DEUXIÈME PARTIE - LE RESPECT DE L'AUTORISATION PARLEMENTAIRE EN 2016

L'examen du projet de loi de règlement des comptes et d'approbation du budget n'est pas seulement l'occasion de faire le point sur la situation des finances publiques, en particulier de celle de l'État, mais doit aussi et surtout permettre au Parlement de vérifier que la loi de finances initiale adoptée par la représentation nationale a été respectée par l'exécutif et, le cas échéant, de déterminer l'ampleur et le motif d'éventuels écarts entre les plafonds de dépenses votés et la réalité de l'exécution budgétaire.

En effet, le vote de la loi de finances par le Parlement ne recouvre pas un simple exercice de « prévision », mais constitue bien une autorisation donnée au Gouvernement de dépenser et de recouvrer l'impôt .

Les rapporteurs spéciaux s'attachent à analyser l'exécution du budget pour chaque mission, dans le cadre de leurs contributions sectorielles (cf. tome II du présent rapport) et leurs observations peuvent être complétées et mises en perspective par un regard transversal sur l'ensemble des missions du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux.

L'année 2016 se caractérise par des sous-budgétisations d'une ampleur significative , qui limitent la portée de l'autorisation parlementaire en nécessitant des redéploiements importants en cours d'année. Ceux-ci sont couverts par un usage intensif des outils de régulation budgétaire comme la mise en réserve de crédits, les annulations et les ouvertures par voie réglementaire ou encore les reports , sur lesquels le contrôle du Parlement est très indirect. Les difficultés du Gouvernement à porter des choix clairs et cohérents en matière d'économies n'est ainsi pas sans conséquences sur le mode de gestion des dépenses de l'État et la portée de l'autorisation parlementaire.

Revaloriser le rôle du Parlement en matière budgétaire ne dépend donc pas que des chambres parlementaires mais suppose, de la part de l'exécutif, un usage raisonné des outils de régulation budgétaire qui repose sur une budgétisation crédible et cohérente avec l'exécution passée : c'est là tout le sens du « chaînage vertueux » prévu par la loi organique de 2001.

I. DES SOUS-BUDGÉTISATIONS RÉCURRENTES QUI INDUISENT DES REDÉPLOIEMENTS IMPORTANTS EN COURS D'ANNÉE

Hors charge d'intérêts, les dépenses ont excédé de 1,9 milliard d'euros les autorisations de la loi de finances initiale et de 5,2 milliards d'euros le budget triennal de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, confirmant son caractère obsolète.

A. UN DÉPASSEMENT MARQUÉ DES MISSIONS « DÉFENSE » ET « TRAVAIL ET EMPLOI » PAR RAPPORT À LA LOI DE FINANCES INITIALE

Les principaux dépassements en valeur absolue par rapport à la loi de finances initiale 56 ( * ) sont constatés sur les missions « Travail et emploi », « Défense », « Enseignement scolaire » et « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Missions présentant la sur-exécution la plus marquée en valeur absolue par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat

1. Sur la mission « Travail et emploi », une hausse liée aux contrats aidés et au plan de formation annoncé en janvier 2016

Concernant la mission « Travail et emploi », la sur-exécution est principalement imputable à la hausse de l'objectif du nombre de contrats aidés et au plan de formation annoncé au début de l'année 2016.

Ainsi, faisant le pari d'une amélioration du marché du travail dès 2016, le Gouvernement avait initialement prévu une diminution du nombre de contrats aidés. 295 000 contrats devaient ainsi être conclus en 2016, contre plus de 468 000 en 2015. Les hypothèses initiales s'avérant trop optimistes, le Gouvernement a décidé d'augmenter de manière significative l'enveloppe de contrats aidés en cours d'année, à hauteur de + 144 540 contrats. Au total, 460 607 contrats aidés ont été signés en 2016, pour une dépense s'élevant à 3,9 milliards d'euros en AE et 3,3 milliards d'euros en CP, soit un écart aux prévisions de 1,8 milliard d'euros en AE et de 950 millions d'euros en CP.

En outre, les crédits consacrés au « plan d'urgence pour l'emploi » annoncé en janvier 2016 par le Président de la République n'ont pas pu être inscrits en loi de finances initiale et la dépense totale a atteint près de 4 milliards d'euros en AE et 920 millions d'euros en CP.

2. Une nouvelle sous-budgétisation des opérations intérieures et extérieures du budget de la défense

Le dépassement de 700 millions d'euros des crédits de la loi de finances initiale par la mission « Défense » s'explique par la sous-budgétisation des opérations extérieures (Opex) et intérieures (Opint), désormais récurrente : comme le souligne la Cour des comptes, les ouvertures en cours de gestion sur la mission « Défense » n'ont jamais été inférieures à 650 millions d'euros depuis 2013.

