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Rapport n° 215 (2006-2007) de M. Jean-Pierre GODEFROY , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 7 février 2007

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N° 215

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 février 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi de MM. Jean-Pierre GODEFROY, Jean DESESSARD, Charles GAUTIER, Roger MADEC, Richard YUNG, Jean-Pierre BEL, Mme Michèle ANDRÉ, MM. Bernard ANGELS, David ASSOULINE, Bertrand AUBAN, Mme Marie-Christine BLANDIN, M. Yannick BODIN, Mmes Nicole BRICQ, Claire-Lise CAMPION, M. Bernard CAZEAU, Mme Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Pierre-Yves COLLOMBAT, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Bernard FRIMAT, Jean-Noël GUÉRINI, Claude HAUT, Mme Sandrine HUREL, MM. Alain JOURNET, Yves KRATTINGER, Serge LARCHER, André LEJEUNE, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. Jacques MAHÉAS, François MARC, Jean-Pierre MICHEL, Jean-François PICHERAL, Bernard PIRAS, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Thierry REPENTIN, Claude SAUNIER, Mme Patricia SCHILLINGER, M. Jean-Pierre SUEUR, Mme Catherine TASCA, MM. Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, Pierre-Yvon TRÉMEL, André VANTOMME et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, visant à organiser le recours aux stages ,

Par M. Jean-Pierre GODEFROY,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Pierre Bernard-Reymond, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mme Catherine Procaccia, M. Thierry Repentin, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi.

Voir le numéro :

Sénat : 364 (2005-2006)

Emploi.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

On estime que près d'un étudiant sur deux - ce qui représente environ 800 000 personnes - a effectué au moins un stage au cours de son cursus de formation. Les stages constituent un complément précieux de la formation théorique dispensée aux étudiants dans les établissements d'enseignement supérieur, dans la mesure où ils leur permettent de découvrir les réalités du monde du travail et d'acquérir une expérience pratique favorisant leur insertion professionnelle future.

Toutefois, le mouvement « Génération précaire » a mis en évidence, l'an passé, les abus auxquels donne parfois lieu la pratique des stages en entreprise. Il arrive que des stagiaires soient affectés à de véritables postes de travail et ne perçoivent, en contrepartie, que des indemnités dérisoires. Le stage est alors détourné de sa vocation première, qui est d'être un élément de la formation des étudiants, et se substitue à des emplois qui devraient être occupés par de jeunes diplômés. Ces abus sont rendus possibles par le caractère encore très lacunaire de la réglementation des stages en entreprise.

La loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a bien fixé quelques règles, en matière notamment de durée et d'indemnisation des stages, mais celles-ci demeurent insuffisantes pour mettre un terme à tous les abus. Une charte des stages a été signée, le 26 avril 2006, par le Gouvernement, plusieurs syndicats étudiants et les représentants des établissements d'enseignement supérieur pour compléter les dispositions posées par la loi, mais elle est dépourvue de toute portée contraignante et a donc surtout une valeur pédagogique.

C'est pourquoi les auteurs de la proposition de loi visant à organiser le recours aux stages souhaitent franchir une nouvelle étape et compléter le cadre législatif actuel pour mieux définir le statut et les droits des stagiaires. Ils observent que leur préoccupation est partagée par des parlementaires de sensibilité politique différente, puisque des propositions de loi portant sur le même sujet ont été déposées par des députés appartenant aux groupes UMP et communiste de l'Assemblée nationale 1 ( * ) .

La proposition de loi poursuit un double objectif : éviter que le stage ne soit détourné de sa véritable vocation pour être transformé en « emploi déguisé », tout en veillant à ne pas décourager les employeurs de proposer des stages aux étudiants en raison de contraintes règlementaires trop lourdes.

A cette fin, elle entend préciser les obligations respectives des stagiaires, des établissements d'enseignement supérieur et des employeurs et mieux définir et réprimer l'abus de stage. Elle propose d'offrir aux stagiaires une partie des garanties reconnues aux salariés et de s'inspirer, sur certains points, de la formule de l'apprentissage, en rendant obligatoire la désignation d'un maître de stage pour accompagner l'étudiant pendant son temps de présence dans l'entreprise ou l'administration qui l'accueille.

I. LES LACUNES DE LA RÉGLEMENTATION DES STAGES EN ENTREPRISE AUTORISENT ENCORE DE TROP NOMBREUX ABUS

Les auditions auxquelles a procédé votre rapporteur, ainsi que les témoignages recueillis par le collectif « Génération précaire » ou par les syndicats étudiants, attestent de l'existence de trop nombreux abus dans le recours aux stages étudiants en entreprise. L'encadrement légal insuffisant des stages favorise ces dérives.

A. DES SITUATIONS ABUSIVES PLUS FRÉQUEMMENT DÉNONCÉES DEPUIS 2005

Le lancement, en septembre 2005, de la pétition du collectif « Génération précaire », demandant une réforme du statut des stages, a joué un rôle déterminant dans la prise de conscience par les pouvoirs publics, et par l'opinion, des dérives actuelles.

1. Des formes d'abus variées...

Le collectif a souligné que le recrutement de stagiaires se substitue, dans certaines entreprises, à l'embauche de salariés en contrat à durée déterminée ou indéterminée. La faiblesse des gratifications accordées aux stagiaires favorise ce phénomène de substitution ; elles n'excèdent généralement pas 360 euros par mois, seuil en deçà duquel les entreprises sont exonérées de cotisations sociales. Il arrive parfois que les stagiaires se succèdent indéfiniment sur un même poste, le stagiaire qui s'apprête à quitter l'entreprise étant alors chargé de former celui qui va le remplacer !

Le recensement effectué récemment par un hebdomadaire montre que le nombre d'offres de stages proposées par certaines grandes entreprises est deux à trois fois plus élevé que le nombre d'offres d'emplois destinées à de jeunes diplômés 2 ( * ) .

Le stage est alors détourné de sa vocation pédagogique : l'entreprise n'assume plus sa mission de formation du jeune mais lui demande de participer au processus de production dans les mêmes conditions que le ferait un salarié. Le fait que de nombreux cursus de formation - dans les IUT, les écoles de commerce, les écoles d'ingénieurs... - conditionnent l'obtention du diplôme à la validation d'un stage, place les étudiants dans une situation où ils peuvent difficilement dénoncer ces abus. Les dérives les plus graves sont observées lorsque des étudiants diplômés, qui disposent de la formation requise pour occuper un poste de travail déterminé, s'inscrivent à l'université simplement pour pouvoir être recrutés ensuite comme stagiaires.

2. ... mais difficiles à quantifier

Si personne ne conteste l'existence de ces abus, leur quantification est en revanche sujette à débat. Le collectif « Génération précaire » estime que l'équivalent de 100 000 emplois seraient occupés indûment par des stagiaires mais ce chiffre paraît faiblement étayé. Les représentants du Medef auditionnés par votre rapporteur ont, pour leur part, considéré que la quasi-totalité des stages se passent convenablement et fait valoir que le nombre de signataires de la pétition de « Génération précaire » - de l'ordre de 15 500 - demeure en définitive très faible au regard du nombre d'étudiants qui ont accompli un stage ces dernières années.

Bien que les étudiants saisissent rarement la justice en cas d'abus, la jurisprudence fournit des exemples de requalification d'une convention de stage en contrat de travail. La Cour de cassation a jugé que l'absence de formation par l'entreprise et l'affectation exclusive aux tâches normales d'un emploi dans l'entreprise sont des motifs de requalification (Cass. soc., 27 octobre 1993). La requalification en contrat de travail ouvre droit, pour le salarié, à un rappel de salaires depuis le début du stage, le salaire ne pouvant être inférieur au minimum légal, ainsi qu'au bénéfice de l'ensemble des droits attachés à la qualité de salarié, tel que le droit aux congés payés (Cass. crim., 3 décembre 2002).


