N° 257

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 décembre 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée au nom de la commission des finances, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur les propositions de directives du Conseil COM (2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l' impôt sur les sociétés (Accis) et COM (2016) 685 final concernant une assiette commune pour l' impôt sur les sociétés ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur.

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Voir le numéro :

Sénat :

219 (2016-2017)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les propositions de directive en vue d'une assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés (propositions « Accis ») poursuivent, d'après la Commission européenne, deux objectifs. Il s'agit, d'une part, de renforcer l'équité du système fiscal , en évitant les doubles impositions, en mettant fin à des possibilités injustifiées d'optimisation fiscale, et en assurant une plus juste répartition de l'assiette fiscale par rapport aux réalités économiques de la production de la richesse au sein de l'Union européenne. Il s'agit, d'autre part, de renforcer le marché intérieur et de stimuler la croissance et l'investissement , en définissant une assiette fiscale qui tienne compte des externalités positives du financement en fonds propres ou encore de la recherche et du développement.

Ces propositions s'inscrivent dans un contexte marqué, au niveau international, par la finalisation des travaux de l'OCDE en matière de lutte contre l'érosion fiscale et le transfert de bénéfices ( base erosion and profit shifting - BEPS). L'Union européenne s'est tout d'abord saisie de ces travaux en la matière avec la directive relative à la lutte contre l'évasion fiscale 1 ( * ) , adoptée en un temps record le 20 juin 2016, soit seulement six mois après la proposition de la Commission européenne. Cette directive prévoit que les États membres doivent prendre une série de mesures pour lutter contre l'évasion fiscale :

- une limitation des surcoûts d'emprunt , afin de lutter contre l'endettement artificiel ;

- la création d'une exit tax sur les plus-values latentes des actifs transférés ;

- l'adoption de clauses anti-abus pour les montages non authentiques , qui ont pour objectif principal d'obtenir un avantage fiscal ;

- l'introduction de règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées ayant pour objet de réattribuer à la société mère les revenus d'une filiale étrangère soumise à une faible imposition ;

- l'adoption de règles permettant de lutter contre les dispositifs hybrides , qui entrainent des situations de double déduction d'un même produit dans deux États.

En revanche, malgré l'inscription de cette disposition dans la proposition initiale de la Commission européenne, la directive Atad ne contient pas la clause dite de « switch over » qui permet de taxer des produits qui remontent à la société mère venant de filiales dans des pays tiers où ils sont exonérés (cf. ci-dessous).

UNE APPROCHE GRADUÉE, QUI POSE UNE QUESTION DE COMPÉTITIVITÉ ET DE SOUVERAINETÉ

Identifiée par votre commission des finances lors de la présentation de la première proposition relative à l'Accis en 2011, l'hypothèse d'une dissociation entre la définition d'une assiette commune d'une part et la consolidation de cette assiette d'autre part se vérifie à travers l'approche graduée retenue par la Commission européenne.

Compte tenu de la forte opposition que suscite la consolidation et, en particulier, du risque qu'elle comporte pour chacun des États membres de se traduire par des transferts de recettes fiscales, l'approche graduée choisie par la Commission européenne constitue en effet la seule voie de parvenir à un accord politique . Elle permet ainsi à l'Union européenne d'avancer en matière d'harmonisation et de stabilité fiscale.

Ce faisant, il n'est pas improbable que la proposition de directive relative à l'assiette commune soit adoptée sans que le soit celle relative à la consolidation. Si le projet de consolidation pose en effet des questions qui, à ce stade, ne sont pas réglées (cf. ci-dessous), il convient de souligner que les principaux apports des propositions en termes de simplification pour les entreprises et de lutte contre l'évasion fiscale reposent sur la consolidation .

UNE QUESTION DE COMPÉTITIVITÉ : RÉFORMER LE TAUX DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS ET LES AUTRES PRÉLÈVEMENTS ACQUITTÉS PAR LES ENTREPRISES

Avec une assiette commune consolidée, la concurrence fiscale entre les États membres de l'Union européenne ne serait pas supprimée, mais concentrée sur d'autres éléments de comparaison : le taux de l'impôt sur les sociétés d'une part, et le niveau des autres prélèvements acquittés par les entreprises d'autre part .

Or, la France, avec son taux d'impôt sur les sociétés de plus de 34 % et un taux-cible en 2020 de 28 %, est l'un des pays qui présentent, avec la Belgique, l'Allemagne ou le Portugal, les taux d'impôt sur les sociétés les plus élevés de l'Union.

Il en va de même des autres prélèvements acquittés par les entreprises : les assises de la fiscalité des entreprises de 2014 avaient montré que la France se caractérise par d'importants impôts pesant sur la production (contribution sociale de solidarité des sociétés [C3S], contribution sur la valeur ajoutée des entreprises [CVAE], taxes foncières, taxe locale sur les enseignes et les publicités extérieures, etc.).

En définitive, à fiscalité constante, l'adoption de la seule directive relative à l'assiette commune d'impôt sur les sociétés se traduirait par une perte de compétitivité pour la France s'agissant des grandes entreprises . Une étude du cabinet Ernst & Young de juillet 2016 confirme cette analyse, en indiquant que « [la directive relative à l'assiette commune] aurait un impact radical en termes d'expression de la compétitivité fiscale comparée des États membres. En effet, jusqu'à aujourd'hui les écarts de taux pouvait être justifiés par une divergence d'assiette. Demain, la comparaison sera à la fois plus simple, mais aussi plus brutale. À cette seule aune, les États qui ont entrepris des politiques de baisse de leur taux nominaux (Irlande, Royaume-Uni...) apparaissent comme les grands gagnants potentiels de la comparaison résultant d'une mise en place d'une assiette commune. Par ailleurs, le chemin à parcourir pour les autres sera d'autant plus difficile que l'équilibre de leur finances publiques est dégradé et qu'ils ne respectent pas tous, loin s'en faut, les critères de déficits imposés par l'approche dite "maastrichtienne" » . L'étude en conclut que la France et l'Allemagne, qui se caractérisent toutes deux par des taux élevés, se trouvent dans cette situation paradoxale d'être à la fois favorables au projet et désavantagés par sa mise en oeuvre.

Les conséquences de l'assiette commune d'impôt sur les sociétés sur l'attractivité fiscale des États membres

Source : étude de Ernst&Young, « Compétition fiscale et projet d'une assiette commune d'impôt sur les sociétés en Europe : quelle stratégie adopter ? », mai 2016


* 1 Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.

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