances d'information et de consultation permettra de débattre de l'articulation entre les questions économiques et sociales, d'avoir une vue d'ensemble - à condition, et nous voulons le garantir, de ne perdre aucune compétence dans la fusion, en particulier celles du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). En revanche, nous considérons qu'il n'est pas pertinent de fusionner ces trois instances avec celle de négociation proprement dite - ce qui n'interdira pas à certaines entreprises volontaires, avec accord majoritaire, d'expérimenter une telle fusion qui a cours dans les pays d'Europe du Nord, je suis convaincue que des entreprises s'y attèleront.

Dans le même bloc, se trouve le sujet de la représentation des salariés dans les petites entreprises, en particulier celles de moins de 50 salariés. Nous savons que sous ce seuil, où travaillent 55 % des salariés, seulement 4 % des entreprises disposent de délégués syndicaux ou de représentants du personnels mandatés par une organisation syndicale - ce qui revient à dire, et l'on ne peut s'en satisfaire que, pour la moitié des salariés, le dialogue social ne peut aboutir à des accords d'entreprise, alors qu'on a particulièrement besoin de souplesse dans ces entreprises. Sur ce sujet, diverses propositions sont formulées, vous y avez travaillé depuis plusieurs années, un débat public est nécessaire. Le dialogue social avec les organisations syndicales est une priorité, la France leur reconnaît un monopole en la matière, c'est notre loi, notre culture - et c'est aussi notre vision. Cependant, on ne peut se satisfaire de ce que 96 % des entreprises de moins de 50 salariés n'aient pas accès au dialogue social formalisé ; nous recherchons des solutions.

Troisième volet, la sécurisation juridique, où plusieurs sujets concernent les PME et TPE. Sur les dommages et intérêt prud'homaux, d'abord, il ne s'agit pas de modifier les indemnités légales et conventionnelles de licenciement mais d'établir un barème, assorti d'un plafond, qui serve de référence. Aujourd'hui, le montant des dommages et intérêts prud'homaux varie du simple au quadruple, c'est une source de préoccupation pour les entreprises mais aussi pour les salariés, qui y voient de l'injustice - c'est aussi une question d'équité. Le sujet tient aussi aux délais de recours et à l'importance prise par la procédure, par la forme, qui en est venue à prévaloir sur le fond : nous connaissons tous des exemples d'entreprises condamnées à des dommages et intérêts au seul motif qu'une lettre de licenciement était mal rédigée, avec des conséquences pécuniaires importantes et, plus durablement, une réticence à toute embauche... Notre but, comme cela s'est passé avec le renforcement de la médiation, c'est de renforcer l'amont de la négociation - nous le faisons aussi en augmentant les indemnités légales de licenciement, qui sont parmi les plus basses dans les pays d'Europe.

Quatrième volet, le télétravail : 18 % des salariés y recourent en général un jour par semaine, la demande de la société est très forte puisque 59 % des salariés - et 71 % des cadres - souhaiteraient y recourir pour mieux s'occuper d'un proche, pour s'épargner des temps de transport mais le défaut de cadre juridique sécurisé les freine, il faut avancer sur ce dossier.

Qu'il s'agisse donc de renforcer la place de la branche professionnelle et de l'entreprise dans les négociations sociales, de fusionner les instances représentatives du personnel, de réformer les indemnités prud'homales et d'instaurer un cadre sûr pour le télétravail, notre objectif est le même : envoyer un signal fort aux entreprises pour qu'elles osent davantage l'embauche et aux salariés pour qu'ils voient leur parcours professionnel sécurisé, dans les conditions actuelles du travail.

M. Alain Milon , président . - Merci pour cette présentation. Vous soulignez notre travail sur le sujet : effectivement, nous avons eu à examiner pas moins de cinq lois en quelques années touchant au code du travail - et nous n'avons pas, nous, à subir le 49.3...

Vous envisagez de donner par ordonnance plus de place à l'accord d'entreprise par rapport à l'accord de branche. Quel sera le champ exact de cette ordonnance ? L'ensemble du code du travail sera-t-il concerné ou seulement certaines de ses thématiques ?

Comment comptez-vous faciliter la conclusion d'accords collectifs dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical ? Quel regard portez-vous sur le mandatement ?

Dans le cadre de la simplification des IRP, quelle pourrait être la place du délégué syndical dans la nouvelle instance unique ? Cette dernière reprendra-t-elle l'intégralité des missions actuelles du CHSCT et disposera-t-elle des mêmes prérogatives, notamment en matière de recours à l'expertise ?

Où en est le travail gouvernemental sur la définition du référentiel obligatoire pour fixer l'indemnité en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ? Quel pourrait être son plafond : 18 ou 24 mois de salaire ?

Ne pensez-vous pas qu'il est aujourd'hui temps de mettre en oeuvre une profonde réforme de la juridiction prud'homale compte tenu des résultats mitigés des mesures prises depuis 2013 pour développer la conciliation ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - La réforme ne diminue pas le rôle de la branche professionnelle par rapport à l'entreprise, ni l'inverse, elle renforce les deux échelons - la concertation a bien mis en lumière la nécessité, en particulier, de renforcer la branche et la réforme ne consiste certainement pas à affaiblir un échelon vis-à-vis de l'autre.

