EXPOSÉ GÉNÉRAL

« La Société a le droit de demander compte à tout

Agent public de son administration »

Article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

Mesdames, Messieurs,

Votre commission est saisie de la proposition de loi n° 131 (2016-2017), présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues du groupe UDI-UC, visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

Aux termes de l'article 47-2 de la Constitution : « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière » .

En pratique, il n'est pas aisé de répondre à cette exigence légitime et la fiabilité des comptes locaux reste perfectible, malgré l'implication constante des élus, des agents territoriaux, des comptables publics et des chambres régionales et territoriales des comptes.

La proposition de loi de nos collègues prévoit deux mesures distinctes : le renforcement des contrôles non juridictionnels des chambres régionales et territoriales des comptes (aspect préventif) et l'élargissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière (aspect répressif).

Tout en soulignant l'intérêt des questions posées par ce texte, votre commission a décidé de déposer une motion tendant à son renvoi en commission afin d'approfondir sa réflexion et de l'étendre à des problématiques plus larges comme les moyens alloués aux juridictions financières et le rôle de la Cour de discipline budgétaire et financière.

I. LES OBLIGATIONS COMPTABLES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DE LEURS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS

Les collectivités territoriales et les établissements publics locaux suivent une procédure budgétaire et comptable normalisée , dont le contrôle échoit à plusieurs acteurs : le comptable public, les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) et la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

A. UNE PROCÉDURE BUDGÉTAIRE ET COMPTABLE ENCADRÉE

1. Le cycle budgétaire et comptable des collectivités territoriales

Pour les assemblées délibérantes des collectivités territoriales, les principales étapes de la procédure budgétaire et comptable sont :

- l'adoption du budget primitif avant le 15 avril de l'exercice concerné 1 ( * ) . Ce budget comprend deux parties distinctes : la section de fonctionnement et la section d'investissement. Il peut faire l'objet de « décisions modificatives » jusqu'au 21 janvier de l'année suivant l'exercice 2 ( * ) ;

- l'adoption du compte administratif , document de synthèse présentant les résultats d'exécution du budget avant le 30 juin de l'année suivant l'exercice 3 ( * ) . Ce document doit concorder avec le compte de gestion élaboré par le comptable public et remis le 1 er juin au plus tard.

Le cycle budgétaire et comptable des collectivités territoriales

Source : commission des lois du Sénat

Les opérations budgétaires et comptables des collectivités territoriales et des établissements publics locaux sont régies par cinq grands principes : l'annualité (le budget est prévu et exécuté sur une période d'un an), l'unité et l'universalité (le budget et les comptes regroupent la totalité des charges et des produits), la spécialité (les dépenses sont précisément identifiées) et l'équilibre réel (les sections de fonctionnement et d'investissement sont votées en équilibre, les excédents de fonctionnement pouvant être « reversés » à la section d'investissement).

Le principe de l'annualité

Comme le précise le code général des collectivités territoriales, « le budget est l'acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les dépenses annuelles » 4 ( * ) .

Le principe de l'annualité est justifié, dans un régime démocratique, par la nécessité de contrôler périodiquement l'usage des deniers publics et d' autoriser la levée de l'impôt .

Il implique, pour les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants, le « rattachement comptable » des charges et des produits à l'exercice de leur fait générateur . Cette opération comptable concerne, par exemple, les prestations réalisées en 2016 mais que la collectivité territoriale n'a pas réglées au 1 er janvier 2017. L'ordonnateur doit recenser ces dépenses et les « rattacher » à l'exercice 2016, sur une ligne comptable spécifique de classe 6.

Ce principe de l'annualité connaît toutefois trois tempéraments :

- le système des autorisations de programme (AP) et des crédits de paiement (CP) pour les dépenses d'investissement. Les AP définissent des plafonds de dépenses sur une base pluriannuelle et les CP correspondent aux dépenses pouvant être engagées pendant l'exercice afin de couvrir les engagements contractés en AP ;

- la « journée complémentaire » , qui permet à l'exécutif, du 1 er au 31 janvier de l'année n + 1, d'émettre des titres de recouvrement pour les services faits pendant l'année n ;

- les décisions modificatives , qui visent à modifier le budget en cours d'exercice.

