Rapport n° 177 (2003-2004) de M. Philippe FRANÇOIS , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 28 janvier 2004

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N° 177

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 janvier 2004

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (ensemble un échange de lettres),

Par M. Philippe FRANÇOIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (12 ème législ.) : 756 , 954 et T.A 233

Sénat : 142 (2003-2004)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La coopération transfrontalière en matière policière et douanière entre la France et ses voisins a fait l'objet d'accords avec l'Allemagne, le 9 octobre 1997, l'Italie, le 3 octobre 1997, l'Espagne, le 7 septembre 1998, et le Luxembourg, le 15 octobre 2001.

L'accord signé à Tournai, le 5 mars 2001, vise à instaurer une coopération de même ordre entre la France et la Belgique. Cet accord a été complété par un échange de lettres du 10 juin 2002, entre les ministres français et belge de l'intérieur. Ces textes visent à renforcer les contrôles conjoints entre deux pays séparés par une frontière où se localisent de nombreux trafics.

L'accord a donc pour but d'accroître la coopération transfrontalière en matière policière et douanière par la mise en place d'instruments opérationnels pour combattre ces agissements délictueux.

I. LE CADRE JURIDIQUE DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET DOUANIÈRE AVEC LA BELGIQUE

A. DE L'ACCORD DE SCHENGEN À L'ACCORD DE TOURNAI

L'accord de Schengen, signé le 14 juin 1985, a posé le principe du libre franchissement des frontières par tous les ressortissants des Etats membres des Communautés européennes. Cette libre circulation des personnes s'est accompagnée de modalités nouvelles de contrôle aux frontières intra-communautaires, fondées sur l'article 39 de la convention d'application de l'accord, conclue en 1990.

Cet article impose aux Etats parties un devoir d'assistance entre leurs services de police aux fins de prévention et de recherche des faits punissables. Son paragraphe 4 prévoit la possibilité de conclusion d'arrangements spécifiques entre les ministres chargés de l'ordre public dans les régions frontalières.

Le paragraphe 5 organise la possibilité d'accords bilatéraux plus complets entre les pays ayant une frontière commune.

Pour faciliter et normaliser de tels accords bilatéraux, le Comité de coordination de la politique européenne de sécurité intérieure a établi, en 1996, un modèle de convention transfrontalière dans les domaines de la police et des douanes.

Sur cette base, des accords bilatéraux ont déjà été conclus par la France avec l'Italie, le 3 octobre 1997, l'Allemagne, le 9 octobre 1997, l'Espagne, le 7 septembre 1998 et le Luxembourg, le 15 octobre 2001.

Une procédure de ce type a également été entreprise avec la Belgique, aboutissant à un accord signé à Tournai, le 5 mars 2001, et complété par un échange de lettres entre les deux ministres de l'Intérieur, le 10 juin 2002.

B. LE CONTENU DE L'ACCORD DE TOURNAI

Comme pour les autres accords bilatéraux du même type, l'accord de Tournai applique les modalités de contrôle aux frontières prévues par les conventions d'application de 1990 et 1996 : suppression des contrôles fixes aux frontières intérieures 1 ( * ) , et report de ceux-ci aux frontières extérieures ; maintien des contrôles, mais sous forme mobile, aux frontières intra-communautaires ; coopération directe et renforcée entre les services de police et de douane des deux pays frontaliers .

Cette coopération est fondée sur la création de Centres de coopération policière et douanière (CCPD) qui existent déjà dans les pays avec lesquels des accords de ce type ont déjà été signés, comme l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et le Luxembourg.

L'accord de Tournai prévoit la création d'un tel CCPD à Tournai, en Belgique, ainsi que la mise en oeuvre de patrouilles mixtes franco-belges, composées de policiers et douaniers des deux pays, et habilitées à agir dans la zone frontalière.

