Rapport général n° 164 (2015-2016) de M. Roger KAROUTCHI , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2015

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N° 164

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur,

Rapporteur général.

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES

ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

( Seconde partie de la loi de finances )

ANNEXE N° 17

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

Rapporteur spécial : M. Roger KAROUTCHI

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André, présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung, vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc, secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 165 à 170 (2015-2016)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La mission « Immigration, asile et intégration » est composée de deux programmes dont l'un, le programme 303 « Immigration et asile » représente environ 90 % des dotations.

2. Le niveau de dépenses du programme 303 dépend principalement du flux de demandeurs d'asile, ainsi que du délai de traitement de ces demandes par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

3. Si le flux de demandeurs d'asile strictement national est stable en 2015 par rapport à 2014, le budget 2016 est cependant hypothéqué par les conséquences, difficiles à prévoir à ce jour, de la crise migratoire que connaît l'Union européenne, et des programmes de relocalisation dans le cadre desquels la France accueillera des demandeurs d'asile supplémentaires qui sont en besoin manifeste de protection. Il est notamment probable que de nouveaux contingents de demandeurs soient accueillis en France au-delà des 30 000 que la France s'est d'ores et déjà engagée à recevoir.

4. Le Premier ministre a annoncé une enveloppe de 279 millions d'euros pour faire face à cette crise, dont environ 85 millions d'euros pour les deux programmes de la mission. Cette enveloppe semble insuffisante pour couvrir les besoins de dispositifs (hébergement et allocation) déjà sous-dotés. Le rapporteur spécial regrette que la crise migratoire européenne ne soit pas l'occasion d'une remise à plat de la gestion des dispositifs dédiés aux demandeurs d'asile et aux réfugiés, dans un souci de sincérité budgétaire, de bon fonctionnement du système et d'intégration des réfugiés.

5. Bénéficiant d'une augmentation globale de ses moyens du fait de la prise en compte du « plan Migrants » annoncé par le Gouvernement en juin 2015 (création de places en centres d'accueil des demandeurs d'asile [CADA], augmentation des moyens de l'OFPRA, optimisation de l'utilisation des places en centres de rétention administrative [CRA], hausse des moyens de l'Office français de l'immigration et de l'intégration [OFII] et création de places en centre provisoire d'hébergement pour les réfugiés [CPH]), la mission est dotée de 703 millions d'euros pour 2016, soit 50 millions d'euros de plus qu'en 2015 et que le plafond 2016 du budget triennal.

6. Les moyens destinés à l'OFPRA continuent leur progression. Cependant, l'objectif affiché d'un délai de traitement moyen de trois mois des demandes d'asile est encore loin d'être respecté, avec un délai de traitement à mi-2015 qui stagne à environ 200 jours.

7. Le parc de CADA voit ses capacités augmenter, pour s'établir à 33 000 places en 2016. Ce parc est complété par un dispositif d'hébergement d'urgence dont le financement, limité à 111,5 millions d'euros, sera manifestement insuffisant au regard du niveau de la demande d'asile.

8. La dotation d'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), issue de la réforme de l'asile adoptée par le Parlement en 2015, est difficile à anticiper. Cependant, les crédits proposés par le projet de loi de finances, soit 137,5 millions d'euros, soit environ 50 millions d'euros de moins que la dépense prévisionnelle de l'allocation équivalente pour 2015, ne sont pas sincères.

9. L'augmentation de la dotation de fonctionnement des CRA, qui est portée à 20,6 millions d'euros, devra être accompagnée d'une hausse des moyens de la police aux frontières qui assure les escortes, pour permettre une véritable remontée des taux d'occupation des CRA et, ainsi, une plus grande efficacité de la politique de reconduite aux frontières.

10. Les crédits du programme 104, consacrés à l'intégration des étrangers en situation régulière, qui sont prévus à hauteur de 70,2 millions d'euros, augmentent pour la première fois depuis trois ans (+20,2 %).

11. Cette augmentation est le fait de trois principaux postes : la subvention de l'Etat à l'OFII (+ 4 millions d'euros), les dépenses de formation linguistique des étrangers (+ 3 millions d'euros) et la création de 500 places en CPH pour les réfugiés (+ 4 millions d'euros).

12. La progression des moyens dédiés à l'intégration des étrangers, à travers le financement de l'OFII (pour la première année d'arrivée) et les subventions aux associations (pour les quatre années suivantes) témoigne d'une ambition réelle, mais trop timide, d'intégration des étrangers par la formation linguistique. L'objectif d'un niveau A2 en langue française à l'issue d'une présence de cinq ans sur le territoire national reste faible au regard de l'importance de la langue pour une intégration sociale et professionnelle réussie.

13. La création de 500 places en CPH est une bonne nouvelle, mais sera insuffisante pour répondre aux besoins d'une population de réfugiés qui est amenée à s'accroître en 2015 et 2016, et dont l'intégration à la société française n'est pas correctement accompagnée et financée.

ANALYSE GÉNÉRALE DE LA MISSION

I. UNE MISSION SOUS HYPOTHÈQUES

L'examen de la mission « Immigration, asile et intégration » s'inscrit cette année dans un contexte tout particulier. En effet, cette mission, réduite par le montant de ses crédits mais majeure par l'importance politique du sujet, est confrontée tout à la fois à une redéfinition de ses frontières dans le cadre des réformes de l'asile et du droit des étrangers, et à des bouleversements probables de l'utilisation des dispositifs qu'elle finance du fait de la crise des migrants à l'échelle européenne .

A. L'HYPOTHÈQUE DE LA CRISE MIGRATOIRE EUROPÉENNE

1. Une arrivée sans précédent de migrants aux frontières européennes

L'Europe est confrontée, depuis deux ans, à une arrivée massive de demandeurs d'asile en provenance, en particulier, de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan, d'Érythrée et du Kosovo .

Ces vagues d'arrivées, qui se sont accélérées depuis l'été 2015 , s'expliquent, au-delà des situations sécuritaires des pays d'origine, par trois principales raisons : les conditions de vie dégradées dans les camps turcs, libanais et jordaniens ; l'attitude des pays de transit, en particulier la Grèce, qui ne s'oppose plus guère au passage des migrants ; et les signaux d'accueil perçus par ces réfugiés, en particulier en provenance d'Allemagne.

En 2014, la voie de la Méditerranée centrale, via la Libye puis Lampedusa et l'Italie, a concentré l'essentiel du flux, avec 170 000 arrivées irrégulières sur un total de 280 000. En 2015, le nombre des arrivées irrégulières s'est considérablement accru, en empruntant de nouvelles routes, en particulier la route des Balkans (arrivée en Hongrie depuis la Croatie et la Serbie), avec 150 000 arrivées entre janvier et août 2015, ainsi que la route de Méditerranée orientale (arrivée en Grèce par la Turquie), avec près de 230 000 arrivées entre janvier et août 2015. Au total, l'Agence Frontex estime qu'environ 500 000 personnes ont franchi les frontières de l'espace Schengen de façon irrégulière sur les huit premiers mois de l'année 2015 .

Cette dynamique se reflète dans la progression du nombre de demandes d'asile dans l'Union européenne . Ainsi, sur les six premiers mois de l'année 2015, environ 395 000 personnes ont déposé une demande d'asile dans un pays de l'Union européenne, contre environ 220 000 personnes pour la même période en 2014. Alors que la demande d'asile en 2014 constituait déjà un record historique, comme l'illustre le graphique ci-dessous, les années 2015 et 2016 pourraient voir ce nombre encore doubler.

Évolution de la demande d'asile dans l'Union européenne (28)

en milliers de demandes

Source : commission des finances, d'après les données Eurostat

Dans ce contexte, la France n'est ni un pays de premier accueil pour ces flux massifs , contrairement à l'Italie, à la Grèce ou à la Hongrie, ni un pays de destination souhaitée par les demandeurs d'asile , contrairement à l'Allemagne, au Royaume-Uni ou à la Suède. En particulier, l'Allemagne est, de loin, la première destination des demandeurs d'asile issus des routes des Balkans et de la Méditerranée orientale. Ayant annoncé prévoir un total de 800 000 nouveaux demandeurs d'asile en 2015, l'Allemagne a accueilli, pour le seul mois de septembre, un total de 280 000 demandeurs d'asile ; après le rétablissement du contrôle à ses frontières, elle s'attend à accueillir désormais 10 000 demandeurs d'asile par semaine jusqu'à la fin de l'année 2015.

La France connaît quant à elle, sur la première moitié de l'année 2015, un nombre de demandes d'asile stable par rapport à 2014 avec 32 784 demandes d'asile déposées (+ 0,3 %) . Elle n'est pas confrontée, de façon directe, au phénomène migratoire connu par certains de ses voisins. En particulier, la France ne constitue pas - ce dont l'on peut s'étonner - une destination privilégiée pour les demandeurs d'asile Syriens, qui représentent la première nationalité des demandeurs à l'échelle de l'Union, mais seulement la cinquième nationalité pour la France, avec un total de 2 000 premières demandes environ en provenance de Syrie enregistrées par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) en 2014.

2. Un système de répartition sur une base volontaire, avant la mise en place éventuelle d'un mécanisme permanent

Cependant, la France subit à deux principaux titres les conséquences de cette vague migratoire .

Tout d'abord, la France est un pays de transit pour une partie de ces demandeurs d'asile, en particulier Soudanais, Erythréens, Afghans et Syriens, qui cherchent à rejoindre le Royaume-Uni . Le Calaisis constitue à cet égard pour ces migrants un « goulot d'étranglement ». Ces migrants, n'ayant pas déposé leur demande d'asile en France, ne sont pas comptabilisé dans les statistiques de l'asile, même si les pouvoirs publics les orientent vers l'OFPRA pour les inciter à déposer en France, sans attendre un départ, hypothétique, pour le Royaume-Uni. Particulièrement visibles à Calais, ces populations de migrants sont également présents en région parisienne - c'est le cas, par exemple, des migrants installés dans le camp de La Chapelle jusqu'à l'évacuation de celui-ci en juin dernier.

Ensuite et surtout, l'ampleur de la crise dans les pays les plus concernés, en particulier la Hongrie, l'Autriche et l'Allemagne, a conduit l'Union européenne à imaginer un mécanisme de répartition des demandeurs d'asile à l'échelle de l'Union .

Cette idée s'est tout d'abord concrétisée sous la forme d'une répartition de demandeurs d'asile dans le cadre d'un mécanisme d'urgence . Décidée par le Conseil de l'Union européenne le 27 mai 2015, une première répartition concernait 40 000 demandeurs d'asile , arrivés en Grèce et en Italie. Sur la base d'une clé de répartition qui tient compte de la population, du produit intérieur brut, du nombre de demandeurs d'asile accueillis sur les dernières années et du taux de chômage 1 ( * ) , ce nombre a été réparti entre chaque pays, la France devant en accueillir 4 051 en provenance d'Italie et 2 701 en provenance de la Grèce sur les deux prochaines années.

Au mois de septembre, au regard de l'aggravation de la crise des migrants, le Conseil, sur la base d'une initiative commune de la France et de l'Allemagne, a proposé de relocaliser 120 000 migrants supplémentaires présents en Italie, en Grèce et en Hongrie. Selon la même clé de répartition, la France devrait en accueillir 24 031 sur les deux prochaines années.

Ainsi, au total, la France devrait accueillir 30 783 migrants dans le cadre des programmes de relocalisation d'urgence adoptés au niveau européen .

Il convient de souligner que les migrants concernés par cette relocalisation sont, d'après le texte de la décision, des migrants en « besoin manifeste de protection internationale » , au regard notamment de leur nationalité (Syriens, Irakiens, Erythréens). Ils devraient être identifiés et pris en charge dans le cadre de « hotspots » aux frontières de l'Union, dont le statut et les missions précises (simple identification des demandeurs ou centre d'hébergement temporaire) n'ont pas encore été définis.