En l'état actuel de la concertation, les branches professionnelles se verront confirmer trois domaines : d'abord les thèmes qui lui reviennent naturellement, comme les minimas conventionnels, les classifications, la mutualisation des financements paritaires, ou encore les complémentaires santé et les compléments d'indemnité journalière ; nous y ajoutons l'égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que ce que nous appelons la gestion de la qualité de l'emploi - en particulier la durée minimum de travail à temps partiel et des compléments d'heure, la nouvelle régulation des contrats courts CDD et intérim, ou encore les conditions de recours au CDI de chantier. Ce premier bloc est « verrouillé » : à défaut d'un accord de branche, la loi s'applique dans son texte même.

Un deuxième bloc regroupe des thèmes où la branche peut négocier mais aussi décider si sa décision prime, ou non, sur l'accord d'entreprise : y figureront par exemple le handicap, la prévention des risques professionnels, la pénibilité, les conditions et les moyens d'exercice d'un mandat syndical, la reconnaissance des compétences acquises et les évolutions de carrière ; la contrepartie d'un dialogue social renforcé, c'est que les partenaires sociaux soient en mesure de l'exercer.

Enfin, troisième bloc, les autres domaines où la priorité est donnée à l'accord d'entreprise.

Dans cette architecture, l'entreprise négocie sur plusieurs sujets simultanément, ce qui respecte mieux les réalités car les sujets sont liés - la négociation en voit ses marges de manoeuvre améliorées, cela permet d'aller bien plus loin, l'exemple des entreprises innovantes socialement le montre bien.

Les ordonnances énonceront ces principes, cette architecture, les branches s'en saisiront. Leur structuration même est en train de changer, nous sommes passés de 750 à 650 branches et notre objectif est de parvenir à 200 - nous envisageons d'en accélérer le calendrier.

Comment organiser le dialogue social dans les entreprises de moins de 50 salariés ? La concertation n'est pas encore parvenue à un accord, plusieurs hypothèses sont autour de la table, nous y travaillons.

La fusion des IRP d'information et de consultation, c'est-à-dire du comité d'entreprise, des délégués du personnel et du CHSCT, en un comité économique et social, s'effectuera avec transfert intégral des compétences, y compris la possibilité d'ester en justice et de recourir à l'expertise. Cependant, le fait de discuter ensemble sur l'économie, le social et les conditions de travail va changer la nature des discussions. Il y aura moins de personnes mandatées et il faudra d'autant plus renforcer leur accès aux ressources de formation, aux compétences dont elles auront besoin.

Sur le plafonnement des dommages et intérêts, nous écoutons les points de vue, nous n'avons pas fixé le plafond. Les dommages et intérêts ne seront pas plafonnés en cas de discrimination et de harcèlement car il s'agit là non pas du droit du licenciement mais d'atteinte à l'intégrité de la personne.

La Chancellerie nous a communiqué son étude sur les dommages et intérêts prud'homaux, elle établit les disparités fortes entre jugements, la nécessité de renforcer la sécurité juridique : nous la tenons à votre disposition.

M. Philippe Mouiller . - La concertation s'étend jusqu'au 21 juillet, vous prévoyez d'en communiquer une synthèse le 25 mais nous examinons le projet de loi dès le 24 en séance publique : pourrait-on disposer d'une synthèse avant nos travaux pléniers ?

Dans les entreprises de moins de 50 salariés, ensuite, comment se servir d'outils comme le référendum d'entreprise, s'il n'y a ni délégué syndical, ni représentant du personnel ? Comment donner plus de souplesse à ces petites entreprises pour adapter l'accord de branche ?

Comment assurer que, devant les prud'hommes, le fond prime sur la forme ?

Vous prévoyez, ensuite, de remettre à plat les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), alors qu'elles viennent tout juste d'être installées : pourquoi ne pas attendre au moins qu'elles produisent leurs effets ?

Des contrats de chantier seront possibles, c'est utile, mais ne faut-il pas également prévoir un type de contrat en cas de croissance de l'activité forte et soudaine, qui demande à l'entreprise de mobiliser des bras mais où le recours au CDI peut faire peur ?

M. Yves Daudigny . - Les enquêtes montrent que les chefs d'entreprises placent l'incertitude économique, parmi les freins à l'emploi, loin devant la règlementation du travail : dans ces conditions, qu'est-ce qui vous assure que la réforme du droit du travail améliorera la situation de l'emploi ?

Quelles modifications allez-vous apporter au régime juridique du licenciement lié au refus par le salarié de l'application d'un accord d'entreprise sur son contrat de travail ? La question est complexe, mais ce que vous semblez envisager est source d'inquiétude.

Quelle est votre position sur le référendum à l'initiative de l'employeur pour l'obtention d'un accord, demandé par certaines organisations patronales ?

Mme Catherine Génisson . - Avez-vous des études qualitatives qui démontrent qu'une lourdeur du code du travail empêcherait réellement l'embauche quand les entreprises ont de l'activité ? On parle beaucoup d'un poids excessif des règles mais on ne nous démontre jamais qu'elles dissuadent effectivement l'embauche...

Vous avez lancé une concertation sociale pour « co-construire » les ordonnances, vous parlez de convergences ponctuelles mais vous n'êtes pas dans une configuration de négociation sociale - et nous allons devoir voter une loi d'habilitation sans bien savoir où l'on va : pourquoi ne pas avoir commencé par une étude d'impact de la loi « Travail » ?

