Avis n° 121 (2022-2023) de Mme Muriel JOURDA et M. Philippe BONNECARRÈRE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 novembre 2022

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N° 121

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée
nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution,
pour
2023 ,

TOME II

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

Par Mme Muriel JOURDA et M. Philippe BONNECARRÈRE,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Les grands équilibres budgétaires de la mission « Immigration, asile et intégration » n'étant pas sensiblement modifiés par le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, en dépit d'une augmentation faciale des crédits , la commission des lois a, sur le rapport de Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère, émis un avis défavorable à l'adoption des crédits .

Le montant des crédits demandés sur cette mission et sur les deux programmes qu'elle comporte 1 ( * ) s'élève à 2,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) , soit des augmentations respectives de 34 % et de 6 % par rapport aux montants accordés l'année précédente. Près des deux tiers de ces crédits 2 ( * ) sont fléchés vers la politique de l'asile 3 ( * ) (1,27 Md€, 63 %), contre environ un quart sur le volet intégration (543 M€, 27 %) et un peu moins d'un dixième pour ce qui est de la maîtrise des flux migratoires, incluant la politique des visas et le dispositif de lutte contre l'immigration irrégulière (170 M€, 8,5 %). On note par ailleurs une augmentation des moyens attribués aux deux opérateurs rattachés à la mission, qui sont :

- l'Office français de protection des réfugiés et apatrides - OFPRA - dont le plafond d'emploi est relevé à 1 011 équivalents temps plein travaillés (+8 ETPT) et dont le budget progresse de 11 % (+10,2 M€ pour atteindre 103 M€) ;

- l'Office français de l'immigration et de l'intégration - OFII -, qui se voit quant à lui attribuer 9 ETPT supplémentaires (pour un total 1 196 ETP) et dont les crédits sont en hausse de 6 % (+16 M€ pour un total de 281 M€).

Cette progression apparente des crédits doit néanmoins être relativisée. Il s'agit en effet moins d'un renforcement global des moyens financiers attribués à la politique migratoire, que d'une agrégation d'augmentations ponctuelles et souvent imposées par des facteurs externes . La poursuite du financement d'engagements antérieurs, tels que le plan d'augmentation des capacités de rétention, la prise en charge des coûts supplémentaires engendrés par l'inflation 4 ( * ) ou encore le rattachement de crédits auparavant inscrits sur la mission « Plan de relance » 5 ( * ) expliquent ainsi une part essentielle des augmentations.

Si quelques éléments de satisfaction peuvent être relevés s'agissant de la politique de l'asile , avec une réduction du délai d'examen des demandes par l'OFPRA, force est de constater que les autres composantes de la politique migratoire demeurent défaillantes. La politique de lutte contre l'immigration irrégulière est ainsi toujours dans l'impasse , comme l'illustre la faiblesse persistante du taux d'exécution des mesures d'éloignement et du volume d'éloignements contraints réalisés.

Compte tenu de ces éléments, les rapporteurs ne peuvent que renouveler le constat établi chaque année quant au déficit de moyens dont souffre la politique migratoire : les augmentations de crédits relèvent davantage d'une stratégie de gestion que d'un véritable choix politique . Alors que la sortie de la crise sanitaire s'accompagne d'une reprise importante des flux d'immigration, régulière comme irrégulière, il est d'autant plus urgent de réformer en profondeur notre politique migratoire et de la doter, enfin, de moyens à la hauteur des enjeux.

I. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE : UNE POLITIQUE TOUJOURS DANS L'IMPASSE

A. FACE À LA REPRISE DES FLUX D'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE, UN BUDGET SOUS-DIMENSIONNÉ

La reprise des flux d'immigration irrégulière observée à partir de 2021 est désormais confirmée. S'il n'existe pas d'indicateur global fiable permettant d'évaluer ces flux, toutes les données indirectes traditionnellement utilisées se maintiennent à un niveau élevé . La pression migratoire aux frontières demeure forte, avec 124 777 mesures de non-admission prononcées en 2021, en augmentation de 58,9 % par rapport à l'année précédente. Pour ce qui est des personnes en situation irrégulière sur le territoire, le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) poursuit sa progression avec 376 108 personnes au 30 septembre 2021 (+2 % par rapport à l'année précédente et +16 % par rapport à 2015), tandis que le nombre d'étrangers interpellés en situation irrégulière a retrouvé son niveau pré-pandémique (120 898 en 2021 6 ( * ) et 57 443 au premier semestre 2022). Par ailleurs, le ministre de l'intérieur a estimé « entre 600 000 et 900 000 » le nombre de personnes présentes irrégulièrement sur le territoire national au cours de son audition au Sénat.

Cette intensification de la pression migratoire se vérifie également à l'échelle de l'Union européenne (UE), avec une augmentation de 60 % des franchissements irréguliers des frontières extérieures en 2021 (199 900). Malgré cette urgence, les négociations entre les États membres sur le projet de pacte sur la migration et l'asile sont toujours laborieuses . Si quelques évolutions ont été observées pendant la présidence française du Conseil de l'UE, en particulier l'adoption de mandats de négociation sur le règlement filtrage et la refonte de la base Eurodac, la perspective de voir ce processus aboutir à moyen terme est extrêmement mince.

Dans ce contexte, les rapporteurs estiment que le budget dédié à la lutte contre l'immigration irrégulière est, une nouvelle fois, sous-dimensionné . Si les crédits de l'action « Lutte contre l'immigration irrégulière » sont en augmentation de 31,7 % en AE et de 17,8 % en CP, cette progression est en trompe-l'oeil . Le volume des crédits représente, d'une part, une fraction marginale de la mission 7 ( * ) et, d'autre part, la hausse observée s'explique pour l'essentiel par la poursuite du programme pluriannuel de construction et de réhabilitation des centres et des locaux de rétention administrative (CRA/LRA).

Si le renforcement de la dotation du ministère de l'intérieur à hauteur de 15 Mds€ d'ici à 2027 prévu par la loi d'orientation et de programmation récemment adoptée par le Sénat va dans le bon sens, ses effets sur la sécurisation des frontières sont délicats à évaluer à ce stade . La généralisation du recours à des agents administratifs de la PAF ou à des contractuels pour exercer les fonctions d'assistant de contrôle aux frontières pourrait notamment être une piste intéressante mais supposera, au préalable, une évaluation des expérimentations en cours 8 ( * ) .

B. LA POURSUITE DE LA HAUSSE DES CAPACITÉS DE RÉTENTION

Les coûts de fonctionnement et de maintenance du parc de rétention, ainsi que les projets d'extension ou de création en cours, représentent toujours une majeure partie du budget de l'action « Lutte contre l'immigration irrégulière ». 169,5 M€ sont inscrits dans le PLF pour 2023 à ce titre, en augmentation de 18 % par rapport à l'exercice précédent.

Le plan d'investissement se poursuit et la capacité d'accueil des 26 CRA augmente progressivement : 1 719 places en 2021, 1 859 en 2022 et 1 961 programmées pour fin 2023 en France métropolitaine. En métropole, 102 nouvelles places sont attendues pour 2023, avec l'ouverture du CRA d'Olivet (90 places) et l'extension du CRA de Perpignan (12 places) 9 ( * ) .

On note néanmoins que le rythme effectif de cette augmentation se situe en-deçà des ambitions affichées l'an passé, puisque le précédent objectif était de 2 099 places pour la fin 2023. Cela s'explique notamment par le report de la livraison du CRA de Bordeaux (140 places) de 2023 à 2024. Le constat établi l'an passé par les rapporteurs, qui voyaient dans cette progression « un ajustement minimum », est ainsi toujours d'actualité .

C. MALGRÉ UN CONTEXTE PLUS FAVORABLE, UNE POLITIQUE D'ÉLOIGNEMENT TOUJOURS AUSSI PEU EFFICIENTE

Les rapporteurs déplorent qu'aucune avancée notable ne puisse être relevée dans l'exécution des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des personnes en situation irrégulière . Les principaux indicateurs connaissent en effet sur la période récente des progressions anecdotiques compte tenu du volume de mesures d'éloignement prononcées . Le total des éloignements forcés exécutés se porte ainsi à 10 091 en 2021 contre 9 111 l'année précédente 10 ( * ) , tandis que le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) demeure dérisoire (6,9 % au premier semestre 2022).

Source : Commission des lois à partir des données transmises par le ministère de l'intérieur.

Si l'on peut admettre, comme l'a indiqué le ministre de l'intérieur au cours de son audition, que ce dernier indicateur doive être relativisé du fait d'un décalage temporel entre l'émission des OQTF et leur exécution, du nombre de recours ou de la possibilité que certaines OQTF soient exécutées spontanément sans que les services de l'État en soient avisés, cela ne remet pas en cause le constat général d'une politique foncièrement en échec . Le seul fait que le taux d'exécution ait été par le passé plus de trois fois supérieur à celui d'aujourd'hui démontre la limite de cette analyse. Les retours spontanés enregistrés étant particulièrement faibles (1 259 en 2020 11 ( * ) ), il convient par ailleurs, sauf à faire preuve de naïveté, de ne pas surestimer le volume de ceux d'entre eux dont les services de l'État ne sont pas informés.

La situation est d'autant plus préoccupante que les difficultés conjoncturelles liées aux protocoles sanitaires des États d'origine tendent à s'estomper avec le reflux de l'épidémie de Covid-19, et ce sans retrouver des résultats comparables à ceux de 2019, pourtant déjà très insuffisants . Cette année-là, le nombre d'éloignement forcés exécutés (18 906) était ainsi proche du double de celui d'aujourd'hui.

Il est vrai que des obstacles structurels à l'éloignement, notamment documentés par le dernier rapport d'information de la commission des lois intitulé « Services de l'État et immigration : retrouver sens et efficacité », persistent. Les principaux sont les difficultés à identifier les personnes en situation irrégulière interpellées, à obtenir la délivrance de laissez-passer consulaires par les pays d'origine dans des délais utiles (53,7 % en 2021, en diminution de 13,4 % par rapport à 2019), la judiciarisation accrue du processus d'éloignement et la saturation du parc de rétention. Sur ce dernier point, le taux d'occupation moyen demeure insuffisant (80,7 % au premier semestre 2022) 12 ( * ) et le taux d'éloignement des étrangers retenus stagne toujours sous le seuil des 50 % (44,7 % au premier semestre 2022).

Pour autant, l'amélioration récente de la situation vis-à-vis des pays du Maghreb démontre que des solutions existent . Les restrictions de visas décidées en 2021 combinées à un intense dialogue diplomatique ont produit des résultats en termes de délivrance de laissez-passer consulaires et de retours. Les volumes restent très modestes mais la dynamique est significative : le nombre de retours forcés vers l'Algérie a été multiplié par 16 en un moins d'un an (34 en 2021 contre 557 au 13 octobre 2022) 13 ( * ) .

Les rapporteurs considèrent que cet exemple démontre l'efficacité des restrictions de visas, défendues de longue date par le Sénat, et plaident pour un recours accru à ce levier . Ils partagent par ailleurs pleinement les recommandations établies par le rapport d'information précité pour lever les obstacles structurels à l'éloignement.