3. La nécessaire budgétisation de ces arrivées supplémentaires, au-delà de la présente mission

Le programme européen de relocalisation, négocié dans l'urgence pour répondre à une situation conjoncturelle, n'est, d'après les responsables européens, qu'un premier pas avant la mise en place d'un mécanisme permanent de solidarité . Cette idée est notamment poussée par l'Allemagne, dont le système de gestion de l'asile repose, depuis plusieurs décennies déjà, sur un mécanisme de répartition des demandeurs d'asile entre Länder d'après une clé de répartition fédérale.

À cet égard, plusieurs responsables politiques allemands ont souligné que l'effort de la France devrait, selon eux, être plus important concernant l'accueil des migrants. Ainsi, le député du SPD chargé des questions de politique intérieure, Burkhard Lischka, a indiqué que « la France devrait accueillir cette année environ 80 000 ou 90 000 réfugiés. C'est certainement beaucoup moins que l'Allemagne, et il faudra tirer les conséquences de ce constat au niveau européen » 2 ( * ) . En d'autres termes, votre rapporteur spécial constate qu'il sera difficile, sinon impossible, de se limiter à l'accueil de 30 000 réfugiés supplémentaires sur les deux années 2016-2017, alors que l'Allemagne pourrait en accueillir près d'un million pour la seule année 2015 .

Si un mécanisme permanent devait être mis en place, et au regard de la situation constatée aux frontières de l'Union européenne, en Hongrie, en Croatie, en Autriche et en Allemagne, la France devra accueillir en 2016 et 2017 un nombre de demandeurs d'asile significativement plus élevé que les 30 000 d'ores et déjà prévus .

Un tel accueil nécessite des moyens importants , en particulier au titre de :

- l'instruction des demandes d'asile supplémentaires par l'OFPRA ;

- l'hébergement des demandeurs d'asile puis, le cas échéant, des réfugiés ;

- l'allocation aux demandeurs d'asile puis, le cas échéant, le revenu de solidarité active ;

- la couverture maladie universelle ;

- les dépenses d'intégration des étrangers, en particulier la formation linguistique dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration ;

- l'éducation nationale s'agissant des familles de migrants.

D'après les estimations de votre rapporteur spécial, l'accueil de 15 000 réfugiés par an aurait un coût direct annuel, en année pleine, d'environ 185 millions d'euros (90 millions d'euros pour l'hébergement, 79 millions d'euros pour les prestations sociales, et 16 millions d'euros pour l'intégration linguistique), sans compter les coûts indirects, plus difficiles à évaluer, sur les dépenses de personnel de l'OFPRA et de la police, ou encore les dépenses de santé et l'éducation nationale.

À titre de comparaison, l'Allemagne a annoncé qu'un abondement d'environ 6 milliards d'euros serait prévu à compter de 2016 (soit 1 milliard d'euros dès le budget 2016, en particulier en soutien aux Länder et aux communes, et 5 milliards d'euros dans le cadre d'un fonds de réserve).

Or, le financement de l'accueil de ces contingents de demandeurs d'asile en France, tel qu'il est prévu à ce jour, n'est ni précis ni réaliste .

En premier lieu, l'Union européenne s'est engagée, s'agissant du programme de relocalisation d'urgence, à verser un financement de 780 millions d'euros pour l'ensemble des pays participants aux deux programmes de relocalisation . La France prenant part à hauteur de 19,2 % du total des migrants relocalisés, elle pourrait bénéficier d'une enveloppe de 150 millions d'euros. Toutefois, les modalités de ce financement ne sont pas encore prévues . En outre, les actions financées par cette enveloppe (hébergement, renforcement de l'instruction des demandes d'asile, intégration, aides sociales) ne sont pas définies. Enfin et surtout, il est possible, sinon probable, que l'enveloppe par pays soit fonction du niveau de la capacité budgétaire des États participants, ce qui réduirait l'enveloppe française.

En second lieu, le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures en faveur de l'accueil des demandeurs d'asile . Tout d'abord, lors du Conseil des ministres du 17 juin dernier, un « plan Migrants » a été présenté par le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, dans le contexte du premier programme de relocalisation européen et de la première crise des migrants. Ce plan comprend, notamment, la création de 4 000 nouvelles places de centres d'accueil pour les demandeurs d'asile (CADA), ainsi que de 500 places d'hébergement pour les réfugiés. Ces annonces, faites au mois de juin, sont globalement budgétées dans le présent projet de loi de finances, en particulier s'agissant du financement de l'hébergement des demandeurs d'asile.

Par la suite, dans le contexte de la crise des migrants du mois de septembre dernier, le Premier ministre Manuel Valls a, le 16 septembre, annoncé un plan global de financement de 279 millions d'euros . Toutefois, ce plan, qui comprend à la fois une aide forfaitaire aux communes créant de nouvelles places d'hébergement, mais aussi des financements pour l'OFPRA, l'OFII, ainsi que pour le programme d'hébergement du ministère de la ville, ou encore l'éducation nationale, n'est pas encore précisé. D'après le directeur général des étrangers en France entendu par votre rapporteur spécial, il pourrait représenter un montant de 85 millions d'euros pour les deux programmes 303 et 104 de la présente mission . Cette enveloppe est fondée sur l'hypothèse, non vérifiée et peu réaliste, d'un lissage des arrivées sur les douze mois de l'année 2016, à raison d'environ 1 250 demandeurs par mois. Elle semble, en tout état de cause, insuffisante pour couvrir les besoins en renforcement des équipes de l'OFPRA, en hébergement, en allocations et en actions d'intégration qui résulteront de l'arrivée de 15 000 demandeurs d'asile , dont la plupart seront rapidement réfugiés. Cela est d'autant plus vrai que ces dispositifs sont, dans le présent projet de loi de finances et indépendamment de ces arrivées, déjà sous-dotés ( cf. infra ).

A ce jour, l'enveloppe annoncée n'a pas été intégrée au présent projet de loi de finances et devrait l'être, d'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, par voie d'amendement dans le cadre du débat budgétaire .

Extrait du discours du Premier Ministre Manuel Valls devant l'Assemblée nationale, 16 septembre 2015

« Il nous faut aujourd'hui aller plus loin, mobiliser très rapidement, dès le mois d'octobre, les moyens nécessaires. Le ministre de l'intérieur l'a indiqué samedi dernier devant les maires : d'ici 2017, une aide de 1 000 euros par place d'hébergement créée sera attribuée aux communes et intercommunalités qui participeront à l'effort de solidarité. Ce soutien exceptionnel vient en complément de la politique d'hébergement, qui relève, elle, de l'État. (...)

« Au total, ce sont 279 millions d'euros qui seront mobilisés d'ici à la fin de 2016 au titre du premier accueil, de l'hébergement d'urgence, de l'aide forfaitaire aux communes. Ils seront mobilisés aussi pour renforcer les effectifs de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides - OFPRA -, que nous n'avons eu de cesse d'augmenter depuis 2012, de l'Office français de l'immigration et de l'intégration - OFII - mais aussi de l'Éducation nationale, qui doit assurer l'accueil des élèves et des parents, l'apprentissage du français et la transmission de nos valeurs républicaines. »

Source : compte-rendu des débats de l'Assemblée nationale, 16 septembre 2015

Au total, au regard à la fois de l'incertitude planant sur le nombre de demandeurs d'asile supplémentaires que la France pourrait devoir accueillir en 2016 et en 2017, et de l'imprécision du financement européen et du financement national, le budget proposé pour 2016 pour la présente mission est, à ce stade, un budget largement sous hypothèque .

Cette dernière ne pèse d'ailleurs pas seulement sur la présente mission, mais également sur les autres missions qui concourent à la politique d'immigration et d'accueil des réfugiés , en particulier le logement, l'éducation nationale, et l'ensemble des systèmes sociaux et de santé (aide médicale d'Etat, couverture maladie universelle, revenu de solidarité active, etc.).

B. L'HYPOTHÈQUE DE LA RÉFORME DU DROIT DES ÉTRANGERS

L'année 2015 a été marquée par l'adoption de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l'asile . Cette loi modifie les procédures d'asile afin d'accélérer le délai d'instruction des demandes, d'améliorer la gestion du système d'accueil des demandeurs d'asile et de renforcer l'accueil des personnes réfugiées. Au 1 er novembre 2015, les principales dispositions de la loi entreront en vigueur, en particulier la mise en place de la nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile (ADA), qui remplace et fusionne l'actuelle allocation temporaire d'attente (ATA), versée aux demandeurs d'asile non hébergés en CADA, et l'actuelle allocation mensuelle de subsistance (AMS), versée par les CADA aux demandeurs qui y sont hébergés. Par ailleurs, l'orientation directive des demandeurs d'asile, sur la base du schéma national d'accueil des demandeurs, entrera également en vigueur, permettant de mieux répartir les demandeurs sur l'ensemble du territoire national et, ainsi, de désengorger certaines régions, en particulier l'Île-de-France et Rhône-Alpes, qui accueillent actuellement environ 40 % des demandeurs d'asile.

Le 23 juillet 2015, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le projet de loi relatif au droit des étrangers . Ce dernier est discuté en séance publique au Sénat à compter du 6 octobre 2015. Le projet de loi devrait ainsi être adopté avant la fin de l'année 2015 pour une entrée en vigueur en 2016.

Ce texte, dont l'ambition « limitée » a été soulignée par notre collègue François-Noël Buffet, rapporteur au nom de la commission des lois 3 ( * ) , contient trois principales dispositions :

- la création d'une carte de séjour pluriannuelle , d'une durée de quatre ans, qui serait délivrée aux étrangers en situation régulière à l'expiration de leur titre de séjour d'un an, s'ils justifient de leur assiduité aux cours de langue et de formation civique ;

- la refonte du contrat d'accueil et d'intégration (CAI) , qui est recentré sur la formation linguistique, dont le niveau serait relevé, pour atteindre un niveau A1 puis A2, contre A.1.1 aujourd'hui ;

- une réforme des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière , en particulier à travers une priorité accordée à l'assignation à résidence plutôt qu'à la rétention.

Même si le projet de loi n'a pas encore été adopté par le Sénat, le texte adopté par notre commission des lois va d'ores et déjà dans le sens d'une meilleure efficacité des mesures d'éloignement, notamment par un encadrement du recours à l'assignation à résidence, en encadrant la possibilité de contestation des obligations de quitter le territoire français (OQTF), et dans le sens d'un resserrement des conditions du bénéfice du titre de séjour pluriannuel.

En tout état de cause, l'adoption du projet de loi aura des conséquences sur le budget de la présente mission à deux principaux titres .

Tout d'abord, les crédits consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière du programme 303 , qui sont composés essentiellement des frais d'éloignement et des dépenses de fonctionnement des centres de rétention administratifs, dépendront de la réalité et de l'efficacité de la priorité affichée par le projet de loi pour l'assignation à résidence au détriment du placement en rétention . Moins coûteuse, l'assignation à résidence est également moins efficace, en termes de contrôle des étrangers ayant vocation à retourner dans leur pays d'origine . À cet égard, la récente visite de votre rapporteur spécial dans le centre de rétention administratif du Mesnil-Amelot, d'une capacité totale de 240 places, l'a convaincu de la difficulté qu'il y a, au regard des nombreuses tentatives d'évasion des retenus, à assurer la sécurité et le suivi des étrangers en situation irrégulière concernés dans le cadre d'une simple assignation à résidence.

Ensuite, les crédits consacrés à l'intégration devront être renforcés en fonction de la formule finalement retenue pour le CAI . En particulier, les crédits dévolus à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui organise et finance le CAI pour les étrangers primo-arrivants et les réfugiés, devront notamment dépendre du niveau de langue exigé des étrangers à la fin de leur parcours d'intégration. Votre rapporteur spécial avait, dès 2012, souligné la nécessité de relever le niveau de langue exigé des étrangers, en le passant au niveau A2, puis B1, du cadre européen de référence 4 ( * ) . Un tel relèvement, souhaitable, engendrerait en effet un coût important pour l'OFII ; votre rapporteur spécial avait d'ailleurs précisé que « l'élévation au niveau A2 puis B1 n'est envisageable, d'un point de vue budgétaire, que combinée à l'instauration d'une participation financière des étrangers aux frais de formation ».