Les logiques d'usage des stages étudiants par les entreprises

Une étude, réalisée en 2002 à partir des résultats d'une enquête menée auprès des étudiants en économie de l'université Paris I, apporte un éclairage sur la manière dont les entreprises utilisent les stagiaires. L'auteur de l'étude distingue deux grandes stratégies d'entreprise en la matière :

- certaines entreprises utilisent les stages comme une source de main-d'oeuvre à moindre coût permettant d'ajuster plus facilement les effectifs ; une logique quantitative prévaut dans certains cas : certains services fonctionnent grâce à la présence permanente d'un ou de plusieurs stagiaires qui assistent ou remplacent des salariés permanents ; le stage répond parfois à un besoin plus qualitatif : un stagiaire disposant d'une qualification très pointue peut se voir confier la réalisation d'une étude ou une mission spécialisée, qui aurait pu autrement être confiée à un consultant ;

- d'autres entreprises participent davantage au parcours d'insertion professionnelle des jeunes diplômés ; certaines utilisent le stage comme un outil de prérecrutement, le stage devenant une forme de période d'essai prolongée ; d'autres n'ont pas d'objectif de recrutement particulier mais estiment néanmoins utile de participer à la formation des étudiants, ne serait-ce que pour entretenir leur image vis-à-vis de leur environnement.

Source : « Logiques d'usage des stages sous statut scolaire »,
Formation Emploi n° 79, juillet-septembre 2002, Pauline Domingo.

B. UNE RÉGLEMENTATION QUI DEMEURE TROP LACUNAIRE

Votre rapporteur reconnaît que des avancées ont été enregistrées, dans le courant de l'année 2006, pour mieux encadrer le recours aux stages, mais estime qu'elles n'ont pas permis de traiter l'ensemble des problèmes qui se posent aux stagiaires.

1. La loi pour l'égalité des chances

L'essor du mouvement des stagiaires, au début de l'année 2006, a coïncidé avec l'examen du projet de loi pour l'égalité des chances, dans lequel ont été intégrées quelques mesures destinées à renforcer les garanties offertes aux stagiaires.

? La loi prévoit, en premier lieu, que tout stage donne lieu à la signature d'une convention tripartite , signée entre l'établissement d'enseignement supérieur, le stagiaire et l'entreprise d'accueil.

Le décret n° 2006-1093 du 29 août 2006 précise que doivent obligatoirement figurer dans la convention :

- la définition des activités confiées au stagiaire en fonction des objectifs de formation ;

- les dates de début et de fin de stage ;

- la durée hebdomadaire maximale de présence du stagiaire dans l'entreprise. La présence, le cas échéant, du stagiaire dans l'entreprise la nuit, le dimanche ou un jour férié doit être indiquée ;

- le montant de la gratification versée au stagiaire et les modalités de son versement ;

- la liste des avantages offerts, le cas échéant, par l'entreprise au stagiaire, notamment en ce qui concerne sa restauration, son hébergement ou le remboursement des frais qu'il a engagés pour effectuer son stage ;

- le régime de protection sociale dont bénéficie le stagiaire, y compris la protection en cas d'accident du travail dans le respect de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale ainsi que, le cas échéant, l'obligation faite au stagiaire de justifier d'une assurance couvrant sa responsabilité civile ;

- les conditions dans lesquelles les responsables du stage, l'un représentant l'établissement, l'autre l'entreprise, assurent l'encadrement du stagiaire ;

- les conditions de délivrance d'une « attestation de stage » et, le cas échéant, les modalités de validation du stage pour l'obtention du diplôme préparé ;

- les modalités de suspension et de résiliation du stage ;

- les conditions dans lesquelles le stagiaire est autorisé à s'absenter, notamment dans le cadre d'obligations attestées par l'établissement d'enseignement ;

- les clauses du règlement intérieur de l'entreprise applicables au stagiaire, lorsqu'il existe.

Ce même décret interdit également de conclure une convention de stage pour remplacer un salarié en cas d'absence, de suspension de son contrat de travail ou de licenciement, pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ou pour occuper un emploi saisonnier.

? Tout stage dont la durée est supérieure à trois mois donne droit à une gratification, qui ne présente pas le caractère d'une rémunération pour sa fraction inférieure à un seuil fixé par décret, qui correspond aujourd'hui à 360 euros par mois. Seule la fraction de la gratification qui dépasse ce seuil est assujettie à cotisations sociales.

Le montant de la gratification n'étant pas précisé, l'employeur est libre de le fixer à sa guise, sauf si un accord collectif prévoit un montant minimal. Un décret devrait être pris prochainement pour déterminer le montant de la gratification due par l'employeur en l'absence d'accord.

? La loi a également unifié la situation de l'ensemble des stagiaires au regard de la protection contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Auparavant, seules les personnes qui effectuaient un stage obligatoire dans leur cursus de formation bénéficiaient de cette couverture sociale. Désormais, tous les stagiaires, quel que soit le montant de leur rétribution, bénéficient des prestations accidents du travail et maladies professionnelles du régime général, à l'exception toutefois des indemnités journalières et de l'indemnité en capital.

2. La charte des stages étudiants en entreprise

Le 26 avril 2006, une charte des stages étudiants en entreprise a été signée par Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur, les représentants patronaux (Medef, CGPME, UPA et UNAPL), les représentants des établissements d'enseignement supérieur (CPU, CGE et CDEFI) et trois organisations syndicales étudiantes (Fage, PDE et UNI) 3 ( * ) . Elle vise à « sécuriser » la pratique des stages en entreprise tout en favorisant leur développement.

La charte reprend des éléments figurant déjà dans la loi ou les décrets précités, par exemple l'obligation de prévoir une convention de stage. Elle indique que le stage devra faire l'objet d'un encadrement, assuré par un enseignant et par un membre de l'entreprise, puis d'une évaluation.

La charte insiste sur les obligations mutuelles de l'étudiant, de l'entreprise et de l'établissement d'enseignement supérieur.

? Ainsi, l'étudiant s'engage vis-à-vis de l'entreprise d'accueil à :

- réaliser sa mission et être disponible pour les tâches qui lui sont confiées ; respecter les règles de l'entreprise ainsi que ses codes et sa culture ; respecter les exigences de confidentialité fixées par l'entreprise ;

- rédiger, lorsqu'il est exigé, le rapport ou le mémoire de stage dans les délais prévus ; ce document devra être présenté aux responsables de l'entreprise avant d'être soutenu (si le contenu le nécessite, le mémoire pourra, à la demande de l'entreprise, rester confidentiel).

? L'entreprise , pour sa part, s'engage vis-à-vis de l'étudiant à :

- proposer un stage s'inscrivant dans le projet pédagogique défini par l'établissement d'enseignement ;

- accueillir l'étudiant et lui donner les moyens de réussir sa mission ;

- désigner un responsable de stage ou une équipe tutorale chargé d'accompagner l'étudiant ;

- rédiger une attestation de stage décrivant les missions effectuées qui pourra accompagner les futurs curriculum vitae de l'étudiant.

L'établissement d'enseignement supérieur s'engage vis-à-vis de l'étudiant à :

- définir les objectifs du stage et s'assurer que le stage proposé y répond ; accompagner l'étudiant dans la recherche de stage ; préparer l'étudiant au stage ;

- assurer le suivi de l'étudiant pendant la durée de son stage, en lui affectant un enseignant qui veillera au bon déroulement du stage ; mettre à la disposition de ce dernier les outils nécessaires à l'appréciation de la qualité du stage par l'étudiant ; pour les formations supérieures qui l'exigent, le guider et le conseiller dans la réalisation de son rapport de stage ou de son mémoire et organiser la soutenance en permettant à un représentant de l'entreprise d'y participer.

L'entreprise et l'établissement d'enseignement supérieur veillent à échanger les informations nécessaires au bon déroulement du stage et respectent leurs règles respectives de confidentialité et de déontologie.

L'étudiant, enfin, s'engage à fournir une appréciation de la qualité de son stage à son établissement d'enseignement.

Votre rapporteur souhaite que le comité de suivi de la charte, dont la création a été annoncée, soit rapidement mis en place, afin de pouvoir procéder en temps utile à une évaluation.

3. Une réglementation encore insuffisante

Sans mettre en doute l'intérêt des dispositions qui viennent d'être présentées, votre rapporteur souligne néanmoins, en premier lieu, que la charte des stages conserve un caractère purement facultatif : elle constitue plus un référentiel de bonnes pratiques qu'une véritable garantie apportée aux étudiants. De plus, elle n'engage pas les employeurs du secteur associatif, pas plus que les employeurs du secteur public qui ne s'y sont pas associés.

Il observe, en second lieu, que les dispositions législatives et règlementaires adoptées en 2006 ont posé des règles minimales qui ne sont pas encore à la hauteur des enjeux.