Les retours aidés sont quant à eux stables mais encore loin de leur niveau pré-pandémie : 4 678 personnes sont retournées dans leur pays d'origine en 2021 avec une aide de l'OFII contre 10 678 en 2018. On notera que le dynamisme de ces retours est étroitement lié aux performances de la politique de retours forcés. Comme l'a indiqué le directeur général de l'OFII pendant son audition, « le retour volontaire est bien plus crédible lorsque le retour contraint l'est ».

II. L'EXERCICE DU DROIT D'ASILE : DES SIGNES D'AMÉLIORATION QUI DEMEURENT FRAGILES

A. UNE DIMINUTION RÉCENTE DES DÉLAIS D'EXAMEN DES DEMANDES D'ASILE

a) Les délais d'examen des demandes d'asile par l'OFPRA : des progrès encore à confirmer

Si la crise sanitaire avait temporairement freiné la croissance du nombre de demandeurs d'asile, cette parenthèse est désormais refermée. Lors de son audition par les rapporteurs, le directeur général de l'OFPRA a ainsi évoqué un « retour lent mais inéluctable » aux niveaux de demandes observés avant la pandémie de Covid-19 . L'office a enregistré 91 454 demandes sur les neufs premiers mois de l'année 2022 14 ( * ) , soit 88,6 % du nombre de demandes comptabilisées sur la totalité de l'exercice précédent (103 164). Cette reprise s'accélère nettement sur les derniers mois : la barre des 10 000 dossiers mensuels a été franchie au début de l'automne et le niveau observé actuellement est proche des 11 000 dossiers. In fine , le nombre de demandes devrait s'établir à environ 120 000 en fin d'année, soit un niveau comparable à celui de 2018, et la projection pour 2023 est de 135 300 demandes, proche du pic de 2019 (132 826) . La répartition des demandes par nationalités et le taux de protection (28,4 % au 30 septembre 2022) sont quant à eux stables. L'Afghanistan reste le premier pays d'origine avec 12 475 premières demandes enregistrées en 2021, suivie par la Côte d'Ivoire (5 298) et le Bangladesh (5 122).

Malgré cette reprise, des améliorations nettes sont à relever en matière de délais de traitement des demandes par l'OFPRA. Alors qu'il avait dans un premier temps été retardé par la crise sanitaire, l'effet du renforcement des moyens de l'office décidé en 2020 est désormais évident . L'attribution de 200 ETPT supplémentaires a permis à l'OFPRA de rendre un nombre inédit de 140 000 décisions en 2021 (+16 % par rapport à 2019). Le stock de dossiers pendants, qui s'était porté 84 655 en fin d'année 2020, est désormais légèrement supérieur à 40 000, proche de son niveau incompressible estimé à 30 000. La structure de ce stock a également été assainie, puisque la priorisation des dossiers les plus anciens a permis de ramener son âge moyen à 3,5 mois 15 ( * ) . Surtout, le délai de traitement moyen est à son plus bas niveau décennal : il était de 148 jours au 30 septembre 2022, contre 261 jours fin 2021 ( cf. graphique infra ). Comme l'a indiqué le ministre de l'intérieur pendant son audition, la France est actuellement au premier rang des pays européens en termes de décisions rendues 16 ( * ) .

Ces progrès doivent être appréciés à leur juste valeur, ils sont néanmoins encore fragiles et tendent, par certains aspects, à plafonner. La dynamique est moins nette depuis l'automne, ce qui est symbolisé par un léger recul de huit jours du délai de traitement sur le mois de septembre 17 ( * ) . De fait, deux facteurs structurels limitent toujours les capacités décisionnelles de l'OFPRA :

- un taux de rotation important des officiers de protection instructeurs (OPI) : celui-ci était de 14 % en septembre 2022 et devrait se porter à au moins 18 % en fin d'année. À cet égard, la convergence des salaires entre les personnels titulaires et contractuels doit représenter une priorité ;

- la rémanence du Covid-19 : les récents soubresauts de l'épidémie se sont traduits par plus de 500 isolements d'OPI en 2022. Or, le travail à distance est difficilement compatible avec la nature même de leur activité.

Dans ce contexte, les rapporteurs demeurent prudents quant à la possibilité d'atteindre courant 2023 l'objectif d'un délai moyen d'examen des demandes par l'OFPRA de 60 jours 18 ( * ) . Si le ministère de l'intérieur estime ce scénario envisageable 19 ( * ) , sa réalisation suppose une conjonction d'éléments favorables et parfois exogènes, notamment l'évolution de la demande d'asile et l'amélioration de la situation sanitaire. La priorité immédiate est donc d'achever la résorption du stock de dossiers, de manière à pouvoir traiter les nouvelles demandes « en flux ».

Par ailleurs, la réduction du délai de traitement soumet paradoxalement l'OFPRA à des difficultés dans le second volet de son activité, relatif à la délivrance de documents d'état civil . L'augmentation mécanique du volume de personnes protégées a placé les services compétents sous tension et s'est traduite par une augmentation sensible des délais de délivrance, qui sont aujourd'hui de huit mois. Si l'attribution de 8 ETPT supplémentaires en PLF 2023 fléchés vers l'activité d'état civil va dans le bon sens, les rapporteurs seront néanmoins extrêmement vigilants quant à l'évolution de la situation.

b) La CNDA, maillon faible de la chaîne de traitement des demandes d'asile

La capacité de la CNDA à respecter à moyen terme les objectifs qui lui ont été fixés 20 ( * ) suscite de plus importantes interrogations de la part des rapporteurs. Il est vrai que la Cour doit juger un nombre croissant de recours - un nombre de saisines similaire au pic de 2021 (68 243) est attendu en 2022 - et que des signaux positifs sont à relever . La CNDA parvient notamment depuis 2021 à rendre annuellement autant de décisions qu'elle enregistre de recours, ce qui stabilise mécaniquement le stock de dossiers (32 196 au premier semestre 2022).

Pour autant, ces résultats sont encore largement perfectibles . Avec 188 jours, le délai moyen de jugement constaté est encore très supérieur à la cible, tout comme les délais en procédure normale (189 jours) et en procédure accélérée (141 jours). De plus, ces indicateurs sont extrêmement fluctuants du fait de la récurrence de mouvements de grève de la part des avocats à la Cour . La juridiction a ainsi dû dernièrement composer avec une grève s'étalant entre octobre 2021 et mai 2022, laquelle a entraîné le report du jugement de 10 000 recours.

* Au 30 septembre 2022.

Source : Commission des lois à partir des données transmises par le ministère de l'intérieur.

Aussi préoccupante qu'elle soit, cette situation ne saurait obérer le fait que la Cour a bénéficié de fortes augmentations de moyens depuis 2018 21 ( * ) et que ces dernières doivent lui permettre de diminuer le stock de dossiers en instance pour, enfin, se rapprocher des objectifs qui lui ont été assignés . De même, les rapporteurs ne peuvent se satisfaire du nombre très restreint de vidéo audiences tenues par la Cour (16 à Lyon au premier semestre 2022 et 12 à Nancy), alors même que cet outil réduit considérablement les contraintes organisationnelles qui s'imposent à elle et pourrait contribuer au renforcement de son activité décisionnelle.

B. UNE ÉVOLUTION MARGINALE DES CONDITIONS MATÉRIELLES D'ACCUEIL

a) Une diminution de la dotation prévue pour l'ADA qui pose question

La dotation inscrite au PLF pour 2023 au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) connaît une diminution de plus d'un tiers (-36 % pour se porter à 314,7 M€, contre 491 M€ sur l'exercice précédent). Le ministère de l'intérieur justifie cette diminution par deux éléments. Si l'on exclut les bénéficiaires de la protection temporaire, le montant inscrit est, d'une part, similaire aux prévisions de dépenses exécutées en fin d'année 2022 22 ( * ) et qui, si elles se vérifiaient, conduiraient à une sous-exécution des crédits autorisés en loi de finances (LFI) pour 2022. D'autre part, la poursuite de l'amélioration du délai de traitement des demandes d'asile en 2023 limiterait mécaniquement le nombre de bénéficiaires de cette allocation.

Outre le fait que l'on peut s'interroger sur la pertinence du choix d'exclure les bénéficiaires de la protection temporaire du calcul, ce scénario semble résolument optimiste : d'une part la demande d'asile devrait encore augmenter significativement en 2023, comme en atteste le scénario de référence de 135 300 demandes utilisé pour la budgétisation ; d'autre part, la dynamique d'amélioration des délais de traitement de l'OFPRA tend à plafonner. Une attention particulière sera dès lors portée par les rapporteurs aux prochaines évolutions de ce poste de dépense particulièrement volatil.

Les conséquences du conflit en Ukraine

Le déclenchement de l'offensive russe en Ukraine en février dernier a lourdement affecté l'activité de l'ensemble des acteurs de la politique migratoire . Ce sont ainsi près de 109 000 personnes déplacées qui sont arrivées en France depuis cette date et qui ont bénéficié du mécanisme de protection temporaire prévu par la directive 2001/55/CE du 10 juillet 2010 et activé pour la première fois par l'Union européenne le 4 mars. Le ministère de l'intérieur estime que ce chiffre devrait dépasser les 130 000 dans le milieu de l'année 2023. De manière générale, ce dispositif a rempli son rôle en permettant, d'une part, une prise en charge rapide et effective des déplacés et en évitant, d'autre part, une embolie de la chaîne de l'asile . L'OFPRA n'est ainsi que très marginalement affecté par les conséquences du conflit, dans la mesure où la protection temporaire est octroyée par les préfectures au terme d'un examen resserré.

La protection temporaire ouvre notamment le droit au versement de l'ADA, à un hébergement et à un accompagnement social. Le coût estimé total pour l'année 2022 est de 579 M€ 23 ( * ) pour ce qui est de la mission « Immigration, Asile et Intégration ». Pour l'année 2022, le financement a reposé principalement sur un abondement de 300 M€ via le décret d'avance du 7 avril, et sur des économies réalisées en gestion. Le coût prévisionnel pour 2023 est estimé à 706,3 M€ par le ministère de l'intérieur. Ce dernier a néanmoins fait le choix de ne pas inscrire ces crédits au PLF en raison des incertitudes sur l'évolution du conflit et de la difficulté à établir une prévision sincère qui en résulte.

b) Un dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile sous tension

Le développement capacitaire du parc d'hébergement du dispositif national d'accueil a connu un coup d'arrêt en 2022 . Alors que la LFI pour 2022 prévoyait la mobilisation d'une provision exceptionnelle de 20 M€, initialement destinée à couvrir un éventuel dépassement de l'ADA, pour financer 4 900 places d'hébergement supplémentaires, ces crédits ont finalement été utilisés pour financer l'accueil des déplacés ukrainiens. Les créations de place ont été reportées à 2023, conférant de fait un caractère « d'année blanche » à 2022 .

