B. UNE DYNAMIQUE DE LA DETTE TOUJOURS AUSSI PRÉOCCUPANTE

1. Une divergence par rapport à l'Allemagne qui pèse sur la charge d'intérêts

Depuis 2014, la dynamique de la dette française présente un caractère atypique au sein de la zone euro. Alors que le ratio d'endettement de la France était, entre 2010 et 2014, resté inférieur à celui de la zone euro, il lui est désormais supérieur de cinq points de PIB.

C'est néanmoins la comparaison avec la situation allemande qui illustre le mieux l'absence de maîtrise de la trajectoire d'endettement française : alors que les niveaux d'endettement de la France et de l'Allemagne exprimés en proportion du PIB étaient comparables en 2007, l'écart s'élève désormais à près de 28 points de PIB.

Évolution du ratio d'endettement depuis 2006

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee et de la base Ameco)

En 2016, la dette de la France a même dépassé pour la première fois, en valeur, la dette de l'Allemagne.

Évolution de la dette publique en valeur depuis 2012

(en milliards d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

Allemagne

2 205

2 190

2 190

2 159

2 140

France

1 868

1 953

2 038

2 098

2 147

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee et de la base Ameco)

Cette divergence ne saurait être expliquée par une conjoncture particulièrement défavorable à la France.

En effet, il ressort de l'application de la méthode de la Commission européenne permettant de calculer l'évolution du ratio d'endettement corrigé du cycle économique 47 ( * ) que près des deux tiers de la hausse du taux d'endettement français constatée depuis 2012 serait d'origine structurelle .

Décomposition de la variation du ratio d'endettement
de la France entre 2012 et 2016

(en points de PIB)

Note méthodologique : conformément à la méthode retenue par la Commission européenne, pour estimer le ratio d'endettement corrigée du cycle de l'année n, on calcule au numérateur le niveau de la dette que l'on aurait observé si le solde cyclique avait été nul en n-2, n-1 et n, tandis que le dénominateur est obtenu en multipliant le PIB n-3 par la croissance en valeur du PIB potentiel entre l'année n-3 et l'année n. La composante conjoncturelle correspond alors à la différence entre le taux d'endettement effectif et le ratio d'endettement corrigé du cycle économique. Les estimations de la Commission européenne ont été retenues pour la croissance potentielle, la semi-élasticité budgétaire et l'écart de production.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee et de la base Ameco)

À moyen terme, une telle évolution est susceptible de conduire à une divergence du rythme de croissance de la France et de l'Allemagne . En effet, comme l'a récemment rappelé votre rapporteur général, si « les incidences du niveau d'endettement sur la croissance semblent être ambiguës , (...) la trajectoire de la dette importe autant que son niveau », différentes études faisant « apparaître qu'une maîtrise de la dette publique est plus favorable à l'activité économique » 48 ( * ) .

En tout état de cause, cette divergence se traduit dès aujourd'hui par la nécessité, pour la France, d'assumer chaque année une charge d'intérêts significativement supérieure à celle de l'Allemagne.

Évolution de la charge d'intérêts depuis 2006

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de la base Ameco)

À taux d'intérêt apparent sur la dette constant 49 ( * ) , il peut ainsi être estimé que la charge d'intérêts aurait en 2016 été inférieure de 12,5 milliards d'euros si le niveau d'endettement de la France avait suivi celui de l'Allemagne depuis 2010 - soit l'équivalent de deux fois le budget de la justice 50 ( * ) .

L'impact de cette divergence sur la charge d'intérêts est d'autant plus préoccupant qu'il a vocation à s'accroître, sous l'effet :

- d'une part, de la diffusion progressive de la prime de risque exigée par les marchés financiers depuis le début de la crise financière pour prêter à la France (avec l'arrivée à maturité des obligations les plus anciennes) ;

- d'autre part, de la remontée attendue des taux d'intérêt.

Évolution de l'écart de taux d'intérêt à 10 ans entre la France et l'Allemagne

(en %)

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Allemagne

3,80

4,23

3,98

3,24

2,70

2,57

1,47

1,58

1,11

0,51

0,06

France

3,84

4,33

4,24

3,65

3,08

3,31

2,48

2,21

1,60

0,86

0,43

Écart de taux

0,04

0,09

0,26

0,42

0,39

0,74

1,01

0,63

0,49

0,35

0,37

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données d'Eurostat)

Ainsi, alors que le taux d'intérêt apparent 51 ( * ) sur la dette française est identique à celui de l'Allemagne en 2016 (2 %) - l'effet lié à l'apparition depuis le début de la crise financière d'un écart de taux d'intérêt entre la France et l'Allemagne ayant jusqu'ici été compensé par l'émission, dans un contexte de baisse des taux, d'un volume de dette plus important par la France -, il lui serait, d'après les projections de la Commission européenne, supérieur de 0,2 point en 2022 52 ( * ) . En appliquant ce taux d'intérêt au niveau anticipé du ratio d'endettement de la France et de l'Allemagne, l'écart de charge d'intérêts entre les deux pays atteindrait un point de PIB en 2022, contre 0,5 point de PIB en 2016, soit un doublement en l'espace de seulement cinq ans .

