II. L'EXERCICE DES MANDATS ÉLECTIFS ET DES FONCTIONS EXÉCUTIVES

A. AMÉLIORER LA PRÉVENTION ET LE TRAITEMENT DES CONFLITS D'INTÉRÊTS

Comme l'a rappelé notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, le Parlement « s'est, depuis les débuts de la République, doté d'outils essentiellement préventifs afin de préserver la probité de ses membres » 3 ( * ) (incompatibilités parlementaires, déclarations de situation patrimoniale, etc .).

Ces règles déontologiques ont été substantiellement complétées depuis quelques années, notamment à partir des avis rendus par le comité de déontologie parlementaire du Sénat et le déontologue de l'Assemblée nationale .

L'Instruction générale du Bureau (IGB) du Sénat prévoit ainsi un dispositif global et cohérent de prévention et de traitement des conflits d'intérêts , entendus comme « toute situation dans laquelle les intérêts privés d'un membre du Sénat pourraient interférer avec l'accomplissement des missions liées à son mandat et le conduire à privilégier son intérêt particulier face à l'intérêt général » 4 ( * ) .

Dans la même logique, outre les déclarations d'intérêts et d'activités et de situation patrimoniale prévues par les lois relatives à la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013 5 ( * ) , les sénateurs sont tenus de déclarer, dans un délai de trente jours, les invitations à des déplacements financés par des organismes extérieurs et les cadeaux, dons et avantages en nature dont la valeur excède 150 euros.

Les projets de loi soumis à votre commission visent ainsi à compléter les dispositifs de prévention et de traitement des conflits d'intérêts mis en oeuvre au Parlement. Ils tendent à renforcer le régime des incompatibilités parlementaires, à instaurer un registre des déports des députés et des sénateurs, à interdire aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et aux autorités territoriales d'employer un membre de leur famille comme collaborateur et, enfin, à créer un dispositif de déclaration des emplois dits « croisés ».

1. Le renforcement des incompatibilités parlementaires

Le Gouvernement propose, tout d'abord, de renforcer le régime des incompatibilités parlementaires en encadrant plus strictement l'exercice d'activités de conseil par un député, un sénateur ou un représentant français au Parlement européen.

D'après l'étude d'impact, l'activité de conseil nécessite, en effet, une attention particulière en matière de prévention des conflits d'intérêts : elle recouvrirait « des prestations de nature hétéroclite, rémunérées, au profit d'une clientèle également très diverse. Or cette clientèle a nécessairement des intérêts propres qui ne peuvent se confondre avec l'intérêt général, lequel doit être au coeur de la mission d'un parlementaire » 6 ( * ) .

Ces nouvelles incompatibilités concerneraient les différents modes d'exercice des activités de conseil, soit la direction ou le contrôle capitalistique d'une entreprise de ce secteur (articles 4, 6 et 7 du projet de loi organique) et les prestations de conseil fournies à titre individuel par les parlementaires (article 5 du projet de loi organique) .

Ces dispositions seraient étendues aux représentants français au Parlement européen ( articles 13 et 14 du projet de loi ).

Elles respectent la jurisprudence du Conseil constitutionnel en apparaissant proportionnées à la nécessité de protéger l'indépendance de l'élu 7 ( * ) .

Les nouvelles incompatibilités parlementaires proposées
par le projet de loi organique

Incompatibilités

Articles du code électoral

Articles du projet de loi organique

Entrée en vigueur
(article 12 du projet de loi organique)

Interdiction de diriger une structure dont l'activité consiste « principalement » à conseiller les sociétés, entreprises, établissements ou organismes « sensibles » mentionnés à l'article L.O. 146 du code électoral

Art. L.O. 146, 8°

Art. 4

À compter du 2 octobre 2017 avec, ensuite, un délai de mise en conformité de trois mois

Interdiction d'exercer une fonction de conseil qui n'était pas la sienne avant le début du mandat

