EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 5 OCTOBRE 2016

EXAMEN DU RAPPORT

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Votée le 10 mars dernier par l'Assemblée nationale, la proposition de loi de nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech avait fait l'objet d'un renvoi en commission le 2 juin car le délai imparti nous avait semblé trop court. Il nous manquait des éléments chiffrés, ceux que l'on peut trouver dans une étude d'impact ; des points méritaient réflexion, en particulier le délit de prescription des crimes commis sur les mineurs.

Depuis, nous avons pu mener des auditions complémentaires de magistrats et de médecins légistes, dont Caroline Rey-Salmon, chef de l'unité médico-judiciaire de l'Hôtel-Dieu.

Nous pouvons partager l'objectif du texte, renforcer la cohérence des délais de prescription des crimes et délits, à condition que cela ne conduise pas à une imprescriptibilité de fait. Une infraction doit, en effet, être prescrite à un moment donné, ne serait-ce qu'au nom de ce que l'on appelle communément le droit à l'oubli.

L'Assemblée nationale a souhaité porter de trois à six ans le délai de droit commun de prescription de l'action publique des délits, et de dix à vingt ans celui des crimes - ceux des contraventions de cinquième classe resteraient inchangés, nous avons abandonné l'idée de les modifier. Le doublement des délais se justifie d'abord, avancent les auteurs de la proposition de loi, par le fait que la prescription d'un crime après dix ans n'est plus acceptable socialement. Et de renvoyer à des affaires qui ont défrayé la chronique dans lesquelles les magistrats ont dû, pour contourner la prescription, recourir à des « arguties juridiques », un terme que je place entre guillemets.

M. Philippe Bas, président . - Toujours !

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Ensuite, l'évolution des sciences et des techniques, qui permet des révélations tardives.

MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, dans leur rapport au nom de la commission des lois de 2007, préconisaient d'allonger les délais pour les mettre en cohérence avec ceux des autres pays européens. Une étude de droit comparé, dont nous avons bénéficié avant l'été, a confirmé qu'ils étaient beaucoup plus longs ailleurs. Je vous propose donc d'accepter leur doublement.

L'Assemblée nationale a transcrit dans le code de procédure pénale la liste jurisprudentielle des actes interruptifs de prescription. Il ne me semble pas opportun d'y ajouter la plainte pénale simple au commissariat risquerait d'aboutir à une imprescriptibilité de fait et de constituer un outil de pression à la main de personnes malveillantes. Le dépôt de plainte avec constitution de partie civile oblige la justice à instruire, c'est un filtre bienvenu.

Les auteurs de la proposition de loi souhaitaient rendre imprescriptibles les crimes de guerre. Face à l'opposition du Gouvernement et, singulièrement celle du ministère de la défense, un compromis a été trouvé à l'Assemblée nationale : l'imprescriptibilité a été limitée aux seuls crimes de guerre connexes à un crime contre l'humanité. Mieux vaut toutefois supprimer cette disposition : en pratique, si un crime de guerre s'inscrit dans la logique d'un crime contre l'humanité, il en devient un et, de ce fait, devient imprescriptible.

Les infractions occultes ont été parfaitement définies ; on ne peut pas en dire autant des infractions dissimulées, notion qui pourrait bien recouvrir toutes les infractions ! La jurisprudence de la Cour de cassation est constante : le délai court à partir de la connaissance de l'infraction. Cela ne pose aucune difficulté de la retranscrire. Dans leur rapport, Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung avaient introduit l'idée d'un délai butoir pour éviter une imprescriptibilité de fait ; je vous propose de la reprendre. Ainsi, pour une infraction commise en 2000 connue en 2008, l'action publique devrait être engagée avant 2010.

