EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 20 novembre 2007, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'examen du rapport spécial de M. Roland du Luart, rapporteur spécial, sur la mission « Justice ».

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a indiqué que la mission « Justice » était dotée de 6,519 milliards d'euros de crédits de paiement, soit une augmentation, d'un exercice à l'autre, de 4,5 %, et que, dans un contexte budgétaire globalement tendu, cette progression des crédits de la mission était particulièrement remarquable, témoignant de l'importance attachée à la justice et de la priorité accordée à ses moyens.

Il a rappelé que l'année 2008 devait en particulier permettre de poursuivre l'acclimatation à la culture de performance induite par la LOLF et être l'occasion de pérenniser les bonnes habitudes prises par les gestionnaires.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a souligné que le programme « Justice judiciaire » comptait 2,73 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 5,1 % très notable dans le contexte budgétaire actuel. Il a indiqué qu'au terme de la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ), tous les objectifs n'avaient pas été atteints et qu'un déficit en termes de création d'emplois était constaté avec un taux de réalisation de 76 % pour les magistrats, mais de seulement 32,6 % pour les fonctionnaires de greffe.

Il a, toutefois, souligné que le projet de loi de finances pour 2008 ne rompait pas avec le renforcement nécessaire des effectifs des juridictions, prévoyant la création nette de 400 emplois, correspondant à 101 emplois équivalents temps plein (ETPT). Il a rappelé que le ratio actuel de 2,57 fonctionnaires de greffe par magistrat traduisait une réelle faiblesse du soutien logistique susceptible d'être apporté aux magistrats, tant pour le rendu des décisions de justice que pour la gestion des juridictions. M. Roland du Luart, rapporteur spécial, a insisté sur l'effort devant plus particulièrement être porté, désormais, sur les greffiers. A cet égard, il a estimé que le recours accru aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, en 2008, devait améliorer sensiblement les conditions de travail de ces derniers.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a indiqué qu'en 2008, une dotation de 405 millions d'euros était prévue pour couvrir les frais de justice, soit une hausse de seulement 1,7 % par rapport à 2007. Il a estimé que ce poste de dépenses devait encore rester sous observation, mais que les résultats obtenus dans ce domaine par les magistrats, ainsi que la politique volontariste de maîtrise des frais de justice engagée par la chancellerie, devaient être salués. Il s'est félicité de ce que cette maîtrise ait, en outre, été réalisée sans porter atteinte au principe d'indépendance de l'autorité judiciaire.

Concernant la révision de la carte judiciaire, il a rappelé qu'aucune réforme de structure de fond de l'institution judiciaire n'avait été entreprise depuis 1958. Il a jugé que l'objectif de rationaliser les moyens de la justice sur l'ensemble du territoire ne pouvait être que soutenu, dès lors qu'il tenait compte de la réalité humaine des territoires.

Il a souligné que la lucidité devait toutefois être de mise et que cette réforme ne pouvait être envisagée à moyens constants. Il a précisé que si des économies pouvaient être espérées à terme, la révision nécessiterait d'abord, comme toute réforme de structures, une importante « mise de fonds » initiale. En particulier, il a indiqué que les regroupements envisagés auraient un coût immobilier. Il a rappelé que, lors de son audition par la commission, le 14 novembre 2007, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, avait d'ailleurs évoqué un programme immobilier (hors Palais de justice de Paris) portant sur un montant total de 800 millions d'euros sur six ans.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a insisté sur le caractère inacceptable des conditions de détention aujourd'hui en France. Il a rappelé que beaucoup de prisons souffraient de vétusté et que le taux de surpopulation carcérale y atteignait 121 % au 1er août 2007, ce taux pouvant même aller jusqu'à plus de 200 % dans certains établissements. Il a indiqué que, pour 2008, le programme « Administration pénitentiaire » comportait 2,383 milliards d'euros de crédits de paiement, soit une progression de 6,4 % par rapport à 2007. Il a, en outre, précisé que les crédits en personnel augmentaient de 90,9 millions d'euros, soit + 6,4 %, cet accroissement s'expliquant notamment par la création de 772 ETPT, afin de répondre à l'ouverture de nouveaux établissements.

Etant donnée la spécificité des programmes immobiliers pénitentiaires et les délais incompressibles qu'ils imposent (validation de projet, études, conception, réalisation, passation des marchés), M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a indiqué qu'il était particulièrement difficile de distinguer, parmi les créations de places, celles qui relevaient de la mise en oeuvre de la LOPJ et celles qui correspondaient à des projets déjà en cours au moment de l'adoption de ce texte.