Le CHSCT, ensuite, n'a-t-il pas une vocation particulière, lui qui évoque les questions de santé, d'organisation du travail ? Quid, ensuite, de la médecine du travail ?

Ne craignez-vous pas, enfin, une sorte de professionnalisation des élus dans la nouvelle instance représentative, ce qui les éloignerait des conditions réelles de travail ?

M. Jean-Marie Morisset . - On ne peut que partager les objectifs de lisibilité, de souplesse, de négociation au plus près du terrain. Cependant, comment faire dans les entreprises de moins de 50 salariés ? Pourquoi, ensuite, remettre à plat les CPRI, qui se sont à peine installées ? Quel lien avec la relance du dialogue social dans les petites entreprises ?

Le comité d'orientation sur les conditions de travail a été consulté sur le compte pénibilité : quel a été le résultat de cette consultation ?

L'article 2 évoque des seuils d'effectifs pour la fusion des IRP : quels seront-ils ?

Dans quel ordre, ensuite, le Gouvernement compte-t-il présenter la série de textes que vous nous annoncez pour les dix-huit prochains mois ? Disposera-t-on au moins d'une synthèse de la concertation en cours avant la publication des ordonnances ?

Mme Michelle Meunier . - Comme membre de la délégation aux droits des femmes, je me félicite que l'égalité entre les hommes et les femmes relève du bloc où l'accord de branche s'impose aux accords d'entreprise. Cependant, ne craignez-vous pas que la fusion des IRP ne fasse perdre des compétences sur l'égalité professionnelle entre les sexes ? L'application concrète des règles exige la plus grande vigilance mais les négociateurs sont en grande majorité des hommes, c'est un sujet d'inquiétude.

Mme Laurence Cohen . - Vous vantez la flexibilité, rien de nouveau puisque, dans les années 1980 déjà, le travail à temps partiel était présenté comme une chance : en réalité, ce sont surtout des femmes peu qualifiées qui travaillent à temps partiel et 70 % des salariés se déclarent en sous-emploi - n'est-ce pas la preuve que la flexibilité ne réduit pas les inégalités ?

Comment, ensuite, allez-vous financer l'ouverture de l'assurance chômage aux démissionnaires, qui est une bonne idée ?

Vous affirmez vouloir renforcer le dialogue social et vous constatez que la plupart des petites entreprises sont dépourvues de délégué syndical ; vous savez que ce défaut tient pour beaucoup au lien de subordination salariale, au fait que les salariés craignent pour leur place s'ils se syndiquent. Dès lors, pourquoi ne renforcez-vous pas le pouvoir des salariés dans l'entreprise, en les associant aux décisions stratégiques de l'entreprise ?

Enfin, vous dites qu'il faut un débat public pour renforcer le dialogue social, mais alors, pourquoi recourir aux ordonnances ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - La concertation est en cours sur le dialogue social dans les petites entreprises. Nous privilégions la négociation avec les délégués syndicaux, bien entendu, ou les salariés mandatés mais quand il n'y en a pas, ce qui est le cas de 96 % des petites entreprises, il faut trouver une solution, via le délégué du personnel et un référendum par exemple, avec l'idée que les délégués iront de plus en plus vers les syndicats, surtout si on les aide à se former davantage. Nous n'ignorons pas l'existence du lien de subordination, l'appartenance syndicale est un moyen de le contourner, c'est bien pourquoi nous voulons renforcer l'accompagnement des syndicats - c'est la raison d'être du fonds pour le financement du dialogue social.

La question des seuils, à l'article 2, n'a pas été soulevée par les partenaires sociaux, nous ne l'avons pas encore mise dans la discussion.

Les CPRI viennent tout juste d'être initiées... il y a 18 jours à peine, c'est dire qu'il est urgent d'attendre. Nous prévoyons simplement, par précaution, de les faire entrer dans le champ des ordonnances, pour le cas où ce soit utile.

Faire primer le fond sur la forme devant les prud'hommes ? C'est très important, en particulier pour les plus petites entreprises, nous y travaillons. Il faut trouver des moyens pour évacuer le vice de forme en droit et dans la procédure même, nous y travaillons.

Les CDI de chantier existent dans le BTP, nous voulons les développer, sous contrôle. Ils seront très utiles aux salariés - il s'agit bien de CDI, c'est déterminant pour accéder au logement, aux emprunts bancaires, et ce CDI fera sortir de séries de CDD multiples - mais aussi aux entreprises, en particulier pour saisir les opportunités de marché ; je pense à la construction navale, où un gros chantier n'a pas pu être pris faute de souplesse sur l'emploi. Cependant, il faut prendre garde à ce que ce type de contrat ne devienne pas la norme : c'est le sens de l'encadrement que nous proposons, via la branche, comme vient de le faire la branche Syntec.

Vous avez évoqué une récente étude de l'Insee qui montre que le premier frein à l'embauche est l'absence de marché, le deuxième l'insuffisance des compétences, le troisième les coûts salariaux et le quatrième le code du travail et les incertitudes juridiques. Il faut donc travailler sur ces quatre leviers en passant du CICE à la baisse des charges et en améliorant les compétences : à l'automne, nous lancerons un grand plan d'investissement en faveur des compétences pour les jeunes et les demandeurs d'emploi, notamment sur le numérique et la transition énergétique. Nous inciterons les branches et les entreprises à travailler sur les bons niveaux de qualification. Enfin, le droit du travail est évoqué par un tiers des sondés.