Sur la prescription des crimes commis sur des mineurs, nous sommes tous d'accord pour qu'elle courre à partir de la majorité. Mais les avis divergent ensuite : certaines associations, suivies par certains collègues, estiment que ces crimes devraient être imprescriptibles ; d'autres veulent porter le délai de vingt à trente ans, donc jusqu'à l'âge de 48 ans ; d'autres encore, enfin, veulent en rester à vingt ans.

Les magistrats que nous avons auditionnés l'ont souligné, le délai actuel de prescription fait obstacle au jugement d'un très petit nombre d'affaires. Ce n'est pas une raison pour ne pas l'allonger mais il faut le savoir. Lorsque les plaintes pénales sont déposées en fin de délai, preuves et témoignages sont difficiles à obtenir. Résultat, un non-lieu, voire une relaxe ou un acquittement. Le « gain », si vous me permettez ce mot, est quasi inexistant pour la victime, qui peut éprouver un sentiment de frustration. Dans ce cas, le procès, expliquent les médecins légistes, est loin de constituer un accompagnement psychologique pour les victimes ; au contraire, il représente un élément supplémentaire de complexité. Après réflexion, je suggère de maintenir un délai de prescription de vingt ans.

Si nous ne disposons pas d'une étude d'impact, nous avons fini par obtenir des chiffres de la Chancellerie : l'allongement des délais nécessiterait une augmentation de 29 à 72 équivalents temps plein (ETP) de magistrats et de 39 à 98 ETP de fonctionnaires, soit un coût supplémentaire de 3,7 à 9,3 millions d'euros.

M. François Pillet . - Le renvoi en commission n'était pas une manoeuvre dilatoire. Nous avons obtenu une étude de droit comparé et des chiffres de la Chancellerie - ce qui est important au moment où les effectifs manquent pour mettre en place la collégialité de l'instruction.

Je partage sur le fond les observations du rapporteur. Il faut éviter les interruptions de délai qui produiraient une imprescriptibilité de fait. Les délais butoirs sont une excellente disposition. Concernant les crimes commis sur mineurs, à vouloir faire mieux, on risque de faire moins bien : la victime serait encore plus accablée face au non-lieu, à la relaxe ou à l'acquittement ; un accusé innocent, même relaxé ou acquitté, aurait eu à subir un procès public qui n'est pas sans conséquences. Choisissons plutôt la solution du rapporteur, les autres sont illusoires.

M. Jacques Mézard . - Je me suis réjoui du renvoi en commission de ce texte qui posait beaucoup de problèmes. Malgré le travail positif du rapporteur, ma position n'a pas changé : l'allongement systématique de la prescription est une mauvaise réponse à une bonne question. Si la justice n'est pas capable de résoudre une affaire en dix ans, alors que les méthodes de recherche des preuves sont plus efficaces qu'autrefois, elle ne le sera guère davantage en vingt ans. Dans ma pratique professionnelle, j'ai vu le résultat lorsque les dossiers arrivent à l'audience quinze ans après les faits... Ce texte, pour répondre à une attente médiatique, s'engage dans une voie contraire à notre tradition juridique. Les objections que nous avons soulevées en première lecture montrent la capacité du Sénat à ne pas céder à de fausses bonnes idées.

M. Pierre-Yves Collombat . - Notre société est de plus en plus répressive. À l'heure où l'on entend bâtir la justice du XXI e siècle, je me demande si nous ne revenons pas plutôt à celle du XVI e ! Ce texte est là pour dissimiler la misère des moyens de la justice. C'est dans les premiers temps que les affaires sont résolues. On parle d'acceptabilité sociale... Il n'est pas certain qu'un referendum sur la peine de mort ne reviendrait pas sur son abolition. Il paraît que le populisme, c'est très mal et très vilain mais qu'est-ce que cette proposition de loi, sinon du populisme ?

L'argument technique est un peu fallacieux : il faudrait allonger les délais parce que nos techniques sont plus efficaces... Cela n'a pas de sens, de même que la proposition de l'Assemblée nationale sur les crimes de guerre. Pourquoi réformer la prescription alors que tant d'autres sujets sont prioritaires ?

