EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois a examiné le présent projet de loi de modernisation de la justice du XXI ème siècle - troisième intitulé successif -, en première lecture, en octobre 2015, il y a onze mois : l'Assemblée nationale a dû, en effet, attendre six mois pour débattre de ce texte, alors même que la procédure accélérée avait été engagée par le Gouvernement.

Dans un esprit constructif, le Sénat avait contribué à l'amélioration de ce projet de loi relativement technique et divers dans son contenu initial, visant en particulier à traduire certaines préconisations issues des travaux conduits sur la « justice du XXI ème siècle » par le ministère de la justice. En revanche, outre qu'il comporte de nombreuses dispositions nouvelles, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture apparaît comme bien moins consensuel à votre commission.

En effet, à l'initiative du Gouvernement principalement, nos collègues députés ont introduit 55 articles additionnels - alors que le texte initial comportait 54 articles -, dont de nombreuses dispositions lourdes, qui n'avaient fait l'objet d'aucune annonce devant le Sénat, quelques mois plus tôt : réforme du divorce par consentement mutuel, sans passage devant le juge, avec un avocat pour chaque conjoint, y compris lorsque le couple a des enfants mineurs ; abandon de la collégialité de l'instruction - certes pas encore en vigueur, mais dont le principe avait été fixé par le législateur à la suite de l'affaire dite « Outreau » - ; suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs ; facilitation de la procédure de changement de sexe à l'état civil pour les personnes transsexuelles.

Le nombre et l'ampleur de ces dispositions nouvelles introduites par l'Assemblée nationale auraient assurément mérité une deuxième lecture, au moins devant le Sénat, comme votre commission l'a demandé, en vain, au Gouvernement, qui a refusé de l'organiser.

Le Gouvernement comme nos collègues Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément, rapporteurs de la commission des lois de l'Assemblée nationale, n'ayant pas voulu engager un véritable dialogue avec votre rapporteur, la commission mixte paritaire, réunie le 22 juin 2016, était vouée à l'échec.

Toutefois, votre rapporteur relève que la commission mixte paritaire réunie le même jour sur le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, examiné en parallèle du présent projet de loi et qui n'a pas été chargé de dispositions additionnelles lourdes, a pu aboutir à un accord, sur des questions intéressant tout autant la justice et son bon fonctionnement.

Face à l'attitude de nos collègues députés, votre commission aurait pu faire le choix de la confrontation. Tel n'a pas été le cas. Elle a poursuivi son travail et ses efforts de dialogue et de compromis, avant la réunion de la commission mixte paritaire puis dans la perspective de la nouvelle lecture.

Ainsi, le 8 juin 2016, votre commission a tenu à organiser trois séries d'auditions, sur la réforme du divorce, la suppression de la collégialité de l'instruction et la justice des mineurs ainsi que le changement d'état civil des personnes transsexuelles, pour mieux apprécier les enjeux des dispositions introduites par l'Assemblée nationale 1 ( * ) . En outre, elle a proposé, sans succès, au garde des sceaux de venir expliquer les réformes qu'il a proposées à l'Assemblée nationale, en particulier la réforme du divorce, dont il semble à votre commission qu'elle représente une économie illusoire pour le budget de la justice, un coût certain bien supérieur pour les couples ainsi qu'une fragilisation de la situation de certains conjoints et des enfants.

C'est néanmoins dans le même état d'esprit, considérant qu'elle pouvait encore faire oeuvre utile, que votre commission a abordé la présente nouvelle lecture, après que l'Assemblée nationale a elle-même procédé à la nouvelle lecture en juillet dernier.

Votre rapporteur rappelle que la procédure de la nouvelle lecture, suivie de la lecture définitive par l'Assemblée nationale, telle qu'elle résulte de l'article 45 de la Constitution, outre l'application des règles normales de recevabilité 2 ( * ) , prévoit que l'Assemblée nationale reprend 3 ( * ) « le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ». Ainsi, sont seuls recevables en lecture définitive devant l'Assemblée nationale les amendements adoptés par le Sénat, en commission comme en séance. En d'autres termes, par ses votes, le Sénat détermine le champ du débat en dernière lecture.