Dans le cadre de la loi de finances pour 2016, 450 millions d'euros avaient ainsi été inscrits au titre du surcoût Opex. S'agissant des opérations intérieures (Opint), seuls 26 millions d'euros (titre 2) avaient été inscrits en loi de finances pour 2016.

Au total, le montant des surcoûts liés aux Opex et aux Opint s'est élevé à plus de 1,3 milliard d'euros en 2016, dont 1,17 milliard d'euros au titre du surcoût Opex et 189 millions d'euros au titre du surcoût Opint : au total, les ouvertures liées à des sous-budgétisations ont atteint 831 millions d'euros sur la mission « Défense » en 2016 .

3. Sur la mission « Solidarité », une sur-exécution liée au sous-dimensionnement de la prime d'activité et de l'allocation pour adulte handicapé (AAH)

La montée en charge du dispositif de la prime d'activité a été plus rapide que prévue et, dès la fin du premier semestre, le taux de recours de 50 % retenu dans les hypothèses de budgétisation a été dépassé. En outre, le champ des bénéficiaires potentiels a été étendu en cours de gestion, conduisant à un dépassement de l'autorisation initiale atteignant 320 millions d'euros .

Au surplus, une sous-budgétisation chronique caractérise les dépenses liées à l'allocation pour adulte handicapé (AAH) que porte la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Ainsi, entre 2008 et 2016, l'écart moyen entre la prévision et l'exécution était de 256 millions d'euros, mais il s'élève à 446,2 millions d'euros en 2016 . Cette progression a nécessité le dégel complet de la réserve de précaution ainsi que l'ouverture de 423,8 millions d'euros de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative.

4. Un difficile pilotage des dépenses de personnel de la mission « Enseignement scolaire »

L'exécution 2016 de la mission « Enseignement scolaire » laisse apparaître une surconsommation des crédits de titre 2, hors contribution au CAS « Pensions » incluse, de 570 millions d'euros qui explique la majeure partie de la sur-exécution de la mission par rapport à la loi de finances initiale.

Cette surconsommation est notamment imputable à un coût des mesures générales supérieur aux prévisions de près de 128 millions d'euros, dont 124 millions d'euros au titre de la revalorisation du point de la fonction publique ; une dépense consacrée aux mesures catégorielles supérieure de 45,3 millions d'euros aux hypothèses et enfin un glissement vieillesse-technicité (GVT) sous-budgété à hauteur de 48 millions d'euros.

Comme le note le rapporteur spécial Gérard Longuet, « l'augmentation de 1,7 milliard d'euros des dépenses de personnel se conjuguant avec une surexécution dépassant les 500 millions d'euros pose la question de la soutenabilité de la trajectoire des dépenses de la mission ?Enseignement scolaire? ».

5. Un dépassement prévisible des dépenses de la mission « Agriculture » en raison de l'impact des crises sanitaires

Les crédits ouverts sur la mission « Agriculture » en loi de finances initiale (2,72 milliards d'euros) ont été largement dépassés par les dépenses effectives de 400 millions d'euros, soit une hausse de 17 %.

Ces dépassements avaient été anticipés par le contrôleur budgétaire et comptable du ministère qui avait émis un avis défavorable à la programmation des crédits des programmes 154 et 206 après avoir évalué l'impasse de financement à 749 millions d'euros en raison de l'intensification prévisible de l'impact des crises sanitaires sur le budget de la mission.

En effet si, par le passé, les refus d'apurement communautaire ont pu constituer le premier motif d'ouvertures sur la mission, les dernières années ont vu la montée en charge des dispositifs de gestion des crises sanitaires touchant le monde agricole , dont la sous-budgétisation chronique induit des dépassements en cours d'exécution.

6. Deux dépassements d'ampleur plus réduite mais significatifs au regard de la budgétisation initiale : les dépenses d'allocation pour demandeur d'asile et le service civique

Enfin, deux sur-exécutions doivent être signalées : si leur ampleur est moindre en valeur absolue, les dépassements constatés sont en revanche particulièrement significatifs en proportion des crédits initialement budgétés.

Il s'agit d'une part de la mission « Immigration, asile et intégration », avec un dépassement des crédits de 200 millions d'euros (soit une hausse de 20 % par rapport à la budgétisation initiale) principalement lié à la sous-budgétisation récurrente de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) , d'autre part de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », avec une sur-exécution de 100 millions d'euros (soit + 8 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale) s'expliquant par le sous-dimensionnement du budget alloué au service civique .


* 56 Est présenté en annexe au présent rapport un tableau présentant l'exécution des crédits de l'intégralité des missions du budget général ainsi que le plafond de dépenses voté en loi de finances initiale et la trajectoire du budget triennal, permettant d'apprécier le resserrement ou le dépassement des crédits de chaque mission.

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