Au niveau local, les documents budgétaires et comptables respectent des normes standardisées visant à harmoniser les écritures et à faciliter les contrôles : les normes M14 pour le bloc communal, M52 pour les départements et M71 pour les régions.

Chaque membre de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale a accès à ces documents, conformément au « droit de communication » garanti par le code général des collectivités territoriales 5 ( * ) . Les budgets et les comptes locaux sont également mis à la disposition du public . À titre d'exemple, le compte administratif des communes est consultable en mairie et une « présentation brève et synthétique » de ce document est mise en ligne « afin de permettre aux citoyens d'en saisir les enjeux » 6 ( * ) .

Dans un délai de quinze jours à compter de leur adoption, les documents budgétaires et comptables du secteur local sont transmis au préfet de département 7 ( * ) qui peut procéder à un contrôle budgétaire 8 ( * ) .

Ces obligations budgétaires et comptables ont été renforcées par la loi « NOTRe » n° 2015-991 du 7 août 2015 9 ( * ) . Son article 107 prévoit, par exemple, la présentation d'une étude d'impact financière pour « toute opération exceptionnelle d'investissement » 10 ( * ) et, pour les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants, la rédaction d'un rapport annuel sur les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés et la structure de la dette.

La loi « NOTRe » vise, enfin, à généraliser d'ici août 2019 l'envoi dématérialisé des documents adressés au comptable public par les régions, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants 11 ( * ) .

2. L'intervention du comptable public, une garantie essentielle
a) Le rôle du comptable public en cours d'exercice

Pour garantir la sincérité des comptes, le droit en vigueur repose sur une stricte séparation entre l'ordonnateur et le comptable .

L' ordonnateur engage les dépenses mais n'est pas habilité à les liquider. De même, il met en recouvrement les recettes mais ne peut les encaisser. La fonction d'ordonnateur est exercée, en pratique, par le maire, le président du conseil départemental ou du conseil régional et les élus ou fonctionnaires ayant reçu une délégation de pouvoirs.

Un ordonnateur payant directement des dépenses ou encaissant des recettes se rend coupable d'une « gestion de fait » et est sanctionné par les juridictions financières, conformément à l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 12 ( * ) .

Le comptable est un « agent de droit public ayant (...) la charge exclusive de manier les fonds et de tenir les comptes » des personnes publiques 13 ( * ) .

Il procède au paiement des dépenses et à l'encaissement des recettes à partir de l' application informatique Hélios et « ne peut subordonner ses actes de paiement à une appréciation de l'opportunité des décisions prises par l'ordonnateur » 14 ( * ) .

Le comptable public réalise, en outre, les contrôles internes prévus par l'article 19 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 15 ( * ) : il s'assure de la qualité de l'ordonnateur, vérifie la disponibilité des crédits et la bonne imputation des dépenses, contrôle la régularité des créances, etc .

À titre d'exemple, il appartient au comptable de refuser la liquidation de la dépense lorsque l'ordonnateur applique, par erreur, un taux réduit de TVA 16 ( * ) . De même, le comptable doit refuser de liquider une dépense dont le mandat n'est pas exécutoire 17 ( * ) .

En pratique, le comptable public utilise Hélios pour procéder à des « contrôles comptables automatisés » (CCA) . D'après les informations recueillies par votre rapporteur, cette application permet de mener près de soixante-dix contrôles automatisés portant, notamment, sur le rattachement des produits et des charges à l'exercice, les imputations comptables, etc .

Le comptable adapte l'intensité, la périodicité et le périmètre de ses contrôles pour les concentrer sur les opérations présentant le plus de risques budgétaires ou comptables 18 ( * ) . Comme le souligne M. Jean-Bernard Mattret, docteur en droit, « le contrôle hiérarchisé de la dépense aboutit à des procédures de dépense mieux maîtrisées (normalisation des procédures et amélioration des dispositifs de contrôle interne), plus simples (réduction du nombre de pièces justificatives produites à l'appui des ordres de paiement) et plus rapides (réduction du délai de paiement grâce à l'allègement des contrôles sur les dépenses présentant des risques et des enjeux moindres) » 19 ( * ) .

