EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 septembre 2016, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, Président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Jean-Pierre Cantegrit sur le projet de loi n° 751 (2015-2016) autorisant la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et du protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs.

M. Jean-Pierre Cantegrit , rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et de son protocole complémentaire sur la répression de la capture illicite d'aéronefs.

Ces deux textes, adoptés par consensus à Pékin, le 10 septembre 2010, sous l'égide de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) visent à renforcer - et à remplacer - la convention de Montréal et la convention de la Haye qui, depuis plus de quarante ans, garantissent la sûreté de l'aviation civile internationale contre les risques de terrorisme aérien.

Ces deux instruments s'inscrivent dans le contexte d'un nombre croissant de victimes d'actes illicites contre l'aviation civile internationale : depuis le premier acte commis en février 1931 2 ( * ) , on compte près de 1 100 actes violents contre l'aviation civile, dont la grande majorité dans les années 1960 à 1990. Leur nombre a diminué à partir des années 1990 - de 200 en 1990, on passe ainsi à 80 en 2000 puis à 12 en 2010 - avec pour contrepartie un accroissement significatif du nombre de victimes. On passe ainsi de 320 morts entre le début des années 1930 et la fin des années 60 à 2 300 dans les années 1980 et à plus de 3 250 dans les années 2000. Au total, les actes de violence contre l'aviation civile auraient causé la mort de près de 6 300 personnes depuis 1931. À signaler que plus des trois quart des victimes ont perdu la vie au cours des 20 attaques les plus meurtrières - l'attaque du 11 septembre représentant à elle seule près de la moitié des victimes.

Ces deux instruments s'inscrivent également dans le contexte d'un changement de nature des menaces dirigées contre l'aviation civile internationale : l'histoire des actes de piraterie aérienne a connu grosso modo trois grandes phases. Une première phase où l'objectif recherché était surtout de faire pression sur des gouvernements pour obtenir des rançons, la libération de détenus, une inflexion de leur politique ou bien encore l'asile politique. Les détournements d'aéronefs, bien que violents, ne faisaient pas ou peu de victimes. La deuxième période commence dans les années 1970, lorsque des groupes armés - voire des États - cherchent à détruire des aéronefs ciblés pour faire le maximum de victimes et accroître ainsi leurs pressions sur les autres États et/ou intimider des populations, au moyen de tirs d'armes de guerre contre des appareils en vol ou au sol ou par le placement de bombes à bord. Ce mode opératoire aurait causé au moins 2 500 victimes jusqu'à la fin des années 1990. On se souvient des 270 victimes de l'explosion du Boeing 747 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, en décembre 1988, un attentat reconnu, en 2003, par le régime libyen de Mouammar Kadhafi. Les conventions de Montréal et de la Haye ont été adoptées, au début de cette période, en vue d'ériger en infractions internationales, le fait de commettre un acte de violence, quelle que soit sa nature, mettant en cause la sûreté d'un aéronef ainsi que la capture illicite d'aéronef civil. La troisième phase correspond à l'utilisation d'aéronefs comme armes pour conduire des attaques, en les projetant sur une cible, ainsi qu'à une intensification des attaques visant à détruire des appareils pour causer le maximum de victimes. Sont ainsi particulièrement emblématiques, les attentats du 11 septembre 2001, lorsque 19 terroristes ont détourné 4 avions de ligne pour les écraser sur le World Trade Center, le Pentagone et en Pennsylvanie. Avec 2 977 morts et disparus, il s'agit de l'acte de violence le plus meurtrier de l'histoire de l'aviation civile. Cette forme d'attaque est assez largement le fait du terrorisme islamiste qui compte à son actif une vingtaine de tentatives ou d'actes réussis depuis 1994 3 ( * ) . Pour faire face à ces nouvelles menaces terroristes, notamment au risque de plus en plus grand de voir des aéronefs employés comme vecteurs d'une attaque contre des cibles au sol ainsi qu'à la prolifération des armes de destruction massive, l'Organisation de l'aviation civile internationale a entamé, dès 2001, des réflexions en vue de renforcer les conventions existantes. Les deux instruments de Pékin que nous examinons aujourd'hui se présentent comme l'aboutissement de ces réflexions.

Venons-en aux dispositions de ces deux textes : elles sont pour la plupart rédigées de manière analogue, même si ceux-ci poursuivent des objectifs spécifiques :

La Convention de Pékin, composée de 25 articles, a pour principal objet de compléter la convention de Montréal qui visait les actes violents mettant en danger la sûreté d'un aéronef et des personnes à bord. Elle crée notamment plusieurs nouvelles infractions visant à incriminer un certain nombre d'actes, dès lors qu'ils sont commis dans le but de causer la mort, des blessures ou des dommages graves à des biens ou à l'environnement et qui sont relatives à l'utilisation d'un aéronef « en service » comme arme, au largage à partir d'un aéronef de substances biologiques, chimiques ou nucléaires dites « arme BCN » ou encore des matières explosives ou radioactives, à l'utilisation d'arme BCN ou de matières similaires contre ou à bord d'un aéronef, au transport illicite d'arme BCN ou de matières similaires et enfin à l'interruption des services d'un aéroport à l'aide d'un dispositif, en particulier les cyber-attaques contre les installations de navigation aérienne.

