Rapport n° 200 (2016-2017) de Mme Nathalie GOULET , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 7 décembre 2016

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N° 200

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 décembre 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l' approbation de la convention d' extradition signée le 2 mai 2007 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État des Émirats arabes unis ,

Par Mme Nathalie GOULET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Mmes Nathalie Goulet, Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Émorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, MM. Gaëtan Gorce, Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk, Raymond Vall, Bernard Vera .

Voir les numéros :

Sénat :

448 (2014-2015) et 201 (2016-2017)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi n° 448 (2014-2015) autorisant la ratification de la convention d'extradition signée le 2 mai 2007 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État des Émirats arabes unis.

Cette convention a pour objet de renforcer la forme la plus ancienne de coopération judiciaire en matière pénale, entre nos deux pays, qu'est l'extradition, en vue de faire face à une internationalisation croissante de la criminalité liée à la très grande mobilité des personnes et des capitaux. Elle précise la procédure officielle par laquelle un État peut demander le retour forcé d'une personne accusée ou reconnue coupable d'un crime à l'Etat ainsi requis pour qu'elle soit jugée ou qu'elle exécute la peine prononcée à son encontre dans cet État requérant. Elle devrait permettre, à l'avenir, de fluidifier les échanges, en matière d'extradition, entre la France et les Émirats arabes unis (EAU) - échanges qui restent pour l'instant modestes et profitent essentiellement à la France.

Jusqu'à présent, notre pays n'est lié par aucun dispositif conventionnel bilatéral d'extradition avec les EAU. La coopération s'effectue, soit au titre de la courtoisie internationale selon le principe de réciprocité, soit sur le fondement des conventions multilatérales adoptées sous l'égide de l'Organisation des Nations unies, auxquelles la France et les EAU sont parties.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté le présent projet de loi, cette convention apparaissant comme le meilleur moyen de dépasser les obstacles résultant des disparités de systèmes judiciaires et juridiques. Elle comporte en outre l'ensemble des garanties inhérentes à la tradition juridique française et, en particulier, assure une protection suffisante de nos ressortissants pour le cas où ils viendraient à faire l'objet d'une demande d'extradition de la part des EAU pour des faits passibles de la peine de mort, de torture, de peine ou de traitements inhumains ou dégradants.

À l'occasion de l'examen de ce texte, votre rapporteur a en outre souhaité faire un état des lieux de la coopération technique judiciaire et juridique avec les EAU, d'ailleurs modeste, comme le fait apparaître la suite du présent rapport.

PREMIÈRE PARTIE : UNE COOPÉRATION JUDICIAIRE ACCRUE AVEC LES ÉMIRATS ARABES UNIS

I. LES ÉMIRATS ARABES UNIS, UN PARTENAIRE INCONTOURNABLE

A. UN PAYS À L'ÉCONOMIE ROBUSTE OÙ VIT UNE IMPORTANTE COMMUNAUTÉ FRANÇAISE

Fondée le 2 décembre 1971, la fédération des Émirats arabes unis regroupe les sept émirats d'Abou Dhabi, de Dubaï - ces deux premiers largement dominants au plan politique et économique -, de Charjah, d'Oumm al-Qaïwan, d'Ajman, de Foujaïra et de Ras al-Khaimah. C'est un État de petite taille, peuplé de 9,8 millions d'habitants, dont seulement 12 % de nationaux.

Depuis le 2 novembre 2004, la présidence de la Fédération est exercée par Cheikh Khalifa Bin Zayed Al Nahyan, émir d'Abou Dhabi. L'émirat d'Abou Dhabi et la dynastie des Al Nahyan prédominent grâce à la manne pétrolière, les cinq émirats du Nord, plus petits et moins prospères, ne pouvant guère rivaliser avec cette puissance. Un Conseil suprême réunit les sept émirs. Le Conseil national fédéral, composé de 40 membres, pour moitié élus par un corps électoral 1 ( * ) , pour moitié désignés par les souverains de chaque émirat, fait fonction de « Parlement », dont le rôle est largement consultatif. Chaque émirat dispose d'une large autonomie dans de nombreux secteurs.

