B. L'ACTUELLE PROPOSITION " BOLKESTEIN "

La Commission européenne a présenté le 30 mai 2000, à la suite du sommet de Lisbonne demandant une accélération de la libéralisation, la proposition de révision de la directive postale dont votre commission est saisie.

Rappelons tout d'abord qu'en application de son article 27, la directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 deviendra caduque au 1 er janvier 2005, sauf si une nouvelle directive postale entre en vigueur au plus tard le 1 er janvier 2003. En cas de caducité, la Commission européenne pourrait imposer, unilatéralement, de nouvelles règles, par l'édiction d'une directive de la Commission, adoptée sur le fondement de l'article 86 (ex-90) du Traité instituant la Communauté européenne, qui permet à cette dernière de prendre les mesures nécessaires pour que les entreprises publiques, ou détenant un monopole ou des droits exclusifs, ne portent pas atteinte au bon fonctionnement de la concurrence sur le marché intérieur.

L'adoption d'une nouvelle directive, par le Parlement et le Conseil, dans le cadre de la révision de la directive du 15 décembre 1997, est donc souhaitable.

1. Un abaissement du périmètre des " services réservés " et un échéancier de libéralisation future

La proposition de directive de la Commission européenne vise à modifier 6 articles de la directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 :

- l'article 2 sur les définitions terminologiques,

- l'article 7 sur les services réservés,

- l'article 9 sur les conditions d'accès au marché non réservé,

- l'article 12 sur les principes de tarification du service universel,

- l'article 19 sur le règlement des litiges,

- l'article 27 sur la durée d'application de la directive.

Sans préjudice de la liberté des Etats-membres à libéraliser plus rapidement leur marché, le dispositif proposé consiste à poursuivre l'ouverture à la concurrence en deux étapes.

La première, qui devrait entrer en vigueur le 1 er janvier 2003 , consisterait en un abaissement général des limites de poids et de prix actuelles pour les services qui peuvent continuer à être réservés (c'est-à-dire exercés sous monopole). Parallèlement, toutes les limites de poids et de prix seraient supprimées en ce qui concerne le courrier transfrontalier sortant et le courrier express. En outre, des " services spéciaux " seraient définis, qui ne pourraient entrer dans le périmètre des services réservés.

L'étape ultérieure, pour laquelle la décision devrait intervenir au 31 décembre 2005 au plus tard, prendrait effet au 1 er janvier 2007 ; il s'agirait d'une nouvelle restriction des droits exclusifs encore accordés aux prestataires du service universel, conservés dans la seule mesure où cela est strictement nécessaire au maintien du service universel. L'ampleur de cette nouvelle avancée devrait être déterminée par le Parlement européen et le Conseil le 31 décembre 2005 au plus tard, sur proposition de la Commission, présentée avant le 31 décembre 2004.

2. Une procédure de décision et un calendrier d'adoption qui dépendent également du Parlement européen

a) Un texte soumis à la procédure de la codécision

La proposition de directive est soumise à la procédure de la codécision , définie par l'article 251 12 ( * ) du Traité, qui fait largement intervenir, outre la Commission et le Conseil, le Parlement européen. Cette procédure est de durée très variable suivant qu'un accord se dégage ou non entre le Parlement et le Conseil :

LA PROCEDURE DE LA CODÉCISION

Extrait de l'article 251 (ex-article 189 B) du Traité instituant la Communauté européenne

(...)

2. La Commission présente une proposition au Parlement européen et au Conseil . Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée , après avis du Parlement européen:

-- s'il approuve tous les amendements figurant dans l'avis du Parlement européen, peut arrêter l'acte proposé ainsi amendé ;

-- si le Parlement européen ne propose aucun amendement, peut arrêter l'acte proposé;

-- dans les autres cas, arrête une position commune et la transmet au Parlement européen (...). Si, dans un délai de trois mois après cette transmission, le Parlement européen:

a) approuve la position commune ou ne s'est pas prononcé, l'acte concerné est réputé arrêté conformément à cette position commune;

b) rejette, à la majorité absolue des membres qui le composent, la position commune, l'acte proposé est réputé non adopté;

c) propose, à la majorité absolue des membres qui le composent, des amendements à la position commune, le texte ainsi amendé est transmis au Conseil et à la Commission, qui émet un avis sur ces amendements.