M. Jean-Yves Leconte . - Le renvoi en commission a, en effet, été utile. Qu'apporte l'allongement des délais de prescription ? Comment ne pas y voir une mesure de confort pour masquer les difficultés que rencontrent certaines enquêtes ? Il est paradoxal de s'appuyer sur l'arrivée de nouvelles technologies pour le réclamer. Que signifie ce texte pour la justice ? Il y a d'autres priorités, à commencer par l'administration pénitentiaire. Évitons de mentir aux victimes ; avec le temps, la capacité à administrer les preuves diminue.

M. Jacques Bigot . - Merci au rapporteur pour son travail très équilibré. Cette proposition de loi a surpris les professionnels de cette commission, reste que nous devons aussi écouter la population. La prescription est profondément inacceptable pour les victimes : à nous d'expliquer que l'action publique vise à les protéger mais également à protéger la société, à apporter un certain apaisement. Les jurys populaires eux-mêmes, face à une personne âgée qui comparaît pour un crime ancien, sont enclins à se montrer moins sévères.

La prescription est aussi la capacité de la justice à traiter une affaire. Notre mission d'information sur le redressement de la justice devra se pencher sur le coût de la conservation des scellés et des preuves. Rien n'est pire pour une victime que de déposer enfin plainte pour se voir opposer un non-lieu, faute de preuves ; elle le vit comme une négation de sa souffrance.

M. René Vandierendonck . - À mon tour de me féliciter du renvoi en commission. Je ne peux pas m'empêcher de faire le parallèle entre ce texte et la troisième étude que le Conseil d'Etat vient de consacrer à la simplification et à la qualité du droit. Ne peut-on pas organiser une rencontre à tête reposée avec ses auteurs, comme nous l'avions fait lors de la publication de l'étude sur le droit souple ?

M. Philippe Bas, président . - Merci pour cette suggestion.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Malgré l'excellent travail du rapporteur, je reste moi aussi sur mes positions de départ. Je vois une contradiction entre l'allongement des délais de prescription et l'évolution des techniques de recherche de preuves. Tous les spécialistes, enquêteurs comme magistrats, vous le diront : pour récolter des preuves, il faut agir vite, se rendre sur la scène de crime le plus rapidement possible. Que se passera-t-il en cas d'allongement des délais de prescription ? On se précipitera sur les lieux du crime puis on laissera l'affaire en suspens ? Plus le temps passe, plus la justice est difficile à rendre, sans compter que les témoignages s'altèrent avec le temps.

M. Jean Louis Masson . - On ne résoudra pas les vrais problèmes de la justice avec ce texte. Allonger les délais de la prescription pénale est un non-sens. Il faut déjà cinq à six ans aux juges pour boucler une affaire évidente ! Nos concitoyens en ont assez : quand ils portent plainte, leur dossier prend un temps fou à avancer à cause de moyens de procédure qui devraient être traités en deux à trois mois maximum.

Je suis très réticent sur les crimes de guerre, il n'y a qu'à voir la manière dont on est traité le génocide arménien. Visiblement, il y aurait les mauvais crimes contre l'humanité et les bons.

M. Philippe Kaltenbach . - Je suis déçu par la position du rapporteur sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs. Souvenons-nous que le Sénat a voté il y a trois ans une proposition de loi de Mmes Jouanno et Dini. J'en étais le rapporteur. Mme Violaine Guérin, présidente de l'association « Stop aux violences sexuelles », m'avait convaincu : l'amnistie traumatique est une réalité. Les victimes veulent un procès, même si elles savent que les faits seront difficiles à prouver. J'avais proposé que la prescription, sans être supprimée comme le souhaitaient les auteurs de la proposition de loi, soit portée à trente ans pour les crimes commis sur les mineurs. Et j'avais fini par rallier Mme Dini à cette solution. S'il est possible de trouver des preuves d'un crime contre l'humanité cinquante ans après, pourquoi pas pour des crimes sur mineurs ? C'est ce que les victimes et les associations attendent de nous.