Au regard de la mesure de la performance, il a observé qu'après deux exercices de « rodage » en mode LOLF, le programme « Administration pénitentiaire » était entré dans une phase de « création » et de « consolidation » avec 12 indicateurs nouveaux sur 18.

Il a précisé que, si cette volonté de perfectionnement devait être encouragée, elle comportait aussi une contrepartie de court terme regrettable, dans la mesure où plusieurs de ces indicateurs n'étaient pas renseignés dans le projet annuel de performance.

Par ailleurs, il a indiqué que le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » comportait 809,1 millions d'euros en crédits de paiement, en progression d'1,6 % par rapport à 2007. Il a souligné que ce dernier bénéficiait d'un renforcement significatif de ses moyens humains. Il a estimé qu'avec 9.027 ETPT (contre 8.806 en 2007), la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) serait en mesure d'assurer le fonctionnement à pleine capacité de sept établissements pénitentiaires pour mineurs, tout en maintenant son action éducative pour l'ensemble des 80.000 mineurs dont elle avait la charge. Il a ajouté qu'en 2008, la PJJ lancerait la construction de huit hébergements neufs, pour un montant de 37 millions d'autorisations d'engagement.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a relevé que la livraison de l'école nationale de la PJJ, à Roubaix, permettrait aux fonctionnaires stagiaires de la PJJ d'effectuer leur formation dans un bâtiment moderne et adapté, à compter de l'automne 2008.

S'agissant de ce programme, il s'est félicité de la nette amélioration de la situation du financement du secteur associatif habilité (SAH) et de l'apurement du passif des charges de financement de ce secteur.

En matière de performance, il a observé que le coût d'une journée en centre éducatif fermé était de 627,86 euros en 2007 et enregistrait une baisse régulière depuis 2005, avec une cible de 616,40 euros en 2008.

De même, il a souligné que les taux d'occupation des établissements enregistraient des progrès significatifs. Il a indiqué que ce taux était passé de 67,8 % pour les centres éducatifs fermés gérés par le secteur public en 2005 à 75 % en 2007, avec une cible de 78 % pour 2008.

Enfin, il a souligné que 64,1 % des jeunes pris en charge au pénal n'avaient ni récidivé, ni réitéré, ni fait l'objet de nouvelles poursuites dans l'année qui avait suivi la clôture de la mesure.

Concernant les moyens du programme « Accès au droit et à la justice », il a précisé que les crédits de paiement diminuaient de 2 %, en revenant de 342 millions d'euros à 335 millions d'euros, et que l'action « Aide juridictionnelle » avait vu régresser sa dotation de 326,9 millions d'euros en 2007 à 318,2 millions d'euros, soit une baisse de 2,7 %.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a relevé que cette baisse pouvait susciter l'inquiétude, au vu de la dynamique de ce poste de dépenses au cours des dernières années et des revendications récurrentes des avocats à propos de l'insuffisance de la rétribution attachée aux missions d'aide juridictionnelle (AJ).

Il a observé que les hypothèses retenues par la chancellerie pour établir le budget de cette action permettaient a priori de dissiper d'éventuelles craintes. Il a indiqué que la prévision était fondée sur un nombre stable de bénéficiaires de l'aide par rapport à 2007, soit 905.000 admissions. En outre, il a précisé que le ministère de la justice prévoyait un rétablissement de crédits à hauteur de 8,9 millions d'euros, au titre d'un meilleur recouvrement des dépenses d'AJ. Il a rappelé que cette prévision était conforme à l'estimation théorique réalisée par l'audit de modernisation sur le recouvrement de l'AJ, paru en février 2007, à condition d'améliorer l'efficacité du recouvrement.

Dans cette perspective, il a indiqué que la création d'un nouvel objectif « Améliorer le taux de recouvrement des frais de justice par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle » paraissait fort utile. Toutefois, il a précisé qu'il fallait l'enrichir par un indicateur mesurant le délai de délivrance de l'attestation de fin de mission à l'avocat, cette attestation conditionnant le règlement de la mission à l'avocat par la caisse autonome de règlement pécuniaire des avocats (CARPA).

S'appuyant sur les conclusions de son récent rapport d'information, M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a considéré que l'année 2008 devait être celle de la réforme de l'AJ.