Un grand nombre de stagiaires peuvent encore être légalement employés sans percevoir, en contrepartie, la moindre rémunération, puisque l'obligation de verser une gratification ne s'applique qu'à compter du troisième mois de stage. Même si une gratification est versée, la faiblesse de son montant est source d'inégalités entre les étudiants : ceux qui perçoivent un soutien financier de leur famille peuvent envisager de s'engager dans des stages de longue durée, qui viendront enrichir leur curriculum vitae , alors que les étudiants issus d'un milieu modeste doivent d'abord songer à trouver un « petit boulot » pour financer leurs études.

Ils n'accumulent, de surcroît, pour la plupart, aucun droit à protection sociale puisque les entreprises tendent à fixer le montant de la gratification à un niveau tel qu'elles échappent à l'obligation de verser des cotisations. Or, l'allongement de la durée de cotisation requise pour percevoir une retraite à taux plein et l'entrée de plus en plus tardive des étudiants dans la vie active plaident pour que les périodes de stage soient prises en compte par les régimes sociaux. Les stagiaires ne constituent pas davantage de droits à l'assurance chômage, alors que les jeunes diplômés rencontrent fréquemment des difficultés d'insertion sur le marché du travail. D'une manière générale, il serait souhaitable que les centaines de milliers de stagiaires que compte l'économie française chaque année contribuent au financement de la protection sociale.

II. LA PROPOSITION DE LOI ENTEND RENFORCER LES GARANTIES OFFERTES AUX ÉTUDIANTS SANS DÉCOURAGER L'OFFRE DE STAGES

Dans le prolongement des mesures adoptées en 2006, les auteurs de la proposition de loi souhaitent mieux organiser le recours aux stages.

A. LES PRINCIPAUX OBJECTIFS DE LA PROPOSITION DE LOI

La proposition de loi vise à faire bénéficier les stagiaires de certaines garanties accordées aux salariés et de dispositions inspirées du régime des apprentis.

Elle propose d'abord une définition du stage, aujourd'hui absente de nos textes, qui réaffirme sa dimension pédagogique. Alors que la législation actuelle ne vise que les stages en entreprise, il convient de souligner que la proposition de loi s'applique à l'ensemble des stages , qu'ils soient effectués dans une entreprise, une administration ou une association. Les pratiques suivies dans le secteur public ne sont en effet pas toujours exemplaires et méritent elles aussi d'être encadrées.

Le texte confirme l'obligation de signer une convention tripartite entre l'étudiant, l'organisme d'accueil et l'établissement d'enseignement supérieur, avant l'accomplissement d'un stage. Il détaille les obligations respectives des trois parties à la convention, qui sont proches de celles inscrites dans la charte des stages. L'organisme d'accueil du stagiaire devra, en particulier, désigner un maître de stage qui assurera une fonction de tutorat.

La proposition de loi apporte des garanties supplémentaires aux stagiaires, par rapport au droit existant, notamment en matière de rémunération : tout stage d'une durée supérieure à un mois devra être rémunéré à hauteur de 50 % du Smic, au minimum. Elle encadre de manière plus rigoureuse les conditions dans lesquelles le stage peut être rompu et donne valeur législative à la définition de l'abus de stage.

Dans l'éventualité d'un recrutement du stagiaire par l'entreprise qui l'a accueilli, le texte précise dans quelles conditions le stage est pris en compte au regard de la période d'essai et de l'ancienneté du salarié.

Enfin, pour faciliter le recours au juge, il prévoit que les litiges éventuels nés entre le stagiaire et l'entreprise d'accueil seront portés devant le conseil de prud'hommes.

Votre rapporteur considère que ces mesures sont de nature à améliorer la situation des stagiaires, ce qui devrait les encourager à accomplir davantage de stages au cours de leur cursus. Il tient à rappeler, à cet égard, que d'importantes disparités demeurent en matière d'accès aux stages : dans un avis publié en 2005 4 ( * ) , le Conseil économique et social a indiqué que « les diplômés d'écoles de commerce et d'ingénieurs ont en moyenne effectué trois stages avant de quitter le système éducatif, et 50 % d'entre eux en ont effectué plus de trois. A contrario, la majorité des diplômés des filières plus généralistes n'ont effectué qu'un stage, voire même aucun. Le nombre de stages effectués varie également selon les disciplines. Alors qu'un jeune diplômé d'une maîtrise de gestion a en moyenne réalisé près de quatre stages durant ses études, le diplômé d'une maîtrise de lettres et sciences humaines n'en a effectué qu'un seul ».

Votre rapporteur tient également à souligner que le succès de la politique visant à « moraliser » le recours aux stages suppose une implication plus forte des établissements d'enseignement supérieur, auxquels il incombe d'effectuer un véritable contrôle des conventions de stage et d'assurer un suivi des stagiaires.

A plus long terme, il juge indispensable de mener une réflexion sur le développement de réelles formations en alternance dans le cadre de l'enseignement supérieur, qui offriraient plus de garanties aux étudiants que ne peut en apporter une réforme de l'organisation du recours aux stages.

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre commission partage les préoccupations qui ont inspiré cette proposition de loi et ne conteste pas l'existence d'abus, qu'il convient de réprimer, en matière de stages.

Contre l'avis du rapporteur, elle estime toutefois que les mesures proposées auraient, si elles étaient adoptées, un effet contraire à l'objectif recherché. En renchérissant fortement le coût d'un stagiaire pour une entreprise ou une collectivité locale, elle risque de dissuader ces employeurs de proposer des stages à des étudiants. Les petites entreprises, les petites communes, peuvent difficilement assumer la charge d'une rémunération fixée à un niveau égal à 50 % du Smic, à laquelle s'ajouterait le coût de la prise en charge des frais de transport, d'hébergement et de restauration.

Or, de nombreux étudiants rencontrent déjà des difficultés pour trouver un stage correspondant à leur cursus de formation ; il convient donc d'éviter toute mesure susceptible de décourager l'offre de stage.

Votre commission observe également que les mesures adoptées en 2006 n'ont pas encore pu porter tous leurs fruits. Il paraît raisonnable d'attendre que la charte des stages soit complètement mise en oeuvre, tant par les employeurs que par les établissements d'enseignement supérieur, avant d'envisager de franchir, éventuellement, une nouvelle étape.

Votre commission n'est d'ailleurs pas certaine qu'il soit utile de légiférer en la matière, dans la mesure où l'évolution rapide des cursus de formation impose de maintenir une certaine souplesse.

Pour ces raisons, votre commission vous propose de rejeter cette proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier (art. L. 615-1 à 615-10 nouveaux du code de l'éducation) - Organisation du recours aux stages étudiants dans le code de l'éducation

Objet : Cet article vise à mieux encadrer la pratique des stages étudiants en entreprise, en apportant notamment des garanties sociales renforcées aux stagiaires.

I - Le dispositif proposé

Cet article propose de compléter le titre premier du livre VI de la troisième partie du code de l'éducation par un chapitre V, intitulé « Dispositions relatives aux stages étudiants », comportant les articles L. 615-1 à L. 615-10 présentés ci-après.

? Article L. 615-1

Ce premier article définit le champ d'application des dispositions de la proposition de loi et les objectifs des stages étudiants.

La législation proposée concerne les stages accomplis par les étudiants dans le cadre de leur cursus universitaire, quel que soit le statut de l'organisme d'accueil du stagiaire : entreprise, administration de l'Etat ou territoriale, établissement public, association. Elle ne vise donc pas les stages accomplis dans le cadre de la formation professionnelle continue, régie par le livre IX du code du travail, ni les stages d'observation accomplis par les mineurs de moins de seize ans. Elle s'applique tant aux stages obligatoires que non obligatoires.

Les stages doivent permettre à l'étudiant d'acquérir une expérience pratique, complément indispensable de sa formation théorique, et de se familiariser avec la vie professionnelle. Ils favorisent ainsi son insertion professionnelle future.

? Article L. 615-2

Cet article prévoit que tout stage doit donner lieu à la signature d'une convention tripartite signée entre l'étudiant, l'établissement d'enseignement où il est inscrit et l'employeur qui l'accueille.