M. Pierre-Yves Collombat . - Ce n'est pas la justice !

M. Alain Richard . - Je rejoins la position du rapporteur. La prescription est, non un acte d'indulgence, mais un outil de prévention des erreurs judiciaires. Si les preuves sont insuffisantes, la justice peut se retrouver en défaut.

L'allongement de la prescription n'accentuera pas la lenteur de la justice. Cette lenteur s'explique d'abord par l'hésitation de la victime à porter plainte, ensuite par la mobilité grandissante des Français.

N'oublions pas la tendance actuelle à requalifier les actes graves en délits pour éviter la loterie des assises - nous en avons beaucoup parlé à propos du terrorisme. Pour certains délits punis de dix ans d'emprisonnement, le délai de prescription de trois ans est trop court. La comparaison avec les autres pays européens est éclairante : le délai de prescription y est souvent plus long pour les délits punis de cinq ans d'emprisonnement et plus que pour les délits ordinaires. Sur ce point, la proposition de loi fait un choix juste.

Un délai de vingt ans à partir de la majorité suffit pour les infractions sur mineurs, le porter à trente ans entraînera frustration et échec judiciaire.

Le traitement du crime de guerre, qui est le plus souvent un acte localisé, un dérapage militaire où est porté gravement atteinte à la population civile, se rapproche de la justice civile, contrairement au crime contre l'humanité qui recouvre, lui, une notion politique et mobilise les modes de preuve de l'historien. Respectons la frontière entre les deux : la notion de crime de guerre connexe à un crime contre l'humanité n'a pas de sens juridique. Elle serait censurée par le Conseil constitutionnel, parce que contraire au principe de légalité des délits et des peines. La connexité est une notion de procédure, certainement pas de fond.

Sur la date d'application, j'ai compris que les actes prescrits au jour de l'entrée en vigueur de la loi le resteraient, et que seuls les faits futurs ou dont la prescription court toujours seraient concernés. Est-ce bien cela ?

M. Michel Mercier . - Je me méfie de ces textes sur la prescription. Leur objectif n'est pas forcément une bonne administration de la justice, il est plutôt de répondre à telle ou telle affaire d'actualité. Bravo à notre rapporteur, il n'a pas perdu de vue le premier aspect. Pourquoi parle-t-on de prescription ? Parce que ceux qui auraient pu porter plainte, entre autres dans une affaire qui a secoué le Rhône, ne l'ont pas fait...et que la presse a amplifié l'affaire. Les juges trouvent pourtant toujours les moyens de faire échec à la prescription lorsqu'il le faut. Disons clairement que nous leur faisons confiance. Ce n'est pas en allongeant les délais de prescription qu'on réglera l'affaire étalée dans le journal du matin. Je me rallierai à la position du rapporteur sans enthousiasme.

Mme Catherine Tasca . - Je souscris globalement à l'analyse du rapporteur, notamment à ses arguments sur la difficulté à réunir les preuves. En revanche, je l'encourage à prendre le temps d'approfondir la question des violences sur les mineurs non seulement parce que ces crimes sont odieux mais aussi parce que ces actes sont parfois reproduits par les victimes elles-mêmes, qui prolongent ainsi dans le temps l'horreur du crime initial. Il faut envoyer un signal fort indiquant que, même si la victime réagit tardivement, ce type d'agression ne passera pas aux oubliettes. Ce ne sont pas, je le répète, des crimes ordinaires ; les victimes sont mineures, elles ne sont pas aptes à réaliser pleinement les violences qu'elles subissent. Ne mettons pas sur le même plan la prescription en général et celle des crimes sur mineurs.