Les 4 900 places supplémentaires reportées sur l'année 2023 se décomposent en 2 500 places en centre d'accueil pour demandeur d'asile (CADA), en 900 places d'hébergement d'urgence en Outre-mer (HUDA) et en 1 500 places en centre d'accueil et d'examen des situations (CAES) 24 ( * ) . Par ailleurs, 2 194 places d'hébergement financées par le plan de relance jusqu'au 31 décembre 2022 seront rattachées à la mission « Immigration, asile et intégration » sur l'exercice 2023. Au total, 1,47 Mds€ en AE et 839 M€ en CP sont demandés au titre de l'action n° 2 du programme 303 pour le financement du parc d'hébergement en 2023 (contre respectivement 826 M€ et 741 M€ l'année précédente) et le parc devrait atteindre 108 800 places en fin d'année 25 ( * ) . Cette forte augmentation s'explique à la fois par la revalorisation salariale des intervenants sociaux dans les dispositifs 26 ( * ) et par la prise en compte des coûts supplémentaires liés à l'inflation 27 ( * ) .

Évolution des places disponibles dans le dispositif national d'accueil
et dans les CPH

2017

2018

2019

2020

2021

2022

CADA

40 406

42 452

43 602

43 602

46 632

46 632

HUDA

39 749

41 154

51 826

51 826

52 160

52 160

CAES

0

2 986

3 136

3 136

5 122

5 122

CPH

2 207

5 207

8 710

8 710

9 118

9 918

Total

82 362

91 799

107 274

107 274

113 032

113 832

Source : Ministère de l'intérieur

Au-delà de la question capacitaire, les performances en matière d'hébergement sont encore en-deçà des attentes. La part des demandeurs d'asile hébergés progresse à un rythme lent depuis 2016 (48 % en 2016, 52 % en 2020 et 58 % en 2021) et demeure modeste . L'objectif de 90 % à horizon 2023 fixé par le PAP pour 2021 a même été progressivement rabaissé pour désormais s'établir à 70 % cette année. Si une partie des difficultés peut s'expliquer par le renforcement des capacités décisionnelles de l'OFPRA, qui augmente mécaniquement le taux d'occupation indue du fait du maintien de réfugiés dans leur hébergement, il n'en demeure pas moins que d'importantes marges de progrès subsistent .

III. IMMIGRATION RÉGULIÈRE ET INTÉGRATION : UN RENFORCEMENT DES MOYENS ENCORE INSUFFISANT

La gestion de l'immigration régulière et le financement des actions d'intégration reposent sur les crédits du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité ». Ceux-ci représentent 534 M€, soit une augmentation de 24,3 % par rapport à 2022 . Cette hausse résulte, pour l'essentiel, du renouvellement des marchés de formations civique et linguistique du contrat d'intégration républicaine (CIR), du déploiement du programme d'accompagnement global et individualisé pour l'intégration des réfugiés (AGIR, cf. Infra ) 28 ( * ) et de la création de 1 000 places supplémentaires en centre provisoire d'hébergement 29 ( * )

A. UN DYNAMISME DES FLUX D'IMMIGRATION RÉGULIÈRE QUI SOUMET LES SERVICES DES ÉTRANGERS EN PRÉFECTURE À DE GRANDES DIFFICULTÉS

a) Une immigration régulière qui a retrouvé son niveau
pré-pandémique

Après une relative accalmie en 2020 en raison de la crise sanitaire, l'activité de délivrance et de renouvellement des titres de séjour des services des étrangers en préfecture a retrouvé un niveau élevé . Sur l'année 2021, ces derniers ont ainsi procédé à 270 925 primo-délivrances de titres (+21,4 %), soit un volume analogue au pic observé en 2019 (277 466). La répartition par motifs d'admission est stable : près des deux tiers des documents de séjour sont délivrés au titre de l'immigration familiale (32 %) et étudiante (32 %), contre respectivement 15 % et 14,5 % pour des motifs humanitaires ou économiques. Ces augmentations se répercutent directement sur le stock de titres valides, qui franchit chaque année un nouveau palier . Ledit stock se portait à 3 569 298 fin 2021, soit une progression de 500 000 titres en l'espace de 4 ans 30 ( * ) .

L'admission exceptionnelle au séjour participe également de cette dynamique avec 31 576 titres de séjour délivrés dans ce cadre en 2021 (contre 27 416 en 2020). Considérant que la progression continue du recours à ce dispositif renforce d'autant les incitations à l'immigration clandestine, les rapporteurs plaident à nouveau en faveur d'un durcissement des critères actuellement définis par la circulaire dite « Valls » du 28 novembre 2012. Celui-ci pourrait, a minima , se traduire par le fait qu'une résidence depuis au moins cinq ans sur le territoire français ne puisse justifier, à elle seule, l'admission exceptionnelle au séjour, ainsi que la commission des lois l'avait proposé.

b) Des services préfectoraux insuffisamment dotés face au dynamisme de la demande de titres

Les importantes difficultés rencontrées par les services des étrangers en préfecture pour répondre aux demandes de titres de séjour dans des délais raisonnables ont récemment fait l'objet de nombreux travaux. Le rapport d'information de mai 2022 précité intitulé « Services de l'État et immigration : retrouver sens et efficacité » illustre notamment cette saturation. Le délai moyen de traitement des demandes de titre s'est encore dégradé depuis lors, en raison de l'accaparement des services par l'accueil des personnes ukrainiennes. Selon les données communiquées par le directeur général des étrangers en France au cours de son audition, il est de 117 jours actuellement pour les primo-demandes (contre 99 jours en 2022) - bien supérieur à l'objectif de 90 jours que s'est fixé le ministère de l'intérieur - et de 77 jours pour les renouvellements (contre 65 jours en 2022) .

Au-delà des délais de traitement, les conditions d'accueil des étrangers se sont dégradées . Les difficultés d'accès au guichet, qui n'ont trouvé qu'une solution partielle avec la dématérialisation des démarches, en sont la manifestation la plus évidente. Cette situation a entraîné le développement d'un « contentieux ubuesque » d'accès au guichet, qui se matérialise par la démultiplication de référés dits « mesures utiles » intentés devant le juge administratif afin qu'il enjoigne l'administration à délivrer un rendez-vous.

Les rapporteurs reconnaissent les efforts consentis pour renforcer les moyens humains dans les services des étrangers , que ce soit par le recrutement de vacataires pour venir soutenir les services à hauteur de 190 ETPT par an sur la période 2023-2027 ou par l'attribution de moyens supplémentaires dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur 31 ( * ) . Ils considèrent néanmoins que ces renforts sont d'une envergure trop limitée compte tenu de l'ampleur des difficultés. Dans ce contexte, ils s'associent pleinement aux recommandations figurant dans le rapport d'information précité pour simplifier les procédures d'instruction et achever la transition vers un traitement dématérialisé des demandes de titres.

B. UN DISPOSITIF D'INTÉGRATION QUI DOIT ENCORE ÊTRE CONSOLIDÉ

Avec le renouvellement des marchés conclus dans le cadre du contrat d'intégration républicaine par l'OFII, 2022 est une année charnière pour le dispositif . À cette occasion, celui-ci a été renforcé dans ses trois dimensions :

- linguistique : ainsi que l'a indiqué le directeur général de l'OFII au cours de son audition, le point le plus notable est le recours à des prestataires extérieurs spécialisés pour l'évaluation initiale du besoin en langue, de manière à orienter l'intéressé vers le parcours le plus adéquat. Cette évolution parachève le processus de professionnalisation qui avait débuté avec celle des enseignants ;

- civique : on peut citer le renforcement des conditions de diplômes pour les interprètes ou la pérennisation de la possibilité d'effectuer à distance le début de la formation civique 32 ( * ) ;

- professionnelle : l'accord-cadre signé en mars 2021 entre l'OFII et les acteurs du service public de l'emploi devrait faciliter à terme l'accès à l'emploi des primo-arrivants. Des travaux pour l'automatisation des échanges de données entre les différentes parties ont par exemple été engagés, tandis que l'implication des acteurs du service public de l'emploi dans la formation civique devrait aller croissante.

Après un ralentissement provoqué par la crise sanitaire, le nombre de CIR signés semble toutefois plafonner à un niveau proche de celui de 2019. Le récent déploiement du CIR à Mayotte à partir du 1 er janvier 2022 s'est lui traduit par un volume de contrat encore relativement modeste (1 376 au 31 août 2022). Il est de ce fait toujours délicat de faire le bilan de la dernière version de cet outil. Dans ce contexte, les rapporteurs suivront avec une attention particulière les éventuelles évolutions des résultats qui interviendraient à la suite du renouvellement des marchés.

Nombre de CIR conclus

2018

2019

2020

2021

2022*

97 957

107 574

78 877

108 909

53 187

* Au 30 juin 2022. Source : OFII.

L'année 2022 a également vu la mise en place du programme AGIR, qui vise à la création d'un guichet unique pour l'accompagnement vers l'emploi et le logement des bénéficiaires de la protection internationale , lequel serait assuré par un opérateur désigné à cette fin. Concrètement, l'orientation vers le dispositif serait décidée par l'OFII lors de la signature du CIR ou à la suite du bilan de fin de CIR. Piloté par les préfets des départements, le déploiement du programme s'effectuera progressivement entre 2022 et 2024 : 27 départements sont concernés en 2022 et le programme devrait être étendu à 25 départements supplémentaires en 2023, pour un coût total estimé de 82 M€ sur ces deux exercices. L'objectif pour 2023 est d'atteindre des taux de sortie en logement pérenne ou en emploi des bénéficiaires de 60 %.

Dans ce contexte, l'augmentation de 6 % des moyens budgétaires alloués à l'OFII va dans le bon sens, d'autant que son périmètre d'intervention continue inexorablement à s'étendre, comme en atteste la généralisation progressive du rendez-vous santé aux réfugiés et aux signataires du CIR (pour laquelle 9 ETPT supplémentaire sont attribués à l'opérateur). Bien qu'en diminution, le taux de rotation des effectifs demeure à un niveau très important, proche des 33 %, et appelle à la vigilance .

*

Si des éléments de satisfaction doivent être relevés s'agissant de l'asile, les autres composantes de la politique migratoire sont toujours en échec. En particulier, la politique de lutte contre l'immigration irrégulière est dans l'impasse, avec des flux d'entrées irrégulières qui ont retrouvé leur niveau pré-pandémique et un volume d'éloignements forcés exécutés minime.

Dans ces circonstances, le PLF pour 2023 tel qu'il a été transmis par l'Assemblée nationale après l'engagement de la responsabilité du Gouvernement apparaît une nouvelle fois sous-dimensionné. Lorsqu'elles ne s'expliquent pas par l'usage d'artifices budgétaires, les hausses de crédits sont en réalité dictées par les évolutions des flux migratoires et du contexte économique plutôt que par un véritable choix politique. Dans cette perspective, les échéances parlementaires à venir que constituent le débat du 13 décembre prochain relatif à la politique de l'immigration et l'examen d'un texte législatif sur le sujet devront être mises à profit pour définir une nouvelle stratégie migratoire réellement cohérente et efficace, autour des propositions déjà formulées par la commission des lois.

*

* *

La commission des lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits au projet de loi de finances pour 2023.

Cet avis sera examiné en séance publique le 1 er décembre 2022.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 9 NOVEMBRE 2022

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » . - Nous examinons les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Je suis corapporteur de ces crédits avec Philippe Bonnecarrère qui ne peut être présent avec nous aujourd'hui mais qui a été pleinement associé aux travaux.