3. Si, dans un délai de trois mois après réception des amendements du Parlement européen, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée , approuve tous ces amendements, l'acte concerné est réputé arrêté sous la forme de la position commune ainsi amendée; toutefois, le Conseil statue à l'unanimité sur les amendements ayant fait l'objet d'un avis négatif de la Commission . Si le Conseil n'approuve pas tous les amendements, le président du Conseil, en accord avec le président du Parlement européen, convoque le comité de conciliation dans un délai de six semaines.

4. Le comité de conciliation , qui réunit les membres du Conseil ou leurs représentants et autant de représentants du Parlement européen, a pour mission d'aboutir à un accord sur un projet commun à la majorité qualifiée des membres du Conseil ou de leurs représentants et à la majorité des représentants du Parlement européen. La Commission participe aux travaux du comité de conciliation et prend toutes les initiatives nécessaires en vue de promouvoir un rapprochement des positions du Parlement européen et du Conseil. Pour s'acquitter de sa mission, le comité de conciliation examine la position commune sur la base des amendements proposés par le Parlement européen.

5. Si, dans un délai de six semaines après sa convocation, le comité de conciliation approuve un projet commun , le Parlement européen et le Conseil disposent chacun d'un délai de six semaines à compter de cette approbation pour arrêter l'acte concerné conformément au projet commun, à la majorité absolue des suffrages exprimés lorsqu'il s'agit du Parlement européen et à la majorité qualifiée lorsqu'il s'agit du Conseil. En l'absence d'approbation par l'une ou l'autre des deux institutions dans le délai visé, l'acte proposé est réputé non adopté.

6. Lorsque le comité de conciliation n'approuve pas de projet commun, l'acte proposé est réputé non adopté. (...)

b) Le calendrier probable de son adoption

Un premier échange de vues a eu lieu, au sein du Conseil des ministres, le 3 octobre dernier, sur la proposition de la Commission.

Le Parlement européen , dont la Commission de la politique régionale, des transports et du tourisme, saisie au fond, s'est prononcée le 22 novembre, sur le rapport du député Markus Ferber, devait initialement se prononcer en séance plénière le 11 décembre sur la proposition de la Commission . La Commission de l'industrie, la Commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission économique et monétaire se sont saisies pour avis de la proposition de révision de la directive postale.

De façon, il faut l'avouer, assez inattendue pour le Commissaire européen concerné, et en partie à l'initiative du député anglais Brian Simpson (PSE), alors que les propositions de son rapporteur, le député Markus Ferber (PPE, Allemagne), soutenaient globalement celles de la Commission européenne, la Commission de la politique régionale, des transports et du tourisme a adopté le 22 novembre une série d'amendements pour partie peu éloignés, dans leur inspiration, de la proposition de résolution soumise à l'examen de votre commission et demandant notamment :

- la suppression de la notion de services spéciaux ;

- la fixation de nouvelles limites de poids et de prix des services réservés à 150 grammes et quatre fois le tarif de base ;

- la suppression de l'étape de libéralisation de 2007 tout en demandant à la Commission européenne de présenter une évaluation de l'état du secteur postal avant le 31 décembre 2003 ;

- le report au 31 décembre 2004 de la date limite de transposition de la nouvelle directive ;

- la prise en compte des différences géographiques et du coût, variable, du service universel selon les configurations géographiques de chaque Etat membre ;

- la mise en valeur du principe d'adaptation du service universel aux évolutions technologiques.

Notons d'ailleurs que la position de la Commission de la politique régionale du Parlement européen a sensiblement infléchi la tonalité du discours de certains opposants français aux propositions Bolkestein. Alors que certaines prises de position étaient initialement très favorables au maintien pur et simple du statu quo et refusaient d'envisager toute libéralisation, même modérée, les rangs des tenants d'un compromis raisonnable -au rang desquels figurent de longue date votre rapporteur et les auteurs de la proposition de résolution- se sont brusquement étoffés. La Commission de la production et des échanges a ainsi amendé une proposition de résolution de la délégation de l'Union européenne de l'Assemblée nationale, lors de sa réunion du 29 novembre (les commissaires communistes s'abstenant), de telle sorte que la résolution adoptée sur le rapport du député François Brottes épouse trait pour trait la position de la Commission de la politique régionale du Parlement européen.

Dans l'hypothèse d'une séance plénière au Parlement européen le 11 décembre , le Conseil des ministres du 22 décembre pourrait alors éventuellement fixer, en cas de convergence de vues avec le Parlement européen, le texte de la future directive. En effet, si le Conseil, qui statuera à la majorité qualifiée, approuve les amendements figurant dans l'avis du Parlement européen, la directive sera arrêtée définitivement (le vote devra toutefois recueillir l'unanimité des membres du Conseil si la Commission européenne émet un avis négatif sur les amendements du Parlement). En cas de désaccord, une commission de conciliation entre le Conseil et le Parlement européen devra se réunir.