Ces dernières années, j'ai travaillé sur la façon d'aider les PME à se positionner à l'international et sur la façon de faire venir les investisseurs étrangers. Nous disposons d'une étude menée année après année auprès de 1 000 investisseurs dans le monde : pour eux, le premier frein à l'investissement en France tient à la rigidité et à l'insécurité perçues et réelles du code du travail. Nous devons donc faire un travail sur la perception mais aussi sur le réel car certaines dispositions n'existent qu'en France, d'où un désavantage compétitif. Or, l'insécurité ne profite ni aux salariés, ni aux employeurs. Une clarification s'impose donc.

Que se passera-t-il si un salarié refuse l'application d'un accord d'entreprise ? Aujourd'hui, il existe cinq cas de figure selon qu'il s'agit de tel ou tel dispositif. La loi d'habilitation dit que l'accord prime sur le contrat mais la rupture individuelle devra être sécurisée en cas de refus du salarié d'accepter l'accord. L'abondement du compte personnel de formation pourrait sécuriser ces situations. Le collectif doit l'emporter sans pour autant oublier l'accompagnement individuel.

Un référendum d'entreprise du seul fait de l'employeur ne serait pas compatible avec les conventions de l'OIT et la France n'a pas vocation à s'en affranchir. Une interrogation demeure néanmoins pour les petites entreprises.

Le CHSCT aurait plus de poids s'il était fusionné au sein d'une instance unique. Il y a quelques années, j'ai commis un rapport avec Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric et Christian Larose de la CGT sur les risques psycho-sociaux, le bien-être et l'efficacité au travail. Nous avons beaucoup auditionné et nous sommes parvenus à la conclusion que 20 % des cas de risques psycho-sociaux étaient liés à des comportements individuels inappropriés et 80 % à des décisions structurelles liées au management de l'entreprise. Ainsi en va-t-il du management matriciel qui augmente les risques, comme de l'éloignement des centres de décisions... Or, le management ne relève que du comité d'entreprise alors que le CHSCT ne se préoccupe que des conséquences. Avec une vue d'ensemble, la prévention sera plus aisée, sous réserve de disposer de suffisamment de temps pour examiner les conditions de travail, de santé et de sécurité.

Vous avez voté une réforme en 2016 pour une meilleure complémentarité entre médecine du travail et autres professionnels de santé. Nous manquons de recul pour évaluer cette loi. La visite de reprise doit être organisée le jour même de la reprise, mais encore faut-il disposer de suffisamment de médecins du travail. L'Assemblée nationale a voté un amendement sur la question. Nous sommes tous d'accord sur cette question, mais il reste à la mettre en oeuvre. Une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a été diligentée sur le renforcement de l'attractivité de la médecine du travail. J'en discuterai avec ma collègue ministre de la santé.

Mme Catherine Génisson . - Et avec la ministre de l'enseignement supérieur !

Mme Muriel Penicaud, ministre . - Tout à fait.

La professionnalisation des représentants siégeant dans ces instances leur ferait perdre le contact avec le terrain. En revanche, ces représentants devront bénéficier de plus de formation et de plus de moyens.

L'égalité salariale entre les hommes et les femmes nous concerne tous. Quinze ans après le vote de la loi, cette égalité est toujours virtuelle : à travail égal, la différence de salaire est de 9 %. Je me penche sur cette question avec ma collègue secrétaire d'État aux droits des femmes. Les branches doivent toutes se mobiliser. En outre, les femmes sont plus sujettes à l'emploi précaire et au temps partiel. Les branches devront se préoccuper de la gestion et de la qualité de l'emploi. En outre, les entreprises ont leur rôle à jouer à l'occasion des négociations annuelles et triennales. Les bonnes pratiques doivent être mieux connues. C'est un sujet sur lequel il ne faudra rien lâcher.

Les lois, textes et accords sur la pénibilité ont abouti à la reconnaissance de dix facteurs, dont les quatre les plus importants devraient entrer en application en octobre. Autant il est de justice sociale que les salariés qui ont eu un emploi physique pénible partent deux ans plus tôt avec une retraite à taux plein, autant les modalités d'application de cette mesure nous ont paru ubuesques. Les TPE et les PME étaient extrêmement inquiètes de l'échéance d'octobre, se demandant comment chronométrer quotidiennement le nombre d'heures de port de charges lourdes de leurs salariés. Vu l'urgence à régler cette situation, nous avons donc choisi les ordonnances : les dix facteurs seront ainsi confirmés et les quatre critères d'ergonomie seront du ressort d'un examen médical ; les entreprises n'auront pas à les mesurer elles-mêmes, ce qui aurait été absurde. Enfin, grâce à l'examen médical, 10 000 salariés pourront partir à la retraite dès l'année prochaine alors que le dispositif prévu ne serait entré en application que dans 15 ou 20 ans.