L'article énumère ensuite les mentions devant obligatoirement figurer dans la convention. Elle doit préciser :

- la formation suivie par l'étudiant dans son établissement d'enseignement et l'objet du stage ;

- la durée du stage, qui ne peut excéder six mois ;

- le programme du stage, qui doit tenir compte des études suivies par le stagiaire et des compétences pratiques qu'il doit acquérir ;

- les missions confiées au stagiaire dans l'organisme d'accueil ;

- le nom du référent pédagogique désigné dans l'établissement d'enseignement pour suivre le déroulement du stage ainsi que le rôle et les obligations de celui-ci ;

- le nom du maître de stage désigné dans l'établissement d'accueil, ainsi que sa qualification professionnelle, son rôle et ses obligations ;

- la durée quotidienne et hebdomadaire de présence du stagiaire dans l'organisme d'accueil, qui ne peut excéder l'horaire collectif de travail de l'entreprise ;

- le montant de la rémunération mensuelle du stagiaire versée par l'organisme d'accueil, qui ne peut, sauf dispositions contractuelles ou conventionnelles plus favorables, être inférieur à 50 % du Smic dès lors que la durée du stage dépasse un mois.

Le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) est chargé de contrôler les conventions de stage qui lui sont transmises par l'organisme d'accueil du stagiaire et d'en assurer le suivi sur le plan statistique ; il dispose d'un délai de deux semaines pour faire connaître son éventuelle opposition motivée.

Les articles L. 615-3 à L. 615-7 définissent ensuite les obligations respectives de l'établissement d'enseignement, de l'organisme d'accueil et du stagiaire.

? Article L. 615-3

Cet article détermine les responsabilités de l'établissement d'enseignement supérieur.

Il a d'abord pour obligation de vérifier l'adéquation du contenu du stage avec la formation suivie par le stagiaire. Le stage et le cursus universitaire de l'étudiant ont vocation à fonctionner de manière complémentaire.

Il doit ensuite veiller à ce que la durée cumulée des conventions de stage délivrées à un étudiant n'excède pas six mois au cours d'une même année universitaire. Toutefois, certains cursus de formation, pour accéder au métier d'avocat ou d'architecte par exemple, prévoient que les étudiants effectuent un stage d'une durée supérieure à six mois ; certaines écoles de commerce ou d'ingénieurs encouragent leurs étudiants à effectuer une « année de césure », c'est-à-dire une année de stage entre la deuxième et la troisième année d'études. C'est pourquoi un décret fixera la liste des formations pour lesquelles il pourra être dérogé à la limite prévue par la loi.

Enfin, la direction de l'enseignement supérieur du ministère de l'éducation nationale est chargée d'assurer un suivi statistique des conventions de stage.

? Article L. 615-4

Cet article aborde la question des stages effectués par les étudiants à l'étranger. L'établissement d'enseignement supérieur doit s'assurer que les conditions d'accueil du stagiaire sont satisfaisantes et qu'il bénéficie d'une couverture sociale.

? Article L. 615-5

Cet article détermine les responsabilités de l'organisme d'accueil à l'égard du stagiaire.

L'organisme d'accueil doit d'abord accompagner le stagiaire et désigner à cette fin un référent dénommé « maître de stage ». Ce dernier veille à ce que le stagiaire acquière les compétences correspondant à la qualification recherchée et au titre ou au diplôme préparé.

L'organisme d'accueil a ensuite l'obligation de souscrire une assurance en responsabilité civile pour les dommages éventuels causés par le stagiaire. L'employeur est, en droit civil, responsable des dommages causés par ses préposés, c'est-à-dire les personnes placées sous sa subordination, dont font partie les stagiaires. Le fait de contracter une assurance le met à l'abri de charges excessives en cas de dommage causé par le stagiaire.

Afin que les représentants du personnel puissent veiller au respect de la législation, ils sont informés, ainsi que les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail lorsqu'il en existe un dans l'entreprise 5 ( * ) , de la signature de conventions de stage, du nombre de stagiaires présents dans l'entreprise et de la durée des stages.

? Article L. 615-6

Cet article précise les conditions dans lesquelles il peut être mis fin au stage avant le terme prévu.

Le stagiaire ou l'organisme qui l'accueillent peuvent prendre l'initiative de la rupture ; celle-ci doit être impérativement précédée d'un entretien avec le référent pédagogique.

La rémunération versée au stagiaire est calculée au prorata de la durée de stage déjà accomplie.

? Article L. 615-7

Cet article fixe d'abord les obligations du stagiaire à l'égard de l'organisme d'accueil et de l'établissement d'enseignement :

- il doit respecter le règlement intérieur de l'organisme d'accueil, notamment en ce qui concerne la circulation dans les locaux et l'utilisation du matériel et des machines ;

- il est astreint à une obligation de discrétion sur les processus de production dont il peut avoir à connaître ;

- il s'engage à réaliser la mission qui lui est confiée ;

- il rédige, lorsque cela est prévu, un rapport ou un mémoire de stage.

Ces obligations rapprochent la situation des stagiaires de celle des salariés.

L'article précise ensuite les garanties sociales dont bénéficie le stagiaire , soit celles reconnues aux salariés de l'entreprise par les articles L. 230-2 (protection de la sécurité et de la santé des travailleurs), L. 231-3-1 (formation des salariés à la sécurité) et L. 231-8 (signalement à l'employeur de toute situation de travail présentant un danger) du code du travail.

Pour protéger le stagiaire en cas d'incapacité physique médicalement constatée de continuer ou de reprendre le travail ou en cas d'accident ou de maladie professionnelle, il est prévu que l'organisme d'accueil continue de le rémunérer dès le premier jour de son arrêt de travail et pour une durée d'au moins un mois.

A titre de comparaison, on peut noter qu'un salarié en arrêt maladie perçoit des indemnités journalières, égales à la moitié de sa rémunération antérieure, qui lui sont versées par l'assurance maladie passé un délai de carence de trois jours. L'employeur n'est tenu de verser une indemnité complémentaire qu'à l'expiration d'un délai de carence de dix jours et seulement si l'ancienneté du salarié dépasse trois ans. L'obligation posée à cet article est donc particulièrement protectrice pour les stagiaires qui, n'ayant pas le statut de salarié, ne perçoivent pas d'indemnités journalières.

La proposition de loi fixant seulement une durée minimale pour le versement de la rémunération du stagiaire, il appartient à l'employeur de décider s'il souhaite continuer à rémunérer le stagiaire au-delà de cette période.

Toujours pour protéger le stagiaire en cas de maladie, la proposition de loi prévoit ensuite que l'arrêt maladie ne peut être invoqué comme motif de rupture du stage. Lorsque cela est possible, la durée du stage peut être prolongée pour une durée égale à celle de l'arrêt de travail.

Cette précision apparaît cependant redondante par rapport aux dispositions figurant déjà à l'article L. 122-45 du code du travail, qui interdit toute mesure discriminatoire en raison de l'état de santé, y compris pour l'accès à un stage, et aux articles L. 225-1 et L. 225-2 du code pénal qui posent la même règle.

La proposition de loi reconnaît ensuite aux stagiaires le bénéfice des articles L. 226-1 (congé pour événement familial) et L. 122-28-8 (droit à un congé non rémunéré en cas de maladie ou d'accident d'un enfant de moins de seize ans) du code du travail.

Enfin, il est proposé que les frais de transport, d'hébergement et de restauration engagés par le stagiaire soient obligatoirement remboursés par l'organisme d'accueil. Actuellement, l'employeur peut décider de prendre en charge ces frais mais n'y est nullement contraint.

Article L. 615-8

Cet article indique que, en cas de conclusion à l'issue du stage d'un contrat de travail entre le stagiaire et l'organisme d'accueil, la durée du stage s'impute sur la période d'essai.

Rappelons que la période d'essai a pour objet de permettre à l'employeur d'apprécier les qualités professionnelles et la capacité d'adaptation d'un salarié nouvellement embauché et au salarié de juger si les conditions de travail lui conviennent. La période d'essai peut être rompue sans formalisme par l'une ou l'autre des parties.

La durée du stage devra également être prise en compte pour le calcul de l'ancienneté du salarié. En effet, le bénéfice de nombreux avantages, de primes salariales par exemple, est subordonné à une condition d'ancienneté.

? Article L. 615-9

Cet article vise à lutter contre les abus de stage et à éviter que des stagiaires n'occupent des postes de travail qui devraient revenir à un salarié : la pratique des stages ne doit pas nuire au développement de l'emploi.

Il énumère d'abord les hypothèses dans lesquelles une convention de stage ne peut être conclue :

- elle ne peut avoir pour objet l'exécution d'une tâche régulière correspondant à un poste de travail ; il s'agit ainsi d'éviter la substitution des stages à des contrats à durée indéterminée ;

- elle ne peut ensuite être conclue pour pourvoir au remplacement d'un salarié absent, licencié ou dont le contrat est suspendu, pour faire face à un accroissement temporaire de l'activité, ni pour occuper un emploi saisonnier ; il s'agit ici d'éviter la substitution des stages à des contrats à durée déterminée ou d'intérim puisque les situations visées correspondent aux cas de recours à ces contrats précaires 6 ( * ) .