Mais d'après les dernières informations dont dispose votre rapporteur, la Conférence des Présidents du Parlement européen a repoussé à la mi-janvier - donc sous présidence suédoise du Conseil européen- l'examen en séance plénière de la proposition de directive, auquel cas le Conseil du 22 décembre ne pourrait établir qu'une position de nature politique, et non, juridiquement, adopter la directive en dégageant une éventuelle position commune.

La France exerçant la présidence de l'Union européenne, MM. Pierre Moscovici et Christian Pierret ont adressé, le 21 novembre dernier, à Mme Nicole Fontaine, Présidente du Parlement européen, une lettre lui demandant de bien vouloir examiner la possibilité de maintenir l'examen de la proposition de directive sur les services postaux lors de la session plénière de décembre.

Ce n'est donc que le 7 décembre, à l'issue de la Conférence des Présidents du Parlement européen, qu'il sera possible de savoir si la proposition est ou non inscrite à l'ordre du jour de la session de décembre.

3. Les chiffrages et estimations de la Commission des effets sur les opérateurs postaux

Rappelons tout d'abord que l'ouverture à la concurrence requise par la directive 97/67 est faible : d'après les informations communiquées à la commission spéciale du Sénat par le Gouvernement lors de la discussion de l'amendement précité de ce dernier à la loi d'aménagement du territoire, le courrier transporté par La Poste potentiellement soumis à la concurrence représentait 1,3 milliards de francs de chiffre d'affaires, soit 2,2% du total des envois postaux en 1998. Ce chiffrage est cohérent avec celui de la Commission européenne, qui considère que 3% des activités du courrier sont aujourd'hui soumises à la concurrence.

Il faut, bien sur, garder à l'esprit que La Poste exerce déjà, globalement, une part importante de son activité dans le secteur concurrentiel , ce qui s'explique notamment par le poids des services financiers dans son activité (près de 23 milliards de francs de chiffre d'affaires), ainsi que par celui de l'activité " colis " (13 milliards de francs).

Dans le cadre de la directive actuellement en vigueur, les services réservés représenteraient, d'après la Commission, 70% du chiffre d'affaire postal . Appliqué au chiffre d'affaire postal du groupe La Poste (67,5 milliards de francs en 1999), ce ratio amène à considérer que 47 milliards de francs de chiffre d'affaires postal sont aujourd'hui sous monopole, soit environ 47% du chiffre d'affaires total du groupe .

La Commission a estimé, dans le texte de l'exposé des motifs de la proposition de directive, l'impact des divers scénarios de libéralisation :

Secteur libéralisé

Part dans les recettes postales

Ratio appliqué à
La Poste 13 ( * )

courrier de 50 à 350 gr

16 %

10,8 milliards de francs

courrier de 100 à 350 gr

9 %

6,1 milliards de francs

transfrontière sortant

3 %

2 milliards de francs

express sous les limites actuelles

1 %

675 millions de francs

Au total, la Commission propose de faire passer le secteur réservé de 70 % à 50 % du chiffre d'affaire postal, chiffre qui, rapporté au chiffre d'affaire postal du groupe La Poste, fait ressortir une enveloppe d'environ 36 milliards de francs sous monopole. En définitive, si la proposition de la Commission était adoptée, le monopole porterait sur plus du tiers du chiffre d'affaires total.

Il s'agit, rappelons-le, d'une exposition à la concurrence, et non d'une amputation du chiffre d'affaires.

Même s'il est très difficile d'avoir de certitude statistique, s'agissant de projections portant sur des chiffres de 1998, on peut estimer que, dans le scénario où la position de la Commission de la politique régionale et des transports du Parlement européen et celle de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale était retenue, la mise en concurrence supplémentaire ne concernerait que moins de trois milliards de francs de chiffre d'affaires de La Poste.

Si le degré d'ouverture retenu était celui que proposent les auteurs de la proposition de résolution n° 89 et votre commission, la mise en concurrence supplémentaire porterait sur environ 4 milliards de francs de chiffre d'affaires, ramenant le secteur sous monopole à quelque 43 milliards de francs.

* 12 Nouvelle numérotation issue du Traité d'Amsterdam

* 13 Ces chiffres sont par nature théoriques, car obtenus en appliquant un ratio moyen calculé par la Commission européenne au chiffre d'affaires postal de La Poste.

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