Au total, le budget 2016 de la présente mission est un budget prévisionnel soumis à de fortes incertitudes, en ce qui concerne aussi bien le financement de l'asile que celui de l'intégration.

II. UN BUDGET TRIENNAL D'ORES ET DÉJÀ LARGEMENT DÉPASSÉ

Le plafond triennal des dépenses a été fixé en 2014, à périmètre constant, à 650 millions d'euros pour 2015, puis 652 millions d'euros en 2016 et 657 millions d'euros en 2017 , comme l'illustre le tableau ci-dessous.

Votre rapporteur spécial avait souligné, dans son rapport budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2015, l'insuffisance des plafonds pour les années 2016 et 2017 . Le présent projet de loi de finances lui donne d'ores et déjà raison, les crédits de la loi de finances pour 2016 au format de la loi de programmation des finances publiques s'établissant à 703 millions d'euros, soit environ 50 millions d'euros de plus que le plafond triennal .

À cet égard, il convient de noter qu' il s'agit à la fois d'un motif de regret, qui traduit la sous-estimation chronique des plafonds triennaux s'agissant de la présente mission, et d' un motif de satisfaction , dans la mesure où ce dépassement témoigne d'un effort, certes insuffisant, de sincérité budgétaire pour la présente mission dans le projet de loi de finances pour 2016.

Plafonds des crédits des programmations pluriannuelles (périmètre constant)

(en millions d'euros)

2013

2014

2015

2016

2017

Plafond des crédits du triennal 2013-2015

670

659

640

Crédits LFI

670

665

652

703

Exécution

705

711

Plafond des crédits du triennal 2015-2017

650

652

657

Source : commission des finances

III. UNE STABILITÉ DE LA MAQUETTE QUI MASQUE LA CONCENTRATION CROISSANTE DES DÉPENSES SUR L'ASILE

A. UNE MAQUETTE STABLE MALGRÉ LA RÉFORME DE L'ASILE

La mission est composée de deux programmes, le programme 303 « Immigration et asile » et le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » .

La seule évolution de périmètre , très limitée, concerne l'action 1 « Circulation des étrangers et politique des visas » du programme 303, les dépenses de titre 2 de la sous-direction des visas, située à Nantes, étant intégrées aux dépenses de fonctionnement du ministère de l'intérieur au sein du programme 216 de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Par ailleurs, la maquette du programme 104 évolue, avec la création d'une nouvelle action 16 «  Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants » , qui permet d'identifier spécifiquement des crédits qui étaient jusqu'alors portés par l'action 12 « Action d'intégration des étrangers primo-arrivants », rebaptisée « Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière », soit 9,5 millions d'euros.

La réforme de l'asile, bien qu'elle ait des conséquences importantes sur la plupart des dispositifs du droit d'asile (procédure, hébergement, allocation), n'a guère de conséquences immédiates d'un point de vue budgétaire . À court et moyen terme, elle ne devrait pas non plus entraîner d'autre évolution majeure de crédits que les trois suivantes :

- une augmentation des moyens dédiés à l'OFPRA pour l'instruction des demandes d'asile, afin de répondre à l'objectif, fixé dans la loi, d'un délai maximal de trois mois ;

- une augmentation des moyens destinés aux centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) , qui doivent redevenir, grâce à une augmentation du parc, le vecteur prioritaire d'hébergement des demandeurs d'asile ;

- la budgétisation de la nouvelle allocation pour demandeurs d'asile , dont le champ est plus large que l'actuelle allocation temporaire d'attente.

Au total, la dotation de la mission augmente de 8,2 % en crédits de paiement entre 2015 et 2016, passant d'environ 649 millions d'euros à environ 703 millions d'euros . Cette hausse est principalement portée par trois actions :

- la garantie de l'exercice du droit d'asile , pour environ 37 millions d'euros ;

- la lutte contre l'immigration irrégulière , pour environ 3 millions d'euros ;

- les actions d'intégration des étrangers , pour environ 4 millions d'euros s'agissant de la subvention à l'OFII et 3 millions d'euros s'agissant des autres actions d'intégration.

Évolution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration »

(en euros)

Autorisations d'engagement

Exécution 2014

LFI 2015

PLF 2016

Variation

Programme 303 - Immigration et asile

660 470 939

583 842 208

633 262 812

8,5 %

Action 1 - Circulation des étrangers et politique des visas

1 107 040

1 432 000

560 000

-60,9%

Action 2 - Garantie de l'exercice du droit d'asile

570 396 859

496 567 568

533 300 000

7,4%

Action 3 - Lutte contre l'immigration irrégulière

63 960 912

63 632 000

76 624 082

20,4%

Action 4 - Soutien

25 006 128

22 210 640

22 778 730

2,6%

Programme 104 - Intégration et accès à la nationalité française

51 022 122

58 014 519

70 369 458

21,3 %

Action 11 - Accueil des étrangers primo-arrivants

0

10 424 156

14 644 043

40,5%

Action 12 - Accompagnement des étrangers primo-arrivants

33 105 916

30 954 876

24 708 000

-20,2%

Action 14 - Accès à la nationalité française

1 112 459

1 153 737

1 204 515

4,4%

Action 15 - Accompagnement des réfugiés

16 803 747

15 481 750

20 575 900

32,9%

Action 16 - Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

-

-

9 237 000

-

Total pour la mission

711 493 061

641 856 727

703 632 270

9,6 %

Source : commission des finances

Crédits de paiement

Exécution 2014

LFI 2015

PLF 2016

Variation

Programme 303 - Immigration et asile

675 662 085

593 416 208

632 678 730

6,6%

Action 1 - Circulation des étrangers et politique des visas

1 159 114

1 432 000

560 000

-60,9%

Action 2 - Garantie de l'exercice du droit d'asile

570 171 039

496 567 568

533 300 000

7,4%

Action 3 - Lutte contre l'immigration irrégulière

77 622 087

73 807 000

76 700 000

3,9%

Action 4 - Soutien

26 709 845

21 609 640

22 118 730

2,4%

Programme 104 - Intégration et accès à la nationalité française

51 514 518

58 577 519

70 223 543

19,9%

Action 11 - Accueil des étrangers primo-arrivants

0

10 424 156

14 644 043

40,5%

Action 12 - Accompagnement des étrangers primo-arrivants

33 150 916

30 954 876

24 708 000

-20,1%

Action 14 - Accès à la nationalité française

1 560 326

1 716 737

1 058 600

-38,3%

Action 15 - Accompagnement des réfugiés

16 803 366

15 481 750

20 575 900

32,9%

Action 16 - Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

-

0

9 237 000

-

Total pour la mission

727 176 603

651 993 727

702 902 273

7,8 %

Source : commission des finances

B. DES DÉPENSES CONCENTRÉES SUR QUELQUES DISPOSITIFS CONTRAINTS, NOTAMMENT LES DÉPENSES LIÉES À L'ASILE

Les crédits de l'action 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 passent de 496,6 millions d'euros en loi de finances pour 2015 à 533,3 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances (+ 7,4 %) . Cette augmentation résulte à la fois de l'augmentation des moyens dédiés à l'OFPRA et aux CADA, et d'un effort de budgétisation plus sincère de la dépense d'allocation des demandeurs d'asile ( cf. infra ).

En conséquence, les dépenses liées à l'asile restent largement prépondérantes, avec une part d'environ 76 % du total des dotations de la présente mission . Le deuxième poste de dépenses, également contraintes, est celui de la lutte contre l'immigration irrégulière (en particulier les frais de fonctionnement des CRA et frais de reconduite à la frontière), soit 11 % du total de la mission.

Répartition des crédits de paiement demandés pour 2016

(en milliers d'euros)

Source : commission des finances

ANALYSE PAR PROGRAMME

I. LE PROGRAMME 303 « IMMIGRATION ET ASILE »

1. Un programme centré sur l'asile et l'immigration irrégulière

Le programme  303 « Immigration et asile », qui représente environ 90 % des dotations de la mission, est composé de quatre actions :

- l'action 1 « Circulation des étrangers et politique des visas » , qui porte les crédits de fonctionnement de la sous-direction des visas, placée au sein de la direction générale des étrangers en France ; cette action ne porte, en 2016, plus qu'un reliquat de crédits de 560 000 euros, en raison du transfert des crédits de fonctionnement de la sous-direction des visas de Nantes vers le programme 216 ;

- l'action 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » , qui rassemble les crédits destinés au traitement des demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et l'ensemble du financement des dispositifs d'accompagnement des demandeurs d'asile (centres d'accueil des demandeurs d'asile, hébergement d'urgence, allocation aux demandeurs d'asile) ;

- l'action 3 « Lutte contre l'immigration irrégulière » , qui porte principalement les crédits destinés au fonctionnement des centres et lieux de rétention administrative (CRA), ainsi que les frais d'éloignement des étrangers en situation irrégulière ;

- l'action 4 « Soutien » , qui porte les dépenses de fonctionnement de la direction générale des étrangers en France, à l'exclusion des dépenses de personnel et des loyers budgétaires.

Évolution des crédits de paiement du programme 303

en euros

Exécution 2014

LFI 2015

PLF 2016

Variation

Programme 303 - Immigration et asile

675 662 085

593 416 208

632 678 730

6,6%

Action 1 - Circulation des étrangers et politique des visas

1 159 114

1 432 000

560 000

-60,9%

Action 2 - Garantie de l'exercice du droit d'asile

570 171 039

496 567 568

533 300 000

7,4%

Action 3 - Lutte contre l'immigration irrégulière

77 622 087

73 807 000

76 700 000

3,9%

Action 4 - Soutien

26 709 845

21 609 640

22 118 730

2,4%

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2016

2. Une demande d'asile « nationale » stable, dans l'attente des demandeurs d'asile répartis à l'échelle de l'Union européenne

Comme cela a déjà été indiqué, la France connaît quant à elle, sur la première moitié de l'année 2015, un nombre de demandes d'asile stable par rapport à 2014 avec 32 784 demandes d'asile déposées (+ 0,3 %) . Sur la base de cette évolution, la demande d'asile strictement nationale devrait s'établir entre 65 000 et 70 000 demandes en 2015 .

Les nationalités d'origine des demandeurs d'asile connaissent cependant une évolution notable. Ainsi, le Kosovo redevient la première nationalité d'origine des demandeurs , avec 1 805 demandes sur le premier semestre 2015 - ce qui est directement lié au retrait du Kosovo de la liste des pays d'origine sûrs en octobre 2014. Par ailleurs, le Soudan (+ 94 %) et l'Irak (+ 1 546 %), tout en conservant des chiffres relativement contenus en valeur absolue (soit respectivement 1 273 et 905 demandes), ont connu une forte hausse en ce début d'année.

S'agissant de 2016, le projet de loi de finances pour 2016 a été conçu sur la base d'une « hypothèse d'une hausse de la demande d'asile régulière, conduisant au dépôt de 71 500 demandes en 2016 » 5 ( * ) . Cette hypothèse semble réaliste, indépendamment du programme de relocalisation à l'échelle européenne .

3. Des moyens accrus pour l'OFPRA, qui doit également faire face à la mise en oeuvre de la réforme

L'OFPRA est l'office chargé, en première instance, d'accorder ou non la protection de la France aux demandeurs d'asile qui la sollicitent. Face à l'augmentation de la demande d'asile depuis 2007 et à l'allongement des délais de traitement des demandes d'asile, l'OFPRA a vu ses moyens considérablement augmenter lors des dernières lois de finances . En 2016, ce renforcement des moyens est d'autant plus nécessaire que la loi précitée de réforme de l'asile a fixé des objectifs exigeants à l'office, à savoir un traitement des demandes d'asile dans un délai de trois mois, tout en assurant le respect des nouveaux droits, en particulier des droits de recours, que cette réforme a conférés aux demandeurs d'asile.

