EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Pour la sixième fois consécutive, le Parlement est saisi par le Gouvernement d'une demande de prorogation de l'état d'urgence déclaré après les attentats qui ont tragiquement frappé notre pays dans la soirée du 13 novembre 2015.

Régime juridique dont les caractéristiques sont fixées par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, l'état d'urgence a pour effet d'accroître, pendant toute la durée de son application, les pouvoirs de police des autorités administratives. Désormais en vigueur de manière continue depuis le 14 novembre 2015, l'état d'urgence, dont la dernière prorogation résulte de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016, est applicable jusqu'au 15 juillet prochain à minuit.

À l'issue d'un conseil de défense et de sécurité nationale tenu à l'Élysée le 24 mai 2017 - deux jours après l'attentat survenu à Manchester au Royaume-Uni -, le Premier ministre a indiqué que le Président de la République avait décidé de saisir le Parlement d'un nouveau projet de loi de prorogation de l'état d'urgence pour une durée limitée, jusqu'au 1 er novembre 2017, correspondant au temps nécessaire à l'examen d'un projet de loi comportant de nouvelles dispositions de lutte antiterroriste.

Le Premier ministre a souligné que ce texte aurait pour objectif d'inscrire « dans le droit commun les dernières mesures de renforcement de l'arsenal existant, notamment pour assurer de manière durable par des mesures administratives appropriées la sécurisation des grands événements culturels, récréatifs ou sportifs ».

Avec la nouvelle prorogation qui est soumise à l'appréciation du Parlement , l'état d'urgence mis en oeuvre depuis le 14 novembre 2015 devrait connaître sa période d'application la plus longue, environ deux ans, depuis la création de ce régime d'accroissement des pouvoirs de police administrative 1 ( * ) .

Le maintien de ce régime juridique exceptionnel au cours des six derniers mois avait été justifié par le souci de garantir un haut niveau de sécurité pendant le temps des campagnes électorales pour les élections présidentielle et législatives de 2017 et des élections elles-mêmes. Le Gouvernement fait à cet égard valoir qu'au cours de cette période, des projets d'attentats visant directement à perturber les processus électoraux ont été déjoués, notamment grâce à la mise en oeuvre de mesures de police administrative fondées sur l'état d'urgence.

La présente prorogation est quant à elle présentée comme devant donner le temps aux pouvoirs publics de travailler « aux mesures permettant une sortie maîtrisée de l'état d'urgence » 2 ( * ) , au regard en particulier de la permanence d'une menace terroriste à un niveau très élevé, comme l'attestent les nombreux attentats commis ou déjoués au cours des derniers mois en France et dans d'autres pays européens.

Les mesures devant permettre cette sortie maîtrisée de l'état d'urgence sont pour leur part soumises à l'appréciation du Parlement dans le projet de loi n° 587 (2016-2017) renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, adopté en conseil des ministres le 22 juin dernier et également déposé sur le bureau du Sénat, pour l'examen duquel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. L'analyse du projet de prorogation doit ainsi être effectuée à la lumière des dispositions ainsi proposées.

S'il est possible de souscrire aux objectifs de la démarche engagée par le Gouvernement, sans préjudice d'une analyse en droit et en opportunité des nouvelles mesures de lutte antiterroriste proposées par celui-ci, votre rapporteur demeure néanmoins prudent, au regard de l'expérience récente, quant à leur réalisation effective. Au cours du premier semestre 2016, le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale 3 ( * ) avait été présenté comme un outil devant compléter le cadre juridique antiterroriste de droit commun afin de permettre la sortie de l'état d'urgence au début de l'été 2016, après la fin du championnat européen de football organisé en France (Euro 2016) et le tour de France. Ce scénario avait malheureusement été remis en cause par la tragédie survenue à Nice le 14 juillet 2016.

Il n'en reste pas moins que la sortie de l'état d'urgence dans des délais raisonnables doit constituer l'un des objectifs des politiques de sécurité mises en oeuvre dans notre pays. Selon la formule consacrée par le Conseil d'État, l'état d'urgence est en effet un « régime de pouvoirs exceptionnels [ayant] des effets qui, dans un État de droit, sont par nature limités dans le temps et dans l'espace ».

Confronté durablement à une menace terroriste élevée, notre pays ne peut maintenir en vigueur ce régime juridique jusqu'à la disparition de cette dernière.

C'est au regard de ce constat, de la contribution fournie par la mise en oeuvre de l'état d'urgence à la politique de lutte antiterroriste, des compléments récemment apportés au cadre juridique relatif à la lutte contre le terrorisme et de ceux à venir, que votre rapporteur considère que la présente prorogation doit, autant que possible, être la dernière.

Dans ce contexte et sur proposition de son rapporteur, votre commission a par conséquent approuvé une nouvelle prorogation de l'état d'urgence jusqu'au 1 er novembre 2017, cette date apparaissant suffisante pour permettre l'examen et l'adoption par le Parlement du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, en l'assortissant de précisions et d'un complément destiné à tirer les conséquences de la récente décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017 ( M. Émile L. ) du Conseil constitutionnel.

I. LE BILAN DE LA CINQUIÈME PHASE DE L'ÉTAT D'URGENCE

A. RAPPEL DU CALENDRIER DES PHASES DE L'ÉTAT D'URGENCE DÉCLARÉ LE 14 NOVEMBRE 2015

L'état d'urgence, qui s'applique en France depuis le 14 novembre 2015, a déjà connu cinq phases continues.

