LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS SOULEVÉS PAR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La proposition de résolution européenne déposée par Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Michel Billout, Éric Bocquet et leurs collègues, invite le Gouvernement à proposer :

- que l'Union et les États membres s'engagent à reconnaître l'enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à leur avenir et retiennent un objectif de 2 % du PIB pour les dépenses d'enseignement supérieur à l'horizon 2025.

Rappelant les écarts entre les pays membres en ce qui concerne les frais de scolarité, le texte insiste sur le fait que seul un financement essentiellement public peut garantir une véritable autonomie intellectuelle des universités et la poursuite d'une réelle démocratisation de l'enseignement supérieur.

Constatant la stagnation voire la diminution des dépenses publiques en faveur de l'enseignement supérieur, il s'inquiète de voir le développement de l'enseignement supérieur reposer de plus en plus sur un financement privé et rappelle l'exemple des États-Unis qui se caractérise par un fort endettement étudiant et de fortes inégalités entre établissements. Surtout il insiste sur la nécessité d'un financement essentiellement public afin de garantir une véritable autonomie intellectuelle des universités et la poursuite de la démocratisation de l'enseignement supérieur, qu'il juge incompatible avec des droits d'inscription élevés et des bourses sur critères sociaux ne couvrant qu'une part réduite des dépenses incompressibles d'un étudiant.

- que les dépenses publiques d'enseignement supérieur ne soient pas prises en compte dans le calcul des déficits publics des États membres.

Estimant que le développement de l'enseignement supérieur est, à juste titre, un élément déterminant pour l'avenir de l'Union européenne et de ses États membres, le texte milite pour que les dépenses publiques d'enseignement supérieur ne soient pas prises en compte dans l'estimation par la Commission européenne du déficit public. Les signataires de la proposition considèrent qu'une telle disposition devrait permettre à l'Union européenne de parvenir à l'objectif de 2 % énoncé plus haut. Il s'agit du principal biais pour atteindre cet objectif faute de compétence développée de l'Union européenne dans ce domaine.

LA POSITION DE VOS RAPPORTEURES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE N° 104

Concernant la proposition de reconnaître l'enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l'avenir et de retenir un objectif de 2 % du PIB pour les dépenses d'enseignement supérieur à l'horizon 2025, vos rapporteures veulent souligner la diversité des situations européennes.

Il est certain que l'enseignement supérieur rencontre actuellement un fort besoin de financement. Massification et mondialisation de l'enseignement supérieur créent de nouveaux besoins. Outre l'augmentation du nombre d'étudiants, la course mondiale aux talents actuelle impose de réels efforts en termes de modernisation de l'enseignement supérieur.

Il est tout aussi certain que le financement de l'enseignement supérieur en Europe évolue vers une participation privée croissante. Investir dans l'éducation est source de fortes externalités positives mais aussi de forts rendements privés. Les politiques publiques s'orientent ainsi vers un ciblage des étudiants en difficulté : à une gratuité universelle, il pourra désormais être préféré par exemple l'instauration d'un revenu minimum étudiant soumis à condition de ressources. Il convient de rappeler d'ailleurs que la faiblesse relative du financement de l'enseignement supérieur en Europe, de l'ordre de 1,5 % du PIB, comparé à 2,8 % aux États-Unis, s'explique en partie par une faiblesse du financement privé.

S'il semble légitime de s'interroger sur ces changements, ceux-ci mériteraient une réflexion plus poussée. Il ne faut pas oublier la diversité des situations européennes. Certes, par opposition aux États-Unis, se détache un modèle européen à financement public majoritaire. Mais ce modèle connaît de nombreuses modulations. Cette diversité correspond d'ailleurs à des choix politiques souverains. Faire prévaloir un financement public quasi-exclusif éloignerait l'Union européenne du cadre de son intervention légitime, l'éducation n'étant, il faut le rappeler, qu'une compétence d'appui. En effet, même si la compétence éducation n'est pas une compétence principale de l'Union, compléter le cadre stratégique éducation et formation existant reste possible et même souhaitable.

S'agissant de l'application du Pacte de stabilité et de croissance, vos rapporteures s'opposent à une absence de prise en compte des dépenses publiques d'enseignement supérieur dans le calcul des déficits publics.

Il convient de rappeler en premier lieu que l'effort budgétaire en faveur de l'enseignement supérieur peut être d'ores et déjà relevé par la Commission européenne dans le cadre de son application flexible du Pacte. Celui-ci peut procéder à la fois d'une logique d'investissement mais aussi participer de réformes structurelles. Aux termes de la communication du 13 janvier 2015, la Commission peut considérer qu'un État peut déroger, dans une certaine mesure, à ses objectifs budgétaires dès lors que les dépenses constatées concourent à des investissements ou à des réformes structurelles. Vos rapporteures relèvent ainsi que la réforme italienne dite de la buona scola en faveur de l'enseignement a été intégrée par la Commission européenne dans son appréciation de la situation budgétaire de ce pays en 2015. L'Italie a ainsi été autorisée à déroger à ses objectifs budgétaires initiaux.