M. Jean-Pierre Sueur . - Après réflexion, je suivrai la position du rapporteur sur la prescription des infractions sur mineurs, bien que je ne méconnaisse pas les arguments défendus pas les associations et par mon collègue Philippe Kaltenbach. Et ce, au nom de l'équilibre : si le délai de la prescription des meurtres est de vingt ans, il est cohérent de conserver cette même durée pour les crimes sur mineurs.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Monsieur Richard, ce texte s'appliquera aux infractions dont la prescription n'est pas acquise.

Monsieur Kaltenbach, le Sénat avait effectivement adopté une prescription de trente ans pour les crimes sur les mineurs mais c'était sous une autre majorité. J'ajoute que l'Assemblée nationale l'avait rejetée. Je le reconnais, la question est loin d'être simple à trancher.

M. François Pillet . - Alain Richard a été clair sur la prescription des délits. J'ajoute qu'un délai de six ans s'applique déjà à certains d'entre eux, notamment à la fraude fiscale. La cause est donc entendue, nulle révolution juridique là-dedans. Les actes de violence, d'escroquerie ou de vol ont autant d'importance pour les victimes que la fraude fiscale en a pour l'État.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1 er

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-8 supprime une précision inutile, on sait que les dispositions spéciales dérogent aux règles générales.

L'amendement COM-8 est adopté.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-7 tend à supprimer le caractère imprescriptible des crimes de guerre connexes à un crime contre l'humanité. Je n'y reviens pas.

M. Philippe Bas, président . - L'argument juridique est imparable.

L'amendement COM-7 est adopté.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-9 supprime les dérogations au délai de droit commun prévues pour la prescription de l'action publique des délits d'apologie du terrorisme ou de provocation à des actes de terrorisme, à savoir une prescription de trois ans au lieu de vingt.

L'amendement COM-9 est adopté.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-10 rassemble, au sein du même article du code de procédure pénale, les dispositions relatives au report du point de départ des délais de prescription de l'action publique pour les infractions sexuelles sur mineurs, les infractions occultes ou clandestines et le crime de clonage reproductif lorsque celui-ci a conduit à la naissance d'un enfant. Il supprime également la notion d'infraction dissimulée, excessivement vaste. Enfin, il prévoit un délai butoir à l'action publique, en cas de report du point de départ de la prescription pour les infractions occultes.

L'amendement COM-10 est adopté.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-11 précise la liste des actes interruptifs de prescription. En est exclue la plainte simple.

L'amendement COM-11 est adopté.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-12 encadre le champ des obstacles suspendant le cours de la prescription. D'une part, il précise que l'obstacle de droit ne peut être prévu que par la loi pour éviter toute extension jurisprudentielle. D'autre part, il limite le caractère subjectif de l'obstacle de fait insurmontable en précisant, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'il doit être assimilable à la force majeure.

L'amendement COM-12 est adopté.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-3, déposé par M. Kaltenbach, porte à trente ans le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs. Je l'ai dit, j'y suis défavorable.

M. Philippe Kaltenbach . - Le Sénat, je le rappelle, avait adopté cette disposition lors de l'examen de la proposition de loi de Mmes Dini et Jouanno, deux sénatrices centristes. Le vote, s'il a eu lieu sous une autre majorité, dépassait largement les clivages politiques. Le rapporteur a lui-même déposé un amendement similaire sur ce texte voilà quelques mois. Il a évolué, semble-t-il...

M. Philippe Bas . - Nous lui avons, en effet, demandé d'approfondir sa réflexion en adoptant la motion de renvoi en commission.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Vous insinuez que j'aurais changé de pied à la faveur de circonstances particulières ? Non, et je vous prie de croire à la sincérité de mon évolution sur le fond.