2. Une absence de maîtrise de l'endettement susceptible de fragiliser la sortie du volet correctif du pacte de stabilité

Outre ses effets sur la charge d'intérêts, l'absence de maîtrise de l'endettement au cours de la période récente est susceptible de fragiliser la sortie de la France du volet correctif du pacte de stabilité .

En effet, tout État membre dont le ratio d'endettement excède 60 % du PIB doit réduire l'écart entre sa dette et le seuil de 60 % de 1/20 e chaque année en moyenne sur trois ans selon une approche prospective ou, à défaut, rétrospective 53 ( * ) .

Dans l'approche rétrospective, la Commission européenne calcule si l'écart a bien été diminué conformément aux objectifs fixés par le pacte de stabilité en partant des données de l'année en cours et des trois années précédentes 54 ( * ) .

Dans l'approche prospective, la Commission européenne procède de la même manière sur la base des données de l'année précédente, de l'année en cours et de ses projections à politique inchangée pour les deux années suivantes.

Si le critère de la dette n'est pas respecté, la Commission européenne doit alors élaborer un rapport visant à établir l'existence d'un déficit excessif, sauf si le non-respect de la règle est lié à des facteurs conjoncturels - ce que la Commission européenne vérifie en corrigeant le ratio d'endettement du cycle économique selon la méthode présentée ci-avant.

Comme cela a été précédemment rappelé, la France sera néanmoins exonérée du respect du critère de la dette pendant une période de trois ans à compter de la correction du déficit excessif, attendue pour 2017 .

Toutefois, elle sera au cours de cette période soumise à des dispositions transitoires visant à garantir qu'elle respectera le critère de la dette en fin de période.

Ces dispositions prendront la forme d'une trajectoire d'ajustement structurel linéaire minimum à respecter, définie de telle sorte que 55 ( * ) :

- l'ajustement structurel annuel ne s'écarte jamais de plus de 0,25 point de PIB de l'ajustement linéaire qui aurait été nécessaire pour respecter le critère de la dette en fin de période ;

- pendant toute la période de transition, l'ajustement structurel annuel restant à effectuer ne soit jamais supérieur à 0,75 point de PIB - sauf si la première condition implique un ajustement supérieur.

Ainsi, le respect des dispositions transitoires sera d'autant plus difficile que la trajectoire de la dette n'aura pas été maîtrisée au cours de la période précédant la résorption du déficit excessif.

Or, la France est très éloignée du respect du critère de la dette au titre de l'année 2016.

Évaluation du respect du critère de dette en 2016 (approche rétrospective)

(en points de PIB)

2013

2014

2015

2016

Dette publique

92,3

94,9

95,6

96,3

Ratio à respecter

91,0

Écart

+ 5,3

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de l'Insee)

Dans l'approche rétrospective, le respect du critère de dette aurait impliqué d'atteindre un ratio d'endettement de 91 % du PIB en 2016, soit un niveau inférieur de 5,3 points à l'endettement effectif de l'année. En corrigeant le niveau d'endettement du cycle économique, l'écart s'élève à 2,8 points de PIB.

Dans l'approche prospective, le respect du critère de dette aurait impliqué d'atteindre un ratio d'endettement de 92,6 % du PIB en 2018, soit un niveau inférieur de 4,1 points au scénario à politique inchangée de la Commission européenne (96,7 % du PIB).

Compte tenu de ces résultats, la sortie durable de la France du volet correctif du pacte de stabilité supposera une inflexion significative de la dynamique actuelle de la dette française.

Au-delà du retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB - qui ne paraît pas pour l'heure pleinement assuré -, c'est à un rééquilibrage en profondeur de ses finances publiques que la France devra ainsi procéder.


* 47 Commission européenne, « Vade Mecum on the Stability and Growth Pact », édition 2017, mars 2017, pp. 72-73.

* 48 « La dette publique de la France : un poids du passé, un défi pour l'avenir », rapport d'information n° 566 (2016-2017), précité, p. 132.

* 49 Il s'agit d'une hypothèse réaliste, dans la mesure où le taux d'intérêt apparent sur la dette allemande est identique à celui sur la dette française en 2016.

* 50 Hors charges de pension.

* 51 Le taux apparent est obtenu en divisant la charge d'intérêts de l'année par le montant de l'endettement de l'exercice précédent. Il dépend donc principalement du taux des emprunts passés, et non du taux auquel les nouveaux emprunts ont été émis au cours de l'année.

* 52 Commission européenne, « Debt sustainability monitor 2016 », janvier 2017.

* 53 Pour une description détaillée, voir : Commission européenne, « Vade Mecum on the Stability and Growth Pact », édition 2017, mars 2017, pp. 70-80.

* 54 Concrètement, la Commission européenne vérifie rétrospectivement, pour une année n, si la formule suivante est respectée : dette de l'année n < 60 % + 0,95/3 (dette de l'année n-1 - 60 %) + (0,95^2)/3 (dette de l'année n-2 - 60 %) + (0,95^3)/3 (dette de l'année n-3 - 60 %). Il s'agit donc d'une moyenne pondérée sur trois années, qui permet de donner plus de poids à la période récente.

* 55 Ibid ., p. 73 et pp. 128-131.

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