Toute infraction à ces dispositions serait constitutive d'un abus de stage. L'abus de stage serait également constitué dans une autre hypothèse : lorsque l'employeur a recours à un stagiaire ayant achevé la formation lui permettant d'occuper les fonctions correspondant au poste de travail qui lui est attribué. Il arrive en effet trop souvent que des diplômés soient recrutés comme stagiaires alors qu'ils ont les qualifications qui leur permettraient d'être embauchés.

L'abus de stage serait passible d'une triple sanction :

- la requalification du stage en contrat de travail (à durée déterminée ou indéterminée selon les cas) ; actuellement, les tribunaux peuvent déjà requalifier une convention de stage en contrat de travail si la convention est détournée de son objet pédagogique et que les critères permettant de caractériser l'existence d'un contrat de travail sont réunis (exécution d'une prestation de travail, rémunération, subordination à l'employeur) ;

- le versement au stagiaire d'une indemnité égale au minimum à un mois de rémunération, due solidairement 7 ( * ) par l'établissement d'enseignement et par l'organisme d'accueil ;

- une amende de 1 500 euros, portée à 3 000 euros en cas de récidive.

Actuellement, les tribunaux peuvent condamner un employeur, en cas de requalification d'une convention de stage en contrat de travail, à une peine de trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende pour travail dissimulé. L'employeur peut également se voir reprocher le délit d'atteinte à la dignité du salarié, caractérisé lorsqu'une personne, dont la vulnérabilité et la dépendance sont connues, fournit des services non rétribués ou en échange d'une rétribution sans rapport avec le travail accompli ou est soumise à des conditions de travail ou d'hébergement indignes (Cass. crim., 3 décembre 2002). La peine encourue est alors de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

? Article L. 615-10

Ce dernier article attribue compétence aux conseils de prud'hommes pour les litiges relatifs aux stages effectués dans une entreprise ou une association.

En l'état actuel du droit, c'est le juge civil de droit commun qui doit être saisi en cas de litige entre l'employeur et le stagiaire, sauf si la demande du requérant porte sur la requalification de la convention de stage en contrat de travail. Or, le délai de jugement de ces juridictions est souvent long et le ministère d'avocat y est obligatoire. Les conseils de prud'hommes, qui sont en principe compétents pour connaître des litiges nés du contrat de travail, verraient donc leur champ de compétences élargi, afin que les stagiaires bénéficient de leurs délais de jugement plus rapide et de leur procédure plus souple.

Le conseil de prud'hommes demeure compétent en cas de demande de requalification de la convention de stage en contrat de travail. Cependant, alors que les requêtes adressées aux prud'hommes doivent normalement être examinées en premier lieu par un bureau de conciliation chargé de trouver une solution amiable, ces requêtes seraient désormais présentées directement au bureau de jugement, ce qui permet d'accélérer encore la procédure. La décision du conseil de prud'hommes serait ensuite exécutoire de plein droit, à titre provisoire, alors que l'appel a, en principe, un effet suspensif.

Les litiges opposant un stagiaire à un employeur de droit public continueraient de relever du champ de compétences de la justice administrative.

II - La position de votre commission

La commission a examiné trois amendements du rapporteur :

- le premier propose de remplacer l'obligation faite à l'entreprise d'accueil d'adresser la convention de stage à la direction départementale du travail par une obligation de mentionner les stagiaires dans le registre du personnel. Le rapporteur a en effet estimé que les directions départementales n'ont pas les moyens de procéder à un contrôle a priori des conventions et qu'il serait donc préférable d'opter pour une inscription sur le registre du personnel, qui faciliterait les contrôles a posteriori de l'inspection du travail ;

- le deuxième impose aux établissements d'enseignement supérieur la tenue d'un registre des stages, toujours dans l'objectif de faciliter les contrôles ;

- le dernier propose d'aggraver la sanction pénale prévue en cas d'abus de stage, en l'alignant sur la peine encourue en cas de travail dissimulé.

La commission a porté une appréciation défavorable sur ce dernier amendement mais s'est montrée sensible aux deux premières propositions du rapporteur. Toutefois, en dépit de l'allégement des contraintes qu'elles suggèrent, elle les a jugées insuffisantes pour lui permettre d'approuver l'ensemble de l'article.

Votre commission considère en effet que les contraintes supplémentaires prévues par le texte risquent d'avoir un résultat contraire à l'objectif poursuivi : elles sont de nature, en augmentant substantiellement les dépenses à la charge des employeurs, à décourager l'offre de stages, déjà insuffisante dans de nombreux bassins d'emplois au regard de la demande exprimée par les étudiants.

Votre commission vous propose en conséquence de rejeter cet article.

Article 2 (art. L. 787-1 à L. 787-8 nouveaux du code du travail) - Organisation du recours aux stages étudiants dans le code du travail

Objet : Cet article tend à insérer dans le code du travail les mêmes dispositions que celles insérées dans le code de l'éducation par l'article premier.

I - Le dispositif proposé

Il est proposé d'insérer dans le livre VII du code du travail un nouveau chapitre VIII bis intitulé « Dispositions relatives aux stages étudiants » comportant huit articles.

Ces articles reprennent quasiment les mêmes dispositions que celles envisagées à l'article premier de la proposition de loi. Seules les dispositions contenues aux articles L. 615-3 et L. 615-4 nouveaux du code de l'éducation ne sont pas reprises dans le code du travail, dans la mesure où elles concernent exclusivement les établissements d'enseignement supérieur.

II - La position de votre commission

Par cohérence avec sa position exprimée à l'article précédent, votre commission vous demande de rejeter cet article.

Article 3 (art. L. 242-4-2 nouveau du code de la sécurité sociale) - Assujettissement de la rémunération du stagiaire aux cotisations sociales

Objet : Cet article prévoit qu'un arrêté ministériel fixera la part de la rémunération du stagiaire assujettie à cotisations sociales.

I - Le dispositif proposé

Actuellement, l'article L. 242-4-1 du code de la sécurité sociale prévoit que la gratification versée aux stagiaires n'est pas assujettie à cotisations sociales pour sa fraction inférieure à un seuil fixé par décret.

Le décret n° 2006-757 du 29 juin 2006 a fixé ce seuil à un niveau égal au produit de 12,5 % du plafond horaire de la sécurité sociale (soit 20 euros en 2007) et du nombre d'heures de stage effectuées au cours du mois considéré (ce qui correspond à 30 % du Smic).

Le présent article tire les conséquences des dispositions figurant à l'article premier de la proposition de loi : dans la mesure où le texte prévoit que le stagiaire perçoit non plus une gratification mais une rémunération, il convient d'adapter les dispositions du code de la sécurité sociale relatives à l'assiette des cotisations sociales.

Le dispositif proposé consiste à renvoyer à un arrêté ministériel le soin de préciser quelle part de la rémunération du stagiaire est assujettie à cotisations sociales, en excluant celles perçues au titre de l'assurance maladie, maternité, invalidité et décès, dans la mesure où les étudiants disposent déjà d'une couverture de ce type assurée par la sécurité sociale étudiante.

L'arrêté ministériel fixe également les modalités de recouvrement et de validation des droits acquis.


La sécurité sociale étudiante

La sécurité sociale étudiante est une assurance maladie et maternité qui accorde aux intéressés le remboursement et la prise en charge des frais de santé durant l'année universitaire.

Sauf cas particulier, la sécurité sociale étudiante est obligatoire pour tous les étudiants de plus de seize ans et de moins de vingt-huit ans inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur. L'affiliation à la sécurité sociale se fait le jour de l'inscription dans l'enseignement supérieur.

En France, ce sont les mutuelles étudiantes qui gèrent l'affiliation à la sécurité sociale et le suivi de dossier. Dans chaque région, les étudiants ont le choix entre deux mutuelles assurant le régime étudiant de sécurité sociale : la mutuelle des étudiants (LMDE) ou l'une des mutuelles du réseau national des mutuelles étudiantes régionales.

Le montant de la cotisation au régime étudiant de sécurité sociale est arrêté chaque année par le ministre en charge de la sécurité sociale. Dans certains cas, l'inscription est gratuite, en fonction de l'âge et de la profession des parents.