Les dirigeants émiriens, grâce aux revenus pétroliers et à leur situation géographique, ont bâti en quarante-trois ans une société prospère et économiquement moderne qui repose sur le contrat social suivant : les autorités fournissent à la population locale des conditions de vie confortables, en contrepartie d'une acceptation du modèle politique proposé. Ce contrat se fonde sur un système de redistribution, notamment en faveur des populations moins favorisées des émirats du nord : attribution de logements, accès gratuit au soin et à l'éducation, aides aux jeunes mariés, recrutements dans le secteur public (qui emploie environ 97 % des actifs émiriens).

Les EAU offrent des débouchés importants pour les intérêts français. Deuxième économie du Golfe derrière l'Arabie saoudite, le PIB nominal de l'État est estimé à 359 milliards de dollars pour 2016. L'émirat d'Abou Dhabi représente un peu plus de 60 % du PIB total, il assure plus de 90 % de la production d'hydrocarbures et gère la quasi- totalité de l'épargne accumulée dans les fonds souverains - ADIA ( Abou Dhabi Investment Authority ) gère près de 800 milliards de dollars et Mubadala 55 milliards de dollars -. Le PIB par habitant, qui s'élève à 43 000 dollars est équivalent à celui de la France

4 ème producteur pétrolier de l'OPEP avec 2,8 millions de barils par jour, 17 ème producteur mondial de gaz, classé au 7 ème rang pour les réserves mondiales d'hydrocarbures et de gaz, les EAU sont toutefois parvenus à réduire la dépendance de leur économie aux hydrocarbures en développant leurs capacités aéroportuaires, industrielles et touristiques. Aujourd'hui, le secteur pétrolier représente à peine plus de 30 % du PIB.

Les Émirats comptent parmi les pays du Golfe les mieux armés pour absorber l'impact de la baisse du prix du baril. En juin 2016, la Direction générale du Trésor française estimait que « les EAU pourront faire face sans difficulté à une période prolongée de vaches maigres » , compte tenu du niveau avancé de diversification de leur économie, de leurs importantes réserves en devises ainsi que du renforcement des deux places financières que sont Abou Dhabi et Dubaï.

Les EAU sont le deuxième partenaire de la France dans le Golfe, après l'Arabie saoudite, avec 4,93 milliards d'euros d'échanges bilatéraux en 2015. 600 entreprises françaises y sont implantées, dont plus de 75 % des entreprises du CAC 40. Elles opèrent dans des secteurs très diversifiés comme l'énergie, les transports, l'aéronautique, la finance, la grande distribution et l'hôtellerie. La France compte aussi parmi les investisseurs historiques des EAU : elle est le deuxième investisseur étranger dans l'émirat d'Abou Dhabi et le septième dans l'émirat de Dubaï.

La communauté française aux EAU connaît une croissance exceptionnelle de plus de 11 % par an. Estimée à 30 000 Français - 22 000 d'entre eux sont enregistrés auprès du consulat - c'est la troisième communauté française au Moyen-Orient, après celle d'Israël et du Liban. Environ un quart de ces Français résident à Abou Dhabi tandis que les trois quarts restant vivent à Dubai.

Votre rapporteur tient ici à souligner à cette occasion que la protection de nos ressortissants, en ces temps troublés, est grandement facilitée par leur inscription au registre des Français de l'étranger tenu par les consulats.

B. UN ALLIÉ STRATÉGIQUE QUI ACCUEILLE UNE IMPLANTATION MILITAIRE FRANÇAISE

La France et les EAU coopèrent militairement depuis 1977, date du premier accord de coopération militaire. Celui-ci a été complété par un nouvel accord de défense en 1995. Actuellement, les relations bilatérales dans ce domaine sont régies par l'accord de coopération en matière de défense signé en 2009, et ratifié en 2012, conformément à la position de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le rapport 2 ( * ) de votre rapporteur

En janvier 2008, un accord intergouvernemental fixant la création d'une implantation militaire française permanente aux EAU a été signé, dans le cadre d'un partenariat stratégique consolidé par les Livres blancs sur la défense de 2008 et 2013 qui ont défini la région comme une zone d'intérêt majeure. L'implantation militaire des forces françaises aux EAU (FFEAU) a été inaugurée en mai 2009.