Art. L.O. 146-1, 1°

Art. 5

À compter de l'entrée en vigueur de la loi

Interdiction de poursuivre une activité de conseil initiée moins d'un an avant l'entrée en fonction du parlementaire

Art. L.O. 146-1, 2°

À compter du premier renouvellement de l'assemblée à laquelle le parlementaire appartient suivant le 1 er janvier 2017

Interdiction de fournir des prestations de conseil aux sociétés, entreprises, établissements ou organismes « sensibles » mentionnés à l'article L.O. 146 du code électoral

Art. L.O. 146-1, 3°

À compter de l'entrée en vigueur de la loi avec, ensuite, un délai de mise en conformité de trois mois

Interdiction d'acquérir le contrôle d'une structure dont l'activité consiste « principalement » dans la fourniture de conseils

Art. L.O. 146-2,

premier alinéa

Art. 6

À compter de l'entrée en vigueur de la loi

Interdiction d'exercer le contrôle d'une structure dont l'activité consiste « principalement » dans la fourniture de conseils, si ce contrôle a été acquis moins d'un an avant l'entrée en fonction du parlementaire

Art. L.O. 146-2, 1°

À compter du premier renouvellement de l'assemblée à laquelle le parlementaire appartient suivant le 1 er janvier 2017

Interdiction d'exercer le contrôle d'une structure dont l'activité consiste « principalement » à conseiller les sociétés, entreprises, établissements ou organismes « sensibles » mentionnés à l'article L.O. 146 du code électoral

Art. L.O. 146-2, 2°

À compter de l'entrée en vigueur de la loi, avec, ensuite, un délai de mise en conformité de trois mois

Source : commission des lois du Sénat

2. La création de registres des déports

L' article 2 du projet de loi vise à créer, dans chacune des assemblées, un registre public recensant les décisions de déport des parlementaires confrontés à un conflit d'intérêts.

Chaque parlementaire resterait libre d'apprécier s'il doit se déporter ou non, l'instauration d'une obligation de déport étant contraire à l'article 27 de la Constitution 8 ( * ) .

Cette logique de transparence des déports est bienvenue mais elle doit également concerner les membres du Gouvernement. À l'initiative de son rapporteur, votre commission a ainsi prévu un décret en Conseil d'État pour fixer les modalités de tenue d'un registre recensant les cas dans lesquels un membre du Gouvernement estime ne pas devoir exercer ses attributions en raison d'une situation de conflit d'intérêts , y compris en conseil des ministres (article 2 bis du projet de loi) .

3. L'interdiction des emplois « familiaux » et la déclaration des « emplois croisés »

Le titre III du projet de loi vise à interdire aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et aux autorités territoriales d' employer un membre de leur famille comme collaborateur , notamment par la création d'un nouveau délit puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ( articles 3, 4 et 5 du projet de loi ).

Il serait mis fin aux emplois qualifiés de « familiaux » dans un délai de deux mois à compter la publication de la loi (article 6 du projet de loi) .

De manière complémentaire, les « emplois croisés » au sein des cabinets ministériels (emploi au sein du cabinet d'un membre du Gouvernement d'un membre de la famille d'un autre membre du Gouvernement) et auprès des parlementaires (emploi par un député ou un sénateur d'un membre de la famille d'un autre député ou sénateur) feraient l'objet d'une déclaration auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Le projet de loi prévoit de définir - de manière relativement large - la « famille » des parlementaires et des autorités territoriales (articles 4 et 5 du projet de loi) .

L'emploi « familial » au sens des articles 4 et 5 du projet de loi

Source : commission des lois du Sénat

La définition de la « famille » des membres du Gouvernement serait renvoyée au pouvoir règlementaire afin, selon l'avis du Conseil d'État 9 ( * ) , de respecter le principe de la séparation des pouvoirs (article 3 du projet de loi) . Votre commission a toutefois jugé indispensable de définir cette notion dans la loi, conformément au principe de légalité des délits et des peines , rappelé de manière « ancienne, constante et abondante » par le Conseil constitutionnel 10 ( * ) .

Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a en outre souhaité allonger les délais de licenciement des collaborateurs « familiaux » actuellement en fonction auprès des parlementaires et des autorités territoriales, à la fois pour respecter les principes du code du travail, notamment en matière de préavis, et pour leur permettre de mieux organiser leur réinsertion professionnelle 11 ( * ) .

À l'initiative de Mme Catherine Procaccia, elle a interdit le licenciement d'une femme en état de grossesse , conformément à la règle posée par l'article L. 1225-4 du code du travail.

Plus généralement, sur la proposition de son rapporteur, votre commission a prévu la création d'un dispositif d'accompagnement spécifique au bénéfice des collaborateurs parlementaires licenciés pour un autre motif qu'un motif personnel , c'est-à-dire le plus souvent en raison de la cessation du mandat parlementaire de leur employeur. Ces licenciements resteraient régis par un motif spécifique et ne seraient en aucun cas considérés comme « économiques ». Les collaborateurs licenciés pourraient choisir entre percevoir leur indemnité de préavis et bénéficier de ce dispositif spécifique d'accompagnement qui comporterait, notamment, un bilan de compétence et des périodes de formation ( article 6 bis du projet de loi ).

Enfin, à l'initiative de votre rapporteur, votre commission a renforcé l'efficacité des nouveaux dispositifs de déclaration des « emplois croisés » en :

- permettant à la HATVP d'enjoindre aux membres de cabinet ministériel - et pas uniquement aux membres du Gouvernement - de faire cesser un conflit d'intérêts (article 3 du projet de loi) ;

- rappelant la compétence du bureau de chaque assemblée - et non de la HATVP - pour prévenir et traiter ce type de conflits au sein du Parlement (article 4 du projet de loi) .

4. Les contrôles de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a porté de six mois à un an le délai pendant lequel un déclarant est dispensé d'adresser une nouvelle déclaration de situation patrimoniale à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) afin, selon le souhait de cette dernière, « d'éviter de multiplier les exercices déclaratifs au sein d'une même année » ( articles 2 ter du projet de loi et 9 ter du projet de loi organique ).

Sur la proposition de M. François Bonhomme, votre commission a en outre permis l'exercice direct par la HATVP de son droit de communication auprès d'administrations ou de professionnels de documents lui permettant de contrôler la sincérité, l'exhaustivité et l'exactitude des déclarations de situation patrimoniale et des déclarations d'intérêts et d'activités. Cette disposition n'accorde aucune nouvelle prérogative à la HATVP mais supprime l'obligation qui lui était faite jusqu'à présent de faire appel à l'administration fiscale pour exercer ce droit de communication ( articles 2 quater du projet de loi et 9 quater du projet de loi organique ).


* 3 « Prévenir effectivement les conflits d'intérêts pour les parlementaires » , rapport n° 518 (2010-2011) fait au nom du groupe de travail sur les conflits d'intérêts de la commission des lois du Sénat, p. 12. Ce rapport est consultable au lien suivant :

http://www.senat.fr/rap/r10-518/r10-5181.pdf .

* 4 Cf. le commentaire de l'article 2 du projet de loi pour plus de précisions.

* 5 Loi organique n° 2013-906 et loi n° 2013-907.

* 6 Étude d'impact du projet de loi organique, p. 19.

* 7 Cf . notamment la décision suivante : Conseil constitutionnel, 13 février 2014, Loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur , décision n° 2014-689 DC.

* 8 Article selon lequel : « tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel ».

* 9 Conseil d'État, avis n° 393324 du 12 juin 2017.

* 10 Conseil constitutionnel, commentaire de la décision précitée n° 2011-204 QPC du 9 décembre 2011, M. Jérémy M. [Conduite après usage de stupéfiants] , p. 5.

* 11 Concrètement, le licenciement des actuels collaborateurs « familiaux » leur serait notifié dans un délai de deux mois (contre quinze jours dans le projet de loi initial) et les collaborateurs seraient ensuite autorisés à exécuter leur préavis (trois mois maximum).

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