Enfin, vous m'avez interrogé sur le calendrier de la réforme : les ordonnances seront publiées en septembre. Ensuite, nous ouvrirons les discussions sur la formation professionnelle, l'apprentissage et l'assurance chômage cet automne. Nous proposerons une loi sur la sécurisation des parcours professionnels au printemps 2018. La concertation sur les retraites durera plus longtemps avec, pour objectif, de voter un projet de loi à l'automne 2018. La suppression de la cotisation d'assurance chômage salariée interviendra au 1 er janvier 2018. Ce calendrier est donc très dense mais nous pensons que tous ces sujets sont liés et qu'il faut travailler à la fois sur l'agilité des entreprises mais aussi sur la sécurisation des parcours. Nous devons mener ces réformes structurelles rapidement pour pouvoir les mettre en oeuvre.

M. Dominique Watrin . - Sur le compte pénibilité, il suffit de lire les réactions de ceux qui s'opposaient à cette réforme : les organisations patronales ont eu gain de cause sur tous les points.

Votre réponse sur les ordonnances m'inquiète : ouvrir le champ des possibles, c'est bien pour un ministre mais les parlementaires souhaiteraient savoir ce qu'ils votent. Or, les ordonnances, c'est un chèque en blanc que vous nous demandez de signer.

J'ai du mal à comprendre la logique de ce projet de loi. Un député de la République en marche le justifiait en disant que le monde change. C'est un peu court. Pourquoi ne pas dire que la terre tourne ? Les Français veulent un emploi qui leur permette de vivre. Vous parlez de rigidité du code de travail. Mais 85 % des embauches se font en CDD ; et le nombre des CDD de moins d'un mois est passé de 1,5 million en 2010 à 4 millions en 2016. Quelle rigidité !

Dans les usines automobiles, plus de 50 % des salariés sont en intérim. Pour autant, il y 5 millions de chômeurs et 2 millions de précaires en France. Si le code du travail doit évoluer, il ne doit pas le faire dans le sens que vous préconisez.

Notre collègue Daudigny a rappelé la note de conjoncture de l'Insee. Pour les employeurs, le code du travail arrive en quatrième position comme frein à l'embauche. Occupons-nous des trois premiers freins !

L'OCDE, qui n'est pas un organisme particulièrement complaisant à l'égard du modèle social français, estime que la France est dans les moyennes européennes et mondiales pour les licenciements individuels et collectifs, les procédures, les préavis, les indemnités. En outre, l'Allemagne apparaît beaucoup plus rigide que notre pays et, pour autant, il y a moins de chômage qu'en France.

Vous aviez présenté dix propositions dans votre rapport sur le bien-être et l'efficacité au travail et vous y souhaitiez le renforcement des CHSCT. Aujourd'hui, vous demandez de les dissoudre dans une instance unique. Je ne comprends pas.

Mme Nicole Bricq . - M. Milon a rappelé que nous avions beaucoup labouré le champ de cette loi d'habilitation, avec les lois Rebsamen, Macron et El Khomri. Ce texte arrive au bon moment : il permettra d'accélérer la croissance qui repose en grande partie sur la confiance. Les organisations salariales et patronales, que nous avons auditionnées, estiment que l'article L. 1 du code du travail, issu de la loi Larcher, est respecté. C'est un bon point.

Un point ne manquait pas d'inquiéter : l'articulation entre les branches et le champ conventionnel laissé aux entreprises. Finalement, les choses se passent mieux que certains le pensaient, et c'est tant mieux.

Avez-vous eu, monsieur le président, communication de la lettre que le Premier ministre a envoyé aux partenaires sociaux sur le compte pénibilité ? Ce serait bien que nous puissions en disposer.

La concertation sur le C3P aura-t-elle bien lieu au niveau de la branche ?

Avec la barèmisation, la faculté d'appréciation du juge est amoindrie d'après certains juristes. Est-ce vraiment le cas ? Vous avez annoncé la semaine dernière aux partenaires sociaux que vous alliez augmenter les indemnités légales. C'est une bonne chose car nous étions en-dessous de la moyenne européenne et cela permettra de réduire les recours aux prud'hommes. Mais ces indemnités continueront-elles à être exonérées de cotisations sociales et fiscales ? Un article dans les Échos d'hier évoque la remise en cause de ces exonérations.

Dans la loi El Khomri, nous avions dit que le télétravail devrait être négocié au niveau des branches. Où en est-on, d'autant que le télétravail se développe de plus en plus en milieu rural ?

M. Jean-Marc Gabouty . - La position du Sénat sur la médecine du travail lors de la loi El Khomri était plus proche de celle des partenaires sociaux que du Gouvernement et de l'Assemblée nationale.

Il existe quatre méthodes possibles pour conclure des accords d'entreprise dans les TPE PME dépourvues de délégués syndicaux : les accords-types d'entreprise négociés au niveau de la branche, disposition née de la dernière loi travail ; les accords avec un mandatement, eux aussi prévus par la loi ; les accords qui pourraient être conclus avec les délégués du personnel et une consultation directe des salariés lorsqu'il n'y a ni délégués ni représentants du personnel. Lorsqu'il y a une consultation directe, le chef d'entreprise discute généralement avec un ou deux chefs de file. Je précise que les délégués du personnel ont souvent été élus au premier tour, donc syndiqués, mais ne veulent pas toujours devenir des délégués syndicaux. Ces accords directs existent déjà en matière d'intéressement et de participation dans les PME où il n'y a pas de délégués syndicaux. Ces accords sont ensuite soumis à la direction du travail. Ces quatre méthodes doivent pouvoir être utilisées.