Cette base opérationnelle avancée s'inscrit dans notre dispositif pré-positionné des forces de présence à l'étranger. Constituant une présence dissuasive, elle sert de point d'appui pour les déploiements opérationnels dans la région. Elle permet également le développement de la coopération militaire bilatérale et régionale, tout en facilitant l'entraînement et l'aguerrissement pour la préparation opérationnelle des unités dans les domaines du combat en zone désertique et urbanisée. Elle est également chargée d'une veille opérationnelle et stratégique dans la zone du Proche et Moyen-Orient, ainsi que dans l'Océan indien.

Forte d'environ 650 militaires des trois armées, cette base comprend trois composantes, toutes situées dans l'émirat d'Abou Dhabi : une composante navale autour du port de Mina Zayed au Nord-Est de l'Ile d'Abou Dhabi ; une composante terrestre autour du camp de Zayed Military City à 65 km d'Abou Dhabi ; et une composante aérienne sur la base d'entraînement d'Al Dahfra à 60 km d'Abou Dhabi.

Il convient de préciser que les personnels stationnés sur ces bases n'entrent pas dans le champ d'application de la présente convention, dans la mesure où les Émirats arabes unis ne peuvent réclamer, par définition, que l'extradition de personnes présentes sur le territoire français.

Il faut ajouter que ces personnels bénéficient du statut protecteur mis en place par l'accord de coopération en matière de défense de 2009 précité. L'article 11 alinéa 11 de cet accord prévoit en effet que si l'infraction dont s'est rendu coupable un militaire français est poursuivie devant une juridiction des EAU (État d'accueil), et est punie de la peine de mort, celle-ci ne sera pas exécutée et qu'une peine de substitution devra être prononcée dans un délai raisonnable par la France (État d'envoi) ; à défaut d'accord sur cette peine de substitution, conformément à l'accord interprétatif par échanges de lettres, les EAU devront définir et appliquer, eux-mêmes, une peine d'emprisonnement ou une peine d'amende. Cette situation ne s'est pas présentée à ce jour mais, le cas échéant, la détermination d'une peine de substitution par la France devrait faire l'objet d'un processus interministériel associant le ministère de la défense, le ministère des affaires étrangères et du développement international ainsi que le ministère de la justice. S'agissant de l'autorité émirienne qui devrait définir une peine d'emprisonnement ou une peine d'amende, à défaut d'accord sur la peine de substitution prononcée par la France, l'ambassadeur des Émirats arabes unis à Paris a fait savoir à votre rapporteur, par un courrier en date du 30 novembre 2016 3 ( * ) que, conformément à l'échange de lettres de décembre 2012 entre les deux ministres chargés des affaires étrangères, il s'agirait du haut comité militaire mixte chargé du suivi de l'accord précité de 2009, après avis du sous-comité juridique, chargé, sous sa direction, d'assurer le suivi des questions administratives et juridiques, afin de faciliter les procédures d'application de l'accord. Co-présidé par les chefs d'état-major des Parties, le haut comité militaire mixte est composé, pour la partie française, de l'ambassadeur de France auprès des EAU, de trois représentants du ministère de la défense, de deux représentants du ministère des affaires étrangères et pour la partie émirienne, de l'ambassadeur des EAU en France, d'un représentant du ministère des affaires étrangères, d'un représentant du ministère de l'intérieur et d'un représentant du ministère de la justice.

SECONDE PARTIE : UNE CONVENTION DE FACTURE CLASSIQUE, PROTECTRICE DE NOS RESSORTISSANTS

I. LE CONTEXTE DE LA NÉGOCIATION

À titre liminaire, votre rapporteur tient à indiquer que les services du ministère des affaires étrangères et du développement international 4 ( * ) l'ont informée que les EAU avaient signé des conventions d'extradition similaires avec le Royaume-Uni et l'Espagne.

La présente convention a vocation à compléter la coopération judiciaire en matière pénale existante entre les deux États. En effet, la France et les EAU ont déjà conclu une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, qui a été signée à Paris le 2 mai 2007 et qui est entrée en vigueur le 1 er septembre 2009. Le ministère de la justice ne conduit pas d'autres coopérations techniques avec les EAU, mais les écoles de formation judiciaires ont signé des accords de partenariat avec les instituts de formation de certains émirats. Un accord entre l'École nationale de la magistrature (ENM) et l'institut fédéral d'Abou Dhabi signé en 2002 est venu compléter celui qui a été signé en 1997 avec l'Institut judiciaire de Dubaï.