Aller plus loin apparaît dans le contexte actuel irréaliste et pourrait rajouter à la confusion actuelle entourant l'application du Pacte de stabilité et de croissance. Depuis la communication du 13 janvier 2015, la Commission européenne a en effet décidé de prendre en compte de nouveaux facteurs pouvant permettre aux États de s'affranchir relativement des objectifs du Pacte de stabilité et de croissance.

Ainsi, au terme de l'examen des plans des budgets nationaux pour 2016, la Commission européenne a jugé, le 17 novembre 2015, que les dépenses publiques liées à l'accueil des réfugiés répondent aux circonstances exceptionnelles définies par le Pacte de stabilité et de croissance. Leur montant ne devrait donc pas être intégré à l'évaluation des soldes budgétaires pour les années 2015 et 2016 dans le cadre de la procédure du semestre européen. Si l'écart constaté entre le déficit public et l'objectif budgétaire à moyen terme assigné dans la recommandation du Conseil est inférieur ou égal à ce montant, l'État membre concerné ne sera pas visé par une éventuelle procédure. Le président de la Commission européenne a estimé, de son côté, le 18 novembre 2015 que « les dépenses de sécurité de la France devraient être exclues des calculs entrant dans le champ des règles de l'Union européenne sur les déficits ». Plus récemment, la Commission européenne a pris en compte les dépenses liées aux tremblements de terre qui ont fragilisé l'Italie en octobre et en août dernier.

La multiplication de ces dérogations ne suscite pas l'adhésion unanime du Conseil. L'Allemagne s'était déjà montrée réservée sur l'absence de concertation préalable entre la Commission européenne et les États au moment de la parution de la communication en janvier 2015, la France ou l'Italie étant très favorables à ce nouveau dispositif. Des interrogations subsistent également quant à la façon d'évaluer les réformes structurelles ou sur les limites à apporter à l'application répétée des clauses de flexibilité.

Le Conseil économique et financier du Conseil (CEF) avait, dans ce contexte, remis un rapport sur cette question fin 2015 30 ( * ) . Le service juridique du Conseil a jugé de son côté, en avril 2015, que la clause « réformes structurelles » n'était pas assez précise. Une simple annonce des réformes à venir ne saurait ainsi être suffisante. Sur la base de ce document, le Conseil Ecofin a émis une première position commune sur cette question le 8 décembre 2015. Les États ont ainsi décidé d'imposer des limites claires aux clauses de flexibilité intégrées au « volet préventif » du pacte, c'est-à-dire applicables aux États dont le déficit public est en deçà de 3 % du PIB. Aux yeux du Conseil, l'écart temporaire et cumulatif des objectifs ne doit pas dépasser 0,75 % du PIB. Les clauses de flexibilité ne peuvent être, par ailleurs, utilisées qu'une fois durant la période d'ajustement destinée à équilibrer les comptes publics. L'application de la clause d'investissement est, en outre, plus encadrée : les gouvernements doivent désormais soumettre des informations détaillées sur les projets d'investissements au service de réformes structurelles. Ils doivent fournir, dans le même temps, une évaluation indépendante de ces investissements, en mettant notamment en avant l'impact estimé à long terme sur la situation budgétaire.

Il apparaît dans ce contexte assez délicat de proposer une nouvelle dérogation. Il convient en outre de relever que plusieurs observateurs jugent que les clauses sont déjà, en l'état, trop nombreuses, inefficaces et opaques 31 ( * ) . Notre commission avait déjà noté cet état de fait dans un rapport récent sur la phase I de l'approfondissement de la gouvernance de l'Union économique et monétaire 32 ( * ) . Dans la proposition de résolution européenne jointe au rapport qu'elle a adoptée à l'unanimité, notre commission relève la multiplication, depuis 2015, des clauses de flexibilité au Pacte de stabilité et de croissance, qui contribue, indirectement, à renforcer l'opacité autour de ce dispositif sans pour autant que ces clauses apparaissent toujours efficaces 33 ( * ) . Le texte appelait de fait à une clarification politique dans ce domaine. Approuver aujourd'hui la mise en place d'une nouvelle dérogation apparaît donc contradictoire avec le texte que nous avons voté.

Dans ces conditions, il est recommandé de ne pas adopter la proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l'enseignement supérieur comme un investissement sur l'avenir.


* 30 Le Comité économique et financier prépare les réunions du Conseil Ecofin. Il est composé de représentants des États membres - deux pour chaque État, le premier issu du ministère des finances et le second de la Banque centrale nationale -, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.

* 31 Grégory Claeys, Zsolt Darvas et Alvaro Leandro, A proposal to revive the European fiscal framework. Institut Bruegel, Issue 2016/7, mars 2016.

* 32 La phase I de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Rapport n°122 (2016-2017) de Mme Fabienne Keller et de M. François Marc au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, 14 novembre 2016.

* 33 Proposition de résolution européenne n°123 (2016-2017) sur la phase I de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, présentée par Mme Fabienne Keller et M. François Marc, au nom de la commission des affaires européennes.

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