Les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) ont été élues mais les taux de participation, extrêmement faibles, mettent en cause leur représentativité.

Ces ordonnances auraient pu être l'occasion de toiletter le code du travail d'un certain nombre de dispositifs bavards, inopérants, inutiles. Je pense au dialogue social dans les réseaux de franchise qui a été voulu par l'Assemblée nationale et dont la portée juridique est plus que limitée.

Les conventions collectives traitent du travail en équipe et du travail de nuit, avec des majorations à la clé. Nous avons parlé d'égalité salariale entre hommes et femmes : le taux de majoration des heures supplémentaires aurait pu être du ressort de la branche sauf si celle-ci souhaitait le déléguer aux entreprises. Vous auriez fait plaisir à plusieurs partenaires sociaux, tant du côté patronal que salarial.

Ne serait-il pas opportun de profiter de ces ordonnances pour mieux intéresser les salariés aux résultats des entreprises ? Si l'on leur demande plus de souplesse et de réactivité, il faut leur donner une compensation en renforçant les dispositifs de participation dans les TPE et les PME. Cela dépasse peut-être l'objet du projet de loi. Il constitue sans doute un véhicule plus approprié pour ce type de mesure que le report de mise en oeuvre du prélèvement à la source.

M. Jean-Louis Tourenne . - Tandis que nous avons cette aimable discussion, les auditions et la concertation continuent et apportent des éléments de réponse dont nous ne disposerons pas au moment de voter la loi. C'est ce qui est arrivé de façon encore plus brutale à l'Assemblée nationale. Vous avez parlé de situation ubuesque pour une autre disposition. Aujourd'hui, nous vivons un moment surréaliste.

Les grandes orientations de ce projet de loi d'habilitation sont pleines de bons sentiments mais les informations qui nous arrivent de façon partielle font naître certaines inquiétudes. En outre, vos propos sont parfois contradictoires : vous dites ainsi que la loi d'habilitation ne remplira pas tous ses objectifs. Ainsi, le CPRI figure dans le projet de loi par précaution : quelle incertitude ! Ainsi encore, il n'y aura plus qu'une instance unique afin que chaque délégué syndical ait plus de compétences mais, en même temps, alors qu'il pourrait l'acquérir par expérience, sur le tas, vous voulez limiter le nombre de mandats syndicaux.

La loi d'habilitation prévoit de réduire les délais de recours des salariés licenciés. Jusqu'à quel point ?

Le travail de nuit a toujours été considéré comme une circonstance exceptionnelle. Or, il figurera désormais dans l'accord d'entreprise : le travail de nuit ne va-t-il pas s'en trouver banalisé ?

Sous quelle forme sera pratiqué le télétravail ? Le travail a aussi une fonction sociale. Qui prendra en charge les équipements, les sujétions particulières ? Comment seront organisées les réunions pour éviter l'isolement et la désocialisation ?

Les CDI de chantier n'ont d'indéterminé que le nom, puisqu'ils se limiteront à la durée du chantier ou de la mission. Les CDD ont l'avantage de comporter une prime de précarité. Les contrats de chantiers n'en bénéficieront pas et ne donneront pas lieu à un licenciement de nature économique. Je ne crois absolument pas que les CDI de chantier permettront à leur détenteur de louer ou d'emprunter plus facilement : les propriétaires et les banques sont lucides.

Qu'appelez-vous présomption de légalité de l'accord collectif ? Saisi par un salarié, un juge ne pourrait pas se prononcer sur un tel accord considérant que ce dernier a été voté ? Le salarié serait alors immanquablement débouté.

M. Olivier Cadic . - Ces ordonnances sont bienvenues : il faut avancer vite. Je regrette que vous n'annonciez pas la disparition des CPRI, demandée par beaucoup d'acteurs. À l'évidence, un problème de représentativité se pose. Alors qu'il n'y a que 4 % de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de 50 personnes, vous semblez vouloir leur donner plus de pouvoirs.

Pour le chômage, il faut passer de la protection par statut à la protection par personne. Quand bénéficiera-t-on des mêmes droits pour la même fonction ?

L'appartenance aux conventions collectives pourrait-elle devenir facultative, comme cela existe dans d'autres pays européens ?

Nous avons évoqué la médecine du travail avec la délégation sénatoriale aux entreprises : cette médecine protège-t-elle mieux les salariés que dans les pays où elle n'existe pas ? Comment mesurer son impact, comment justifier son existence alors que l'Éducation nationale n'est pas soumise à cette médecine ? Nous ne pourrons pas faire l'économie de ce débat.

Vous voulez aller vite et nous nous en réjouissons. Nous pensons même, comme beaucoup d'entreprises, qu'il faudrait aller encore plus vite. Alors, oui, je suis prêt à vous signer un chèque en blanc pour libéraliser le droit du travail.

Mme Agnès Canayer . - Les ordonnances répondent à l'urgence de la situation. Il faut libérer les entreprises tout en préservant le dialogue social.

Allez-vous modifier les seuils, frein à la croissance des TPE et des PME ?

Le recours accru à la conciliation devant les prud'hommes ne va-t-il pas engorger ces juridictions sans rien apporter de plus ?