À ce jour, en l'absence de dispositif conventionnel bilatéral d'extradition, la coopération dans ce domaine s'effectue, soit au titre de la courtoisie internationale selon le principe de réciprocité, soit sur le fondement des conventions multilatérales auxquelles la France et les EAU sont tous deux parties, dont notamment la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 et la Convention des Nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003.

Selon les informations transmises par le ministère des affaires étrangères et du développement international 5 ( * ) , cette coopération, en matière d'extradition, se fait essentiellement au profit de la France. En effet, notre pays a émis 11 demandes d'extradition auprès des Émirats arabes unis depuis 2001. Une seule d'entre elles, qui a abouti à ce jour, visait des faits de terrorisme. Sur la même période, les autorités émiriennes n'ont saisi la France que d'une seule demande.

Dans le détail, les autorités françaises ont sollicité l'extradition de cinq individus depuis 2006 :

- deux individus respectivement recherchés pour des faits d'escroquerie et tentative d'assassinat n'ont pu être extradés, ayant quitté le territoire des Émirats Arabes Unis,

- une procédure est devenue sans objet en raison de l'interpellation de l'intéressé au Liban (faits d'abus de biens sociaux),

- deux demandes, qui ont chacune fait l'objet d'une décision favorable des autorités requises, n'ont toutefois pas encore abouti, la remise des individus recherchés ayant dû être différée pour satisfaire à la justice émirienne (faits d'escroquerie et de trafic de stupéfiants).

La demande émirienne se rapportait à des faits de vol avec violence et visait une personne également réclamée par le Liechtenstein, auquel la priorité a été donnée par la juridiction française saisie.

II. LES STIPULATIONS DE LA CONVENTION

Cette convention résulte d'un projet proposé par la partie française et correspond de ce fait aux standards habituellement retenus par la France en la matière qui, pour l'essentiel, découlent de la convention européenne d'extradition (CEE) du 13 décembre 1957.

Bien qu'elle ait été signée en 2007 et ratifiée par les EAU en 2008, il a fallu attendre un échange de lettres, en 2014, portant sur l'interprétation de l'article 21, pour que la préparation du dossier du projet de loi 6 ( * ) autorisant l'approbation de cette convention puisse commencer.

A. LE CHAMP D'APPLICATION

L'article 1 er consacre le principe classique en matière d'extradition selon lequel les deux États s'engagent à se livrer réciproquement les personnes qui, se trouvant sur le territoire de l'un d'eux, sont recherchées par les autorités judiciaires de l'autre, soit aux fins de permettre l'exercice des poursuites pénales, soit aux fins d'assurer l'exécution d'une peine privative de liberté, prononcée par les autorités judiciaires de l'autre État à la suite d'une infraction pénale.

Aux termes de l'article 2, les demandes d'extradition sont transmises par les autorités centrales des États, qui communiquent par la voie diplomatique. L'article 4 prévoit que ces demandes sont exécutées selon la législation nationale de l'État requis, tout comme les procédures d'arrestation provisoire et de transit.

L'article 3 pose le principe de la double incrimination : les faits donnant lieu à extradition doivent être punis par la loi des deux États.

Cet article précise les seuils retenus pour définir les infractions pouvant donner lieu à extradition. Lorsque l'extradition est demandée aux fins de poursuite , la peine encourue doit être d'au moins deux années d'emprisonnement . Lorsque l'extradition est sollicitée aux fins d'exécution d'une peine , le reliquat de la peine restant à exécuter doit être d'au moins six mois .

Le paragraphe 3 de cet article permet à l'État saisi d'une demande d'extradition visant plusieurs infractions pénales dont une ou plusieurs ne remplissent pas les conditions relatives au taux de la peine, d'accorder l'extradition également pour ces dernières.

B. LES MOTIFS OBLIGATOIRES DE REFUS D'EXTRADITION

1. Les motifs classiques de refus

L'article 5 donne la liste des motifs obligatoires de refus d'extradition. Classiquement, l'extradition ne serait pas accordée pour les infractions politiques et militaires, sous cette réserve qui consiste à ne pas considérer comme des infractions politiques, les attentats ou les tentatives d'attentat à la vie d'un Chef d'État et - spécificité de cette convention - aux membres du Conseil suprême de l'État des Émirats Arabes Unis. Selon les indications fournies par le ministère des affaires étrangères et du développement international7 ( * ), cette stipulation est habituelle et figure dans de nombreuses conventions bilatérales de même nature liant la France et d'autres États.