Ainsi, le projet de loi de finances poursuit l'évolution de ces dernières années, la subvention de l'État augmentant de 1,4 million d'euros par rapport à la loi de finances pour 2015, pour s'établir à 47,4 millions d'euros . En 2009, elle était de seulement 29 millions d'euros (+63 %). De la même manière, le plafond d'emplois de l'opérateur est relevé de 20 équivalents temps plein travaillés (ETPT), pour s'établir à 545 en 2016 , après une progression de 50 ETPT en 2015. Au total, depuis 2013, l'office a gagné 100 ETPT.

Le directeur général de l'OFPRA Pascal Brice a indiqué à votre rapporteur spécial que ces recrutements devraient en 2016 se concentrer sur les tâches administratives nécessaires à l'enregistrement des demandes, à la notification des décisions et à la production des documents d'état civil des personnes protégées, alors que les recrutements précédents avaient essentiellement permis d'accroître le nombre d'officiers de protection chargés des décisions.

Tout en saluant cette progression, votre rapporteur spécial doute qu'elle puisse être suffisante, au regard du délai de traitement des demandes, qui reste, en 2015, à un niveau élevé d'environ 200 jours , d'après le projet annuel de performances. Certes, le stock des dossiers de plus de trois mois est en cours de résorption, étant passé de 20 000 dossiers lors du pic de 2013 à 14 000 dossiers aujourd'hui. L'objectif d'un délai de trois mois, soit 90 jours, devrait être atteint, selon le directeur général de l'OFPRA, en 2017.

En tout état de cause, ces cibles, déjà ambitieuses, illustrent le fait que les économies budgétaires liées à une hypothétique réduction du délai de traitement des demandes n'interviendront pas immédiatement après l'entrée en vigueur de la réforme de l'asile au 1 er novembre .

Il convient de souligner que le délai global d'examen des demandes d'asile se réduit également en raison de l'augmentation du nombre de dossiers traités chaque année, en appel, par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Ainsi, entre 2009 et 2014, le nombre de décisions annuelles de la Cour a doublé, passant de 20 240 à 39 162.

4. Des places en CADA en augmentation

Constatant que le niveau élevé de la demande d'asile que connaît la France depuis plusieurs années est amené à perdurer, les pouvoirs publics, quels que soient les Gouvernements, ont développé la capacité d'accueil dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) , capacité pérenne et plus adaptée à ce public spécifique. Ainsi, entre 2001 et 2014, le parc de CADA est passé de 5 282 places à 25 637 places .

En 2015, 4 200 nouvelles places auront été créées . S'agissant de 2016, dans le cadre du plan « Migrants » annoncé en juin 2015, un nouvel appel d'offres a été lancé dont l'objectif est de créer à terme 5 500 places supplémentaires de CADA, en particulier par transformation de places d'hébergement d'urgence existantes. Ainsi, il est prévu de créer 3 500 nouvelles places en CADA en 2016 et 2 000 nouvelles places en 2017 .

Votre rapporteur spécial se félicite de la poursuite de la politique de construction de places de CADA , qui assure un hébergement adapté et encadré ; au total, environ 10 000 places de CADA auront été construites entre 2012 et 2016. Cependant, force est de constater que cette évolution n'est pas à la hauteur des enjeux, conduisant au maintien d'un important dispositif, mal contrôlé et plus onéreux, d'hébergement d'urgence (cf. infra ).

Le coût moyen par place en CADA s'établit, pour 2016, à 19,45 euros par jour . Il est en diminution compte tenu de l'entrée en vigueur de la nouvelle allocation pour demandeur d'asile (ADA), les CADA ne finançant plus, à compter du 1 er novembre 2015 et de l'entrée en vigueur de la réforme de l'asile, l'allocation mensuelle de subsistance.

Il convient de souligner que, l'ADA étant budgétée pour un montant moyen de 8,4 euros par personne et par jour, le coût journalier global d'un demandeur d'asile en CADA (coût à la place + allocation) augmente sensiblement en 2016, passant de 24 euros à 27,85 euros . Votre rapporteur spécial sera particulièrement vigilant quant à l'évolution du coût unitaire moyen des places en CADA , le ministère de l'intérieur soulignant, dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances, que le référentiel de coûts mis en place depuis 2012 devrait permettre une évolution à la baisse du coût unitaire moyen en cours d'année.

Au total, la dotation pour les CADA s'établit à 236,4 millions d'euros pour 2016, pour un total de 33 000 places dont 3 500 places créées en cours d'année 2016 .

5. Le financement insuffisant de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile

Avec 33 000 places en CADA prévues pour 2016, un nombre de demandeurs d'asile estimés à 70 000, soit 85 000 a minima en tenant compte du programme européen de relocalisation, et une durée moyenne de traitement des demandes par l'OFPRA de 200 jours, la capacité d'hébergement en CADA devra être complétée par des places en hébergement d'urgence .

Le parc d'hébergement d'urgence pour les demandeurs d'asile (HUDA) est composé de deux dispositifs : un parc national, géré par la société Adoma, soit 6 660 places ; et un parc déconcentré, géré par les préfets de département, soit 12 760 places prévues en 2016.

Le parc déconcentré est composé à la fois de centres d'hébergement collectifs, d'appartements pris à bail et de nuitées d'hôtels, ces dernières étant, comme l'illustre le tableau ci-dessous, la formule la plus coûteuse en terme de coût journalier.

Coût de l'hébergement d'urgence en 2014

HU déconcentré

HU national

Collectif

Hôtel

Appartements

ATSA

Coût unitaire

15,05 €

17,88 €

13,36 €

16,28 €

Coût total (estimation pour l'HU déconcentré)

28,4 M€

78,1 M€

35,5 M€

13,1 M€

Source : ministère de l'intérieur, réponses au questionnaire budgétaire

Misant sur l'augmentation du parc de CADA, ainsi que sur la mise en place de l'orientation directive, qui pourrait réduire le nombre de demandeurs d'asile hébergés dans le dispositif financé par l'État, le projet de loi de finances prévoit une dotation 2016 en baisse significative par rapport à 2015, soit 111,5 millions d'euros, contre 132,5 millions d'euros en 2015 . Or, la dotation 2015, même si elle se caractérisait par une augmentation significative par rapport aux années précédentes, était inférieure aux dépenses constatées en 2014 (142 millions d'euros). En outre, la loi précitée de réforme de l'asile prévoit que les demandeurs d'asile hébergés en HUDA ont droit à un accompagnement juridique et social , à l'instar de ceux hébergés en CADA ; cet accompagnement, s'il est effectivement mis en oeuvre, devra donc également être financé par cette enveloppe.

En conséquence, la dotation 2016 d'hébergement, compte tenu de la situation de la demande d'asile en France et du programme de relocalisation européen, n'est pas réaliste et devra probablement faire l'objet d'un abondement de l'ordre de 30 millions à 40 millions d'euros en cours d'année .

6. La délicate budgétisation de la nouvelle allocation pour demandeurs d'asile

Jusqu'au 1 er novembre 2015, les demandeurs d'asile bénéficient, en fonction de leur situation, de deux allocations différentes : l'allocation mensuelle de subsistance (AMS), versée par les CADA lorsqu'ils sont hébergés en CADA, et l'allocation temporaire d'attente (ATA), versée par Pôle Emploi lorsqu'ils n'ont pas pu être hébergés en CADA et le sont en hébergement d'urgence. La loi précitée portant réforme de l'asile a fusionné ces deux allocations en une seule « allocation pour demandeurs d'asile » (ADA), qui sera désormais gérée par l'Office français d'immigration et d'intégration (OFII) .

La budgétisation de la nouvelle allocation est, pour plusieurs raisons, particulièrement délicate .

Tout d'abord, son barème a été familialisé , si bien que le montant journalier moyen ne peut être, à ce stade, qu'une estimation. Le Gouvernement s'est ainsi fondé sur un montant moyen de 8,4 euros par personne et par jour - soit significativement moins que l'ATA, dont le montant était de 11,5 euros par personne et par jour. Cela représente un montant mensuel de 252 euros.

Ensuite, le nombre des bénéficiaires est susceptible d'évoluer en fonction des conséquences de la mise en oeuvre de l'orientation directive des demandeurs d'asile . En effet, en vertu de ce système prévu par la réforme de l'asile, un refus d'hébergement proposé par l'OFII entraînera la perte des droits à l'allocation, ce qui pourrait faire diminuer le nombre d'allocataires.

Enfin, l'ATA était caractérisée par une proportion importante d'indus, de l'ordre de 20 %, d'après les estimations de Pôle Emploi, en 2013. La dépense d'ADA dépendra donc également de l'efficacité de la gestion de l'allocation par l'OFII et de la capacité de ce dernier à maîtriser les indus , notamment en affinant le lien entre la situation du demandeur au regard de l'OFPRA et de la CNDA et ses droits à l'allocation, mais aussi en vérifiant effectivement la situation matrimoniale et familiale des allocataires, dès lors que l'ADA est familialisée.

Au total, le projet de loi de finances prévoit une dotation de 137,5 millions d'euros pour l'ADA . Cela représente une augmentation de 27,5 millions d'euros par rapport à la dotation d'ATA en loi de finances initiale pour 2015, que votre rapporteur spécial avait qualifiée de « manifestement insincère ». D'après les éléments transmis à votre rapporteur spécial, la dépense prévisionnelle d'ATA, pour 2015, s'établit à 157 millions d'euros jusqu'au 1 er novembre 2015 (soit près de 190 millions d'euros en dépense théorique annualisée) .

Évolution de la dépense annuelle d'allocation temporaire d'attente

en millions d'euros

* 2015 : l'ATA, remplacée par l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), ne sera plus versée à compter du 1 er novembre 2015 ; le montant indiqué correspond à une dépense prévisionnelle annuelle sur la base de la dépense prévisionnelle jusqu'au 1 er novembre 2015.

*2016 : dotation initiale pour l'ADA dans le PLF 2016

Source : commission des finances

La seule analyse du nombre de bénéficiaires de l'allocation suffit à éclairer l'insuffisance manifeste de la dotation pour 2016 . En effet, le nombre de bénéficiaires journaliers de l'ATA est, en 2014 et en 2015, de 46 900 personnes. Or, le public potentiel de l'ADA, qui comprend les demandeurs accueillis en CADA, est plus important que le public de l'ATA , limité aux seuls demandeurs hébergés en HUDA. Pourtant, les crédits d'ADA proposés par le présent projet de loi de finances sont établis sur la base d'une prévision de 44 800 bénéficiaires seulement .

Par conséquent, tout en reconnaissant la difficulté attachée à la prévision budgétaire d'une allocation dont le champ et le montant ont été redéfinis, votre rapporteur spécial estime que toute dotation inférieure à 200 millions d'euros sera insuffisante en gestion .

Au total, qu'il s'agisse de l'hébergement d'urgence ou de l'allocation temporaire d'attente, et malgré la hausse des crédits globaux dédiés à l'asile, votre rapporteur spécial déplore que la mise en oeuvre de la réforme de l'asile ne se soit pas accompagnée d'un effort de sincérité budgétaire qui permette, enfin, de mettre un terme à ce que l'opinion publique perçoit, depuis plusieurs années, comme une volonté politique de masquer, sinon de maquiller, la réalité du coût des dépenses liées aux demandeurs d'asile .

7. Les moyens à redéfinir d'une politique de rétention hâtivement repensée

L'action 3 du programme 303 relative à la lutte contre l'immigration irrégulière finance trois principaux postes :

- les dépenses de fonctionnement des centres et locaux de rétention administrative et zones d'attente ;

- les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière ;

- diverses subventions aux associations chargées du suivi sanitaire, social et juridique des étrangers retenus.