Mme Évelyne Yonnet . - Nous devrons avoir le débat sur la médecine du travail car de nouvelles pathologies apparaissent. Ainsi, rien n'a été fait sur les burnout. Une réflexion de fond doit être menée : comment accepter une visite tous les cinq ans ? Il faudrait rehausser la filière de la médecine du travail pour susciter des vocations.

Comme M. Tourenne, je suis des plus réservée sur les CDI de chantier. Nous devons protéger les entreprises mais aussi les salariés. Or, un quart des salariés risque d'être laissé au bord de la route faute de formation dans les prochaines années. La France est l'un des pays où le niveau scolaire est le plus bas : les emplois précaires risquent de se multiplier. L'intérim et les CDD ne cessent d'augmenter. Un CDI de chantier de trois mois ne donnera rien de plus qu'un CDD de même durée.

Je ne comprends vraiment pas la précipitation du Gouvernement alors que cette loi traite de sujets des plus sensibles. Rappelez-vous la loi El Khomri ! Pourquoi ne pas commencer par l'évaluer avant de vouloir tout changer ? Les ordonnances vont-elles permettre de créer des emplois pérennes ? J'en doute.

Quel statut et quels liens sociaux pour les salariés en télétravail ? Ces personnes seront-elles considérées comme de vrais salariés ?

Mme Corinne Féret . - L'article 5 modifie les règles de la pénibilité au travail. De quelles données et études disposez-vous pour proposer cette réforme ? J'ai entendu vos arguments mais j'ai le sentiment que nous sommes plus sur de la réparation que sur de la prévention. Le financement de cette mesure sera-t-il pérenne ?

Mme Françoise Gatel . - Merci d'avoir rappelé que les salariés exercent différents métiers sous différents statuts tout au long de leur vie professionnelle, d'où la nécessaire réforme du droit du travail.

Le renouvellement de la vie politique est en marche et je serais favorable à une limitation du nombre de mandats syndicaux, comme cela est désormais le cas pour les parlementaires. Il faut en finir avec les discriminations.

Les salariés et les entreprises doivent connaître le montant des indemnités prud'homales. Je suis favorable à l'instauration d'un barème mais il faut aussi réduire les délais d'instruction. Allez-vous instaurer des limites en ce domaine ?

M. Jérôme Durain . - Lorsqu'une entreprise licenciera pour motif économique, quel sera le champ géographique retenu pour l'appréciation de ses difficultés ? Jusqu'à présent, c'est le groupe qui est pris en compte mais vous semblez vouloir restreindre le périmètre. Or, l'exemple de Molex nous rappelle l'importance de prendre en considération l'ensemble du groupe.

M. Georges Labazée . - La gestion de l'Unédic est paritaire car elle est financée par les cotisations salariales et patronales. Quelle sera la légitimité des syndicats si les cotisations salariales sont remplacées par la hausse de la CSG ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Merci à ceux qui nous font confiance. Vous disposerez de tous les éléments en ma possession pour éclairer votre jugement. La concertation sociale alimente le débat politique et je suis dans une logique de la plus totale transparence.

L'urgence de ce projet tient à l'attente de nos concitoyens.

Il existe plusieurs leviers pour créer des emplois et tous les sujets doivent être traités, dont le code du travail. L'accélération de la croissance passe par la confiance des acteurs. La libération des énergies et le renforcement du dialogue social sont des impératifs. L'OCDE considère que notre système rigide réduit l'effet de la croissance sur les créations d'emplois, contrairement à d'autres pays européens. Or, nous voulons tous une croissance riche en emploi.

Les partenaires sociaux estiment que l'article L. 1, issu de la loi Larcher, est respecté et je m'en réjouis. La concertation est réelle, ce qui ne signifie pas que tout le monde sera d'accord in fine.

Le C3P est maintenu et nous conservons les dix critères mais le mode de déclaration de quatre d'entre eux sera différent. La branche AT/MP, excédentaire, financera le C3P. Compte tenu de l'évolution des conditions de travail, les travaux pénibles devraient diminuer dans le temps. En outre, les branches seront chargées de la prévention. Aujourd'hui, il y a des branches et des entreprises très dynamiques sur le sujet et d'autres qui le sont moins.

Le Conseil constitutionnel a validé le principe du barème. En revanche, il a refusé la distinction entre petites et grandes entreprises car cela aurait modifié les droits des salariés.

Les indemnités légales sont calculées sur la base d'un cinquième de mois de salaire par an. Elles sont parmi les plus basses d'Europe et cela explique le recours quasi-systématique aux prud'hommes. Un licenciement sur cinq se retrouve aux prud'hommes et 60 % des jugements vont en appel. En outre, certaines branches ont négocié des indemnités conventionnelles assez élevées tandis que d'autres ont prévu des indemnités très faibles.

Non, le Gouvernement n'envisage pas de revenir sur les exonérations fiscales et sociales des indemnités mais il souhaite encourager la médiation en amont ; or, il existe beaucoup moins d'exonérations à ce stade. La réflexion est en cours.

Les délais prud'homaux posent effectivement problème, encore qu'il faille prévoir des délais assez longs pour tout ce qui relève du harcèlement. Aujourd'hui, il existe quatre délais différents : il faudra sans doute simplifier, surtout au regard de la situation dans les autres pays européens.