Je voudrais débuter mon propos en vous donnant quelques ordres de grandeur. La mission « Immigration, asile et intégration » représente un volume total de crédits d'environ 2 milliards d'euros et est composée de deux programmes : les programmes 104 « Intégration et accès à la nationalité française » et 303 « Immigration et asile ». Ces intitulés résument finalement bien les trois composantes de cette politique publique : l'asile, qui représente près de 66 % des crédits ; l'intégration, qui pèse pour environ 25 % du montant ; la lutte contre l'immigration irrégulière qui, avec 170 millions d'euros seulement ne constitue même pas le dixième de l'ensemble, 8,5 % pour être précise.

Pour le projet de loi de finances pour 2023, le montant des crédits demandés s'élève à 2,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 2 milliards d'euros en crédits de paiement, soit des augmentations respectives de 34 % et de 6 % par rapport à 2022. Les moyens des deux opérateurs rattachés à la mission sont également renforcés : pour le volet asile, l'OFPRA bénéficie de 8 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires et voit son budget progresser de 11 % pour dépasser pour la première fois les 100 millions d'euros - 103 exactement -, tandis que l'OFII gagne 9 ETP et voit sa dotation grimper de 6 points à hauteur de 281 millions d'euros.

Ces hausses peuvent paraître importantes de prime abord, mais elles doivent en réalité être relativisées, en raison notamment de la reprise des flux migratoires après la période de covid-19.

Après cette brève introduction, il est temps de rentrer dans le détail de chacun des trois volets de la mission.

Le premier de ces volets est la lutte contre l'immigration irrégulière. Il est d'autant plus important cette année qu'il est désormais confirmé que les flux d'immigration clandestine ont retrouvé leur niveau pré-pandémique. Vous le savez, il n'existe pas d'indicateur direct global pour illustrer ce phénomène, mais toutes les données indirectes recueillies vont dans le sens d'un rattrapage après le bref répit survenu avec la covid-19. La pression aux frontières est d'abord redevenue forte, avec 125 000 mesures de non-admissions, en hausse de 59 % par rapport à 2020. Pour ce qui est des personnes déjà présentes irrégulièrement sur le territoire, le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat dépassait les 375 000 au 30 septembre 2021, soit une progression de 2 %, tandis que plus de 120 000 personnes dans cette situation ont été interpellées l'an dernier. Le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, a également évoqué au cours de son audition un nombre de 600 000 à 900 000 clandestins.

Dans ce contexte, le budget alloué à la lutte contre l'immigration irrégulière est, une nouvelle fois, sous-dimensionné.

La capacité d'accueil des 26 centres de rétention administrative (CRA) continue à croître. Elle devrait se porter à 1 859 places fin 2022 et 1 961 fin 2023. On note néanmoins que le rythme effectif de cette augmentation est inférieur aux ambitions affichées l'an passé, puisque le précédent objectif était de 2 099 places fin 2023. Cela s'explique notamment par le report d'une année de la livraison du CRA de Bordeaux. In fine , le constat de l'an passé subsiste : il s'agit d'un « ajustement minimum » de la capacité de rétention, qui reste très en-deçà des besoins.

Les conclusions ne sont pas différentes en matière de retours forcés, puisqu'aucune avancée notable ne peut être relevée dans l'exécution des mesures d'éloignement depuis l'an dernier. Le bilan n'est pas excellent. En volume, le total des éloignements contraints exécutés se porte à 10 091 en 2021 contre 9 111 l'année précédente. En pourcentage, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est toujours aussi faible : 6,8 % au premier semestre 2022 avec 65 000 OQTF émises pour 4 500 exécutées.

Le ministre de l'intérieur a remis en cause la pertinence de cet indicateur au cours de son audition. Je peux le rejoindre sur le fait qu'il doive être relativisé en raison d'un décalage temporel entre l'émission des OQTF et leur exécution ou de la possibilité que certaines OQTF soient exécutées spontanément sans que les services de l'État en soient avisés. Mais cela ne change rien au constat général d'une politique foncièrement en échec. Pour rappel, le taux d'exécution en 2012 était encore de 22 %... On pourrait donc avoir une meilleure exécution qu'actuellement. Quant aux retours spontanés, le ministère de l'intérieur lui-même en comptabilisait 1 260 en 2020. Il serait bien naïf de croire que le nombre de ceux qui échappent à sa vigilance puisse être beaucoup plus important...

La situation est d'autant plus préoccupante que les difficultés conjoncturelles liées à la covid-19 tendent à s'estomper avec le reflux de l'épidémie, et ce sans retrouver des résultats comparables à ceux de 2019, pourtant déjà très insuffisants.

Il est vrai que des obstacles structurels à l'éloignement persistent. Le président François-Noël Buffet a en a recensé quatre dans son dernier rapport d'information sur le sujet : les difficultés à identifier les personnes en situation irrégulière interpellées ; l'obtention des laissez-passer consulaires dans des délais utiles, à peine plus d'un sur deux en ayant été obtenu dans les délais en 2021 ; la judiciarisation accrue du processus d'éloignement ; la saturation du parc de rétention.

Car les solutions existent. À titre d'exemple, la restriction des visas vis-à-vis des pays du Maghreb, visas délivrés en échange de retours dans ces pays, a produit des résultats. Les volumes restent très faibles mais la dynamique est là : le nombre de retours forcés vers l'Algérie a été multiplié par 16 en un moins d'un an (34 en 2021 contre 557 au 13 octobre 2022). Nous pouvons nous satisfaire de cette politique diplomatique intense préconisée depuis plusieurs années par le Sénat.

J'en viens à la deuxième partie de mon intervention, qui a trait à la politique de l'asile. Le constat est moins univoque de ce côté et on constate même de vrais progrès sur certains aspects.

C'est le cas pour les délais d'examen de l'OFPRA qui évoluent dans le bon sens. Si la demande d'asile retrouve progressivement son niveau d'avant covid, avec 120 000 demandes attendues pour 2022, cette évolution est contrebalancée par l'augmentation sensible de l'activité de l'office. L'effet du renforcement des moyens de l'office décidé en 2020 est désormais évident. L'attribution de 200 ETPT supplémentaires lui a permis de rendre un nombre inédit de 140 000 décisions en 2021 et de diviser par plus de deux le stock de dossiers depuis le pic de 2020, égal à environ 40 000 aujourd'hui, ce qui est notable. Surtout, le délai de traitement moyen est à son plus bas niveau depuis 10 ans : il était de 148 jours en septembre, contre 261 jours fin 2021.

Ces progrès doivent être appréciés à leur juste valeur ; ils sont néanmoins encore fragiles et commencent à plafonner. La dynamique est moins nette depuis l'automne, avec même un léger recul de huit jours du délai de traitement en septembre. L'OFPRA reste en effet affecté par un taux de rotation important de ses agents, environ 14 %, et la covid-19 a encore un impact non négligeable. Dans ce contexte, je resterai très prudente sur la possibilité d'atteindre en 2023 l'objectif d'un délai de 60 jours, contrairement au ministre de l'intérieur, qui est très optimiste.

En outre, cette amélioration soumet paradoxalement l'OFPRA à des difficultés dans son activité d'état civil. L'augmentation mécanique du volume de personnes protégées s'est traduite par une augmentation sensible des délais de délivrance des documents, qui sont actuellement de huit mois. 8 ETP supplémentaires sont fléchés sur cette activité en 2023. Cela est une bonne nouvelle, mais nous devrons rester vigilants.

Le bilan est plus nuancé s'agissant de la CNDA et je suis dubitative sur sa capacité à atteindre à moyen terme ses objectifs en termes de délais de traitement. Ils sont, je le rappelle, de 5 mois en procédure normale et de 5 semaines en procédure accélérée. Il est vrai que la CNDA parvient depuis 2021 à rendre annuellement autant de décisions qu'elle enregistre de recours, 68 000, ce qui stabilise mécaniquement le stock de dossiers, qui était de 32 196 en juin 2022.

Pour autant, ces résultats sont encore largement perfectibles. Avec 188 jours, le délai moyen de jugement est encore très supérieur à la cible. De plus, ces indicateurs sont extrêmement fluctuants du fait de la récurrence de mouvements de grève des avocats à la Cour. Le dernier s'est étalé entre octobre 2021 et mai 2022, et a entraîné le report du jugement de 10 000 recours. Aussi préoccupante qu'elle soit, cette situation ne peut toutefois obérer le fait que la Cour a bénéficié de fortes augmentations de moyens depuis 2018. Il est de sa responsabilité de les traduire en résultats.

J'en viens aux conditions matérielles d'accueil. La dotation inscrite au projet de loi au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) connaît d'abord une diminution de plus d'un tiers, ce qui me paraît excessivement optimiste. Le ministre de l'intérieur le justifie par le fait que cela exclut les montants alloués aux réfugiés ukrainiens ainsi que par l'amélioration des délais de traitement des demandes d'asile. On peut s'interroger sur la pertinence du choix d'exclure les dépenses liées au conflit en Ukraine de la budgétisation tandis que, comme je vous le disais, les progrès de l'OFPRA sont encore à confirmer. Cela me semble donc être un pari très audacieux.

S'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile, 2022 aura été une « année blanche » puisque les crédits prévus pour financer 4 900 places supplémentaires ont finalement été mobilisés pour l'accueil des déplacés d'Ukraine. Nous les retrouvons donc en 2023. Elles devraient permettre de porter la capacité du parc à environ 114 000 places en fin d'année. Cela reste insuffisant. La part des demandeurs d'asile hébergés progresse mais reste modeste, avec 58 % en 2021, et le Gouvernement a même revu ses objectifs à la baisse : d'une ambition initiale de 90 %, nous en sommes désormais à 70 % pour la fin 2023.

Je précise par ailleurs que 2 200 places d'hébergement jusqu'à maintenant financées sur le plan de relance seront rattachées à la mission « Immigration, asile et intégration » en 2023. Cela participe à la hausse des crédits, mais avec un nombre de places constant.

Le troisième volet de la mission est la gestion de l'immigration régulière et de l'intégration. Les crédits augmentent de 24 %, essentiellement du fait du renouvellement des marchés de formations civique et linguistique du contrat d'intégration républicaine (CIR), du déploiement du programme d'accompagnement global et individualisé pour l'intégration des réfugiés (AGIR) et de la création de 1 000 places supplémentaires en centre provisoire d'hébergement.

C'est bien le minimum compte tenu du dynamisme des flux d'immigration régulière. Sur l'année 2021, les préfectures ont procédé à 270 000 primo-délivrances de titres, soit un volume analogue au pic observé en 2019. Le stock de titres valides franchit cette année encore un palier et dépasse les 3,5 millions. Cette dynamique est portée par l'admission exceptionnelle au séjour, qui représente 11,5 % des primo-délivrances. De ce point de vue, je ne peux que rappeler la position constante de la commission des lois en faveur d'un durcissement sévère des critères de l'admission au séjour tels qu'ils sont définis par la circulaire Valls.