La première phase a débuté le 14 novembre 2015 à zéro heure avec la déclaration d'état d'urgence, sur le territoire métropolitain, effectuée par les décrets du 14 novembre 2015 4 ( * ) . Le périmètre géographique d'application de l'état d'urgence a ensuite été élargi aux territoires de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion, de Mayotte, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin par deux décrets pris le 18 novembre 2015 5 ( * ) . La prorogation de l'état d'urgence au-delà d'un délai de douze jours ne pouvant être autorisée que par la loi, le Parlement a été saisi d'un texte de prorogation dès la semaine du 16 novembre 2015, lequel a été définitivement adopté par le Sénat, dans les mêmes termes que ceux retenus par l'Assemblée nationale, le 20 novembre.

La première phase d'application de l'état d'urgence s'est ainsi poursuivie avec la prorogation, par la loi du 20 novembre 2015 6 ( * ) , pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015.

La deuxième phase de l'état d'urgence s'est ouverte avec la prorogation pour une durée de trois mois, à compter du 26 février 2016 à zéro heure, résultant de la loi du 19 février 2016 7 ( * ) .

La troisième phase , débutant le 26 mai 2016 à zéro heure en application de la loi du 20 mai 2016 8 ( * ) et qui excluait la possibilité pour les autorités administratives d'ordonner des perquisitions administratives, aurait pour sa part dû s'achever le 26 juillet 2016 à minuit.

Toutefois, la loi du 21 juillet 2016 9 ( * ) - discutée et adoptée dans les jours ayant suivi l'attentat de Nice du 14 juillet 2016 - a prévu une entrée en vigueur immédiate de ses dispositions 10 ( * ) , faisant démarrer la quatrième phase de l'état d'urgence dès le vendredi 22 juillet 2016 à zéro heure, et ce pour une durée de six mois, avec une réactivation de la possibilité pour les autorités compétentes d'ordonner des perquisitions administratives. Contrairement aux textes de loi adoptés en février et mai 2016, dont la vocation était strictement limitée à la prorogation de l'état d'urgence, le Parlement, en grande partie à l'initiative du Sénat, a enrichi le texte de prorogation du mois de juillet 2016 avec de nombreuses dispositions de fond tendant à renforcer les prérogatives des autorités administratives dans le cadre de l'état d'urgence et à améliorer les outils de droit commun dans le domaine de la lutte antiterroriste.

La fin de la quatrième phase de l'état d'urgence aurait dû intervenir le 22 janvier 2017 à minuit. Toutefois, la démission du Gouvernement de M. Manuel Valls 11 ( * ) , le 6 décembre 2016, a provoqué une anticipation de cette échéance puisque, selon l'article 4 de la loi du 3 avril 1955, « la loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ». L'état d'urgence aurait donc dû cesser le jeudi 22 décembre 2016 en l'absence d'un nouveau texte législatif de prorogation entrant en vigueur avant cette date.

Le Parlement a par conséquent été saisi, dès la semaine du 12 décembre 2016, d'un nouveau projet de loi de prorogation, adopté par le Sénat le 15 décembre dans les mêmes termes que ceux de l'Assemblée nationale.

Conformément à la loi du 19 décembre 2016 12 ( * ) , la cinquième phase de l'état d'urgence est entrée en vigueur le 22 décembre 2016 à zéro heure jusqu'au 15 juillet 2017 13 ( * ) . Pour éviter que l'état d'urgence cesse de s'appliquer en raison des démissions du Gouvernement qui interviennent systématiquement après les résultats des élections présidentielle et législatives, la loi du 19 décembre 2016 14 ( * ) a prévu expressément que l'article 4 de la loi du 3 avril 1955 ne serait pas applicable en cas de démission du Gouvernement consécutive à l'élection du Président de la République ou à celle des députés à l'Assemblée nationale au cours de la cinquième phase.


* 1 Historiquement, la précédente période d'application la plus longue de l'état d'urgence est celle qui avait été décidée pendant la guerre d'Algérie : à la suite du « putsch des généraux », l'état d'urgence fut déclaré à compter du 23 avril 1961 par deux décrets du 22 avril 1961. La dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 octobre 1962, eut pour conséquence de mettre fin à cet état d'urgence, conformément à l'article 4 de la loi du 3 avril 1955, soit une durée continue d'application de 18 mois.

* 2 Exposé des motifs du présent projet de loi.

* 3 Texte devenu la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016.

* 4 Décrets n° 2015-1475 et n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 modifiant le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015.

* 5 Décrets n° 2015-1493 et n° 2015-1494 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 6 Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 7 Loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 8 Loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 9 Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.

* 10 L'exécutif a fait application du deuxième alinéa de l'article 1 er du code civil qui prévoit, par dérogation au premier alinéa, qu'en cas d'urgence le décret de promulgation d'une loi peut prévoir son entrée en vigueur dès le jour de sa publication au Journal officiel (et non le lendemain).

* 11 Décret du 6 décembre 2016 du Président de la République relatif à la cessation des fonctions du Gouvernement.

* 12 Loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 13 Article 1 er de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016.

* 14 Article 4 de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016.

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