La politique de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière est traversée, en 2015, par deux phénomènes contradictoires . D'un côté, le projet de loi précité relatif au droit des étrangers prévoit d'accorder la priorité à l'assignation à résidence plutôt qu'au placement en rétention, conformément à la directive 2008/115/CE dite « Directive Retour » 6 ( * ) . D'un autre côté, dans le cadre du plan « Migrants » annoncé en juin 2015, le Gouvernement a décidé de renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière et, dans ce cadre, d'optimiser l'utilisation des places existantes de centres de rétention administrative (CRA) , aujourd'hui largement sous-utilisées 7 ( * ) .

En conséquence, les crédits prévus en 2016 sont en légère hausse, passant de 19 millions d'euros à 20,6 millions d'euros pour le fonctionnement des CRA . Cependant, il convient de souligner qu'au-delà de la dotation de fonctionnement du programme 303, la capacité d'accueil des CRA dépend essentiellement des effectifs de la police aux frontières qui leur sont alloués , afin d'assurer les nécessaires escortes consulaires et judiciaires et les raccompagnements à la frontière. Or, votre rapporteur spécial a pu constater, lors de sa visite au CRA du Mesnil-Amelot, que ces effectifs avaient baissé en 2013, 2014 et 2015.

Les dépenses d'assignation à résidence sont prévues à hauteur de 1,3 million d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 25 % par rapport à la loi de finances pour 2015. Votre rapporteur spécial souligne que cette solution, qui peut être utile, ne saurait remplacer la rétention pour une grande partie du public concerné pour qui elle ne permet pas d'assurer le contrôle nécessaire à leur reconduite effective à la frontière .

Par ailleurs, afin de désengorger le dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile (CADA et HUDA), il est nécessaire d'en sortir, le plus rapidement possible, les personnes déboutées du droit d'asile à la suite d'une décision définitive de l'OFPRA ou de la CNDA. À cet égard, la revue de dépenses, conduite par les inspections générales, relative à l'hébergement d'urgence, a préconisé de mettre en place des dispositifs dédiés d'accompagnement des déboutés du droit d'asile vers le départ du territoire . De tels centres, que votre rapporteur spécial appelle de ses voeux, sont actuellement expérimentés dans le cadre du plan « Migrants », en particulier à Vitry-sur-Orne en Moselle. Le projet de loi de finances prévoit une dotation de 1,9 million d'euros à cet effet.

Enfin, le projet de loi de finances pour 2016 se caractérise par une hausse significative des crédits dédiés aux frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière , les frais de billetterie centrale passant de 15,3 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2015 à 23,75 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances. Cette hausse correspond à la dépense constatée en 2014 , soit 24 millions d'euros, et qui s'explique moins par la hausse du nombre de raccompagnements aux frontières que par l'augmentation du coût individuel des billets du fait de la part croissante des renvois vers des pays lointains hors Union européenne.

II. LE PROGRAMME 104 « INTÉGRATION ET ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE »

1. Une augmentation bienvenue des crédits du programme

Le programme  104 regroupe les crédits d'intervention consacrés à l'intégration des étrangers et des réfugiés et s'articule autour de cinq actions, dont l'une est créée à l'occasion du présent projet de loi de finances :

- l'action 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants », qui porte la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;

- l'action 12 « Accompagnement des étrangers primo-arrivants », qui finance les actions d'intégration des étrangers en situation régulière hors OFII ;

- l'action 14 « Accès à la nationalité française », qui porte les crédits de fonctionnement de la sous-direction des naturalisations ;

- l'action 15 « Accompagnement des réfugiés », qui finance les actions d'intégration des réfugiés et, en pratique, essentiellement les centres provisoires d'hébergement des réfugiés (CPH) ;

- l'action 16 « Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants », nouvellement créée, qui reprend des crédits auparavant intégrés au sein de l'action 12 et qui sont désormais, à juste titre, isolés au sein d'une action spécifique.

Ce programme représente, avec 70,2 millions d'euros prévus en 2016 , moins de 10 % des crédits de paiement de la mission . Pour la première fois depuis plusieurs années, le programme connaît ainsi une hausse de ses crédits, qui s'étaient établis à 58,6 millions d'euros en loi de finances pour 2015 (+ 20 %) . Votre rapporteur spécial, qui appelle de ses voeux une politique ambitieuse en matière d'intégration depuis plusieurs années, ne peut que s'en réjouir, bien que l'analyse détaillée de cette évolution et de ses raisons soit plus nuancée.

Évolution des crédits de paiement du programme 104

(en millions d'euros)

Crédits de paiement

Exécution 2014

LFI 2015

PLF 2016

Variation

Programme 104 - Intégration et accès à la nationalité française

51 514 518

58 577 519

70 223 543

19,9%

Action 11 - Accueil des étrangers primo-arrivants

0

10 424 156

14 644 043

40,5%

Action 12 - Accompagnement des étrangers primo-arrivants

33 150 916

30 954 876

24 708 000

-20,1%

Action 14 - Accès à la nationalité française

1 560 326

1 716 737

1 058 600

-38,3%

Action 15 - Accompagnement des réfugiés

16 803 366

15 481 750

20 575 900

32,9%

Action 16 - Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

-

0

9 237 000

-

Source : commission des finances, d'après le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2016

2. L'OFII confronté à un basculement de ses missions vers l'asile

Créé en 2009, l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) dispose d'une compétence générale en matière d'intégration des étrangers en situation régulière dans les cinq premières années de résidence sur le territoire français . Il est financé essentiellement par des taxes affectées , correspondant aux droits de timbre acquittés par les étrangers ou aux taxes sur la main d'oeuvre étrangère due par les entreprises, qui sont complétées par une subvention pour charges de service public de l'Etat , et par des crédits du fonds européens d'intégration (FEI) et « Asile, migration et intégration » (FAMI).

L'OFII est confronté, avec la loi précitée portant réforme de l'asile et le projet de loi précité relatif au droit des étrangers, à une évolution structurelle de ses missions qui en font désormais, un acteur mixte au service de l'asile et de l'intégration .

En effet, l'OFII est désormais responsable :

- du premier accueil des demandeurs d'asile , y compris l'évaluation des demandeurs pour estimer leur « vulnérabilité » et adapter ainsi la solution d'hébergement proposée ;

- de la gestion de l'ensemble du parc de places en CADA de façon centralisée pour l'attribution des places aux demandeurs d'asile, ainsi que des places en centres provisoires d'hébergement (CPH) pour les réfugiés ( cf. infra ) ;

- de la gestion de l'allocation pour demandeurs d'asile , qui se substitue à l'allocation temporaire d'attente,

S'agissant de ses missions traditionnelles relatives à l'accueil et à l'intégration des étrangers primo-arrivants, l'OFII connaît également des évolutions importantes, qui ont été rappelées précédemment, en particulier :

- la refonte du parcours de l'étranger primo-arrivant et, en particulier, le relèvement au niveau A1 (contre A1.1 aujourd'hui) du niveau de langue exigé des étrangers après un an en France ;

- le renforcement de l'aide au retour pour les étrangers en situation irrégulière dans le cadre du plan « Migrants » ;

- la suppression de la visite médicale pour les étudiants , prévue par l'article 4 bis du projet de loi relatif au droit des étrangers, qui permettra de dégager quelques marges de manoeuvre budgétaires supplémentaires.

Dans ce contexte, la subvention d'équilibre de l'État à l'OFII s'établirait à 14,6 millions d'euros, soit une augmentation d'environ 4 millions d'euros par rapport à 2015 . Par ailleurs, le plafond des taxes affectées est maintenu à 140 millions d'euros par le présent projet de loi de finances.

Cette augmentation des moyens a vocation, d'après le projet annuel de performances, à financer « d'une part le recrutement de 40 ETP supplémentaires, dont 10 pour la mission Asile et 30 pour la mission Retour et réinsertion, et d'autre part les aides versées aux étrangers ». Ainsi, cette augmentation n'a pas pour objet de revoir à la hausse les prestations de formation linguistique à destination des étrangers primo-arrivants . Pourtant, une telle hausse est rendue nécessaire à la fois par l'élévation mentionnée précédemment du niveau de langue exigé des étrangers signataires du contrat d'accueil et d'intégration, et par l'arrivée prévue de près de 15 000 réfugiés supplémentaires en France en 2016 dans le cadre du programme de relocalisation européen. Ces derniers seront en effet autant de futurs signataires du contrat d'accueil et d'intégration et, au regard de leurs nationalités d'origine (Syriens, Irakiens, Erythréens), autant de bénéficiaires des prescriptions linguistiques pour l'apprentissage du français.

Aussi, votre rapporteur spécial s'interroge sur la capacité de l'OFII de répondre en 2016, sur la base d'une hausse de seulement 4 millions d'euros de ses ressources, tout à la fois à la prise en charge de missions entièrement nouvelles liées à l'asile et à la mise en oeuvre d'une intégration réussie des étrangers primo-arrivants et des réfugiés dans le cadre d'un parcours d'intégration présenté comme plus exigeant .

En tout état de cause, il sera attentif à ce que cette subvention ne soit pas, comme ce fut le cas en 2014 et 2015, supprimée ou réduite en cours de gestion, par décret d'annulation ou loi de finances rectificative .

3. Une ambition encore timide d'intégration et de formation linguistique des étrangers

Le projet de loi relatif au droit des étrangers prévoit que les étrangers primo-arrivants suivent un parcours d'intégration qui débute par un contrat d'intégration qui les mène, à l'issue d'un an, au niveau A1 en langue française et, à l'issue de cinq années de présence en France, au niveau A2 . Tout en saluant cet effort, votre rapporteur spécial note son manque d'ambition, le niveau A2, qui correspond seulement à la deuxième marche d'une échelle européenne qui en compte six, restant un niveau faible pour des personnes qui vivent et travaillent en France pendant cinq ans . À titre de comparaison, le niveau d'ores et déjà exigé en Allemagne des étrangers en situation régulière à l'issue de leur parcours obligatoire d'intégration est le niveau B1.

La formation linguistique nécessaire au passage du niveau A1 au niveau A2 est financée par l'action 12 « Accompagnement des étrangers en situation régulière » du programme 104. Afin d'assurer le relèvement à A2 du niveau exigé à l'issue de cinq ans, cette action voit, à périmètre constant 8 ( * ) , ses crédits augmenter de 3 millions d'euros en 2016 par rapport à 2015 , pour s'établir à 24,7 millions d'euros. Il convient de souligner que 2016 n'étant que la première année de la mise en oeuvre de cet objectif de relèvement, les crédits de la présente action devront augmenter dans des proportions similaires chaque année sur les cinq prochains exercices, afin de financer le cycle complet, sur cinq ans, de cette formation linguistique renforcée.

4. Les centres provisoires d'hébergement : la création de 500 places nouvelles, insuffisantes face à l'enjeu d'accompagnement et d'intégration des réfugiés

L'action 15 du programme 104 porte essentiellement les crédits destinés au financement de l'hébergement des réfugiés, en particulier les centres provisoires d'hébergement (CPH) .

Cette action constitue l'un des motifs de satisfaction du présent projet de loi de finances . En effet, la nécessité de renforcer l'intégration des réfugiés après l'obtention du statut par l'OFPRA ou la CNDA, qui était au coeur du rapport d'information de votre rapporteur spécial sur les centres provisoires d'hébergement 9 ( * ) , semble avoir été partiellement comprise par le Gouvernement. Ainsi, dans le cadre du plan Migrants de juin 2015, la création de 500 places supplémentaires en CPH a été annoncée , ce qui portera en 2016 le parc de CPH, qui n'avait pourtant pas progressé depuis 10 ans, à 1 500 places.

En conséquence, l'action voit sa dotation progresser globalement de 4,4 millions d'euros pour financer ces places nouvelles dont le coût journalier prévisionnel moyen, en baisse, s'établit à 27,2 euros pour 2016 .

Votre rapporteur spécial regrette cependant qu'il ne soit pas tenu compte, dans ce financement, des modifications apportées, à l'initiative de votre rapporteur spécial au Sénat, par la loi précitée portant réforme du droit d'asile au statut des CPH et, en particulier, à l'élargissement de leurs missions à l'accompagnement de l'intégration de l'ensemble des réfugiés accueillis sur le territoire du département.