L'extradition serait également refusée si elle était demandée pour des considérations discriminatoires tenant à la race, à la religion, à la nationalité ou aux opinions politiques. Il en irait de même dans l'hypothèse où la personne réclamée devrait être jugée dans l'État requérant par un tribunal d'exception ou devrait exécuter une peine infligée par un tel tribunal, ou bien si un jugement définitif avait déjà été prononcé dans l'État requis ou bien si la possibilité de poursuivre pénalement l'infraction ou de punir la personne requise s'avérait prescrite par l'une ou l'autre législation, ou encore si l'infraction était exclusivement militaire.

L'article 6 interdit également l'extradition des nationaux . À cet égard, il faut rappeler que notre code de procédure pénale fait obstacle à l'extradition par la France de ses nationaux. Conformément au principe « aut dedere aut judicare » « extrader ou poursuivre », en cas de refus d'extradition fondé sur la seule nationalité, l'État requis s'engage, à la demande de l'État requérant, à soumettre l'affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale, s'il y a lieu.

2. Des dispositions spécifiques concernant la peine de mort, la torture, les peines ou les traitements inhumains ou dégradants

Par ailleurs, suivant les termes de l'article 8, l'extradition serait refusée si les faits à l'origine de la demande étaient sanctionnés par la peine capitale dans la législation de l'État requérant. Il convient de rappeler que la peine de mort est toujours en vigueur aux Émirats arabes unis pour certains crimes comme l'homicide, le viol, la haute trahison, le terrorisme, le trafic de stupéfiants et l'apostasie. Il y a eu 5 exécutions depuis 2007 ; la dernière exécution recensée (celle d'une Émirienne condamnée pour le meurtre d'une Américaine) date du 13 juillet 2015.

La convention prévoit cependant, de façon classique, que l'extradition pourra néanmoins être accordée pour de tels faits si l'État requérant donne l'engagement que la peine capitale ne sera pas exécutée, si elle venait à être prononcée. Ces stipulations reprennent celles de l'article 11, relatif à la peine capitale, de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957.

En outre, l'article 21, qui a pour effet de préserver pour chacun des États signataires les droits et obligations qui découlent pour eux des instruments internationaux auxquels l'un ou l'autre ou les deux sont parties, a fait l'objet d'un échange de lettres, en 2014, visant expressément la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH). Il y est précisé que, dans le cas de la France, la convention d'extradition ne saurait porter atteinte aux droits et obligations qui découlent pour elle de la CEDH . L'article 3 de ce texte, au besoin, permettrait ainsi de fonder un refus d'extradition, au motif que la personne réclamée serait susceptible d'être soumise à la torture, à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. On rappelle à cet égard que la charia applicable aux EAU prévoit des châtiments corporels tels que l'amputation, la flagellation et la lapidation, la peine de mort pour le vol, les actes de pillages, les relations sexuelles hors mariage, l'apostasie et la rébellion contre le pouvoir légitime.

C. LES MOTIFS FACULTATIFS DE REFUS D'EXTRADITION

L'article 7 énumère les motifs facultatifs de refus de l'extradition . Celle-ci pourrait ainsi être refusée si l'infraction avait été commise hors du territoire de l'État requérant et si la législation de l'État requis n'autorisait pas la poursuite de la même infraction commise hors de son territoire, ou si la personne réclamée faisait déjà l'objet, de la part de l'État requis, de poursuites pour l'infraction en question. Un refus pourrait être également opposé si les autorités judiciaires de la partie requise étaient compétentes pour en juger ou si elles avaient décidé de mettre fin aux poursuites, ou bien encore si un jugement définitif avait été rendu à l'encontre de la personne réclamée pour l'infraction faisant l'objet de la demande d'extradition.

Enfin, l'extradition pourrait être encore refusée pour des raisons humanitaires , notamment si elle s'avérait susceptible d'avoir des conséquences d'une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée, en raison notamment de l'âge et de l'état de santé de cette dernière.