Les étudiants salariés ayant une activité régulière tout au long de l'année (au moins soixante heures par mois ou cent vingt heures par trimestre) dépendent du régime général de sécurité sociale et sont dispensés de l'affiliation et du paiement de la cotisation à la sécurité sociale étudiante.

Les étudiants mariés, en concubinage ou pacsés à une personne affiliée au régime général peuvent bénéficier du remboursement des soins au titre d'ayant droit et être dispensés de l'affiliation et du paiement de la cotisation à la sécurité sociale étudiante.

II - La position de votre commission

La commission a examiné un amendement du rapporteur destiné à améliorer la qualité rédactionnelle de cet article et à garantir le droit des stagiaires à l'assurance chômage. Tout en reconnaissant l'intérêt de la proposition du rapporteur, elle a considéré que cet article ne peut être dissocié des deux articles précédents, sur lesquels elle a déjà émis un avis négatif.

En conséquence, votre commission vous demande de rejeter cet article.

Article 4 - Gage

Objet : Cet article vise à compenser les charges supplémentaires pouvant résulter, pour les régimes sociaux, de l'application du présent texte.

I - Le dispositif proposé

Dans le cas où l'application de la proposition de loi entraînerait une perte de recettes pour les régimes sociaux, cet article propose qu'elle soit compensée par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, qui correspondent aux droits sur les tabacs.

II - La position de votre commission

La commission a examiné un amendement du rapporteur proposant de compléter le gage pour qu'il compense également les dépenses supplémentaires mises à la charge de l'Etat. Elle a cependant considéré que le vote de ce gage n'avait plus de raison d'être, dès lors que les dispositions précédentes du texte n'ont pas été approuvées.

Votre commission vous demande donc de rejeter cet article.

*

* *

Aux termes de l'article 42-6-c du règlement du Sénat, « lorsque la commission ne présente aucune conclusion ou si les conclusions négatives de la commission sont rejetées, le Sénat est appelé à discuter le texte initial de la proposition ».

En application de cet article, la commission des affaires sociales propose au Sénat de se prononcer en faveur des conclusions négatives qu'elle a adoptées sur la présente proposition de loi.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 7 février 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Godefroy sur la proposition de loi n° 364 (2005-2006), présentée par lui-même et plusieurs de ses collègues, visant à organiser le recours aux stages .

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur , a tout d'abord indiqué que la proposition de loi a été déposée sur le bureau du Sénat dès le mois de juin 2006. La décision prise par la conférence des Présidents de donner désormais aux groupes politiques le droit de demander l'inscription d'un texte à l'ordre du jour de la séance mensuelle réservée rend maintenant possible son examen en séance. Le sujet des stages est une préoccupation partagée par les responsables politiques, quel que soit leur groupe d'appartenance. Ainsi, deux propositions de loi ont été déposées à l'Assemblée nationale sur le même thème, la première par Mme Valérie Pécresse et plusieurs de ses collègues du groupe UMP, la seconde par M. Alain Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

La proposition de loi qu'il a lui même déposée a été élaborée dans le contexte du mouvement de revendication suscité par le collectif « Génération précaire ». Elle vise à mieux encadrer le recours aux stages étudiants et à apporter davantage de garanties aux stagiaires. Divers exemples révèlent, en effet, l'existence de dérives : les stages sont parfois détournés de leur vocation pédagogique pour devenir une source de main-d'oeuvre à moindre coût ; certaines entreprises fonctionnent en ayant recours en permanence à des stagiaires qui occupent de véritables postes de travail, très faiblement rémunérés ; de jeunes diplômés s'inscrivent parfois à l'université uniquement pour pouvoir conclure une convention de stage, alors qu'ils disposent de la qualification requise pour pouvoir assurer les fonctions auxquelles ils postulent ; les stages sont parfois utilisés comme outil de prérecrutement et doivent être assimilés alors à une période d'essai prolongée.

Certes, la loi pour l'égalité des chances du 31 mars 2006 a posé quelques règles pour moraliser le recours aux stages : elle a prévu que tout stage en entreprise est obligatoirement précédé de la conclusion d'une convention tripartite, signée entre le stagiaire, l'établissement d'enseignement supérieur où il poursuit ses études et l'entreprise qui l'accueille ; elle a limité à six mois, en principe, la durée des stages ; elle a rendu obligatoire le versement d'une gratification au stagiaire au-delà de trois mois, gratification assujettie à cotisations sociales pour sa part qui excède un seuil fixé à 360 euros ; elle a unifié la situation des stagiaires au regard de la protection contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Les décrets pris pour l'application de la loi pour l'égalité des chances ont ensuite précisé le contenu de la convention de stage et ont interdit aux entreprises de recourir à un stagiaire pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise, ainsi que pour remplacer un salarié absent, faire face à un surcroît temporaire d'activité ou occuper un emploi saisonnier.

En avril 2006, le Gouvernement, plusieurs syndicats étudiants et les représentants des établissements d'enseignement supérieur ont signé une « charte des stages étudiants en entreprise », destinée à compléter ce dispositif législatif et réglementaire. La charte insiste sur les obligations mutuelles des étudiants, des entreprises et des établissements d'enseignement supérieur. Elle prévoit en particulier le suivi de l'étudiant par un tuteur dans l'entreprise et par un enseignant référent dans son établissement d'enseignement.

Ce dispositif d'ensemble reste toutefois insuffisant, car la charte ne revêt aucun caractère contraignant et n'apporte donc pas de réelle garantie. Telle est la raison pour laquelle la présente proposition de loi a été déposée.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur , a indiqué qu'elle a vocation à s'appliquer à l'ensemble des stages, qu'ils soient accomplis auprès d'employeurs publics ou privés, et pas seulement en entreprise. Elle donne valeur législative à des règles posées dans la charte, ou figurant dans des décrets, et renforce les garanties apportées aux stagiaires, surtout en matière de rémunération.

Son article premier introduit un nouveau chapitre dans le code de l'éducation, selon lequel tout stage devra donner lieu à la signature d'une convention tripartite comportant des mentions obligatoires. Il précise les responsabilités respectives de l'établissement d'enseignement supérieur, de l'organisme d'accueil et du stagiaire.

Le point essentiel concerne la fixation d'un minimum légal pour la rémunération des stagiaires, soit au moins 50 % du Smic dès lors que la durée du stage est supérieure à un mois, et le principe d'une prise en charge par l'employeur des frais de transport, de logement et de restauration engagés par le stagiaire.

En outre, la durée maximale des stages effectués au cours d'une même année universitaire ne saurait excéder six mois, sauf exceptions prévues pour certaines formations. Le stagiaire bénéficiera des garanties accordées aux salariés en matière de santé et de sécurité au travail et sera protégé en cas de maladie.

Il a ensuite indiqué que la proposition de loi définit et réprime l'abus de stage : le stage ne doit pas être utilisé pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail, ni pour répondre à un besoin qui devrait être satisfait par l'embauche d'un salarié en contrat à durée déterminée. Un stage ne doit pas non plus être accompli par un jeune diplômé qui dispose de la formation adéquate pour occuper le poste qui lui sera confié. Dans sa version initiale, la proposition de loi prévoit, en cas d'infraction à ces dispositions, une amende de 1 500 euros, doublée en cas de récidive. Or, le rapporteur a fait observer que cette sanction est en réalité inférieure à celle aujourd'hui encourue par les employeurs en cas de travail dissimulé et a donc proposé de modifier la proposition de loi sur ce point.

Toujours pour lutter contre les abus, le texte prévoit l'information des représentants du personnel concernant les stages et dispose que les conventions de stage devront être adressées à la direction départementale du travail, qui aurait alors un délai de quinze jours pour faire connaître son opposition motivée. Le rapporteur a considéré que cette dernière formalité serait excessivement lourde pour l'administration et a suggéré de prévoir plutôt l'inscription des stagiaires sur le registre unique du personnel, ce qui permettra de procéder plus facilement à des contrôles a posteriori.

Afin de faciliter l'accès au juge, la proposition de loi prévoit ensuite que les litiges nés de la convention de stage seront désormais portés devant le conseil de prud'hommes, mieux à même de traiter ces affaires, et non plus devant le tribunal d'instance. Enfin, le texte envisage l'hypothèse d'une embauche à l'issue du stage : dans ce cas, la durée du stage s'imputerait sur la période d'essai et serait prise en compte pour le calcul de l'ancienneté du salarié.