Vous le savez, cette demande exponentielle met en tension les services des étrangers en préfecture. Le délai de traitement des primo-demandes de titre s'est encore dégradé du fait de l'accueil des réfugiés ukrainiens. Il est de 117 jours contre 99 jours l'an dernier, loin de l'objectif des 90 jours que s'est fixé le ministère de l'intérieur. Et cela sans mentionner les délais pour obtenir un rendez-vous, qui sont à l'origine d'un nouveau contentieux ubuesque d'accès au guichet. Je ne m'étends pas plus sur le sujet, qui a été traité en profondeur par le rapport de François-Noël Buffet, si ce n'est pour dire que je m'associe pleinement à ses recommandations.

Le dispositif d'intégration enfin me paraît devoir être encore consolidé. Le nombre de CIR signés plafonne à un niveau proche de celui de 2019, si bien qu'il est délicat d'établir un bilan de ses dernières évolutions.

L'année 2022 a également vu la mise en place du programme AGIR, qui vise à la création d'un guichet unique pour l'accompagnement vers l'emploi et le logement des bénéficiaires de la protection internationale. Là encore, il est trop tôt pour en dresser un bilan.

Dans ce contexte, l'augmentation de 6 % des moyens budgétaires alloués à l'OFII va dans le bon sens, d'autant que son périmètre d'intervention continue inexorablement à s'étendre, comme en atteste la généralisation progressive du rendez-vous santé aux réfugiés et aux signataires du CIR.

En conclusion, si des éléments de satisfaction doivent être relevés s'agissant de l'asile, les autres composantes de la politique migratoire sont toujours en échec. En particulier, la politique de lutte contre l'immigration irrégulière est dans l'impasse. Elle donne l'impression d'une politique du « fait accompli », avec des flux d'entrées irrégulières qui ont retrouvé leur niveau pré-pandémique et un volume d'éloignements forcés exécutés minime. Nous constatons depuis plusieurs années cet accompagnement des faits, avec un temps de retard, plutôt qu'une volonté de s'imposer à eux.

Dans ces circonstances, le PLF pour 2023 est une nouvelle fois sous-dimensionné. Les hausses de crédits sont en réalité dictées par les évolutions des flux migratoires et du contexte économique plutôt que par un véritable choix politique.

Philippe Bonnecarrère et moi-même vous proposons donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Habituellement un budget est révélateur d'une volonté politique. En l'espèce, je n'en suis pas persuadée en raison de l'inadéquation entre les déclarations des ministres et le budget qui nous est présenté. Ce budget doit être à la hauteur afin de régler cette question de l'immigration irrégulière, qui est un vrai sujet pour notre pays. J'aimerais connaître l'analyse des rapporteurs.

Mme Laurence Harribey . - Je remercie la rapporteure pour son analyse froide et rigoureuse des crédits qui nous sont présentés. Je la rejoins sur l'absence de prise en compte, pour la dotation au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), de la question ukrainienne au prétexte de l'incertitude dans l'évolution des flux. Je m'interroge donc sur la sincérité du budget. Les crédits pour 2023 au titre de l'ADA sont en forte diminution, - 36 %, alors que les protégés temporaires bénéficient de cette allocation et que les demandes d'asile seront probablement en hausse en 2023. La diminution des délais de traitement se répercute sur le montant de l'allocation mais ne compensera pas la baisse de crédits. Nous constatons une sous-budgétisation de l'ADA depuis 2017 qui entraîne inévitablement des problèmes d'exécution budgétaire.

Je relève une autre contradiction. Le ministre communique beaucoup sur les crédits alloués à l'intégration et la nécessité pour les étrangers de maîtriser la langue française avec l'obtention d'une certification. Mais l'augmentation de seulement 3,6 millions d'euros des crédits n'est pas à la hauteur de cette ambition.

Pour ces raisons, nous rejoignons beaucoup d'éléments soulignés par les rapporteurs.

Mme Nathalie Goulet . - Je partage la position des rapporteurs de rejeter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Ce sujet de l'immigration est un irritant pour la population. Cela fait partie des sujets difficiles et le débat récent sur l'exécution des OQTF ainsi que les déclarations du ministre ne font qu'ajouter confusion et irritation.

Je m'interroge sur l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF). Les rapporteurs ont-ils évalué ce fichier et notamment son évolution au regard du code de la sécurité sociale ? Il était prévu une consultation d'AGDREF par les organismes de sécurité sociale avant ouverture de droits à prestations. Cette disposition avait été votée avec difficulté en 2019. Des fonds sont-ils réservés à l'amélioration du fichier ?

M. Alain Marc . - La commission des lois du Sénat a effectué en 2021 un déplacement à Mayotte auquel j'ai participé. Le nombre d'immigrés en situation irrégulière y est estimé entre 55 000 et 70 000. Avez-vous des éléments de comparaison entre l'immigration irrégulière dans les départements et territoires d'outre mer et celle en métropole ?

Mme Éliane Assassi . - Notre groupe est également défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » mais pour des raisons différentes. Nous examinons ce budget dans un agenda politique compliqué, avec un projet de loi relatif à l'immigration qui nous est annoncé pour début 2023. Je m'interroge sur la détention d'enfants dans les CRA sous prétexte de ne pas séparer les familles. N'existe t-il pas d'autres solutions ?

En ce qui concerne l'asile, si l'OFPRA a diminué ses délais d'instruction, je ne vois pas comment il pourrait réduire ses stocks avec un renfort de seulement 8 ETP. Il faudrait beaucoup plus de moyens plutôt que de recourir à des cabinets privés pour gérer ces stocks.

Mme Esther Benbassa . - Après avoir assisté à plusieurs auditions, j'ai acquis la conviction qu'il fallait s'opposer aux crédits de cette mission, mais pour des raisons différentes de celles du rapporteur. Nos positions se rejoignent sur certains points. Je m'interroge sur l'absence de mention du budget de l'accueil des demandeurs d'asile. Je salue la qualité de l'accueil réservé aux Ukrainiens. Nous avons su débloquer des crédits pour eux, mais que faisons-nous pour tous les autres qui dorment sous les ponts et traînent dans la rue, alimentant l'irritation de la population ?

Par ailleurs, se pose le problème de la gestion des CRA qui fourmillent de repris de justice clandestins. Une fois qu'un étranger est resté 90 jours dans un CRA et qu'il n'a pas obtenu de laissez-passer consulaire, que fait-on ? Faut-il augmenter la capacité des CRA à recevoir des immigrés clandestins ? Le fait est qu'aujourd'hui, il n'y a plus de places disponibles. Comme la loi limite à 90 jours le séjour en CRA, ces personnes sont libérées et se retrouvent à nouveau à la rue.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer propose une demi-solution: fournir des papiers aux personnes qui travaillent dans des métiers en tension. Mais le chemin est encore long car le projet de loi contenant cette disposition n'a pas encore été déposé sur le bureau de l'une des deux chambres.

Ce problème est lié à celui de la difficulté d'obtenir l'ADA. Que font les demandeurs d'asile qui attendent des mois avant d'obtenir un rendez-vous et qui, souvent, ne maîtrisent pas le Français ? Ils appellent l'administration en continu, dans le vide. Certains s'adressent à nous mais ce n'est évidemment pas la solution. Il me semble que l'amélioration de l'accueil, et notamment la réduction du délai de traitement des dossiers de demande d'asile, est l'un des éléments clés pour améliorer l'intégration des étrangers.

M. Guy Benarroche . - En tant que rapporteur pour avis sur les crédits de la mission dont relève la justice administrative, je sais que le contentieux des étrangers représente la moitié de l'activité des tribunaux administratifs, voire bien plus dans certains tribunaux de la région parisienne. Le contentieux géré par la CNDA est par ailleurs en constante augmentation.

En parallèle, comme vous l'avez rappelé, le taux d'exécution des OQTF est d'environ 7 % et continue de diminuer d'année en année.

À ces problématiques s'ajoutent la suroccupation des CRA mais aussi les inepties liées à la gestion de la police aux frontières. À Montgenèvre, par exemple, la mobilisation de 150 agents chargés d'empêcher les migrants en provenance d'Italie de passer la frontière est une aberration totale tant leur action est inefficace. Les zones d'attente, comme celle de Marignane, sont tout aussi absurdes, de même que la situation des CRA. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de visiter celui de Marseille : on y revoit toujours les mêmes personnes qui sont de petits délinquants.

Il est devenu urgent de s'interroger sur la manière dont nous pouvons faire évoluer notre politique migratoire devenue totalement kafkaïenne. Je partage donc le même avis que le rapporteur sur les crédits de cette mission, mais pour d'autres raisons.

M. André Reichardt . - Je partage l'avis défavorable du rapporteur à l'adoption de ce budget. C'est un budget d'accompagnement d'une politique dont les contours échappent à leurs auteurs. Les crédits prévus sont largement insuffisants, l'ADA n'est pas calibrée, le coût de la prise en charge des migrants Ukrainiens n'est pas pris en compte, la création de 8 ETPT à l'OFPRA ne permettra évidemment pas de combler le retard dans le traitement des dossiers... Nous devons nous prononcer sur des moyens dont on sait d'ores et déjà qu'ils sont insuffisants pour financer une stratégie qui, de toute façon, n'est pas encore définie. Il y a fort à parier que nous aurons à examiner un projet de loi de finances rectificative. Il est donc malaisé de travailler dans ces conditions.

Je ne vois pas comment le Gouvernement pourra proposer un projet de loi sur l'immigration dans la mesure où le nouveau pacte européen sur la migration et l'asile n'avance pas. Celui-ci se décompose en plusieurs propositions mais seuls deux règlements ont pu avancer dernièrement. Ils sont actuellement négociés entre les États membres et le Parlement européen. Toutes les autres propositions restent enlisées. C'est pourtant bien à l'échelle de l'espace Schengen que nous arriverons à lutter contre l'immigration clandestine.

Dans ces conditions, nous continuerons à donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission pendant longtemps.

Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Mme Eustache-Brinio, les budgets sont nécessairement la traduction d'une politique. Ici, il s'agit d'une politique du fait accompli. Les moyens mobilisés sont trop faibles. Les tentatives de reconduite à la frontière se heurtent à des difficultés trop importantes, comme l'a démontré le rapport du président François-Noël Buffet sur les services de l'État et l'immigration. Face à ce constat d'échec de la politique de retour, il semblerait logique d'empêcher les immigrés clandestins d'entrer sur le territoire, mais cette politique se heurte à d'autres obstacles. En conséquence, les reconduites à la frontière se font au fil de l'eau et ne correspondent pas aux flux d'entrée.

Mme Harribey, je regrette, tout comme vous, l'absence de prise en compte dans le projet de loi de finances de l'accompagnement des réfugiés Ukrainiens qui bénéficient de la protection temporaire, notamment le montant de l'ADA, qui peut conduire à s'interroger sur la sincérité du budget. J'ai noté que, lors de son audition, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a indiqué que les prévisions budgétaires dans domaine étaient, par définition, hasardeuses puisqu'il est impossible de prévoir l'évolution géopolitique du conflit en Ukraine. Ses services se sont toutefois risqués à faire des prévisions budgétaires qui ne figurent pas dans le projet de loi de finances : pour l'année 2023, 706 millions d'euros devraient être consacrés à l'accueil des réfugiés ukrainiens, principalement au titre de l'ADA et de l'hébergement. Je rappelle qu'en 2022, ce montant était de l'ordre de 579 millions d'euros. Cette politique est totalement passée sous silence dans le budget alors qu'elle n'est pas des moins onéreuses et qu'elle est en plein coeur de l'exercice du droit d'asile. Les crédits consacrés à cette politique seront sans doute examinés en cours d'année, mais il aurait été intéressant de voir figurer ces chiffres dans le projet de loi de finances pour 2023.