En tout état de cause, l'augmentation des moyens dédiés à l'accompagnement des réfugiés est inévitable .

D'une part, en raison de l'évolution des flux de demandeurs d'asile vers la France, et en particulier, de la progression du nombre de demandeurs en provenance de pays dont la situation sécuritaire est problématique - Soudan, Irak, Ukraine, Syrie notamment -, le nombre de décisions favorables de l'OFPRA et de la CNDA progresse en 2014 et au premier semestre 2015 . Ainsi, sur le seul premier semestre 2015, 14 748 demandeurs se sont vus accorder le statut de réfugié, soit autant qu'au cours de l'ensemble de l'année 2014.

D'autre part, au regard de l'annonce du programme de relocalisation de demandeurs d'asile « en besoin manifeste de protection » en 2016 et 2017, la France accueillera en 2016, a minima , 15 000 demandeurs d'asile supplémentaires en provenance de Hongrie, d'Italie et de Grèce, dont 95 %, d'après Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France entendu par votre rapporteur spécial, devraient obtenir le statut de réfugié.

Au total, la France devrait accorder sa protection à au moins 30 000 personnes en 2016, soit près du triple de la moyenne annuelle des dix dernières années . Plus que les solutions d'hébergement, qui pourraient être trouvées par la mobilisation des logements sociaux vacants notamment, cette situation appelle une augmentation massive des moyens d'accompagnement et de formation pour permettre une intégration aisée dans la société française de cette population durablement réfugiée .

La création de 500 places en CPH constitue une bonne nouvelle, mais qui n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Comme votre rapporteur spécial a eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises, il est absolument primordial de se donner, non seulement les moyens de gérer le flux des demandeurs d'asile mais, surtout, d'accompagner dans l'intégration ceux, de plus en plus nombreux, à qui la République accorde sa protection .

LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

I. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A. EN PREMIÈRE DÉLIBÉRATION

Lors de la première délibération, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement, après avis favorable de la commission des finances, qui augmente de 98,65 millions d'euros les crédits de la présente mission au titre de la réponse à la crise des réfugiés au niveau européen .

D'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, cette dotation supplémentaire se répartirait à hauteur de 72,42 millions d'euros pour le programme 303 et à hauteur de 26,23 millions d'euros pour le programme 104.

Les hypothèses de base de cet amendement sont, comme prévu, une arrivée de 30 780 demandeurs d'asile sur deux ans, répartie de façon linéaire dans le temps, soit environ 1 280 réfugiés par mois . Par ailleurs, il est fait l'hypothèse que les demandeurs d'asile, une fois arrivés en France, obtiendraient une décision définitive de la part de l'Ofpra dans les quatre mois . Cette décision serait, dans 95 % des cas, favorable , compte tenu des nationalités (syriennes, irakiennes et érythréennes) qui seraient pré-sélectionnées dans les « hotspots ».

Répartition de l'amendement de crédit du Gouvernement sur la mission « Immigration, asile et intégration »

Personne bénéficiaire

Objet

ETP

Crédits
(en millions d'euros)

Programme 303

Ofpra

- Renforcement des effectifs pour l'instruction, l'état civil et l'enregistrement

- Financement de missions foraines

80

5,47

CADA

Hébergement (sur la base d'une durée d'instruction de 4 mois)

36,62

ADA

Allocation sur la base d'une durée d'instruction de 4 mois

11,27

CRA

Reconduites de 5 % des demandeurs d'asile admis

4,06

Communes

Aides pour la création de places d'hébergement

15

Programme 104

Renforcement des guichets uniques (co-financés par l'OFII)

0,86

Pré-accueil par les associations

0,31

OFII

Contrat d'accueil et d'insertion

23

23,7

OFII

Renforcement de l'accueil dans les directions territoriales

46

1,36

Total

149

98,65

Source : commission des finances, d'après les données du ministère chargé du budget

B. EN SECONDE DÉLIBÉRATION

En seconde délibération, l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative du Gouvernement, un amendement visant à diminuer de 11,4 millions d'euros, en AE=CP , la dotation de la mission , au titre des économies générales. Cette diminution se répartit entre le programme 303, à hauteur de 9,4 millions d'euros, et le programme 104, à hauteur de 2 millions d'euros.

Sollicité par votre rapporteur spécial, le Gouvernement a indiqué que les réductions de crédits seraient réalisées grâce à « la possibilité d' optimiser dans les dépenses déjà très contraintes de l'asile (centrale, opérateurs) » qui « permet de dégager une marge, sachant que [le Gouvernement réévaluera] en détail au cours de la gestion les besoins de l'asile compte tenu de l'entrée en vigueur de la réforme ».

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

L'amendement adopté en première délibération constitue une réponse qui est, d'un point de vue budgétaire, a priori bien calibré pour l'accueil de demandeurs d'asile tel que prévu dans le cadre de la relocalisation européenne .

Toutefois, votre rapporteur spécial émet d'importantes réserves :

• Tout d'abord, il est peu probable que l'accueil de demandeurs d'asile se limitera à 31 000 réfugiés supplémentaires, répartis de façon linéaire sur 24 mois , alors que la crise des migrants, qui a commencé au cours de l'été, continue aujourd'hui avec la même intensité. En outre, d'après les données de l'Ofpra, la demande d'asile a augmenté de 12 % sur les dix premiers mois de 2015 par rapport à 2014, avec une accélération ces derniers mois, avant même que la répartition européenne ne commence.

• Par ailleurs, aucun financement n'est prévu pour les centres provisoires d'hébergement des réfugiés (CPH) : il s'agit pourtant de la structure la plus adaptée pour les populations réfugiées les plus fragiles et les plus traumatisées.

• Cet amendement de crédits s'ajoute à des crédits qui, comme cela a été précisé précédemment, sont sous-budgétés . Ainsi, en réalité, cet abondement permettrait, au mieux, de couvrir les sous-budgétisations (notamment sur l'allocation et sur l'hébergement d'urgence) qui seraient constatées en l'absence des réfugiés relocalisés dans le cadre européen.

• Enfin, l'amendement adopté en seconde délibération contredit l'engagement du Gouvernement . À cet égard, votre rapporteur spécial s'interroge sur la capacité du Gouvernement à « optimiser » des dépenses qui ne présentent, depuis de nombreuses années, aucune marge de manoeuvre et qui connaissent des tensions fortes en gestion, exercice après exercice.

Au-delà de ces amendements, d'autres informations obtenues au cours de la discussion du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale sont source d'inquiétude .

Tout d'abord, l'allocation pour les demandeurs d'asile sera financée par l'Ofii dans le cadre non pas d'un budget annexe, mais d'une section de son propre budget. Ainsi, l'Ofii devra financer sur son propre budget et sur sa propre trésorerie les probables sous-budgétisations de l'allocation ; elle n'en a pourtant pas les moyens, ce qui risque de rendre l'exécution 2016 de l'ADA tendue et complexe.

Ensuite, le décret relatif au barème de la nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile a été publié le 21 octobre 2015 10 ( * ) . Le montant individuel de l'ADA sera de 6,80 euros par jour pour une personne seule, contre 11,45 euros jusqu'alors avec l'ATA. En conséquence, un demandeur d'asile seul bénéficiera d'un montant mensuel d'environ 210 euros . Votre rapporteur spécial estime que ce montant est trop faible . A titre d'exemple, en Allemagne, le montant de l'allocation aux demandeurs d'asile, qui était au minimum de 225 euros jusqu'en 2012, a été censuré par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui a estimé qu'il violait le principe constitutionnel de dignité humaine 11 ( * ) .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie mercredi 7 octobre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial . - Je vous annonce tout de suite que je demanderai de réserver notre position sur les crédits de cette mission. En effet, le Gouvernement a annoncé qu'il abonderait la politique d'immigration de 279 millions d'euros en 2016, mais nous n'avons aucune idée de leur répartition. D'après les informations orales dont nous disposons, 85 millions d'euros seraient fléchés sur les deux programmes 303 et 104 de la présente mission. Dans l'attente de la répartition de ces crédits, dont le montant pourrait représenter plus de 10 % des crédits de la mission, je préfère réserver notre position.

Dans cette mission, il y a quelques points positifs, un nombre certain de points négatifs, et beaucoup d'interrogations.

Parmi les points positifs, je citerai la construction des places en centre d'accueil des demandeurs d'asile. Je l'avais déjà souligné et salué les années passées, il y a là un véritable effort puisque l'on construit entre 3 000 et 4 000 places de CADA par an depuis 2013. Or, je considère que le cadre CADA devrait être le cadre prioritaire d'accueil des demandeurs d'asile, car c'est une structure contrôlée, équipée, accompagnée.

Cependant, il n'en reste pas moins qu'il reste environ 40 % des demandeurs hébergés dans d'autres structures que des CADA - en particulier des centres d'hébergement d'urgence et des hôtels.

Parmi les points négatifs, il reste, comme chaque année, la sous-budgétisation des dispositifs d'hébergement d'urgence et de l'allocation. S'agissant de l'allocation, la dotation inscrite est systématiquement inférieure d'au moins 40 millions d'euros à la dépense constatée de l'année antérieure. Il en va de même, peu ou prou, de l'hébergement d'urgence. En conséquence, il est nécessaire de procéder à des abondements en cours d'année. Ainsi, le budget global de la mission est de 703 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, alors que la dépense véritablement constatée en 2014 s'élevait à 770 millions d'euros. Je doute que qui ce soit pense sérieusement qu'il soit possible de dépenser en 2016 moins qu'en 2014 en matière d'accueil des demandeurs d'asile et des migrants. Cette sous-budgétisation systématique est anormale.

L'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont l'essentiel des ressources provient de taxes affectées dont le montant est stable à 140 millions d'euros, voit sa subvention de l'État augmenter de 4 millions d'euros. Mais ce petit effort est largement insuffisant au regard des nouvelles missions qui sont confiées à l'OFII, en particulier la gestion de la nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile. Ainsi, les crédits supplémentaires ne permettront pas de renforcer les actions en matière d'intégration, mais, à titre principal de recruter des effectifs pour ces nouvelles missions. Je rappelle que l'allocation temporaire d'attente (ATA) était gérée par Pôle emploi, et mal gérée, car cette prestation était trop marginale pour Pôle Emploi, qui n'en assurait pas un contrôle adéquat. Comme nous l'avions demandé il y a deux ans, l'allocation a donc été transférée par la réforme de l'asile à l'OFII.

S'agissant de l'apprentissage du français, l'objectif fixé par le Gouvernement est de faire en sorte que le niveau de français exigé des étrangers en situation régulière passe du niveau A1.1, qui était le plus bas d'Europe, au niveau A1, qui reste peu élevé. En Allemagne, le niveau requis est le niveau B1. En outre, pour l'obtention de la carte de séjour pluriannuelle, ce n'est pas l'obtention de ce niveau, avec diplôme à la clé, qui sera requis, mais seulement la preuve de l'assiduité aux cours ! Peut-être est-ce une réflexion d'ancien professeur, mais je trouve que ce n'est pas une méthode sérieuse pour vérifier l'acquisition de la langue française. En outre, il y a très peu de moyens pour les stages d'intégration républicaine. Il ne reste plus, en la matière, qu'un stage d'une demie journée dérisoire, pour ne pas dire surréaliste, au cours de laquelle on présente en quelques heures l'histoire de France et les valeurs de la République à un public qui, pour moitié, ne comprend pas le français.

Nous pouvons être en désaccord sur les conditions d'entrée sur le territoire et sur le nombre d'étrangers accueillis. Mais une fois que ces derniers sont accueillis et quel que soit leur nombre, nous devrions être d'accord pour nous donner collectivement les moyens de les accompagner, de leur permettre de parler français et de les intégrer à la société française. Il n'est pas normal que les réfugiés, à qui la France a accordé sa protection, soient à peine mieux traités et suivis que les demandeurs d'asile déboutés ; c'est pourtant le cas aujourd'hui !