D. PRINCIPE DE SPÉCIALITÉ ET RÉEXTRADITION

L'article 12 encadre strictement les droits de poursuivre, de détenir et de juger la personne extradée. Conformément au principe traditionnel de spécialité, la personne extradée ne peut être ni poursuivie, ni jugée, ni détenue, par l'État requérant pour des faits antérieurs et différents de ceux ayant motivé l'extradition.

Ce principe connaît les exceptions suivantes :

- soit l'État qui a livré la personne extradée y consent ;

- soit la personne extradée n'a pas quitté le territoire dans les soixante jours après l'accomplissement de sa peine ou y est retournée volontairement après l'avoir quitté.

Notons que dans le cas de modification de la qualification légale des faits à l'origine de l'extradition, la personne extradée ne pourrait être poursuivie ou jugée que si l'infraction nouvellement qualifiée visait les mêmes faits et pourrait donner lieu à extradition dans les conditions prévues par la convention.

Enfin, l'article 13 pose le principe selon lequel la réextradition au profit d'un État tiers ne peut être accordée sans le consentement de l'État qui a accordé l'extradition.

E. LES ASPECTS PROCÉDURAUX

Les articles 9, 10 et 11 précisent les règles relatives au contenu des demandes d'extradition, ainsi que les exigences de traduction . Ces demandes sont formulées par écrit et doivent contenir un certain nombre d'informations telles que les infractions visées, l'exposé des faits, leur qualification juridique, les dispositions légales applicables, ainsi que les renseignements permettant d'identifier et de localiser la personne. Doivent en outre y être joints l'original ou l'expédition authentique du mandat d'arrêt ou du jugement de condamnation.

L'article 14 prévoit la procédure d'arrestation provisoire de la personne réclamée, que l'État requérant peut solliciter avant la demande officielle d'extradition, en cas d'urgence. Le cas échéant, la demande d'arrestation provisoire contient un certain nombre d'informations permettant d'identifier et de localiser la personne ainsi que les faits qui lui sont reprochés ; elle est transmise par les autorités centrales par voie diplomatique. La durée maximale de cette arrestation provisoire est de 40 jours. Si la demande d'extradition, accompagnée des pièces nécessaires, n'est pas transmise à la partie requise dans ce délai, l'arrestation provisoire prend fin.

L'article 15 règle les hypothèses des concours de demandes en indiquant les critères que la partie requise doit prendre en compte pour statuer.

F. LES RÈGLES RELATIVES À LA REMISE ET AU TRANSIT

Aux termes de l'article 16, l'État requis informe l'État requérant de sa décision sur l'extradition, qui doit être motivée dans tous les cas. Sauf cas de force majeure, si la remise n'a pu être effectuée à la date fixée, la personne réclamée doit être libérée à l'expiration d'un délai de quarante-cinq jours. Par la suite, l'État requis peut refuser son extradition pour les mêmes faits.

L'article 17 prévoit l'ajournement de la remise si la personne réclamée est visée par une procédure en cours ou purge une peine sur le territoire de la partie requise pour une autre infraction. Dans des circonstances particulières, l'État requis peut remettre temporairement la personne dans des conditions à déterminer avec l'État requérant et en tout état de cause, sous la condition expresse que l'intéressé sera maintenu en détention et renvoyé.

Le cas de la remise d'objets provenant de l'infraction ou susceptibles de servir de pièces à conviction est traitée à l'article 18.

L'article 19 précise les règles applicables au transit d'une personne extradée par un État tiers vers la France ou les EAU à travers le territoire de l'un des deux pays. Le transit aérien fait l'objet de dispositions spécifiques.

G. LES CLAUSES FINALES

Selon l'article 20, les frais liés à l'exécution de la demande d'extradition sont à la charge de l'État requis, tandis que les frais liés au transport doivent être supportés par l'État requérant.

En revanche, les frais de nature extraordinaire nécessaires pour satisfaire la demande d'extradition sont répartis selon les conditions définies par les parties, après consultation.

L'article 22 fixe en des termes classiques la date d'entrée en vigueur ainsi que les modalités de dénonciation.