Concernant l'intégration par la pratique de la langue, les crédits sont en augmentation mais des inquiétudes demeurent et je partage les observations qui ont été faites sur ce point.

Madame Goulet, l'AGDREF a vocation à être remplacée par une autre application informatique. Cette opération a déjà été budgétisée. La numérisation est un poste de dépenses majeur de l'ordre de 28 millions d'euros, avec une augmentation de 400 % sur l'action correspondante par rapport à 2022. Des moyens budgétaires importants ont donc été alloués pour mettre en oeuvre cette évolution.

Monsieur Marc, j'ai bien noté votre interrogation sur les chiffres de l'immigration illégale en métropole et en outre-mer. Des éléments ont été transmis à ce sujet par le ministère de l'intérieur, qui pourraient éventuellement être mis à disposition de la commission.

Madame Assassi, vous déplorez la transformation progressive des CRA en lieux de détention pour mineurs. Je voudrais préciser que, sur l'année 2021, 82 mineurs ont été enfermés dans des CRA en métropole mais 3 109 en outre-mer, en grande partie à Mayotte.

Quant à l'asile, les délais de traitement des dossiers sont bien sûr trop importants. Je crains que l'amélioration que nous connaissons actuellement ne soit que temporaire. C'est bien le problème de ce budget qui tente constamment de rattraper des flux migratoires en augmentation.

Les crédits du programme 303 « Immigration et asile » s'élèvent à 1,9 milliards d'euros soit deux-tiers du budget de la mission. L'accueil des demandeurs d'asile en constitue la majeure partie et représente donc, budgétairement, le sujet le plus important, Madame Benbassa, même s'il est encore possible de trouver que les crédits qui lui sont alloués sont insuffisants.

Les étrangers sortent des CRA en situation irrégulière à l'expiration du délai de 90 jours, c'est un fait. Chacun estimera la façon dont il faut les prendre en charge.

Monsieur Benarroche, la politique migratoire est effectivement une politique kafkaïenne. Nous ne pouvons que constater que celle du Gouvernement ne donne pas de bons résultats aujourd'hui.

Monsieur Reichardt, je partage tout à fait votre position : il faut définir la stratégie avant de fixer les ressources qui lui sont allouées. Mais force est de constater que la politique des moyens est devenue monnaie courante aujourd'hui, comme nous l'avons vu avec les États généraux de la justice. Le Gouvernement tente d'accompagner un mouvement de société plutôt que d'essayer de lui imprimer une direction.

J'en terminerai en rappelant que la politique européenne demeure incontournable sur ce sujet, même si la présidence française de l'Union européenne n'a pas apporté de grandes avancées en matière d'immigration.

M. François-Noël Buffet , président . - Je souhaite apporter une précision sur le nombre de personnes placées en rétention en CRA et qui, à l'expiration du délai de 90 jours, sont éloignées : en 2021, cela représentait 462 personnes.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE M. GÉRALD DARMANIN, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR ET DES OUTRE-MER

M. François-Noël Buffet , président . - Nous poursuivons notre audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des
outre-mer, en évoquant le projet de loi de finances pour 2023, en particulier sur les missions « Sécurités », « Immigration, asile et intégration » et « Administration générale et territoriale de l'État ».

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - Je vous présenterai ces trois missions dans leurs grandes lignes, car nous en avons largement débattu lors de l'examen de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) - ce projet de loi de finances sert les engagements pris, tout en prenant en compte les annonces que le Président de la République vient de faire pour la sécurité civile et qui donneront lieu à des amendements en séance plénière.

Sur la mission « Sécurité », nous créons 3 018 effectifs dans les forces de police et de gendarmerie, soit le tiers des engagements pris dans la Lopmi, puis nous continuerons en 2024, Coupe du monde de rugby et Jeux olympiques obligent : nous avons donc cette année un rendez-vous très important de recrutement et de formation. Je pourrai, l'an prochain, ajouter 60 brigades de gendarmerie dans les départements, en prenant des gendarmes sortis d'école. Je souligne aussi la création de postes d'agents de préfecture : pour la première fois depuis 17 ans, nous projetons de créer 400 postes sur le quinquennat, dont une cinquantaine l'an prochain. Après des années de baisse continue et deux ans de stagnation des effectifs, je suis heureux de pouvoir annoncer un renforcement des moyens humains de l'administration territoriale de l'État. À cette première mesure s'ajoute la création de 6 sous-préfectures annoncée par le Président de la République lors de son déplacement en Mayenne le 10 octobre dernier. Par ailleurs, les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) augmenteront aussi fortement pour aider les communes à s'équiper en vidéo-protection. Nous y consacrerons 22 millions d'euros l'an prochain. Nous poursuivons le renouvellement de nos équipements, nous avons déjà changé les deux-tiers du parc automobile et nous prévoyons 340 millions d'euros pour la rénovation des commissariats de police et des brigades de gendarmerie. Nous lançons le réseau radio du futur et nous lançons l'achat progressif de 36 hélicoptères pour la sécurité civile.

Sur le sujet immigration qui va aussi avec l'outre-mer, nous aurons l'occasion de revoir l'opération Shikandra de Mayotte et aurons sans doute également une discussion sur l'opération Harpie en Guyane. Des annonces ont également été faites avec le ministre de la justice et le ministre des comptes publics pour la sécurisation totale de l'aéroport de Cayenne, en particulier pour mieux lutter contre les « mules ».

Un travail important est également mené contre l'immigration irrégulière, nous avons augmenté de 20 % les reconduites à la frontière par rapport à 2021 alors que nous sommes encore au mois de novembre et je viens d'accepter un amendement du député Éric Ciotti pour doubler le nombre de places en centres de rétention administrative (CRA) dans le quinquennat. Nous allons ajouter près de 500 places dès l'an prochain. Les crédits correspondants pour la lutte contre l'immigration irrégulière connaissent une progression importante de 34 %, simplement pour les centres ou les locaux de rétention administrative.

Nous poursuivrons, dans le même temps, le travail sur les moyens consacrés à l'intégration, avec plus de 51 millions, principalement sur le volet linguistique qui sous-tend le projet de loi que nous avons commencé à présenter. C'est également vrai des moyens attribués à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), puisque nous devons continuer à réduire les délais de traitement. J'ai accepté ce matin un amendement du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale, pour fixer à 60 jours le délai d'études des dossiers. Nous y parviendrons avec les moyens supplémentaires pour l'Ofpra, je rappelle que 200 ETP supplémentaires avaient été accordés. Les crédits de l'allocation pour les demandeurs d'asile sont d'ailleurs, pour la première fois, sous exécutés : ce n'est pas parce que les demandeurs sont moins nombreux, mais parce que le traitement des dossiers est plus rapide. Reste, cependant, à améliorer le côté juridictionnel, c'est-à-dire les recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). C'est l'une des dispositions du texte, qui reprend d'ailleurs l'une des propositions de votre rapport, monsieur le président.

Je me présente donc devant vous comme un ministre heureux, qui voit ses crédits augmenter de 1,4 milliard d'euros, dont « seulement » 200 millions pour tenir compte de l'inflation, car le ministère de l'intérieur a des dépenses de personnel plutôt que de matériel - nous pourrons donc être au rendez-vous des politiques publiques.

M. Henri Leroy . - Vous l'avez dit, Monsieur le ministre, nous avons largement discuté des orientations budgétaires de votre ministère dans la Lopmi. Les chiffres de la mission « Sécurités » pour 2023 sont en hausse, c'est une très bonne chose que personne ne conteste. Cependant, la répartition des crédits par missions et programmes n'est pas définie dans la Lopmi, qui ne prévoit qu'une trajectoire applicable à l'ensemble du ministère de l'intérieur.

Dans ces conditions, comment garantir la réalisation de la trajectoire prévue par la Lopmi dans les dernières années du quinquennat ? Nous n'avons guère d'inquiétude jusqu'en 2024, mais que se passera-t-il après les Jeux olympiques ?

Mme Muriel Jourda . - Monsieur le ministre, ma première question est relative à l'allocation pour demandeurs d'asile. Vous avez indiqué que celle-ci était actuellement en sous-exécution du fait de l'amélioration du délai de traitement des dossiers. Toutefois, cette amélioration plafonne et l'allocation est également octroyée aux réfugiés Ukrainiens, dont le nombre sur le territoire français est important et va probablement encore augmenter. Au regard de ces deux éléments, la baisse de 36 % de la dotation prévue dans le budget est-elle bien pertinente ?

Le président de la République, ensuite, a récemment précisé que l'objectif d'un taux d'exécution de 100 % concernait les seules obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées sur des motifs d'ordre public. Pourquoi ce revirement ? Ou en est le taux d'exécution sur cette catégorie d'OQTF ? Cela signifie-t-il que l'on abandonne l'exécution des autres ?

Enfin, un sujet plus d'actualité mais qui peut avoir un impact sur le budget pour 2023 : monsieur le ministre, vous avez annoncé ce matin avec le ministre Olivier Dussopt des mesures qui pourraient être reprises dans le projet de loi sur l'immigration que vous envisagez, dont une qui est la régularisation des personnes en situation irrégulière qui travaillent dans une filière en tension. Cela ressemble à un un nouvel élargissement de la circulaire Valls qui permet de régulariser des clandestins. Comment faire pour que cela ne soit pas un « appel d'air » et une incitation à l'immigration irrégulière ?

Mme Nadine Bellurot , en remplacement de Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat » . - Après les « Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 » et la Lopmi, qui prévoyaient un renforcement des services déconcentrés, le Gouvernement nous annonce, dans le projet de loi de finances pour 2023, un véritable « réarmement » de l'État territorial.

Je partage l'avis de Cécile Cukierman, rapporteure pour avis des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », qui tient à saluer la prise de conscience salutaire du Gouvernement, qui semble désormais comprendre que l'État ne peut pas continuer à diminuer sa présence dans les territoires au risque d'amplifier le sentiment d'abandon de nos concitoyens comme des élus locaux.

Toutefois, ces annonces interviennent après plus de dix ans de coupes budgétaires drastiques qui ont conduit à la suppression cumulée de 14 % de l'effectif initial de l'administration territoriale de l'État entre 2010 et 2021 et de nombreux plans de réforme qui ont mis à mal les services de l'État et la qualité du service public. Les secrétariats généraux communs départementaux (SGC-D) ont été créés au 1er janvier 2021. Nous n'avons pas encore eu le temps de dresser le bilan de cette réforme décriée que le Gouvernement nous annonce déjà un nouveau plan d'action pour les préfectures à horizon 2025.

La création de 210 équivalents temps plein (ETP) sur les trois prochaines années vous paraît-elle suffisante pour réarmer l'État territorial ? Comment ces ETP seront-ils répartis ? De même, le « déjumelage » de
5 sous-préfectures et la création d'une nouvelle sous-préfecture en Guyane, vous paraissent-ils répondre de manière satisfaisante au besoin de plus d'État dans les territoires ruraux ?