S'agissant de l'organisation et du fonctionnement des juridictions , votre commission a approuvé la création du service d'accueil unique du justiciable (SAUJ), tout en demeurant réservée quant à son efficacité réelle, et a globalement souscrit aux dispositions en matière de médiation comme de conciliation. Elle a ainsi approuvé l'obligation de conciliation préalable à toute saisine du tribunal d'instance .

Votre commission a souhaité rétablir une disposition approuvée par le Sénat en première lecture, nécessaire à l'amélioration de la gestion des juridictions, à savoir la mutualisation des effectifs des greffes dans une même ville. Elle a néanmoins tenu compte des objections formulées pour ajuster son dispositif, qui doit permettre aux chefs de juridiction, après avis du directeur des services de greffe judiciaires, d'organiser sur l'année la meilleure répartition des effectifs entre le tribunal de grande instance (TGI), le conseil de prud'hommes et le tribunal d'instance d'une même ville.

Le projet de loi traite aussi de certaines juridictions spécialisées.

Concernant la réforme des juridictions sociales , votre commission est satisfaite de constater que le texte qu'elle avait proposé en première lecture, en substitution d'une simple disposition de principe attribuant aux TGI les compétences des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI) ainsi qu'une partie des compétences des commissions départementales d'aide sociale (CDAS), a permis au Gouvernement, devant nos collègues députés, de présenter une réforme complète, sur des bases proches de celles du texte du Sénat. Cette réforme devra entrer en vigueur en 2019. Toutefois, votre commission estime préférable de conserver, tout en la rattachant au TGI, une juridiction sociale bien identifiée, afin d'en assurer la visibilité.

Concernant la réforme des tribunaux de commerce , l'Assemblée nationale a globalement conforté les modifications apportées par le Sénat, en particulier pour l'extension aux artisans de la compétence de ces juridictions et pour le renforcement des obligations déontologiques de leurs membres. Pour autant, outre la question de leur limite d'âge, qui reste un élément de désaccord - non dans son principe, mais dans ses modalités -, il convient de revenir sur l'obligation pour les présidents des tribunaux de commerce de souscrire une déclaration de patrimoine, pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 2016, qui a censuré cette obligation pour les magistrats judiciaires chefs de cour et de juridiction.

Le projet de loi comporte une série de mesures dans le champ pénal.

S'agissant de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs , si votre commission n'en sous-estime pas la portée symbolique, elle a préféré raisonner de façon pragmatique. Ces tribunaux représentent pour les juridictions une charge plus importante que les tribunaux pour enfants, et aujourd'hui, de facto ils n'existent plus. Tenant compte des contraintes de fonctionnement fortes pesant souvent sur les juridictions, au moment où vont s'engager les travaux de la mission d'information sur le redressement de la justice qu'elle a créée en son sein, votre commission s'est ralliée à l'idée de la suppression de ces tribunaux, dont il semble, au demeurant, qu'ils ne prononçaient pas de peines plus sévères que les tribunaux pour enfants.

Pour autant, votre commission a approuvé la généralisation de la possibilité de cumul des peines et des mesures éducatives et est revenue sur la suppression de la peine de perpétuité pour les mineurs de 16 à 18 ans.

S'agissant de la collégialité de l'instruction , votre commission a refusé de se résigner à sa suppression, tout en étant consciente que les effectifs de magistrats ne permettront pas avant longtemps de l'atteindre, de sorte que son report répété n'a effectivement guère de sens. Aussi, plutôt que l'abandon pur et simple voté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, votre commission a préféré, dans un esprit de compromis, un dispositif intermédiaire, proche de celui adopté initialement par nos collègues députés en première lecture en commission, consistant à réserver la collégialité à certains cas. La collégialité serait prévue pour certains actes et à la demande des magistrats saisis ou des parties, ainsi que pour les affaires pénales les plus complexes, notamment celles relevant de la compétence des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). La fonction de juge d'instruction pourrait dès lors être maintenue, y compris dans les tribunaux de grande instance dépourvus de pôle de l'instruction.

S'agissant de la répression des infractions routières , si discutée en première lecture devant le Sénat, avec la contraventionnalisation de certains délits, votre commission a approuvé globalement les dispositions modifiées ou ajoutées par nos collègues députés, en particulier l'extension du mécanisme de l'amende forfaitaire.