C. L'ÉCHANGE DE LETTRES ENTRE LES DEUX MINISTRES DE L'INTÉRIEUR VISE À UNE APPLICATION PLUS EFFICACE DE L'ACCORD DE TOURNAI

L'objectif des CCPD, tels qu'ils fonctionnent déjà, en Italie, par exemple (Vintimille et Modane) est de donner un cadre précis et stable à la coopération transfrontalière en matière de douane et de police, pour intensifier les échanges d'informations et les actions communes entre les services compétents des deux pays. Ces actions passent par la mise ne place de patrouilles mixtes, qui sont chargées d'effectuer des contrôles inopinés dans la zone frontalière.

L'échange de lettres effectué le 10 juin 2002 entre les ministères français et belge de l'intérieur vise à préciser les modalités d'action de ces patrouilles , en facilitant le port de l'arme et de l'uniforme réglementaires par les fonctionnaires des deux pays qui y sont regroupés.

Le caractère opérationnel des CCPD est suffisamment démontré pour avoir conduit notre pays à ouvrir des négociations avec l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg pour la création de centres quadripartites qui prendraient en charge les contrôles sur les frontières communes aux quatre pays.

Par ailleurs, la Belgique et les Pays-Bas ont conclu un accord de principe sur la création d'un CCPD sur leur propre frontière commune.

Ces négociations sont fondées sur la nécessité de créer des outils performants, de nature à permettre à ces Etats de lutter contre des trafics en expansion, menés par des réseaux criminels très organisés et déterminés.

II. LA FRONTIÈRE FRANCO-BELGE EST LE LIEU D'IMPORTANTS TRAFICS QUE LE PRÉSENT ACCORD VISE À COMBATTRE

La zone frontalière est affectée par des trafics de drogue en provenance, au nord, des Pays-Bas, et, au sud, d'Espagne.

Par ailleurs, l'ouverture du tunnel sous la Manche, en 1995, a suscité la venue d'immigrés clandestins désireux de se rendre en Grande-Bretagne, où les conditions d'accueil des étrangers ont été longtemps considérées comme attractives par ceux-ci.

A. LES DEUX PAYS SONT DES ZONES DE TRANSIT POUR DE NOMBREUSES DROGUES

La Belgique est, comme la France, un axe de transit pour le trafic international des stupéfiants : cocaïne et résine de cannabis en provenance d'Espagne), héroïne, amphétamines et ecstasy en provenance des Pays-Bas.

Pays limitrophe des Pays-Bas, la Belgique est ainsi devenue la cible des trafiquants du nord de la France, qui y installent des relais entre notre pays et les Pays-Bas. Ces relais ont pour finalité de fractionner les passages, et de réduire les risques en cas d'interception. Selon les autorités répressives belges, la ville d'Anvers serait ainsi depuis quelques mois plus particulièrement touchée par ce type de trafic.

Cette situation régionale conduit les autorités françaises à entretenir des relations privilégiées avec les services répressifs belges afin de contrôler les voies d'acheminement tant terrestres que maritimes.

La coopération opérationnelle entre les deux pays est également due à l'augmentation continue de la consommation de stupéfiants dans les pays de l'Europe du Nord et la Grande Bretagne, et au «tourisme de la drogue» à destination ou en provenance des Pays-Bas. La détection d'unités de fabrication de drogues de synthèse en Belgique et des actions opérationnelles concertées, associant les autorités répressives des Pays-Bas et du Luxembourg, entrent dans le cadre de la coopération "Hazeldonk", dont les objectifs sont de lutter contre le "tourisme" et le trafic de stupéfiants des Pays-Bas vers la Belgique et la France.

En France, les deux départements de la région Nord-Pas-de-Calais, situés au carrefour des voies de communication européennes majeures pour la circulation des personnes et des marchandises, suscitent, par leur position géographique, une activité importante dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Les saisies réalisées dans la région du Nord de la France touchent principalement des produits stupéfiants acquis aux Pays-Bas. Une part non négligeable de ceux-ci proviennent de Belgique, compte tenu des relais ou des transbordements qui sont organisés par les trafiquants.