Sur quels critères entendez-vous vous baser pour rééquilibrer la répartition des emplois entre préfectures ? Quelles préfectures seront concernées par ces mouvements ?

Quelles mesures concrètes seront mises en oeuvre pour renforcer l'attractivité des métiers de l'administration territoriale de l'État, notamment dans les sous-préfectures rurales qui peinent à recruter ?

Nous souhaitons que les sous-préfectures reprennent vie. Dans l'Indre, par exemple, leur nombre est passé de trois à deux, alors que nous avons plus que jamais besoin de la présence de l'État dans nos territoires.

M. Henri Leroy . - Vous annoncez pouvoir former 60 nouvelles brigades de gendarmerie l'an prochain, mais les documents budgétaires prévoient 312 effectifs dédiés à ces brigades. A 10 personnels par brigade, cela ne fait que 30 brigades créées en 2023 : quel est donc le bon chiffre ?

M. François-Noël Buffet . - Françoise Dumont, rapporteure pour avis des crédits de la sécurité civile, s'interroge sur le plan de « réarmement aérien d'urgence » annoncé par le Président de la République dans son discours du 28 octobre 2022, à hauteur de 250 millions d'euros. Ce montant ne correspond pas à ceux du projet de loi de finances pour 2023 et est en deçà des ambitions de la Lopmi : pouvez-vous nous préciser le périmètre et les attentes de ce plan ? Elle s'interroge également sur l'objectif du Président de la République de renouveler et de renforcer notre flotte de Canadair « d'ici la fin du quinquennat », alors que vos services et vous-même, lors de votre audition au Sénat le 21 septembre 2022, avez mis en avant des difficultés industrielles justifiant des délais de production importants. Elle constate en outre l'absence de crédits spécifiques dans ce projet de budget. Comment comptez-vous tenir ce calendrier ambitieux ?

M. Jérôme Durain . - Le Sénat a adopté plusieurs amendements à la Lopmi pour doter de 100 millions d'euros un fonds dédié à l'immobilier de la gendarmerie : pensez-vous traduire cet engagement dans le projet de loi de finances pour 2023 ?

Nous avons découvert hier un rapport sur les luttes contre les discriminations dans les forces de sécurité, qui propose d'inclure cette thématique dans les travaux de l'IGPN : ne pensez-vous pas que nous pourrions l'inscrire également parmi les indicateurs de performance que nous regardons chaque année ?

Enfin, sur la régularisation dans les secteurs en tensions, je crois peu au risque d'un « appel d'air », alors que je sais combien la régularisation de salariés devenus irréguliers fait perdre du temps à tout le monde : comment voyez-vous les choses concrètement ?

Mme Françoise Gatel . - Pour « réarmer la présence de l'État territorial », je crois que nous avons besoin non pas de plus d'État mais de mieux d'État : nous avons surtout besoin d'améliorer l'organisation des services de l'État dans les territoires. Des agences qui jouissent d'une grande autonomie ont pu être mobilisées par le préfet pendant la crise sanitaire, il serait bon qu'elles puissent l'être en temps ordinaire - je vous renvoie au rapport d'Agnès Canayer et Éric Kerrouche, au titre de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont le titre très parlant est « À la recherche de l'État dans les territoires ». L'État est souvent très discret dans les territoires et vous avez raison, il faut réarmer les sous-préfectures pour mieux accompagner les élus et ne pas se contenter de faire du contrôle de légalité.

Une question qui ne coûte pas grand-chose : serait-il possible que le préfet de région ne soit pas en même temps préfet du département ? Le cumul conduit à la surcharge ou à l'indisponibilité.

Enfin, sur les titres de séjour, des entreprises se trouvent en grande difficulté lorsqu'elles doivent demander le renouvellement de titres de séjour de salariés, elles font alors face à des délais décourageants, voire à l'absence de réponse sur les titres de séjour : peut-on accélérer les choses ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - Je transmets à votre commission ce document, que je vais communiquer dans les heures qui viennent à vos collègues députés, qui est la ventilation des 15 milliards d'euros de crédits de la Lopmi pour les cinq années à venir sur les différentes missions budgétaires concernées. Il peut se passer bien des choses en cinq ans, mais vous avez là le document que je vous avais promis en séance plénière dans le débat sur la Lopmi.

Des brigades de gendarmerie, ensuite, on peut en créer entre 20 et 70 nouvelles l'an prochain, mais tout dépend desquelles on parle, car les gendarmes, il faut les loger, avec leurs familles - les situations sont très différentes selon qu'il faut rénover ou construire des bâtiments, équiper telle brigade équestre ou telle brigade fluviale qu'on me demande en Guyane sur l'Oyapock ou le Maroni... tout cela dépend des projets, des lieux, des conditions. En tout cas, nous pouvons compter sur les effectifs que j'ai indiqués, de 380 par an.

Sur la question de l'ADA, le montant proposé ne comprend pas les montants versés aux ukrainiens parce que si, effectivement, ils touchent cette allocation, ils sont aussi plus nombreux à travailler que les demandeurs d'asile classique puisqu'ils y ont droit dès leur premier jour sur le territoire. Nous adaptons donc le montant des crédits, et nous constatons d'ailleurs que le flux d'entrants est désormais inférieur aux sortants, en particulier du fait du nombre de personnes qui retournent dans les zones moins touchées par le conflit ou dans les pays limitrophes. Je ne partage donc pas le constat qu'il y en aura de plus en plus sauf en cas d'évolution du conflit. Nous avons donc convenu avec le ministère des comptes publics d'adapter nos prévisions pour cette allocation s'agissant des Ukrainiens, nous avons dépensé à ce titre 244 millions d'euros pour les Ukrainiens, nous pourrons intégrer ces crédits en gestion pour cette année. Quant au délai de traitement des demandes d'asile, on est en 2022 à 140 jours et il devrait encore baisser. Cela ne fait pas la une des journaux, alors même que c'est une prouesse administrative, mais nous sommes le pays qui traitons le plus rapidement les demandes d'asile dans l'Union européenne, grâce au recrutement de quelque 200 contractuels supplémentaires que vous avez accordés à l'Ofpra.

Sur les OQTF, ce débat est très important démocratiquement. Chacun commente un taux d'exécution que personne ne connait. Les chiffres utilisés pour ce taux d'exécution ne reposent sur aucune réalité statistique. Car que fait la presse quand elle le calcule, et produit un chiffre que nous, les politiques, reprenons collectivement sans y regarder de plus près ? Elle rapporte le nombre des OQTF prononcées par les préfectures dans une année pleine au nombre d'exécution de ces OQTF - pour 2021, c'est 120 000 OQTF prononcées. Or, vous savez qu'il y a deux sortes d'exécution des obligations, celles qui sont volontaires, ce qu'avait l'assassin présumé de la petite Lola, et celles qui sont forcées - elles se répartissent pour moitié, donc environ 60 000 chacune. Avec l'an dernier 16 000 reconduites à la frontière effectuées, le pourcentage d'exécution est de moins de 20 %, voire moins si l'on enlève les retours spontanés alors qu'il faut tout prendre.

Cette base n'est pas la bonne d'abord car il y a un décalage temporel, les obligations exécutées ont souvent été prononcées l'année d'avant et il peut y avoir 20 000 à 30 000 OQTF de différence dans cette base, par exemple entre 2020et 2021. Il y a également le fait que la moitié environ des OQTF contraintes fait l'objet d'un recours judiciaire, qui est suspensif : on demande au ministre de l'intérieur d'exécuter toutes les OQTF, alors qu'une bonne partie fait l'objet d'un recours suspensif - il serait plus honnête de prendre pour base, donc, les OQTF contraintes et de tenir compte des procédures judiciaires : le résultat, alors, c'est plutôt 40 % d'OQTF exécutées, et non pas 6 %, comme on l'entend parfois dire. Enfin, il y a aussi le fait que des gens partent sans nous le dire et c'est pour cela que j'ai demandé que toutes les OQTF soient rentrées dans le fichier des personnes recherchées (FPR). Il y en a beaucoup - c'est le cas, par exemple, de l'assassin présumé de la petite Lola, qui faisait l'objet d'une OQTF sans inscription au FPR. Seules les OQTF pour motifs d'ordre public font l'objet d'une inscription au FPR.

Comment les choses se passent-elles à l'aéroport, quand une personne à qui on a demandé de quitter le territoire, se présente avec son passeport pour rentrer dans son pays : la police des frontières la laisse partir, sans signaler à la préfecture émettrice de l'OQTF que cette personne est partie, sauf si c'est une exécution contrainte, donc accompagnée par un policier. Il y a comme ça des milliers de personnes, peut-être même plus, qui exécutent elles-mêmes leur OQTF de manière volontaire sans que nous le sachions nécessairement. C'est pourquoi je proposerai que toute personne faisant l'objet d'une OQTF soit inscrite dans le FPR : ce sera le moyen pour que son départ soit signalé automatiquement, et puisse être comptabilisé. Il y a, encore, le fait que des personnes partent dans un pays voisin, comme la Belgique, l'Allemagne ou l'Espagne, sans qu'on n'en sache rien puisqu'il n'y a pas de contrôle aux frontières.

Il y a donc bien des personnes qui partent de notre pays et qui continuent d'être considérées comme à expulser. Dans la loi sur l'immigration que nous allons vous présenter avec Olivier Dussopt, nous allons proposer une nouvelle organisation du travail des préfectures, pour que les agents, au lieu de passer beaucoup de temps à contrôler des étrangers qui ne posent aucun problème sur le territoire de la République, se concentrent sur ceux qui font l'objet d'une OQTF, pour contrôler effectivement si cette obligation est respectée, avec des relances répétées et régulières - ce que les agents ne font guère aujourd'hui, faute d'effectifs.

Donc je le répète : oui, on peut atteindre 100 % d'OQTF exécutées, mais si l'on compte ce qui doit l'être, et si l'on réforme les catégories de recours - nous vous proposerons ainsi de passer de 12 à 4 catégories de recours, et de considérer également que le refus d'asile vaut OQTF, avec un délai de 15 jours pour que le tribunal administratif statue sur le refus. Aujourd'hui, nous savons bien que les personnes les plus difficiles à expulser sont les déboutés du droit d'asile. Les choses se passent aujourd'hui ainsi : lorsque l'asile est refusé par l'Ofpra, dans un délai de 6 à 8 mois, le demandeur saisit la CNDA, c'est 9 mois de délai supplémentaire ; la CNDA rejette la demande dans 70 % des cas, le préfet prend une OQTF et il y a encore un recours, donc six mois de plus, et si l'OQTF est confirmée, le demandeur peut encore faire appel devant le Conseil d'État... Au total, les demandeurs peuvent rester jusqu'à deux ans sur le territoire national, avec parfois des naissances, donc une famille en France... Je n'invente rien, le rapport Buffet l'avait déjà en partie souligné. Nous vous proposerons de changer ces règles, et si nous adoptons ce texte nous pourrons, alors, atteindre quasiment les 100% d'OQTF exécutées. Les quelques points manquants seraient le fait des étrangers qui se voient refuser leur laissez-passer consulaire, ou des étrangers non éloignables, du fait que nous n'avons pas de relations diplomatiques avec leur pays d'origine, c'est le cas des Syriens et des Afghans - et je ne sais pas si quelqu'un ici propose qu'on rétablisse nos relations diplomatiques avec les Talibans, mais je n'y suis pas favorable...

