L'INCITATION À LA RECHERCHE

L'étude d'impact de la Commission européenne classe les États membres en fonction de la puissance de l'incitation à la recherche de leur système fiscal (crédits d'impôt, règles d'amortissement, abattements, patent boxes , etc.). Dans cette comparaison, la France se situerait à la huitième place sur 28 des systèmes fiscaux les plus favorables à la recherche . Parmi les principaux États membres, seule l'Espagne (2 ème place) se situerait devant la France. Cela montre la puissance des deux principaux instruments français : le crédit d'impôt recherche (CIR) d'une part et le taux réduit de 15 % sur les cessions ou concessions de brevets d'autre part .

La France s'est en effet, en particulier depuis la réforme du CIR en 2008, positionnée en matière de soutien à la recherche et développement privée. Votre commission des finances a pu mesurer, lors de son déplacement à Toulouse en juin 2015, combien le CIR constituait un outil essentiel d'attractivité pour la localisation en France des centres de recherche des groupes internationaux et de leurs sous-traitants.

Alors que la proposition de 2011 ne prévoyait aucune mesure en matière de recherche, l'article 9 de la nouvelle proposition de directive prévoit que les dépenses de recherche et de développement bénéficient d'une forme de « super-déduction » de l'assiette imposable, en sus de la déductibilité normale de 100 % des dépenses afférentes :

- sur-déduction de 50 % des coûts (sauf coûts liés à des actifs matériels mobiliers) jusqu'à 20 millions d'euros ;

- sur-déduction de 25 % de ces coûts au-delà de 20 millions d'euros ;

- sur-déduction de 100 % de ces coûts jusqu'à 20 millions d'euros, lorsqu'ils sont réalisés par une PME ou une entreprise nouvelle.

À cet égard, la Commission européenne indique dans son étude d'impact que l'un des objectifs poursuivis est précisément de mettre fin aux systèmes de patent box - c'est-à-dire aux systèmes permettant la défiscalisation partielle ou totale des recettes tirées de la propriété intellectuelle afin d'attirer ces actifs incorporels sur le territoire de l'État en question - qui « ne stimulent pas la R&D et pourraient plutôt servir d'instrument de délocalisation des bénéfices, résultant en d'importantes pertes de recettes ».  Elle ajoute que « les patent boxes récompensent des innovations réussies qui profitent déjà de la protection de la propriété intellectuelle ».

La compatibilité de cette super-déduction avec les mesures nationales assises sur les dépenses de recherche (crédit d'impôt, abattement, amortissements accélérés, etc.) ou des mesures assises sur les résultats de la recherche (taux réduits ou patent box ) n'est pas, à ce stade, clarifiée . Rien n'indique que l'assiette commune interdise à un État de prévoir des crédits d'impôt - qui s'analysent comme une forme de subvention sectorielle -, mais rien ne garantit non plus qu'ils auront, en ce domaine, toute latitude.

À cet égard, votre commission des finances fait sienne l'inquiétude exprimée par Bruno Mauchauffée lors de l'audition conjointe précitée : « techniquement, cette super-déduction pourrait cohabiter avec le crédit d'impôt recherche. Mais comment expliquer, politiquement, que l'on fasse vivre deux dispositifs avec le même objectif ? Surtout, connaissant la jurisprudence assez créative de la Cour de justice de l'Union européenne, une fois le sujet de la recherche et du développement figurant dans un texte européen, on pourrait imaginer qu'elle décide d'en dessaisir les États au motif qu'il s'agirait d'une entrave à la liberté d'établissement . Le crédit d'impôt recherche ne vise-t-il pas à attirer en France les laboratoires ? C'est un point d'autant plus important que le CIR a véritablement pour objet de stimuler la recherche et développement française privée, dont on sait qu'elle est lacunaire par rapport à la recherche et développement publique. Il tend à rééquilibrer ces deux types de recherche. L'idée de renoncer à cet outil devra être examinée avec attention. » Il en concluait que « transférer cette compétence à l'Union européenne doit faire l'objet d'un choix politique spécifique et assumé . Les crédits d'impôt comme le CIR et le CICE sont des dispositifs de subventionnement des entreprises, qui utilisent l'impôt comme vecteur de paiement, mais n'ont pas de lien avec la technique de l'impôt ».

Cette interprétation n'a pas été réfutée par Valère Moutarlier, directeur « Fiscalité directe, coordination fiscale, analyse économique et évaluation » de la Commission européenne, qui a indiqué que « [la Commission européenne a] prévu un système obligatoire pour les grandes entreprises, par exemple pour la recherche et le développement, parce [qu'elle ne pourrait] pas leur offrir une incitation fiscale au sein de l'ensemble de l'Union européenne sans cela. La question de la compatibilité avec des mécanismes tels que le crédit d'impôt recherche, concerne la possibilité d'agir nationalement sur le montant final de l'impôt, et non sur son assiette ; elle est moins juridique et plus politique. L'esprit de la proposition n'est pas que chacun puisse agir de manière autonome sur le montant final de l'impôt. Mais comme la directive porte sur le calcul de l'assiette, et non sur le taux ou la liquidation de l'impôt, il y a évidemment une marge de manoeuvre politique ».

Élément essentiel de notre attractivité fiscale et du positionnement de nos entreprises, l'avantage comparatif résultant du CIR doit être défendu . Cela implique non seulement que le Gouvernement fasse valoir la possibilité de maintenir, de mettre en place ou de modifier des crédits d'impôt ou d'autres instruments fiscaux en faveur d'une politique sectorielle. Cela implique surtout que la proposition d'un dispositif de super-déduction, qui, général, réduirait l'avantage comparatif de la France, soit abandonnée en application du principe de subsidiarité : le soutien à la recherche et développement privée ne ressortit pas de ce texte, dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale et de renforcer le marché intérieur, mais des politiques fiscales nationales.

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