M. Philippe Kaltenbach . - Mmes Dini et Jouanno souhaitaient instaurer l'imprescriptibilité de ces crimes. Nous proposons, pour notre part, d'instaurer une prescription de 30 ans. Dans huit cas sur dix, les enfants sont violés par des parents ou des personnes proches. Souvent, les victimes ne prennent pas conscience de la violence de l'acte puis souffrent d'une amnésie traumatique. Les souvenirs remontent seulement quand leurs propres enfants atteignent l'âge qu'elles avaient au moment du crime. Une femme m'a raconté comment la mémoire lui est revenue au moment du départ de sa fille de 13 ans en vacances avec son père. D'où notre proposition de trente ans de prescription à compter de la majorité, soit 48 ans, c'est-à-dire le moment auquel on a des enfants susceptibles d'avoir l'âge que l'on avait quand on a subi un crime sexuel.

Les victimes seraient déçues par le procès ? Elles le demandent, tout en sachant la difficulté.

Enfin, un prédateur sexuel agissant sur des mineurs a malheureusement tendance à répéter ces actes odieux. Tout ce qui pourra éviter que de nouveaux enfants soient violés sera bien perçu par l'opinion.

Rendons hommage à notre ancienne collègue Mme Dini en votant mon amendement.

M. Jacques Bigot . - Ce sujet difficile doit être resitué dans son contexte, en particulier celui de la médiatisation des affaires dans le Rhône. Le proche agresseur peut être un membre de la famille mais aussi un éducateur ou un enseignant. Amnésie traumatique ou non, ce n'est qu'une fois adulte que les victimes sont capables de parler. Elles le seront d'autant plus que notre société change. Voyez l'inceste, il n'est plus tabou comme il l'était hier. Les affaires émergeront plus vite qu'autrefois. Expliquons-le aux associations d'aide aux victimes, faisons leur comprendre le principe de la prescription.

Notre rapporteur l'a dit, la question est difficile à trancher. Pour ma part, je soutiendrai sa proposition plutôt que celle de mon collègue Philippe Kaltenbach.

Mme Éliane Assassi . - Le groupe communiste républicain et citoyen aussi !

M. Philippe Bas . - Ce débat, qui oppose des arguments sérieux de part et d'autre, devait avoir lieu. Néanmoins, nous avons adopté, mes chers collègues, l'amendement COM-10 qui a supprimé l'alinéa 4, que l'amendement COM-3 de M. Kaltenbach modifie. Par conséquent, cet amendement n'a plus d'objet.

L'amendement COM-3 n'a plus d'objet.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'avis est défavorable à l'amendement COM-1, satisfait par le doublement des délais de prescription. Sur la forme, il repose sur une confusion entre le délit de non-dénonciation de fait commis sur un mineur, visé par l'article 434-3 du code pénal, et celui de non-dénonciation de crime, visé par l'article 434-1 du même code. Seules les infractions commises sur un mineur doivent bénéficier d'un report du point de départ de la prescription à compter de la majorité.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

M. François-Noël Buffet . - Avis défavorable à l'amendement COM-5, par cohérence avec les amendements précédents.

L'amendement COM-5 n'est pas adopté.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Idem pour l'amendement COM-4.

L'amendement COM-4 n'est pas adopté.

Article 2

L'amendement de coordination COM-14 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-13 est adopté.

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - J'émets un avis défavorable à l'amendement COM-2 car il existe un délit spécifique de non-dénonciation de crime, je viens de l'indiquer.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

Article 3

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-15 maintient une prescription de trois ans pour les contraventions douanières tout en étendant le délai de prescription pour les délits douaniers.

L'amendement COM-15 est adopté.

M. François Pillet . - Peut-être devrais-je inclure un délai butoir de trois ans dans mon amendement COM-6. Nous pourrions le modifier en séance après les débats qui auront eu lieu sur la même disposition au sein du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté. L'imprescriptibilité de fait va contre toutes mes convictions.

M. Philippe Bas . - Faut-il reprendre dans ce texte cette disposition que la commission spéciale a adoptée dans le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté ?