Les saisies effectuées en France en provenance de Belgique sont élevées, dénotant un fort trafic :

*2002 - Acquisition en Belgique

Héroïne

26,756 kg

Cocaïne

106,397 kg

Herbe de cannabis

1 186 kg

Résine de cannabis

90 kg

Ecstasy

188 723 comprimés

*2002 - A destination de la Belgique

• 1 244 kg de résine de cannabis.

• 10 000 comprimés d'ecstasy.

*2003 - Acquisition en Belgique

Héroïne

21,809 kg

Cocaïne

91,283 kg

Herbe de cannabis

187,028 kg

Résine de cannabis

419,758 kg

Ecstasy

102 211 comprimés

*2003 A destination de la Belgique

• 148,314 kg de résine de cannabis.

• 21, 706 kg de cocaïne.

B. L'IMMIGRATION CLANDESTINE VERS LA GRANDE-BRETAGNE EST TOUJOURS PERSISTANTE

La pression migratoire à la frontière franco-belge de 1997 à 2003 permet de constater une forte diminution des flux irréguliers (de 7707 non-admis en 1997 à 1084 en 2003). Ces clandestins proviennent principalement du Maghreb (Maroc, Algérie), d'Afrique centrale (Congo Brazzaville et République Démocratique du Congo) et de Turquie.

Depuis l'ouverture du tunnel sous la Manche en mai 1995, la région Nord Pas-de-Calais est touchée par d'importants flux irréguliers constitués essentiellement d'Irakiens, d'Algériens, de Roumains et d'Afghans, en provenance de Belgique, parfois via les Pays Bas. Ces migrants cherchent à gagner la région de Calais, pour atteindre ensuite la Grande-Bretagne afin d'y déposer une demande d'asile, malgré la fermeture du centre d'hébergement et d'accueil de Sangatte en décembre 2002. En 2003, quatre nationalités représentaient la moitié des étrangers en situation irrégulière (ESI) interpellés dans le département du Nord jouxtant la frontière belge : 610 Irakiens (19,5% du total ESI), 383 Indiens (12,3% du total ESI), 324 Algériens (10,4% du total ESI) et 215 Roumains (6,9% du total ESI). Durant l'année 2003, de nouveaux flux irréguliers sont apparus, en provenance d'Inde (383 en 2003 contre 182 en 2002), du Vietnam (68 en 2003 contre 4 en 2002) et, plus récemment, d'Ukraine (condamnation de deux passeurs ukrainiens le 7 janvier 2004 par le TGI de Lille). S'agissant des Indiens, les informations obtenues lors des enquêtes font suspecter l'existence de filières utilisant la voie aérienne jusqu'à Moscou, puis par poids lourds à travers la Belgique. Les services de la direction départementale de la police aux frontières du Nord ont ainsi interpellé, en 2003, 133 personnes pour aide à l'immigration (passeurs, logeurs, ou employeurs de clandestins), soit une augmentation de 37,1% par rapport à 2002. La plupart de ces interpellations ont eu lieu dans le corridor de Ghyvelde (parkings autoroutiers et aires de service) reliant directement la Belgique aux plates-formes transmanche de la région de Calais.

Evolution de la pression migratoire à la frontière franco-belge
de 1997 à 2003

(Le détail effectué par nationalité n'est pas exhaustif)

- en 1997 : 7 707 étrangers ont été non-admis sur cette frontière, les principales nationalités étant : marocaine (1 704 mesures), zaïroise (1 003), turque (805), algérienne (292) et roumaine (215) ;

- en 1998 : 6 171 non-admis, dont 1 266 Marocains , 575 Zaïrois , 465 Iraniens , 446 Turcs et 319 Yougoslaves ;

- en 1999 : 5 067 non-admis, dont : 983 Marocains , 456 Zaïrois , 371 Yougoslaves , 313 Congolais et 292 Turcs ;

- en 2000 : 3 527 non-admis, dont 731 Marocains , 320 Congolais , 247 Turcs , 202 Zaïrois et 180 Algériens ;

- en 2001 : 2 252 non-admis, dont 482 Marocains , 268 Congolais , 208 Afghans , 118 Algériens et 92 Turcs ;

- en 2002 : 1 538 non-admis, dont 274 Irakiens , 250 Marocains , 124 Zaïrois , 95 Afghans et 66 Algériens ;

- enfin, en 2003 : 1 084 non-admis, dont 267 Marocains , 123 Algériens , 66 Congolais , 48 Zaïrois et 41 Turcs .