L'article 2 reprend les mêmes dispositions, pour les insérer cette fois dans le code du travail. Le statut de stagiaire présente un caractère hybride, à mi-chemin entre le monde de l'éducation et le monde du travail, ce qui explique cette inscription parallèle dans deux codes.

L'article 3 prévoit qu'un arrêté ministériel fixera la part de la rémunération du stagiaire qui sera assujettie à cotisations sociales. Afin de ne pas alourdir excessivement le coût d'un stagiaire pour l'entreprise, il est raisonnable de prévoir, comme tel est le cas aujourd'hui, qu'une partie de la rémunération sera exonérée de cotisations. Il est cependant important que les stagiaires accumulent des droits à retraite et à assurance chômage.

L'article 4 prévoit enfin un gage pour compenser les éventuelles charges supportées par les régimes sociaux.

Pour conclure, M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur , a souligné que la proposition de loi ne vise pas à décourager les entreprises de proposer des stages aux étudiants, mais à prévenir et combattre les abus. Il s'est déclaré favorable à une plus grande professionnalisation des formations universitaires, dont les stages constituent l'une des principales modalités et auxquels tous les étudiants devraient avoir accès. Or, ceux-ci ont parfois besoin de travailler pour financer leurs études et sont alors contraints d'accepter des « petits boulots », sans lien avec leurs études mais correctement rémunérés, plutôt que d'effectuer des stages qui compléteraient leur formation théorique, mais sans leur procurer le revenu nécessaire.

Le texte, qui ne prétend pas régler définitivement la question des stages, pourra bien sûr faire l'objet d'améliorations et de compléments au cours des débats, à condition toutefois que sa finalité ne soit pas remise ne cause.

M. Nicolas About, président , a fait observer que l'idée d'imputer la durée du stage sur la période d'essai paraît contradictoire avec l'affirmation selon laquelle le stage ne doit pas être assimilé à un véritable emploi.

M. Michel Esneu a souligné que les maires sont souvent sollicités pour accueillir des stagiaires et qu'il est déjà difficile de répondre à ces demandes très nombreuses. Or, les obligations nouvelles prévues par la proposition de loi risquent de décourager les employeurs d'accueillir des stagiaires. S'il est indispensable de combattre les abus de stage, il faut préserver une certaine souplesse dans la réglementation, pour tenir compte du fait que certains étudiants ont besoin de compléter leur formation par une expérience pratique.

Mme Isabelle Debré a elle aussi jugé contradictoire le fait d'expliquer que les stagiaires ne doivent pas occuper de postes de travail, puis de proposer d'imputer la durée du stage sur la période d'essai. L'accueil d'un stagiaire représente déjà une lourde charge pour une entreprise. Il ne faudrait pas que la proposition de loi ait l'effet pervers de la contribution Delalande, qui a alourdi le coût du licenciement de salariés âgés : partant de très bonnes intentions, ces dispositifs aboutissent en réalité au résultat inverse de celui recherché.

M. Alain Vasselle a également jugé que la mise en oeuvre des mesures proposées par le rapporteur serait contre-productive, en raison des contraintes excessives imposées aux petites et moyennes entreprises. Il a expliqué avoir accueilli dans son exploitation agricole, en stage d'observation, une stagiaire venue étudier le stress subi par les animaux d'élevage et a indiqué qu'il ne l'aurait certainement pas fait s'il avait dû respecter les règles prévues par la proposition de loi.

Mme Sylvie Desmarescaux a déclaré qu'elle accueille souvent des stagiaires dans la petite commune dont elle est le maire, pour une durée comprise entre six et huit semaines en moyenne, et qu'elle devrait y renoncer si une rémunération obligatoire s'impose aux stages d'une durée supérieure à un mois.

M. Jean-Pierre Michel a indiqué que le groupe socialiste votera la proposition de loi. Rappelant que les étudiants sont fortement encouragés à accomplir des stages, il a regretté que ceux-ci soient parfois détournés de leur objectif pédagogique et a appelé de ses voeux une moralisation des pratiques. Il a proposé que l'on s'inspire du modèle des élèves de l'école nationale d'administration, de l'école nationale de la magistrature ou de l'école polytechnique, qui sont rémunérés au cours de leurs études et accumulent des droits à la retraite.

M. Nicolas About, président, et M. Bernard Seillier ont fait observer que, dans ces cas, la formation s'accompagne d'un engagement de service de dix ans et que celui qui s'y soustrait doit rembourser les sommes perçues pendant les études.

M. Guy Fischer a indiqué que la proposition de loi répond à l'une de ses préoccupations majeures, à savoir la lutte contre la précarité, qui affecte de plus en plus la société française. Il a demandé qu'un effort important soit mené en faveur de la réussite professionnelle des jeunes et a déploré que les étudiants qui ont effectué des études longues ne soient pas forcément rémunérés à la hauteur de leurs efforts ou soient confrontés à la précarité de l'emploi.

Mme Bernadette Dupont a estimé que la proposition de loi ne correspond pas aux réalités observées sur le terrain. Elue à Versailles, elle a indiqué que sa commune accueille régulièrement des élèves de l'école polytechnique, ce qui occasionne une dépense de 4 000 euros pour un stage de six mois. Sa commune ne pourrait se permettre de financer, en plus, une rémunération des stagiaires.

Mme Gisèle Printz a rappelé que la proposition de loi vise surtout à éviter que les stagiaires ne soient exploités par des employeurs peu scrupuleux et qu'ils occupent de véritables postes de travail qui devraient revenir à des salariés.

M. Bernard Seillier s'est dit sensible au risque d'abus dans le recours aux stages par les entreprises, mais a douté que la méthode proposée par le rapporteur soit la bonne. Il a approuvé l'idée d'imputer la durée du stage sur la période d'essai, mais a jugé que l'obligation de rémunérer le stagiaire constitue une contrainte trop lourde. Il a indiqué avoir accueilli des stagiaires, en tant que parlementaire, mais sans pouvoir envisager de les rémunérer. Il s'est également inquiété de l'impact que pourrait avoir la proposition de loi sur les entreprises présentes dans sa commune, qui sont déjà réticentes à accueillir des stagiaires.

En réponse à M. Nicolas About, qui soulevait le cas particulier des étudiants en médecine, qui effectuent un véritable travail durant leurs périodes de stage à l'hôpital, M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur , a précisé que la proposition de loi n'aborde pas le cas des professions réglementées.

Pour justifier le principe de la rémunération des stagiaires, Mme Patricia Schillinger a cité le cas d'un étudiant en BTS qui a dû engager des frais importants pour accomplir le stage obligatoirement prévu dans sa scolarité et a souhaité que les étudiants soient aidés pour pouvoir tous accéder aux stages dans de bonnes conditions.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur, a d'abord indiqué qu'il lui paraît légitime d'imputer la durée du stage sur la période d'essai, dans la mesure où un stagiaire bénéficie certes d'une formation, mais contribue aussi à la production de l'entreprise.

Sur la question du montant de la rétribution versée aux stagiaires qui serait, dit on, impossible à assumer par les PME, il a souligné que le vice-président de la CGPME n'a pas émis d'objection majeure sur ce point, lors de son audition. En outre, les grandes entreprises appliquent en pratique des grilles de rémunération qui prévoient une rétribution des stagiaires souvent supérieure au niveau retenu dans la proposition de loi. De surcroît, la gratification versée aux stagiaires est exonérée de cotisations sociales à hauteur de 30 % du Smic, ce qui réduit le coût supporté par l'employeur.

Il a rappelé que certains étudiants ont l'obligation d'effectuer des stages dans leurs cursus de formation, tandis que d'autres choisissent de les accomplir volontairement, parfois après avoir obtenu leur diplôme. Des entreprises fonctionnent en permanence avec un volant de stagiaires qui se succèdent sur un même poste. Il a indiqué s'être interrogé sur l'opportunité de fixer un quota de stagiaires par entreprise, mais avoir renoncé à cette idée, qui paraît trop complexe à mettre en oeuvre. Il a également écarté l'idée de prévoir un délai de carence entre deux stages, dans la mesure où une telle règle risquerait de pénaliser les stagiaires. En revanche, il a proposé d'inscrire les stagiaires sur le registre unique du personnel afin de faciliter les contrôles par l'inspection du travail.

Il a estimé que la charte des stages sera respectée par les employeurs qui ont déjà un comportement vertueux, mais non par ceux qui sont à l'origine des abus constatés, que l'absence de caractère contraignant de la charte ne permet pas de sanctionner.