Le projet de loi comporte de nombreuses dispositions de droit civil.

S'agissant du transfert de l'enregistrement des pactes civils de solidarité aux communes , auquel nos collègues députés ont ajouté le transfert de la procédure de changement de prénom, votre commission a souhaité s'en tenir à son opposition de principe de première lecture, quand bien même, dans les faits, ce transfert ne représenterait une charge supplémentaire sensible que pour un nombre très limité de communes.

S'agissant de la procédure de changement de sexe à l'état civil des personnes transsexuelles , votre commission a été attentive à la situation des personnes tout en exigeant une procédure correctement encadrée. Aussi a-t-elle souhaité que le juge ait à se prononcer en fonction de critères objectifs d'ordre médical, sans exiger une intervention chirurgicale irréversible, et pas seulement au vu de la volonté exprimée par la personne.

S'agissant enfin, en matière de droit civil, de la réforme du divorce , plutôt qu'une suppression pure et simple, votre commission a préféré fixer les conditions permettant de rendre plus acceptable la réforme proposée par le Gouvernement : elle ne devrait pas être possible en présence d'enfants mineurs, qui ne sont pas en mesure de correctement faire valoir leur point de vue sur la procédure, et chaque conjoint devrait pouvoir exiger le retour à une procédure judiciaire de droit commun. Sous ces deux conditions, une telle réforme pourrait être plus équilibrée et raisonnable, dès lors que l'on accepte une telle déjudiciarisation du divorce.

Votre commission a supprimé l'obligation, introduite à l'Assemblée nationale, de réexamen des décisions judiciaires françaises relatives à l'état des personnes en cas d'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant la France.

Votre commission a également souhaité maintenir l' homologation judiciaire des décisions des commissions de surendettement susceptibles d'affecter les droits des créanciers, pour des raisons de cohérence et d'ordre constitutionnel.

Sur le droit des entreprises en difficulté , l'Assemblée nationale a conservé une large part des dispositions ajoutées par le Sénat, à l'initiative de notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest et de notre collègue Christophe-André Frassa, à la suite de leurs travaux sur la ratification des ordonnances de mars et septembre 2014 réformant cette branche du droit. Toutefois, quelques autres dispositions mériteraient d'être conservées, notamment la suppression de la mention de la liquidation judiciaire au casier judiciaire.

Concernant l'action de groupe , votre commission a souhaité s'en tenir à un équilibre proche de celui auquel était parvenu par le Sénat en première lecture, tout en constatant la prise en compte par l'Assemblée nationale d'un certain nombre de modifications apportées par le Sénat.

Elle a donc à nouveau supprimé la vocation indemnitaire de l'action de groupe en matière de discrimination au travail, compte tenu de l'incohérence du texte du Gouvernement sur ce point, et de la finalité première de l'action, qui consiste à faire cesser le manquement, dans le cadre d'un dialogue avec les organisations syndicales au sein de l'entreprise. Elle a supprimé, en outre, les procédures insuffisamment abouties, introduites par nos collègues députés sur la proposition du Gouvernement, en matière d'environnement et de protection des données personnelles.

Par ailleurs, ce projet de loi très volumineux et composite, comporte également, après son examen par l'Assemblée nationale, un grand nombre d' habilitations à légiférer par ordonnances : votre commission a veillé à leur précision et a écarté les rares qui lui paraissaient inopportunes.

Enfin, votre commission ne propose pas de modifier une nouvelle fois l'intitulé du projet de loi, même s'il ne lui semble pas pleinement conforme à son contenu, s'agissant notamment du régime, non codifié, de l'action de groupe.

Votre commission a adopté le projet de loi de modernisation de la justice du XXI ème siècle ainsi modifié .


* 1 Le compte rendu de ces auditions est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20160606/lois.html#toc4

* 2 En particulier, sont irrecevables, après la première lecture, les amendements sans relation directe avec une disposition restant en discussion, c'est-à-dire contraires à la règle dite de l'« entonnoir ».

* 3 En cas d'échec de la commission mixte paritaire.

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