B. DES INTERROGATIONS SUR LES MOYENS À METTRE EN oeUVRE

Lors des auditions de votre rapporteur, les représentants des magistrats des juridictions financières se sont interrogés sur l'opportunité de fixer un « programme de contrôle » pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux dont les recettes dépassent 100 millions d'euros.

De leur point de vue, la liberté d'organisation laissée aux présidents des chambres régionales et territoriales des comptes constitue une garantie d'indépendance des juridictions financières et permet de concentrer les contrôles sur les comptes présentant le plus de risques de dérapage .

En outre, le renforcement des contrôles de gestion et la création du contrôle de l'annualité budgétaire pourraient représenter une charge supplémentaire pour les chambres régionales et territoriales des comptes, en particulier en Île-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Provence-Alpes-Côte d'Azur et dans les Hauts-de-France.

D'après les informations recueillies par votre rapporteur, la proposition de loi pourrait nécessiter d' augmenter de moitié les « personnels de contrôle » de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France 104 ( * ) .

De même, l'augmentation du nombre de justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière et la suppression de « l'ordre écrit » pour les fonctionnaires territoriaux conduiraient à repenser le fonctionnement de cette cour qui rend moins de dix arrêts par an - pour un stock de quarante-six affaires - et dispose de moyens très limités (un secrétaire général à mi-temps, un greffier et un greffier adjoint).

Or, comme l'a souligné notre collègue Michel Delebarre, le législateur a d'ores et déjà confié de nouvelles missions aux juridictions financières sans prévoir de moyens supplémentaires (expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales, évaluation des charges et ressources transférées entre collectivités territoriales, contrôle des établissements sociaux, médico-sociaux et des établissements de santé privés, etc .) 105 ( * ) .

Dès lors, votre commission juge nécessaire de mieux évaluer l'impact concret de la proposition de loi sur la charge de travail des personnels de l'ensemble des chambres régionales et territoriales des comptes et de la CDBF.

C. UN ENJEU PLUS LARGE : LE RÔLE ET LES COMPÉTENCES DE LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE

Votre commission s'interroge, en outre, sur le rôle et les compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

a) Les personnes justiciables devant la CDBF

Votre rapporteur rappelle que le régime d'exemption applicable aux élus locaux a été jugé conforme à la Constitution 106 ( * ) .

Comme l'indique le commentaire de la décision du 2 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a fondé son appréciation sur trois éléments : l'exemption de poursuites devant la CDBF est limitée - et non totale -, elle concerne exclusivement des poursuites de nature disciplinaire relatives à des règles techniques régissant les finances publiques et les intéressés sont soumis à un contrôle d'ordre politique 107 ( * ) .

En 2009, le projet de loi portant réforme des juridictions financières visait déjà à étendre les hypothèses de responsabilité des élus locaux devant la CDBF. Le dispositif proposé était toutefois plus encadré que la présente proposition de loi : pour être sanctionnés, les élus locaux devaient avoir agi dans le cadre de leurs fonctions, avoir été informés de l'affaire et avoir donné une instruction, « quelle qu'en soit la forme » , à un subordonné de commettre l'infraction.

À l'initiative de son rapporteur, M. Jean-Luc Warsmann, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait étendu cette responsabilité financière aux ministres 108 ( * ) . Comme l'a souligné notre collègue René Dosière, « il n'y a pas de raison de pouvoir mettre en cause un élu local qui aurait dépensé irrégulièrement quelques milliers d'euros si un ministre qui a gaspillé 16 millions d'euros n'est pas responsable » 109 ( * ) . Face à l'opposition du Gouvernement, ce texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Vingt-huit ans plus tôt, notre regretté collègue Guy Petit déclarait déjà : « c'est une fausse manoeuvre que de vouloir faire poursuivre devant [la CDBF] les maires en tant qu'élus alors que les ministres, eux, y échappent, bien qu'ils soient également les ordonnateurs et qu'ils aient un budget à leur disposition. Certes, à leur niveau, l'ordonnancement se fait par l'intermédiaire soit de très hauts fonctionnaires, soit du directeur de leur cabinet, mais les ministres ne peuvent être poursuivis (...). On concevrait mal qu'un ministre y échappe et qu'un maire d'une commune de 130 habitants puisse être poursuivi » 110 ( * ) .