M. Nicolas About, président , a cependant jugé excessif d'assimiler l'abus de stage à une forme de travail dissimulé.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur , a répondu que la jurisprudence a déjà condamné un employeur pour travail dissimulé lorsqu'il confie à un stagiaire des tâches qui devraient revenir à un salarié.

Il a précisé que la proposition de ne pas rémunérer les stages dont la durée est inférieure à un mois vise à ne pas nuire à la pratique des stages d'observation, qui n'ont pas de dimension productive et n'apportent donc aucun bénéfice à l'entreprise. Pour autant, il s'est déclaré ouvert à la discussion pour éventuellement allonger cette durée.

Il a souligné que la proposition de loi s'inscrit dans le cadre de l'année européenne pour l'égalité des chances et que la question des stages va être débattue par le Parlement européen. Il a insisté sur son attachement aux formations en alternance, dont les règles d'organisation ont inspiré les dispositions figurant dans la proposition de loi.

M. Guy Fischer , constatant l'opposition de la majorité sénatoriale à la proposition de loi, a suggéré de procéder immédiatement au vote sur l'ensemble du texte.

M. Nicolas About, président , a souhaité, par considération pour le travail du rapporteur, que la commission examine d'abord les amendements qu'il a préparés.

A l'article premier (organisation du recours aux stages étudiants dans le code de l'éducation), la commission a d'abord examiné un amendement de précision, puis deux amendements, tendant à prévoir, respectivement, l'inscription des stagiaires sur le registre unique du personnel de l'entreprise et la tenue d'un registre des stages dans les établissements d'enseignement supérieur. La commission a porté un jugement favorable sur ces amendements. Elle s'est en revanche montrée opposée à l'amendement du rapporteur tendant à sanctionner l'abus de stage dans les mêmes conditions que le travail dissimulé.

A l'article 2 (organisation du recours aux stages étudiants dans le code du travail), la commission a examiné trois amendements du rapporteur poursuivant les mêmes objectifs que les amendements examinés à l'article précédent.

A l'article 3 (assujettissement de la rémunération du stagiaire aux cotisations sociales), la commission a émis un avis positif sur l'amendement de réécriture de l'article proposé par le rapporteur, qui tend à en améliorer la qualité rédactionnelle et à garantir aux stagiaires qu'ils seront couverts par l'assurance chômage.

A l'article 4 (gage), elle a examiné favorablement l'amendement du rapporteur visant à compléter le gage.

Avant que la commission ne procède au vote sur l'ensemble du rapport, M. Claude Domeizel s'est félicité du geste d'ouverture vis-à-vis de l'opposition sénatoriale que constitue l'inscription de la proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat. Il a estimé qu'il serait regrettable que la commission envoie un signal contraire en rejetant les conclusions du rapporteur. En effet, si le Sénat approuve les conclusions négatives de la commission, le débat en séance publique s'interrompra après la discussion générale, les articles ne seront pas examinés et les sénateurs ne pourront pas défendre les amendements qu'ils pourraient déposer sur ce texte. La majorité sénatoriale devrait donc faire le choix de l'abstention, afin que le débat puisse avoir lieu normalement en séance publique ; un vote de rejet serait interprété comme un refus de débattre du problème des stages étudiants.

M. Nicolas About, président , a estimé qu'il serait paradoxal que la commission approuve le texte, alors qu'une majorité de ses membres y est opposée. Deux solutions s'offrent à elle : soit rejeter le texte, soit adopter immédiatement des amendements majeurs qui en modifient profondément l'économie, afin que la majorité sénatoriale puisse l'approuver. Dans ce dernier cas, la proposition de loi risquerait de ne plus correspondre aux intentions de ses auteurs, ce qui ne constitue pas non plus une option très satisfaisante.

M. Alain Vasselle a indiqué qu'il pourrait voter certaines dispositions du texte si la commission procédait à un vote par articles, mais qu'il se verrait contraint, dans le cas contraire, de rejeter la proposition de loi. Il a estimé que, dans la situation actuelle, la commission subit les conséquences de la recherche permanente du consensus par la conférence des présidents. Il serait utile que le règlement du Sénat soit dûment modifié afin que, lors de l'examen des propositions de loi présentées par l'opposition, les amendements du rapporteur et les amendements extérieurs soient examinés en même temps.

M. Nicolas About, président a rappelé que le même cas de figure s'est déjà produit lorsque la commission a émis, en octobre dernier, des conclusions négatives sur une proposition de loi présentée par M. Michel Dreyfus Schmidt et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, relative au partage des allocations familiales entre les parents séparés qui assurent la garde alternée de leurs enfants.

A l'issue de ce débat, la commission a émis un avis défavorable à l'adoption de la proposition de loi .

Mme Isabelle Debré a jugé peu satisfaisante la solution consistant à émettre un avis défavorable à l'adoption du texte, qui empêche un véritable débat en séance.

M. Bernard Seillier a demandé que la réflexion sur une éventuelle réforme du règlement soit approfondie.

M. Jean-Pierre Michel a estimé que si la majorité sénatoriale avait souhaité que le texte soit réellement débattu en séance publique, une partie de ses membres aurait pu s'abstenir au moment du vote de la commission.

M. Claude Domeizel a dénoncé un comportement hypocrite de la majorité sénatoriale, qui accepte l'inscription d'un texte de l'opposition à l'ordre du jour, mais n'est pas disposée à permettre son adoption, ni même l'examen détaillé de ses dispositions.

M. Guy Fischer a affirmé que les jeunes confrontés à la précarité ont toutes les raisons de continuer à s'inquiéter et a jugé que les propositions de loi présentées par l'opposition n'ont aucune chance d'être adoptées par le Sénat, en raison de blocages idéologiques.

ANNEXE - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Julien Losser, Malcolm Hammer, Frédéric Cacaut, porte-parole de « Génération précaire »

Mathieu Maraine , délégué national adjoint de l'union nationale inter-universitaire (UNI)

Thiebaut Weber , président de la fédération des associations générales étudiantes (Fage)

Sophie Binet , élue au CNESER, union nationale des étudiants de France (Unef)

Guy Maugis , président de Bosch France, vice-président de la commission Nouvelle génération, Valérie Corman , directrice de la commission Nouvelle génération, Guillaume Ressot , directeur adjoint chargé des affaires publiques du mouvement des entreprises de France (Medef)

Pauline Domingo , chargée d'études à l'université Paris 1, CNRS, centre d'économie de la Sorbonne

Yves Lichtenberger , président de la commission pédagogie de la conférence des présidents d'université (CPU), président de l'université de Marne-la-Vallée et Nicole Nicolas , chargée de mission auprès de la CPU

Benoît Legait , vice-président de la conférence des grandes écoles (CGE), directeur de l'école des Mines de Paris

Brigitte Hennequart , animatrice du groupe de travail « convention de stage » de la commission Aval, université de technologie de Troyes

Pierre Burban , secrétaire général, et Guillaume Tabourdeau , chargé des relations avec le Parlement, à l'union professionnelle artisanale (UPA)

Gérard Noyel , second vice-président, et Michel Mudry , délégué général de la conférence des directeurs d'écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI)

Jean-François Veysset , vice-président chargé des affaires sociales de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)

* 1 Cf. la proposition de loi n° 2955 visant à encourager et à moraliser le recours aux stages par les entreprises, présentée par Valérie Pécresse et plusieurs de ses collègues, et la proposition de loi n° 2901 relative à la lutte contre le recours abusif aux conventions de stage comme substitut à des contrats de travail et à la revalorisation du statut de stagiaire, déposée par Alain Bocquet et les membres du groupe des députés communistes et républicains.

* 2 Cf. l'Express, le 1 er février 2007, p. 101.

* 3 L'Unef a refusé de signer la charte. Le collectif « Génération précaire » a été associé à son élaboration, mais n'avait pas qualité pour la signer.

* 4 « L'insertion professionnelle des jeunes issus de l'enseignement supérieur », Avis du Conseil économique et social présenté par Jean-Louis Walter, 2005.

* 5 Un CHSCT doit être constitué dans les entreprises occupant au moins cinquante salariés.

* 6 Les cas de recours au contrat à durée déterminée sont fixés par l'article L. 122-1-1 du code du travail, les cas de recours à l'intérim par l'article L. 124-2-1 du même code.

* 7 En droit civil, une dette due solidairement est une dette due par plusieurs personnes et dont le paiement intégral peut être réclamé à l'un quelconque des débiteurs.

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