Enfin, il a indiqué que le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés » connaissait une modification de son périmètre en 2008, les actions relatives à la Grande chancellerie de l'Ordre de la Légion d'Honneur et à la Chancellerie de l'Ordre de la Libération relevant désormais, à leur demande, de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».

Dans le prolongement de cette évolution, il a rappelé la suggestion, avancée en 2004 par la commission, de créer un programme regroupant l'ensemble des autorités administratives indépendantes au sein d'une mission « Transparence et régulation de l'action publique » et intégrant notamment la CNIL.

En outre, face à la montée en puissance de l'activité de la CNIL, il a souligné que, même si un effort significatif était réalisé à l'occasion du projet de loi de finances pour renforcer les moyens humains de cette institution, le budget de fonctionnement par agent de la CNIL s'élevait à 36.773,23 euros et restait inférieur, en 2008, à celui de beaucoup d'autres autorités administratives indépendantes.

Alors que le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés » porte également une large part des crédits informatiques du ministère de la justice, M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a estimé difficile de juger de la gestion des grands projets menés par le ministère en la matière. Il a remarqué, en particulier, qu'il était regrettable qu'aucun indicateur n'évalue le respect des délais dans le cadre de ces projets.

Après que M. Roland du Luart, rapporteur spécial , eut proposé à la commission d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Justice », un large débat s'est instauré.

M. Jean Arthuis, président , a insisté sur deux réformes ayant vocation à nourrir le débat parlementaire au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2008 : l'AJ et la carte judiciaire. Revenant sur la constitution des pôles d'instruction prévus par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et visant à assurer la collégialité du travail des magistrats, il s'est interrogé sur la possibilité de ne pas former de tels pôles uniquement en regroupant des juges d'instruction, mais en y réunissant au contraire d'autres magistrats du siège.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a indiqué que la garde des sceaux n'avait jamais évoqué cette éventualité.

M. François Trucy a regretté que les précédents gouvernements aient procédé à des augmentations d'effectifs sans avoir de véritable ligne directrice. Il a, par ailleurs, estimé que la nature des économies recherchées grâce à la réforme de la carte judiciaire n'était pas clairement identifiée.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a confirmé que les économies attendues n'avaient pas encore été évaluées, mais qu'elles correspondaient néanmoins à l'objectif essentiel de cette réforme. Il a ajouté que, si les créations d'emplois pour les magistrats étaient satisfaisantes, elles devaient s'accompagner de créations d'emplois pour les greffiers dans des proportions supérieures. Il a estimé que, comme l'avait indiqué la garde des sceaux, la diffusion au sein de l'institution judiciaire des nouvelles technologies de l'information et de la communication pouvait remédier, au moins en partie, au déficit relatif de greffiers dont souffrent les juridictions. Il a, toutefois, précisé que la pyramide des âges des greffiers, leurs départs en retraite prévisibles et l'allongement de la durée de scolarité à l'ENG devaient être mieux anticipés que par le passé.

M. Henri de Raincourt s'est interrogé sur la prise en compte éventuelle, dans le calcul des économies recherchées par la réforme de la carte judiciaire, du financement de maisons de justice et du droit (MJD) par les départements.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a estimé que la justice de proximité serait assurée notamment par des audiences foraines.

M. Paul Girod a considéré que la révision de la carte judiciaire devait s'accompagner d'une réflexion sur la constitution de tribunaux d'instance renforcés.

Concernant la réforme annoncée par la garde des sceaux, M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a indiqué que les suppressions portaient sur 23 tribunaux de grande instance, 178 tribunaux d'instance, 63 conseils de prud'hommes, 55 tribunaux de commerce et 84 greffes détachés.

Il a ajouté que ces suppressions s'accompagnaient de la création de 7 tribunaux d'instance, 7 juridictions de proximité, 6 tribunaux de commerce et 1 conseil de prud'homme. Il a précisé que la réforme concernait 370 magistrats, 1.300 fonctionnaires et un peu plus de 510 avocats. Il a estimé que la question des tribunaux d'instance renforcés serait vraisemblablement évoquée en séance publique lors de l'examen des crédits de la mission.