M. François Pillet . - Et qui fait débat !

M. Alain Richard . - La procédure d'adoption du texte « Égalité et citoyenneté » nous empêche de revenir sur l'amendement de la commission spéciale qui reportait, je le rappelle, le point de départ de la prescription en matière de presse jusqu'à la disparition de l'information sur internet. Mieux vaudrait limiter cette disposition, qui pourrait entraîner un report quasiment infini de la prescription, en instituant un délai butoir, à la charge de l'autorité de l'instruction, qui identifiera la date à laquelle la personne visée a pu avoir connaissance de l'infraction.

M. François Pillet . - Je suis parfaitement d'accord.

M. Philippe Bas, président . - Cet amendement, de même que son équivalent dans le texte « Égalité et citoyenneté, modifie une disposition de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. S'il ne vise pas la reproduction du contenu incriminé sur un support papier, il pourrait s'appliquer aux journaux et articles publiés exclusivement sur internet. De ce fait, il ne protège pas des publications qui devraient relever de la liberté de la presse, ce qui peut susciter des critiques de la part des journalistes. Je suggère à l'auteur de l'amendement de ne pas l'inclure dans le texte de la commission et de le présenter en séance afin que nous puissions en débattre.

M. François Pillet . - Je suis d'accord, monsieur le président, et je propose à Thani Mohamed Soilihi et Alain Richard, qui soutenaient le même amendement lors de l'examen du texte « Égalité et citoyenneté », de travailler avec moi à une nouvelle rédaction pour la séance.

L'amendement COM-6 est retiré.

Article 4

L'amendement de coordination COM-16 est adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 4

M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Amendement de coordination pour l'outre-mer.

L'amendement COM-17 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er
Prescription de l'action publique

M. BUFFET, rapporteur

8

Amendement de précision

Adopté

M. BUFFET, rapporteur

7

Suppression du caractère imprescriptible
de certains crimes de guerre

Adopté

M. BUFFET, rapporteur

9

Suppression des dérogations prévues
pour les délits d'apologie ou
de provocation à des actes de terrorisme

Adopté

M. BUFFET, rapporteur

10

Détermination d'un délai butoir
et encadrement des reports
du point de départ de la prescription

Adopté

M. BUFFET, rapporteur

11

Précision des actes interruptifs
de la prescription

Adopté

M. BUFFET, rapporteur

12

Encadrement du champ d'application
des obstacles de droit et de fait,
suspendant la prescription

Adopté

M. KALTENBACH

3

Allongement de la prescription
des crimes définis à l'article 706-47
du code de procédure pénale,
commis sur les mineurs

Sans objet

M. KALTENBACH

1

Allongement du délai de prescription
du délit de non dénonciation
des mauvais traitements

Rejeté

M. KALTENBACH

5

Allongement du délai de prescription
pour les délits prévus à l'article 706-47
du code de procédure pénale,
commis sur les mineurs

Rejeté

M. KALTENBACH

4

Allongement de la prescription
de certains délits commis sur les mineurs

Rejeté

Article 2
Prescription des peines

M. BUFFET, rapporteur

14

Coordination avec la suppression
de l'imprescriptibilité
de certains crimes de guerre

Adopté

M. BUFFET, rapporteur

13

Rédactionnel

Adopté

M. KALTENBACH

2

Modification du délit
de non-dénonciation des délits

Rejeté

Article 3
Coordinations

M. BUFFET, rapporteur

15

Prescription des contraventions
et des délits douaniers

Adopté

M. PILLET

6

Allongement du délai de prescription
pour les infractions commises en ligne

Retiré

Article 4
Dispositions transitoires

M. BUFFET, rapporteur

16

Coordination avec la suppression
de l'imprescriptibilité de certains crimes de guerre

Adopté

Article additionnel après l'article 4

M. BUFFET, rapporteur

17

Application outre-mer

Adopté

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