Le télétravail est un sujet de société intéressant : 60 % des salariés y aspirent. Il n'existe quasiment pas de télétravail à temps plein mais 21 % des cas se déroulent en co-working notamment dans les zones rurales ou les zones fortement urbanisées affectées par les temps élevés de transport. Il ne s'agit pas de travail à domicile mais de travail connecté, d'où un lien social effectif. Les salariés souhaitent travailler en télétravail une ou deux journées par semaine. En revanche, divers sujets ne sont pas bien traités aujourd'hui : si le statut du salarié n'a pas à changer, rien n'est en revanche prévu sur la prise en charge des équipements, sur le droit à la réversibilité et sur les accidents du travail lorsqu'on est chez soi.

Pour les TPE et PME, il faut poursuivre la réflexion et surtout ne pas imposer une solution unique.

Nous avons effectivement décidé de ne pas nous livrer à un toilettage général du code du travail. Les services pourraient présenter une centaine de sujets mais nous avons voulu concentrer le débat sur des questions prioritaires : c'est un choix politique plutôt que technique.

La loi du 8 août 2016 permet de déroger aux taux de majoration des heures supplémentaires. Nous n'y reviendrons pas pour l'instant.

Nous n'avons pas non plus abordé la question de l'intéressement ni de la participation lors des concertations. Les partenaires sociaux se sont concentrés sur leurs priorités. Aujourd'hui, toute entreprise, quel que soit sa taille, peut instaurer ce type de mécanisme. Enfin, dès que des négociations s'engagent dans les entreprises, ce sujet est sur la table.

La limitation du nombre de mandats dans le temps pourra concerner les élus du personnel mais pas les délégués syndicaux, du fait des conventions de l'OIT.

Les délais de recours sont d'un an en cas de licenciement économique et de deux ans pour le licenciement individuel. Nous regardons si une harmonisation est possible.

Les CDI de chantier dureront de 3 à 4 ans : il ne s'agit donc pas de durées comparables à celles des CDD. Ces CDI bénéficieront bien sûr du compte personnel de formation. En outre, les loueurs et les banques ne sauront pas qu'il s'agit d'un CDI de chantier. Enfin, l'intérêt des entreprises étant de cumuler les grands chantiers, elles voudront conserver leurs salariés. Ces derniers ne s'y tromperont pas et préfèreront bien sûr un CDI de chantier à un CDD.

La présomption de légalité est un simple rappel du régime général de la preuve : celui qui contestera le caractère illégal d'un accord devra en apporter la preuve.

Plusieurs d'entre vous m'ont encouragée à passer de la logique de statut à celle de personne : c'est fondamental pour l'évolution de notre droit dans les années à venir ; nous y reviendrons lorsque nous examinerons l'assurance chômage et la formation professionnelle. Pour le futur, il faudra insister sur la formation, la compétence et nous instaurerons des filets de sécurité liés à la personne plus qu'au statut.

L'adhésion à une convention collective est facultative mais vous posez implicitement le sujet des extensions automatiques. Nous allons demander aux branches de regarder comment leurs accords s'appliquent dans les TPE et les PME. Aujourd'hui, tel n'est pas le cas et c'est regrettable.

J'attends le rapport de l'Igas sur la médecine du travail, notamment sur les questions de recrutement.

Il existe deux types de seuils : les seuils sociaux et fiscaux, qui ont des effets de coûts et sont d'ores et déjà lissés, et les seuils pris en compte pour la représentation du personnel, sur lesquels nous sommes en train de discuter.

De grandes mutations technologiques sont encore à venir et un grand nombre de salariés, de demandeurs d'emplois et de jeunes risquent de rester sur le bord du chemin si nous n'investissons pas massivement dans les compétences et la formation. Il nous fallait un plan Marshall des compétences, d'où notre plan d'investissement compétences sur lequel nous reviendrons prochainement.

Alors que nous réduisons les dépenses de l'État, cet investissement sera réalisé afin de préparer les mutations à venir : grâce à ces nouvelles compétences, nos emplois seront préservés et les entreprises gagneront des marchés.

Nous reparlerons bientôt de l'assurance chômage.

Nous sommes le seul pays européen à avoir créé un motif national d'appréciation des licenciements économiques. Aujourd'hui, 60 % des investissements étrangers en France sont européens, soit 2 millions d'emplois directs. Mais les investisseurs ont le sentiment que s'ils peuvent investir dans notre pays, ils ne peuvent pas se retirer. De nombreuses entreprises investissent donc un peu chez nous car elles trouvent des compétences, de la main d'oeuvre qualifiée, de la productivité et des infrastructures mais elles réalisent le gros de leurs investissements dans d'autres pays où elles savent pouvoir désinvestir en cas de problème. La plupart des entreprises ont un comportement responsable mais nous devrons prendre quelques dispositions pour les entreprises qui pourraient susciter des difficultés artificielles. Avoir une harmonisation européenne sur l'appréciation géographique des difficultés économiques ne serait pas absurde.

Nous souhaitons aller vers un code du travail numérique pour aider les entreprises et les salariés à obtenir des réponses rapides et compréhensibles. Il faudra qu'ils sachent ce que la loi et la branche disent. Le dialogue social sera ainsi bien nourri.

M. Alain Milon , président . - Merci, madame la ministre, pour cette audition.

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