Le protocole de Pékin, composé également de 25 articles, a pour objet de renforcer la convention de la Haye qui visait les détournements d'aéronefs en vol, la tentative de commettre cette infraction ainsi que la complicité dans sa commission. Il érige désormais en infraction pénale le fait de s'emparer, illicitement et intentionnellement d'un aéronef « en service », c'est-à-dire d'un appareil « se trouvant au sol depuis le moment où le personnel au sol ou l'équipage commence à le préparer en vue d'un vol déterminé jusqu'à l'expiration d'un délai de 24 heures suivant tout atterrissage » ou d'en exercer le contrôle par tout moyen technologique.

Outre la complicité et la tentative déjà prévues, ces deux instruments ont en commun de sanctionner désormais la menace, la transmission de la menace, l'organisation, l'association de malfaiteurs, l'aide à la soustraction aux poursuites, la contribution à la commission qui permet de couvrir le financement. Ils prévoient que les États Parties s'engagent à réprimer ces infractions par des peines sévères, qu'ils ont la possibilité d'engager la responsabilité des personnes morales impliquées lorsque celles-ci sont constituées sous leur droit ou sur leur territoire. Les tribunaux des États Parties sont désormais compétents lorsque l'infraction est commise par un de leurs ressortissants ou contre l'un d'eux ou par une personne sans nationalité résidant sur leur territoire. D'une manière générale, les États Parties ont l'obligation de s'assurer que leurs tribunaux sont compétents pour toutes les infractions listées. Ces textes réaffirment aussi le principe aut dedere aut judicare (extrader ou poursuivre) qui impose aux États de prendre toute mesure utile pour qu'un auteur présumé d'infraction présent sur le territoire d'un des États Parties soit jugé ou extradé vers une autre Partie désireuse d'engager les poursuites. Ils mettent tous deux en place un dispositif garantissant le respect des droits des personnes en cas de détention et d'extradition : droit à un procès équitable, dépolitisation des infractions - une demande d'extradition ne peut donc pas être refusée au motif qu'elle concerne une infraction politique - et non-discrimination touchant aux personnes poursuivies - il n'y a pas d'obligation d'extrader s'il apparaît que la personne sera poursuivie sur le fondement de sa race, religion, nationalité, origine ethnique, opinion politique ou genre. Ces dernières clauses sont reprises de conventions récentes traitant de la répression du financement du terrorisme, des attentats terroristes à l'explosif et des actes de terrorisme nucléaire.

L'articulation entre ces instruments et le droit européen ne soulève aucune difficulté particulière. Le droit français, quant à lui, permet de répondre à la plupart des obligations introduites par ces deux instruments qui sont pour l'essentiel des précisions ou des élargissements d'obligations déjà existantes. Il faudra cependant procéder aux trois adaptations suivantes. Dans le code pénal, la définition du détournement d'aéronef devra être révisée pour tenir compte de la définition de « l'aéronef en service » et de la nécessité de réprimer la prise de contrôle d'un aéronef par tout moyen technologique, et il faudra créer la nouvelle incrimination d'interruption des services d'un aéroport. Il faudra aussi modifier le code de procédure pénale pour permettre aux juridictions françaises d'avoir une compétence quasi-universelle, s'étendant aux infractions prévues par ces textes et commises hors du territoire français. Je rappelle à cette occasion que la délégation française a activement participé à l'élaboration de ces textes et que la Chancellerie a naturellement été associée à toute la négociation.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. En effet, les instruments de Pékin vont permettre de faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur l'aviation civile internationale et qui sont liées au terrorisme et à la prolifération des armes de destruction massive, en insérant dans le corpus juridique international de nouvelles incriminations. Ils entreront en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant le dépôt du vingt-deuxième instrument de ratification ou d'approbation. Ouverts à la signature depuis le 10 septembre 2010; la convention de Pékin compte à ce jour 31 signatures et 8 ratifications et le protocole de Pékin, 33 signatures et 7 ratifications.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 29 septembre 2016. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

À la fin de la présentation du rapporteur, un court débat s'est engagé.

Mme Nathalie Goulet . - C'est le trente-cinquième anniversaire de l'abolition de la peine de mort. Le refus de l'extradition vers les pays qui appliquent la peine de mort est-il évoqué dans ces deux instruments ? Ce type d'attentat peut notamment avoir lieu dans des pays ou être commis par des ressortissants de pays où la peine de mort est toujours en vigueur.

M. Jean-Pierre Cantegrit, rapporteur . - Ces deux instruments ne contiennent pas de disposition particulière sur cette question. On peut donc penser que les pays seront fidèles à leur pratique constante en matière d'extradition.

À l'issue de ce débat, la commission, suivant la proposition du rapporteur, a adopté, sans modification, le rapport et le projet de loi précité. Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du présent rapport synthétique.


* 2 Détournement d'avion par des activistes politiques au Pérou.

* 3 Les faits les plus récents se sont produits le 31 octobre 2015 en Egypte (tir de missile contre un avion russe par la branche égyptienne de Daech : 224 morts) et le 29 mars 2016 en Somalie (attaque à la bombe contre un avion djiboutien : 1 mort).

Page mise à jour le

Partager cette page