Nous avons eu un débat sur l'accès des demandeurs d'asile au travail : en réalité, ce n'est pas le débat, car qu'ils soient demandeurs d'asile ou réfugiés, l'accès au marché du travail est très compliqué dans la situation économique que nous connaissons. Il faut sortir de l'incantation, donner des droits nouveaux est inutile s'ils ne correspondent pas aux réalités.

De même, je crois que les financements européens devraient également faire partie de cette remise à plat que j'appelle de mes voeux. J'ai rencontré les représentants de certaines associations, qui m'ont indiqué que certaines structures n'avaient toujours pas reçu en 2015 le solde des fonds européens des années 2011 et 2012. Il y a certes des contrôles à réaliser, mais un tel retard, assorti de l'absence de financements de l'État, met les associations dans une situation extrêmement délicate.

Au nombre des interrogations, je tiens à souligner la familiarisation de la nouvelle allocation pour demandeurs d'asile. Nous l'avions souhaité à la commission des finances, car il n'est pas normal que l'allocation d'un demandeur d'asile seul soit équivalente à celle d'un demandeur marié avec deux enfants. Cependant, le Gouvernement a souhaité que cette évolution se fasse à enveloppe constante, si bien que le nouveau barème devrait induire une baisse du montant moyen par allocataire de près de trois euros par jour. Nous avions l'une des allocations pour demandeur d'asile les plus généreuses d'Europe, nous aurons désormais l'une des plus réduites. Sans doute le ministre de l'intérieur souhaite que la réforme se fasse, mais Bercy limite l'enveloppe...

Le Gouvernement a annoncé que la France devrait accueillir, dans le cadre des deux programmes de relocalisation européens annoncés, entre 30 000 et 31 000 demandeurs d'asile supplémentaires entre fin 2015 et fin 2017. Cependant, avec tout le respect que je dois au personnel de l'administration qui établit les prévisions statistiques et budgétaires, l'idée, avancée par le Gouvernement, qu'il entrerait, de façon parfaitement régulière et ordonnée, 1 280 demandeurs d'asile par mois pendant vingt-quatre mois, n'est absolument pas crédible. L'Allemagne, confrontée à des afflux massifs, ne pourra pas lisser le transfert sur vingt-quatre mois.

L'Allemagne aura probablement reçu, d'ici fin 2015, près de 1 200 000 demandeurs d'asile. Elle aurait déjà demandé de nouvelles répartitions européennes pour Noël et pour Pâques prochain. La politique allemande n'est pas pour autant exempte de calcul - à titre d'anecdote, le nouveau directeur de l'équivalent allemand de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) est l'ancien directeur du Pôle Emploi allemand ! Il y avait sans doute une pression du patronat allemand, qui a besoin de main d'oeuvre, mais ce calcul était fait avec un nombre d'arrivées limité à 500 000. Maintenant, l'Allemagne referme les frontières et demande un effort de solidarité de la part de ses partenaires européens.

Sans fixer de quotas, la France s'est engagée à accueillir 19,3 % des demandeurs d'asile concernés. Donc si 100 000 personnes arrivent d'ici la fin de l'année, comment se prépare-t-on à en recevoir plus de 19 000 sur notre territoire ? Le projet de loi de finances pour 2016 ne prévoit rien pour le moment, le budget est construit sans prendre en compte les événements exceptionnels que nous connaissons et en étant d'ores et déjà inférieur à l'exécution 2014... Attendons donc la concrétisation budgétaire des 279 millions d'euros annoncés.

Contrairement à ce que j'ai pu entendre, il y aura davantage de demandeurs d'asile obtenant le statut de réfugié puisque, sur le seul premier semestre 2015, l'OFPRA nous a indiqué que 14 800 statuts de réfugiés avaient été accordés, soit autant que pour l'ensemble de l'année 2014, et que leur prévision s'établissait environ à 25 000 pour l'ensemble de l'année en cours. Or, même si, je le répète, les réfugiés sont « mal traités » dans notre pays, il est vrai qu'ils « coûtent plus cher » que les demandeurs d'asile puisqu'ils peuvent bénéficier d'aides et de prises en charge, comme le revenu de solidarité active (RSA).

Les crédits de la mission se caractérisent donc à la fois par une sous-budgétisation de certains postes, des efforts incontestables, notamment dans la création de places en CADA et d'hébergement d'urgence, une prévision curieuse sur l'allocation puisque la familialisation devrait, me semble-t-il, engendrer une dépense plus élevée, et, enfin, une interrogation sur les moyens supplémentaires alloués pour accompagner le choc migratoire que nous connaissons.

Selon moi, sans tenir compte des charges supplémentaires engendrées pour les collectivités territoriales ainsi que dans les domaines de la police, de la santé et de l'éducation, 350 millions d'euros supplémentaires seront nécessaires pour accueillir le nombre annoncé de réfugiés. Nous aurons le débat avec le Gouvernement qui annonce 279 millions d'euros et attendons de voir comment ils seront répartis.

Voici donc les raisons pour lesquelles je demande la réserve des crédits de la mission. Ce sujet dépasse largement la question de l'opportunité ou non de recevoir ces demandeurs d'asile sur notre territoire : en tout état de cause, il convient de disposer des moyens nécessaires pour accueillir ceux pour lesquels l'État s'est, d'ores et déjà, engagé. Je finirai mon propos en indiquant que l'essentiel des demandeurs d'asile concernés par la répartition européenne obtiennent effectivement le statut de réfugié à l'issue de la procédure, soit à 97 % des demandes de Syriens et 100 % pour les Erythréens par exemple.

M. François-Noël Buffet , rapporteur pour avis au nom de la commission des lois . - Pour compléter les propos de Roger Karoutchi, j'indiquerai simplement que les orientations des réformes initiées par le Gouvernement peuvent éventuellement être partagées, mais qu'elles ont pour handicap majeur de ne pas bénéficier des moyens financiers nécessaires. Si les crédits ne sont pas inscrits, les mesures prises ne se concrétiseront pas et resteront au niveau de la simple déclaration, éventuellement de la bonne intention.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La sous-budgétisation que nous constatons chaque année prend un relief particulier cette année compte tenu de la crise migratoire. Dispose-t-on d'une évaluation du coût engendré par l'octroi du statut de réfugié en termes de dépenses publiques, en particulier s'agissant du RSA ou de la couverture maladie universelle (CMU) ? L'augmentation du nombre de réfugiés n'a pas qu'un impact sur les crédits de cette mission mais aussi sur les budgets des départements qui assurent le financement du RSA.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je souhaitais poser la même question que le rapporteur général. La sous-budgétisation des crédits est encore plus préoccupante que pour les années passées, compte tenu du choc migratoire. Les préfets doivent gérer les enveloppes et les moyens d'hébergement, mais cela dépend également de l'adaptation du nombre de places CADA. La crise actuelle aurait dû être l'occasion de revoir les moyens alloués à la mission comme nous le réclamons depuis longtemps.

M. Vincent Delahaye . - Le rapporteur spécial estime à 350 millions d'euros les besoins supplémentaires qui seraient nécessaires compte tenu du nombre de réfugiés attendus. Quel est le nombre actuel de réfugiés concernés par le budget actuellement prévu de 703 millions d'euros ? Quel montant serait nécessaire pour accueillir les 31 000 personnes qui arriveront probablement d'ici à la fin de l'année 2017, dans les mêmes conditions que celles prévues dans la mission ?

La sous-budgétisation des crédits de la mission pour une année supplémentaire est regrettable et, plus généralement, je condamne cette tendance désormais répandue et qui porte atteinte à la sincérité budgétaire. Il serait utile que la commission des finances fasse la somme de toutes les sous-budgétisations constatées dans le projet de loi de finances pour 2016. Sauf évolution majeure, il n'y a pas de raison que le montant inscrit en prévision ne soit pas au moins identique à celui constaté en 2014.

Mme Fabienne Keller . - Vous indiquez, monsieur le rapporteur spécial, qu'il devrait être difficile de se limiter à l'accueil de 31 000 réfugiés. Est-il possible d'établir les besoins supplémentaires nécessaires, en retenant des hypothèses moyenne et haute du nombre de réfugiés susceptibles d'être accueillis ?

À l'occasion d'un conseil municipal conjoint entre les villes de Strasbourg et de Kehl, il est apparu qu'en Allemagne, le suivi et la préparation de l'accueil des demandeurs d'asile étaient bien mieux organisés qu'en France, même si cela n'exclut pas qu'ils puissent par ailleurs être débordés. La ville de Strasbourg n'était même pas en mesure de dire combien de personnes elle devrait prendre en charge et dans quelles conditions.

La transformation de places d'hébergement d'urgence en places de CADA n'est certainement pas la meilleure solution puisqu'elle ne fait que reporter le problème alors que tous les hivers nous rencontrons déjà des difficultés en matière d'hébergement d'urgence. On fait les Shadoks !

Enfin, quelle est votre appréciation du montant de 1 000 euros accordé aux communes par nouvelle place créée pour l'accueil de réfugiés ? Cette participation de l'État n'est-elle pas très faible et susceptible de conduire à un nouveau transfert de charges vers les communes, alors qu'en Allemagne, pour donner un ordre de grandeur, le coût total de prise en charge d'une famille de réfugiés est estimé à 13 000 euros ?

M. Maurice Vincent . - Je remercie le rapporteur spécial pour son travail, même si je ne partage pas toutes ses conclusions. Je souhaite souligner le fait que le budget accordé pour cette mission a été construit dans le cadre de la procédure normale, sans tenir compte des événements exceptionnels qui se sont produits au même moment.

Le Président de la République et le Gouvernement ont pris une position particulièrement responsable sur ce dossier, en étant généreux tout en tenant compte de nos capacités d'accueil concrètes, contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne. L'accueil significatif de 31 000 réfugiés est gérable pour notre pays, ce qui est essentiel pour que cela se passe dans les meilleures conditions.

Il convient de distinguer l'examen des crédits de la mission tels qu'ils nous sont présentés et les moyens supplémentaires qui seront par la suite inscrits pour répondre aux besoins exceptionnels de la situation migratoire actuelle.

S'il est exact que la mission connaît une sous-budgétisation chronique, je souligne également l'effort significatif proposé par le Gouvernement, avec une hausse de 10 % des crédits par rapport à 2015, soit 70 millions d'euros supplémentaires dans un contexte budgétaire pourtant contraint. Mon avis diverge de celui du rapporteur spécial qui ne constate qu'une augmentation de 20 millions d'euros.

J'observe, par ailleurs, qu'alors que le rapporteur spécial nous invite à augmenter les crédits de la mission, y compris en dehors des événements exceptionnels que nous rencontrons, votre famille politique annonce des économies budgétaires à hauteur de 100 milliards d'euros.

En conclusion, votre rapport est relativement modéré et j'en tire la conclusion inverse à la vôtre. Il convient d'adopter les crédits de la mission, compte tenu de l'augmentation déjà prévue et des annonces du Premier ministre permettant de connaître le complément de moyens prévus pour couvrir les besoins exceptionnels attendus. Nous pourrons ensuite discuter de cette enveloppe supplémentaire de 279 millions d'euros et destinée à répondre à nos engagements pris dans le cadre européen.

M. François Marc . - Le rapporteur spécial a fait une présentation très détaillée de la mission et a proposé de réserver le vote sur ses crédits. Je constate pourtant, en lisant ses principales observations, qu'il est favorable au budget proposé sur de nombreux points et qu'il aurait pu le dire oralement. Vous mentionnez ainsi, dans votre note de présentation, la hausse globale des moyens, qui est loin d'être négligeable, l'augmentation des capacités du parc de CADA pour atteindre 33 000 places, la progression de 20 % des crédits consacrés à l'intégration des étrangers en situation régulière, l'augmentation des moyens dédiés à l'intégration des étrangers qui témoigne, je vous cite, d'une « ambition réelle » et enfin le fait que la création de 500 places en CPH est une « bonne nouvelle ». Je vous interroge donc, monsieur le rapporteur spécial, sur l'opportunité de réserver ces crédits compte tenu de l'ensemble de ces points positifs. Pourquoi ne pas y être favorable dès à présent ?