Plus globalement, votre rapporteur s'interroge sur la mise en oeuvre de la responsabilité des élus locaux devant la Cour de discipline budgétaire et financière . Une simple erreur dans l'application de règles budgétaires et comptables de plus en plus complexes ne paraît pas justifier l'engagement de leur responsabilité personnel et pécuniaire.

De même, la peine d'inéligibilité de cinq ans prévue par la proposition de loi pourrait sembler disproportionnée, les fraudes électorales étant par exemple passibles d'une peine d'inéligibilité limitée à trois ans.

Enfin, il semble difficile d'évaluer les conséquences de la suppression de « l'ordre écrit » pour les seuls fonctionnaires territoriaux.

Par cohérence avec la loi « déontologie des fonctionnaires » du 20 avril 2016 111 ( * ) , votre rapporteur n'est pas favorable à un traitement différencié entre les fonctionnaires territoriaux, d'une part, et les fonctionnaires hospitaliers et de l'État, d'autre part .

b) La nécessaire réforme de la CDBF

En 2009, notre collègue député Charles de Courson déclarait : « depuis sa création, peu après la Libération, la Cour de discipline budgétaire et financière n'a pas eu plus d'efficacité qu'un sabre de bois : elle ne sanctionne que quelques personnes, auxquelles elle inflige des amendes ridicules. Il a fallu attendre des années pour qu'elle ose prononcer des amendes supérieures à 20 000 euros, alors que des fautes considérables sont commises » 112 ( * ) . Le projet de loi précité portant réforme des juridictions financières prévoyait ainsi de supprimer la CDBF, de transférer ses compétences à la Cour des comptes et de revoir l'ensemble des infractions sanctionnées.

Plus récemment, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), a souligné le manque de visibilité et d'efficacité de la CDBF 113 ( * ) , ce que les auditions de votre rapporteur n'ont fait que confirmer.

Dès lors, modifier le périmètre des justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière nécessiterait de réformer, au préalable, le fonctionnement et le champ de compétence de cette juridiction.

Après un débat nourri, votre commission a conclu à la nécessité d'approfondir sa réflexion sur le meilleur moyen de renforcer la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

*

* *

À l'issue de ses travaux, votre commission a décidé de déposer une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi.

En conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.


* 104 Chambre qui est aujourd'hui composée de cent trois personnels de contrôle, dont cinquante-trois magistrats.

* 105 Avis n° 146 (2016-2017), « Juridictions administratives et juridictions financières » , fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2017. Cet avis est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/a16-146-5/a16-146-51.pdf.

* 106 Conseil constitutionnel, 2 décembre 2016, Mme Sandrine A. [Personnes justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière] , décision n° 2016-599 QPC.

* 107 Ce commentaire est consultable à l'adresse suivante : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2016599QPC2016599qpc_ccc.pdf.

* 108 D'après M. Jean-Luc Warsmann, « s'il existe un mode de responsabilité spécifique des membres du Gouvernement, institué par le titre X de la Constitution, celui-ci ne concerne que la responsabilité pénale. Par ailleurs, les infractions relevant des juridictions financières ne constituent ni des crimes, ni des délits et ne relèvent donc pas de la Cour de justice de la République » .

Dès lors, aucun obstacle juridique ne semble s'opposer à la justiciabilité des ministres devant la CDBF.

* 109 Source : rapport n° 2790 fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi portant réforme des juridictions financières, p. 67. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r2790.pdf.

* 110 Compte rendu intégral de la séance du 19 novembre 1981.

* 111 Loi n° 2016-483 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui vise notamment à harmoniser les dispositions applicables aux trois versants de la fonction publique.

* 112 Source : rapport n° 2790 fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi portant réforme des juridictions financières, p. 47. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r2790.pdf.

* 113 « Renouer la confiance publique » , rapport au président de la République, janvier 2015. Ce rapport est consultable sur le site suivant : www.ladocumentationfrancaise.fr.

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