Lorsque le comptable public suspend le paiement d'une dépense, l'ordonnateur d'une collectivité territoriale peut lui adresser, à titre dérogatoire, un « ordre de réquisition » pour qu'il liquide la dépense 20 ( * ) . L'ordonnateur engage alors sa responsabilité personnelle et pécuniaire.

b) Le compte de gestion et les bonnes pratiques comptables

À l'issue de l'exercice budgétaire, le comptable public élabore le compte de gestion qui retrace, sur le plan comptable, les débits et les crédits de la collectivité territoriale ou de son établissement public.

Le compte de gestion est visé par le directeur départemental ou régional des finances publiques 21 ( * ) puis soumis au vote de l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale, parallèlement à l'adoption du compte administratif de l'ordonnateur.

Par ailleurs, le comptable public transmet à l'ordonnateur un « indice de qualité des comptes locaux » (IQCL) calculé a posteriori à partir du compte de gestion. Cet indice, qui n'est pas rendu public, est construit à partir d' Hélios et permet d'identifier des risques d'irrégularités (absence d'immobilisation, provisions trop faibles, etc .).

Enfin, un comité national relatif à la fiabilité des comptes publics locaux a été installé en 2010 : présidé par le directeur général des finances publiques, il élabore des « guides pratiques » consultables en ligne et traitant de questions techniques comme les contrôles internes ou le suivi comptable de l'actif 22 ( * ) .

En 2014, le Gouvernement, les présidents des associations d'élus et la Cour des comptes ont signé la charte nationale relative à la fiabilité des comptes locaux pour donner plus de visibilité aux travaux de ce comité.


* 1 Articles L. 1612-1 et L. 1612-2 du code général des collectivités territoriales.

L'année du renouvellement de l'assemblée délibérante, le budget primitif peut être adopté jusqu'au 30 avril.

* 2 Article L. 1612-11 du code général des collectivités territoriales.

* 3 Article L. 1612-12 du code général des collectivités territoriales.

* 4 Articles L. 2311-1 (communes), L. 3311-1 (départements) et L. 4311-1 (régions) du code général des collectivités territoriales.

* 5 Cf. , à titre d'exemple, l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales qui dispose que « tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération » .

* 6 Articles L. 2313-1 et L. 2341-1 du code général des collectivités territoriales.

Des procédures comparables sont prévues pour les départements (article L. 3313-1 du même code) et les régions (article L. 4313-1 du même code).

* 7 Cf. , par exemple, l'article L. 1612-13 du code général des collectivités territoriales pour le compte administratif. Ce délai est ramené à cinq jours pour les décisions modificatives du budget primitif (article L. 1612-11 du même code).

* 8 Cf. infra pour plus de précisions sur le contrôle budgétaire.

* 9 Loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 10 Article L. 1611-9 du code général des collectivités territoriales.

Ces opérations « exceptionnelles » sont définies par l'article D. 1611-35 du même code. Pour une commune de moins de 5 000 habitants, elles correspondent par exemple à un investissement représentant 150 % de ses recettes réelles de fonctionnement.

* 11 Articles L. 1611-9 et L. 1617-6 du code général des collectivités territoriales.

* 12 Cf. , pour plus de précisions sur la procédure de gestion de fait, le site gouvernemental « collectivités locales » est consultable à l'adresse suivante : http://www.collectivites-locales.gouv.fr/gestion-fait.

* 13 Article 13 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

* 14 Article L. 1617-1 du code général des collectivités territoriales.

* 15 Décret précité relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

* 16 Conseil d'État, 8 juillet 2005, MM. Gérard X et Didier Y , décision n° 263254.

* 17 En l'espèce, la dépense n'était pas exécutoire car la délibération correspondante de l'assemblée délibérante n'avait pas été transmise à la préfecture.

Cour des comptes, 27 janvier 2005, Centre hospitalier intercommunal de Cornouaille .

* 18 Article 42 du décret précité relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

* 19 « Budget et comptabilité - Gestion comptable », JurisClasseur collectivités territoriales, fascicule n° 2000, 1 er juin 2016.

* 20 La procédure de réquisition n'est toutefois pas applicable dans les cas énumérés par l'article L. 1617-1 du code général des collectivités territoriales (insuffisance des fonds disponibles, absence totale de justification du service fait, etc .).

* 21 Article 1 er du décret n° 2003-187 du 5 mars 2003 relatif à la production des comptes de gestion des comptables des collectivités locales et établissements publics locaux.

* 22 Ces guides sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.collectivites-locales.gouv.fr/cscf-et-fiabilite-des-comptes.

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