M. Éric Doligé . - Il a été clairement dit que la France accueillera les deux années prochaines plus de 30 000 migrants. Je souhaiterais que puisse être établie une analyse budgétaire du coût pour les finances publiques des personnes qui entrent en France, par tranche de 10 000 : combien coûte l'accueil de 10 000 migrants supplémentaires et comment sont-ils répartis ? Un président de Conseil départemental m'a expliqué que son préfet lui avait écrit pour lui dire que 111 personnes étaient arrivées dans son département et qu'il devait les faire bénéficier du RSA. À ce stade, les départements estiment au moins à 150 millions d'euros la charge qu'ils auront à supporter en raison de l'afflux des migrants. Visiblement, le Gouvernement, conscient que les sommes à engager seront bien supérieures à celles qu'il a prévues dans son projet de loi de finances, considère qu'elles seront prises en charge par les départements ou les communes.

M. Serge Dassault . - Comme l'a dit Roger Karoutchi, il n'y a aucun rapport entre les annonces du Gouvernement et les moyens financiers dont il dispose. J'ajouterai pour ma part que le Gouvernement agit de la sorte de façon systématique et pas seulement sur la question de l'asile ! Il décide des dépenses sans s'occuper des recettes ! Nous ne pouvons pas accueillir tous ces migrants car nous n'avons plus d'argent.

M. Marc Laménie . - L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) va bénéficier d'une augmentation significative de ses emplois à temps plein (ETP). Ces emplois affectés à des tâches administratives ne seraient-ils pas plus nécessaires sur le terrain ?

M. Thierry Carcenac . - Dans le cadre de cette mission, je ne vois pas comment nous pourrions être hostiles à l'accueil d'un certain nombre de migrants sans donner l'image d'une Europe anachronique. Le Gouvernement a annoncé 279 millions d'euros de moyens supplémentaires et il serait souhaitable de disposer d'une vraie consolidation budgétaire afin que nous puissions mesurer les conséquences de l'accueil de ces migrants en matière de RSA, de mineurs étrangers isolés, etc.

M. Philippe Dallier . - La mission dont nous débattons aujourd'hui est corrélée à la mission « Égalité des territoires et logement », puisque nous savons bien qu'il existe un phénomène de vases communicants entre les deux sujets. Je suis convaincu que la sous-budgétisation pour ces deux missions atteint au moins 500 millions d'euros. Ce chiffre est à rapprocher du milliard d'euros de réduction du déficit budgétaire...

Concernant la mission dont je suis les crédits, l'un des objectifs de la ministre était de réduire le nombre de nuitées hôtelières. On voit tout de suite qu'elle pourra difficilement y parvenir dans le contexte que Roger Karoutchi nous a décrit. A-t-il étudié cet aspect des choses, dans la mesure où l'on imagine bien que les gens se logent comme ils le peuvent lorsque les CADA sont pleins ?

Mme Marie-France Beaufils . - Depuis des décennies, la France compte trop peu de places pour accueillir les migrants. Je m'interroge sur les nouvelles places dans les CADA et j'aurais aimé savoir si l'on savait comment elles seront réparties sur le territoire national. S'agit-il réellement de nouvelles places ou seront-elles reconverties au détriment des hébergements pour les personnes sans domicile fixe ?

J'appuie totalement la remarque du rapporteur sur la nécessité de renforcer l'apprentissage du français pour les migrants. Pour avoir accueilli depuis des années des demandeurs d'asile dans ma commune, j'ai pu mesurer la fragilité de cet accompagnement. En revanche, contrairement à ce que j'ai pu entendre, ma commune n'a jamais bénéficié d'aides pour les enfants migrants scolarisés dans ses écoles.

M. François Patriat . - Roger Karoutchi n'a pas mentionné dans son rapport le rôle des collectivités territoriales dans l'accueil des migrants. Aussi bien les communes que certains départements et régions s'impliquent dans plusieurs domaines : l'accueil, les cours de langue.

Une commune de 1 500 habitants de ma région accueille ainsi 70 migrants, pour la plupart Erythréens. Il existe une vraie mobilisation pour accompagner ces personnes dans leurs démarches et dans leur apprentissage de la langue française en dépit des réticences d'une partie de la population.

Et je ne peux pas passer sous silence l'action de certaines régions, comme ma région Bourgogne Franche Comté qui double aujourd'hui l'action de l'Etat, avec tout un accompagnement et une prise en charge dans les lycées pour la formation et l'insertion.

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial . - Je veux tout de suite rassurer François Marc : ma réserve vise à attendre la répartition précise des annonces, mais elle s'oriente plutôt vers un vote négatif. Un budget doit être adapté aux réalités. Vous me dites que le budget de cette mission est en augmentation par rapport aux budgets précédents. Mais la situation a complètement changé cette année et nous le savons depuis le mois de juin lorsqu'a eu lieu la première répartition européenne, dont nous pouvions nous douter qu'elle ne serait pas la dernière. J'attends les 279 millions d'euros et leur répartition pour savoir exactement ce qu'il en est, mais cela fait des années que nous signalons que cette mission est sous-budgétée. Je ne suis pas hostile à l'idée que notre politique d'accueil des étrangers soit dynamique, encore faut-il y mettre les moyens !

Le Gouvernement a évoqué 279 millions d'euros supplémentaires. L'Allemagne avait prévu dans le budget 2016 des moyens en très nette augmentation par rapport à 2015 et, avec l'afflux des migrants, a préparé un plan avec 6 à 7 milliards d'euros de plus par rapport à ses prévisions initiales ! L'équivalent allemand de l'Ofpra va recruter 2 000 personnes alors que l'Ofpra ne comptera que 540 employés en 2016, même avec les augmentations de poste. Le directeur de l'Ofpra, que j'ai entendu, m'a dit qu'il était satisfait des créations de postes dont il bénéficiera, pourvu qu'il n'ait pas à accueillir d'étrangers supplémentaires. S'il en recevait 31 000 de plus, il aurait besoin de 50 à 100 postes immédiatement. Sont-ils comptabilisés dans les 279 millions d'euros ? Je ne sais pas. En tout état de cause, il m'a rappelé que, même si le Parlement voulait que le traitement des demandes d'asile soit effectué en 90 jours au maximum, le chiffre réel s'établissait à 200 jours en juin 2015. Les 90 jours ne pourraient être atteints qu'à la condition de ne pas recevoir d'étrangers supplémentaires ou en bénéficiant de 100 nouveaux postes pour accueillir 31 000 migrants de plus.

Je voudrais ajouter que le chiffre de 31 000 n'est d'ailleurs pas du tout crédible, ne serait-ce que parce que ces migrants bénéficieront ensuite du droit au regroupement familial. En outre, l'afflux de migrants va se poursuivre dans les années à venir...

Puisque l'on sait ce qui va se passer, pourquoi ne pas en tirer les conséquences financières dans le projet de loi de finances ? Le rythme de création de nouvelles places en CADA est très inférieur à l'augmentation du nombre de migrants sur notre territoire ! Il n'y a pas d'efforts en matière d'apprentissage du français, en matière d'intégration, le regroupement familial est passé sous silence...

Indéniablement, beaucoup de vous l'ont dit, la charge du RSA pèsera sur les départements. Pour 15 000 réfugiés, la charge annuelle du RSA représente 80 millions d'euros pour les départements. Si on en accueille 31 000, cela signifie 160 millions d'euros de charges RSA ! Les associations aussi sont très inquiètes : il faut un véritable accompagnement social des réfugiés.

Un plan d'ensemble réunissant tous les acteurs et répartissant clairement les rôles est indispensable. Je suis pour ma part favorable à un véritable plan CADA, lieu qui permet un accompagnement approprié. Au total, fin 2017, on aura 33 000 places de CADA : mais si on a les 65 000 demandeurs d'asile classique et 31 000 demandeurs supplémentaires, ce sera complétement insuffisant.

En conclusion, pour répondre à François Marc, s'il n'y avait pas de crise en Europe je vous dirais que ce budget va dans le bon sens, même s'il est sous-budgété. Mais nous allons subir les conséquences de la crise migratoire et il faudra mettre en place un plan pluriannuel à la hauteur de la situation, comme l'a fait l'Allemagne.

À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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Réunie à nouveau le mardi 17 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », précédemment réservés.

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration » . - J'avais demandé la réserve de cette mission sur la base de trois éléments : la sous-budgétisation chronique de l'hébergement d'urgence et de l'allocation aux demandeurs d'asile ; l'amendement présenté par le Gouvernement à l'Assemblée nationale prévoyant une augmentation de 98 millions d'euros dont nous n'avions pas le détail ; l'incertitude sur l'inscription de crédits supplémentaires pour la construction de places d'hébergement.

La sous-budgétisation, que j'estime à 150 millions d'euros, demeure. Sur les 98 millions d'euros qui constituaient à mes yeux une base de départ pour faire face à l'afflux de nouveaux migrants, l'Assemblée nationale a voté en seconde délibération une réduction, incompréhensible, de 11 millions d'euros. Enfin, nous n'avons pas de précisions sur la construction de nouvelles places de centres provisoires d'hébergement. Un décret vient de réduire l'allocation pour les demandeurs d'asile de 11,50 euros à 6,80 euros par jour pour une personne seule. Je ne suis pas favorable à l'immigration massive, mais comment peut-on imaginer survivre avec 6,80 euros par jour ?

Je vous propose par conséquent de rejeter les crédits de la mission ; je formulerai de nouvelles propositions en séance, le Gouvernement s'étant déclaré disposé à avancer sur le sujet.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

• Ministère de l'intérieur

- M. Pierre-Antoine Molinat, directeur général des étrangers en France

• Associations

- Mme Marion Lignac, chargée de mission « Réfugiés » de la FNARS ;

- M. Philippe Elias, président du groupe d'appui national de la FNARS « Réfugiés-Migrants »

• Office français de protection des réfugiés et des apatrides

- M. Pascal Brice, directeur général


* 1 La clé de répartition est fonction des critères suivants : taille de la population : pondération de 40 % ; PIB : pondération de 40 % ; nombre moyen de demandes d'asile antérieures : pondération de 10 %, et taux de chômage : pondération de 10 %.

* 2 « Nach allem, was ich weiß, wird Frankreich in diesem Jahr etwa 80, 90.000 Flüchtlinge aufnehmen. Das ist sicherlich deutlich weniger als Deutschland, und diese Feststellung wird man sicherlich auch deutlich auf europäischer Ebene artikulieren müssen », Deutschlandfunk, 2 octobre 2015.

* 3 Rapport n° 716 (2015-2016) de M. François-Noël Buffet fait au nom de la commission des lois, déposé le 30 septembre 2015.

* 4 Rapport n° 47 (2012-2013) de M. Roger Karoutchi, fait au nom de la commission des finances, « L'office français de l'immigration et de l'intégration: pour une politique d'intégration réaliste et ambitieuse »

* 5 Réponses du ministère de l'intérieur au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial.

* 6 Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

* 7 Taux moyen d'occupation de 54,6 % des places au premier semestre 2015 pour les CRA situés en métropole.

* 8 En raison de la création de l'action 16, les crédits de l'action 12 sont amputés, à périmètre courant, de 9,6 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016.

* 9 Rapport n° 97 (2014-2015), fait au nom de la commission des finances « Les centres provisoires d'hébergement : remettre l'accueil et l'intégration des réfugiés au coeur de la politique d'asile ».

* 10 Décret n° 2015-1329 du 21 octobre 2015 relatif à l'allocation pour demandeur d'asile.

* 11 Arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) du 18 juillet 2012, 1 BvL 10/10 und 2/11.

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