Source : Ministère de l'Intérieur .

CONCLUSION

Le présent accord s'inscrit dans une démarche que la France a déjà effectuée avec plusieurs de ses voisins pour mettre en place une coopération opérationnelle relayant les dispositions juridiques instaurées par l'accord de Schengen.

La conclusion d'un accord de ce type avec la Belgique est d'autant plus opportune que la frontière au nord de la France est le lieu de trafics de grande ampleur.

Au bénéfice de ces observations, votre rapporteur ne peut que recommander l'adoption de ce projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent rapport lors de sa séance du 28 janvier 2004.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. André Rouvière a souhaité connaître l'articulation du texte avec l'économie générale de l'accord de Schengen, et s'est demandé si ce type d'accord ne constituait pas une remise en cause, dans les faits, des dispositions adoptées à Schengen.

M. Robert Del Picchia a rappelé l'initiative conjointe, française et allemande, visant à créer un corps spécifique de garde-frontières affecté à la sécurité des frontières extérieures de « l'espace Schengen », et a regretté que cette proposition n'ait pu aboutir. Evoquant ensuite les travaux de l'Office de contrôle des stupéfiants, rattaché à l'ONU, selon lesquels les saisies de drogues ne représentent environ que 5 % du total du trafic, il a rappelé que toutes les études sur ce point montraient que ce trafic ne cesse de croître.

M. André Dulait, président, a estimé que les frontières orientales de la future Union européenne à 25 sont en effet très poreuses.

M. Xavier de Villepin a estimé que l'extension géographique de l'Union européenne devait impérativement s'accompagner de la création d'un corps de garde-frontières ; il a également évoqué l'opportunité de créer un corps de garde-côtes, suivant l'exemple américain, pour mieux réprimer les trafics maritimes notamment en matière de drogues.

M. Louis Moinard s'est inquiété de l'extension à venir de « l'espace Schengen », extension qui pourrait bientôt accompagner l'élargissement de l'Union européenne.

M. Didier Boulaud a souligné la nécessité de combattre, parallèlement à l'offre, la demande de drogues, demande qui semble répandue même au sein de couches tout à fait intégrées de la société française.

En réponse, M. Philippe François, rapporteur, a précisé que l'accord de Schengen prévoyait, certes, la suppression des contrôles fixes aux frontières, mais également, l'instauration de « contrôles volants » comme ceux exercés par les patrouilles mixtes prévues par l'accord de Tournai.

Il a rappelé que les préfets maritimes estimaient que des accords bilatéraux, à l'image de ceux qui existent avec les pays riverains de la Méditerranée, étaient plus efficaces en matière de sécurité des côtes qu'un éventuel corps, à créer, de garde-côtes. Il a approuvé les inquiétudes exprimées par ses collègues, s'agissant de la sécurité des frontières extérieures de la future Union européenne à 25, mais a précisé que le présent texte visait à réprimer des trafics qui sont à l'oeuvre à l'intérieur même de « l'espace Schengen ».

La commission a ensuite adopté le présent projet de loi .

PROJET DE LOI

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Tournai le 5 mars 2001 (ensemble un échange de lettres signées le 10 juin 2002 à Paris et à Bruxelles), et dont le texte est annexé à la présente loi. 2 ( * )

* 1 Cependant, le Gouvernement français maintient toujours des contrôles fixes à cette frontière du fait des nombreux trafics qui l'affectent.

* 2 Voir le texte annexé au document Assemblée nationale n° 756 (XII e législature).

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