La convention entrera ainsi en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la date de réception de la dernière notification relative à l'accomplissement des procédures constitutionnelles requises. Il s'agira de la notification française dans la mesure où, par note verbale du 7 janvier 2008, les autorités émiriennes ont fait connaître à la partie française l'accomplissement des procédures exigées par son ordre juridique interne pour l'entrée en vigueur de la présente convention.

Enfin, la dénonciation de la convention par un État, qui devrait s'exercer par l'envoi d'une note écrite diplomatique adressée à l'autre État, prendrait effet six mois après la date de réception de ladite notification.

CONCLUSION

Après un examen attentif des stipulations de cet accord, la commission a adopté ce projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État des Émirats arabes unis.

Cette convention devrait permettre de fluidifier les échanges entre la France et les EAU, en encadrant l'émission des demandes, leur mode de transmission et leur exécution, renforçant ainsi l'efficacité de la coopération judiciaire bilatérale en matière pénale.

Ce texte appelle dans l'ensemble peu de remarques, dans la mesure où les obligations internationales qu'il contient résultent d'engagements européens et internationaux qui ont déjà été intégrés dans notre ordre juridique et où aucune modification des dispositions législatives ou règlementaires actuellement en vigueur n'est à prévoir. Il offre en outre toutes les garanties procédurales nécessaires en matière de protection des droits de l'Homme.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 7 décembre 2016, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, Président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Nathalie Goulet sur le projet de loi n° 448 (2014-2015) autorisant l'approbation de la convention d'extradition signée le 2 mai 2007 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat des Emirats Arabes Unis.

Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Jean-Pierre Cantegrit . - En tant que représentant des Français de l'étranger, je reçois des lettres très poignantes de compatriotes emprisonnés depuis parfois de nombreuses années dans des émirats, et plus particulièrement à Doha, pour lesquels les demandes répétitives et les interventions diverses sont, pour l'heure, sans effet. Ces emprisonnements sont le plus souvent consécutifs à des différends d'affaires avec des partenaires locaux. Je souhaiterais avoir votre avis sur la manière dont nous pourrions faire libérer ces compatriotes.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur . - Ce sujet n'a pas de lien direct avec l'extradition mais soulève néanmoins certains problèmes, notamment au Qatar ou aux Émirats Arabes Unis puisque les difficultés économiques rencontrées par certaines sociétés y entraînent ipso facto des sanctions pénales. Celles-ci consistent le plus souvent en un retrait du passeport ou en une interdiction de sortie du territoire pour les personnes concernées. Un cas identique s'était présenté à Abou Dhabi il y a quelques années.

Je pense donc que ces sujets nécessitent de nouvelles conventions ou accords bilatéraux. Les auditions menées pour la présente convention ont permis de faire le point sur les conventions et accords signés avec les Émirats Arabes Unis, notamment en ce qui concerne la formation des magistrats et des avocats et, plus généralement, la coopération des systèmes judiciaires. Beaucoup d'annonces ont été faites sur ces sujets pour peu de résultats concrets. Un large champ reste donc ouvert à des conventions bilatérales futures.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité à l'unanimité.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Ø Mardi 18 octobre 2016

Ministère des affaires étrangères et du développement international

- M. Stéphane DUPRAZ, service des conventions, des affaires civiles et de l'entraide judiciaire,

- Mme Sandrine BARBIER, chef de la mission des accords et traités

Ministère de la justice

Mme Joanna GHORAYEB, chef du bureau des négociations pénales européennes et internationales à la direction des affaires criminelles et des grâces

Ø Mercredi 16 novembre 2016

Son Exc. M. Maadhad Hareb Meghair Jaber Alkhyel, ambassadeur des Émirats Arabes Unis en France

ANNEXE 1 - CARTE RÉGIONALE

(source : ministère des affaires étrangères et du développement international)

ANNEXE 2 - RÉPONSE DE S.E. M. L'AMBASSADEUR DES EMIRATS ARABES UNIS À MME GOULET, SÉNATRICE


* 1 Ce corps électoral comptait 225 000 grands électeurs en 2015.

* 2 Voir le rapport n°724 (2010-2011).

* 3 Voir document en annexe.

* 4 Source : audition du 18 octobre 2016.

* 5 Source : réponse au questionnaire.

* 6 Celui-ci a finalement été déposé devant le Sénat en 2015.

* 7 Réponse au questionnaire et audition du 18 octobre 2016.

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