M. Yves Fréville s'est interrogé sur le montant des investissements à réaliser dans ce contexte.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a indiqué que cette évaluation restait, pour l'instant, approximative et a rappelé que la garde des sceaux avait évoqué des investissements immobiliers, hors Palais de justice de Paris, s'élevant à 800 millions d'euros en six ans. Il a observé que la réforme engagée était devenue indispensable, mais que la concertation avait été relativement limitée depuis le mois de juillet 2007.

S'agissant des investissements, il a rappelé que les décisions pouvaient être prises rapidement, comme en attestait la récente réactivité des présidents de tribunaux de grande instance suite aux nouvelles responsabilités qui leur ont été confiées par la garde des sceaux en matière de sécurisation des juridictions.

M. Roger Besse a souligné que la réforme de la carte judiciaire pouvait placer certains départements dans une situation difficile, dès lors qu'ils avaient réalisé des investissements importants dans les bâtiments mis à disposition des juridictions. Il a, par ailleurs, insisté sur la nécessité de prendre en compte la distance séparant le justiciable du tribunal, notamment dans les zones de montagne.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a rappelé que les communes propriétaires de bâtiments accueillant auparavant une juridiction pouvaient procéder à leur vente. Il a observé que la réforme s'étalerait sur trois ans et a estimé que la proximité de la justice, en matière de tutelle et de curatelle notamment, ne serait pas remise en cause.

M. Jean Arthuis, président , s'est interrogé sur le but poursuivi par cette réforme, entre des économies à réaliser et le meilleur fonctionnement de l'institution judiciaire.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a considéré que l'objectif premier correspondait à la réalisation d'économies, même si la qualité et les délais des décisions rendus demeuraient primordiaux.

M. Eric Doligé s'est interrogé sur la répartition de l'enveloppe de 800 millions d'euros évoquée par le garde des sceaux pour l'investissement immobilier. Il a rappelé que, s'agissant des établissements pénitentiaires, les constructions devaient s'accompagner des moyens de fonctionnement nécessaires.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , a indiqué qu'aucune information précise n'ait été communiquée, pour l'instant, par la garde des sceaux concernant la ventilation de l'enveloppe de 800 millions d'euros. Il a ajouté que le recours aux partenariats public privé serait probablement mis à profit. Il a souligné que les efforts réalisés dans le projet de loi de finances pour 2008, ainsi que ceux réalisés lors des années précédentes, avaient permis un accroissement des effectifs de l'administration pénitentiaire en phase avec le programme de construction immobilière. Il a constaté que le ratio d'encadrement des détenus en France était l'un des plus élevés en Europe.

M. Jean Arthuis, président , s'est interrogé sur la durée du temps de travail des agents de l'administration pénitentiaire.

M. Bertrand Auban a rappelé que la carte judiciaire n'avait pas été réformée depuis 1958, alors que, depuis cette date, la population française avait augmenté de 20 millions d'habitants. Il a estimé que les délais de traitement des affaires constituaient un bon indicateur des besoins en effectifs supplémentaires dans les juridictions. Il a insisté sur la nécessité de prendre en compte la réalité géographique des territoires dans cette réforme.

Il s'est, en outre, élevé contre les redéploiements de personnel en faveur des zones en fort développement, dès lors qu'ils éloignent de la justice le justiciable vivant à l'écart de ces centres. Il a indiqué qu'en Haute-Garonne, le maintien du tribunal de Saint-Gaudens avait été demandé, tant par les magistrats que par les avocats, les élus et les représentants de l'Etat, mais que sa suppression avait néanmoins été décidée.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial , s'est déclaré préoccupé par la situation signalée par M. Bertrand Auban et a souligné les importants déplacements de population effectivement enregistrés depuis 1958. Il a considéré que, si cette réforme avait fait l'objet d'une concertation limitée, elle n'en demeurait pas moins nécessaire.

M. Jean Arthuis, président , a jugé qu'il était indispensable de parvenir à une politique pénale uniforme, quelles que soient les juridictions. Il a, par ailleurs, estimé que la chancellerie devait poursuivre ses efforts de pédagogie autour d'une réforme difficile à mener.

M. Bertrand Auban a observé que « l'embouteillage » des juridictions nuisait à la qualité des décisions de justice et qu'il n'était pas certain que les solutions retenues dans le cadre de cette réforme soient les bonnes.

La commission a alors décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification les crédits de la mission « Justice ».

Réunie le jeudi 22 novembre 2007 sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a confirmé sa position, après avoir pris acte des modifications apportées par l'Assemblée nationale.

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