La question sera donc de savoir ce que nous faisons des étrangers à qui l'on ne donne pas l'asile, mais qu'on ne peut expulser. Les Allemands ont dans ce cas ce qu'ils appellent une tolérance, avec une protection temporaire qui ne crée pas de droit et qui prend fin lorsque la personne redevient expulsable - nous en reparlerons dans le projet de loi sur l'immigration. Quoiqu'il en soit, nous avons augmenté les reconduites à la frontière de 20 % cette année et, en attendant les mesures que nous vous proposerons prochainement, j'ai demandé à la direction générale des étrangers en France et à l'Insee de travailler sur les statistiques disponibles, c'est nécessaire pour éviter de nourrir les fantasmes sur ces questions.

Le titre de séjour pour les métiers en tension est tout le contraire de la régularisation massive telle qu'elle a été pratiquée par les circulaires Chevènement ou Valls. D'abord, ces régularisations nous les faisons depuis 10 ans : nous régularisons à peu près 30 000 personnes par an, 23 000 au titre de la vie privée et familiale, et 7 000 par la régularisation d'un travail au noir, et quand nous le faisons, la régularisation est ad vitam . Alors que le titre de séjour pour les métiers en tension, lui, est délivré pour un an, et tant que le métier est effectué. Rien à voir, donc, avec la régularisation massive. J'ai d'ailleurs invité le président des sénateurs LR pour expliciter notre projet puisque nous allons faire de grandes consultations. Ensuite, on ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas de métiers en tension, dans lesquels le patronat demande davantage d'immigration de travail. L'enjeu, dans notre pays, c'est de diminuer l'immigration familiale et d'aller vers une immigration de travail, l'Allemagne a dix points de plus que nous d'immigration de travail, et nous en sommes arrivés là parce que nos titres de séjour sont fondés sur la famille plutôt que sur le travail.

Nous proposons donc de contrecarrer l'automaticité de l'immigration familiale, tout en respectant la Convention européenne des droits de l'homme, bien entendu, donc le regroupement familial. Nous proposerons par exemple un examen de français, parce qu'il faut bien parler notre langue, ainsi qu'un titre spécifique pour le travail. Ce sera aussi une façon de reconnaitre ces sans-papiers qui travaillent dans les restaurants, qui nettoient nos bureaux, qui délivrent des repas, qui payent des cotisations et de la fiscalité sans être jamais protégés - on ne peut plus faire comme s'ils n'existaient pas. Nous disons donc qu'il faut lutter fort contre les entreprises qui font faire du travail au noir, le ministre du travail propose même une fermeture administrative, c'est bien plus sévère qu'une amende. En contrepartie nous pourrions discuter des métiers en tension chaque année au Parlement, pour définir des secteurs et le nombre de titres de travail dont ils ont besoin, par exemple 5 000 emplois dans l'hôtellerie-restauration, ou 3 000 médecins et personnels hospitaliers. On pourrait actualiser cette liste et ce nombre chaque année, et ces titres sont tout le contraire d'une régularisation massive puisque quand le métier sera retiré de la liste, la personne ne pourra rester sur le territoire national, nonobstant les droits qu'elle aurait créés dans la vie privée et familiale - nous aurons l'occasion d'en reparler.

Sur les préfectures, nous prévoyons 50 agents supplémentaires l'an prochain, et 400 sur le quinquennat. Je déplore qu'en préfecture, ne viennent plus que des étrangers qui demandent des papiers et des personnes qui, ayant raté leur permis de conduire, demandent à le repasser. Les sous-préfectures accompagnent beaucoup les collectivités territoriales mais les citoyens n'ont plus guère d'autres raisons de se rendre physiquement en préfecture, car nous avons délégué de nombreuses missions aux collectivités territoriales, par exemple la délivrance des papiers d'identité. Donc le service ces étrangers mobilise beaucoup les agents des préfectures, mais je crois que la solution est moins dans l'accroissement des effectifs que dans un changement de méthode. Au lieu de faire en sorte que les agents passent leur temps à contrôler des centaines de milliers d'étrangers qui ne posent aucun problème à la République mais qui doivent renouveler leur titre de séjour et à qui l'on demande de venir faire des heures d'attente en préfecture dans de mauvaises conditions, qui peuvent être vexantes - je pense aux vieux Chibani de Tourcoing, qui ont servi dans l'armée française et qui sont dans ces longues files, parmi tous les autres -, pourquoi ne pas demander aux agents de se concentrer sur les primo-arrivants, pour vérifier qu'ils parlent le français, qu'ils n'ont pas de casier judiciaire, qu'ils ne sont pas suivis pour radicalisation, et sur le suivi des OQTF ? J'ai donc proposé que les centaines de milliers de dossiers étudiés chaque année ne le soient plus manuellement mais automatiquement, avec possibilité bien sûr pour l'État de reprendre la main et de traiter au cas par cas lorsqu'il y a un signalement, ou bien si le casier judiciaire a changé. Cela libèrera des ressources en préfecture pour mieux contrôler les personnes en situation irrégulière et les étrangers délinquants et se concentrer sur leurs autres missions.

Un préfet de région qui ne serait pas aussi préfet de département ne verrait les choses que régionalement, il serait en décalage vis-à-vis de ses collègues préfets de département et déconnecté de l'aspect concret de l'action préfectorale. Le préfet de région, souvent préfet zonal, n'a pas d'autorité sur les préfets de département ; il a juste des dossiers supplémentaires à traiter. Je vous accorde que la fonction est devenue plus lourde avec la création des grandes régions, mais je crois que ce serait une erreur que le préfet de région ne soit plus préfet de département, cela créerait une superstructure, avec un état-major régional, qui renforcerait l'échelon régional - alors qu'il faut renforcer l'échelon départemental, ce n'est pas au Sénat que je vais me retenir de dire que je suis départementaliste...

Je suis très favorable aux conclusions du rapport de Christian Vigouroux, déontologue du ministère de l'intérieur, sur les actes et propos racistes et discriminants au sein de la police - et je suis favorable au changement. Je suis donc prêt à travailler à des amendements sur le sujet, par exemple dans la Lopmi en vue de la CMP. Cependant, entre le titre de presse que vous évoquez, Monsieur Durain, et le contenu du rapport de Christian Vigouroux, il y a un monde - vous noterez d'ailleurs qu'il ne propose pas le récépissé pour le contrôle d'identité. Je suis donc très favorable à ce rapport, je vais le rendre public, le sujet concerne l'ensemble des forces de l'ordre et nous savons aussi qu'il y a des propos racistes à l'encontre de policiers ou gendarmes - « sale traitre » ou « sale arabe » - et aussi des propos entre agents des forces de l'ordre; nous devons avancer sur ce sujet.

Enfin, je veux rassurer sur la sécurité civile. Les sommes dont nous parlons sont en plus de la Lopmi, le montant est net. Et s'il n'y a pas de ligne budgétaire spécifique aux Canadair, c'est parce que, comme l'a dit le président de la République, avant d'acheter des Canadair, il faut recréer l'usine qui les fabrique - et l'achat de ce type d'équipements est couvert à 90 % par des crédits européens, il est donc normal que les crédits ne figurent pas dans le projet de loi de finances.

Mme Muriel Jourda . - Nous avons tout de même des éléments sur l'exécution des OQTF. On peut admettre une discussion sur le périmètre et les effets du décalage temporel entre le moment où une OQTF est prononcée et celui où elle est exécutée, mais la direction générale des étrangers en France, vos services, donne des chiffres très précis sur le nombre d'OQTF prononcées et sur le nombre qui ont été exécutées, ils me les ont encore donnés mercredi dernier. Ce nombre comprend les retours spontanés qui ne sont pas très importants...

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - Je travaille avec les mêmes chiffres, qui sont ceux que nous connaissons mais je vous parle, moi, du continent que nous ne connaissons pas. C'est pourquoi je veux changer les choses et je regrette de ne pas avoir eu plus tôt les idées que je vous ai exposées.

J'ai voulu vérifier comment les choses se passent à l'aéroport, j'ai été maire, j'aime les choses concrètes. Ce que les policiers m'ont dit, c'est que quand un étranger se présente avec une OQTF et un passeport du pays dont il a la nationalité et un billet pour ce pays, le policier le laisse passer sans traiter l'information concernant l'OQTF - ce qui n'est pas le cas, bien entendu, lorsque l'étranger est inscrit au FPR. J'avoue que j'ai découvert la chose : les chiffres ne sont pas recoupés entre la préfecture, qui prononce l'OQTF, la police aux frontières, qui contrôle les personnes, et la direction générale des étrangers en France, qui établit les statistiques. Lorsque nous comptons l'exécution des OQTF, nous nous limitons à celles qui sont contraintes puisque les autres, nous n'avons pas l'outil pour les enregistrer systématiquement. On ne sera pas à 100 % d'exécution en les comptant tous, je l'admets volontiers, mais le chiffre que nous vous donnons c'est le minimum des exécutions que nous connaissons parce que nous les accompagnons par l'OFII ou la police aux frontières.

Mme Muriel Jourda . - Le titre pour emploi dans un secteur en tension reste de la régularisation, puisqu'on donnera des titres à des clandestins. Le recrutement d'un étranger dans une entreprise qui ne trouve pas de candidat est déjà possible, mais la procédure est alors un préalable à l'entrée sur le territoire national, c'est très différent.

M. Hussein Bourgi . - Pour les côtoyer depuis des années, je témoigne que les services des étrangers dans les préfectures sont parmi ceux où l'on rencontre le plus d'agents en souffrance, qui s'interrogent sur les missions qu'on leur confie sans leur en donner les moyens; ce sont des hommes et des femmes dévoués qui sont souvent en sous effectifs parce que leurs services ne sont pas prioritaires. Au fil des ans, j'ai créé une forme de complicité avec certains d'entre eux qui m'ont expliqué comment les longues files d'attente devant les grilles de la préfecture étaient alimentées par des étudiants arrivés en septembre et auxquels on demande une carte d'étudiant pour avoir un titre de séjour, alors que l'université leur demande un titre de séjour pour les inscrire...

La semaine dernière, j'ai sollicité à deux reprises le secrétaire général de la préfecture sur des situations particulières qu'on retrouve partout en France : un ressortissant étranger qui travaille dans les transports scolaires, qui n'obtient pas de rendez-vous pour renouveler son titre de séjour qui a expiré, son chef d'entreprise recevant de ce fait des lettres comminatoires des services de l'emploi - le cas a été réglé en quelques jours, mais il a fallu l'intervention du parlementaire que je suis. Autre cas : un étudiant étranger fait son stage au Medef, dans l'Hérault; le Medef veut le recruter, mais rencontre les plus grandes difficultés pour le faire passer du statut d'étudiant à celui de salarié. Ici encore, il a fallu des interventions - et pour ces exemples qu'on a réglés parce que l'on a pu se mobiliser, combien de personnes se retrouvent dans les trop longues files d'attentes devant les préfectures ? Il y a quelques années, l'un de vos prédécesseurs a pensé trouver l'astuce contre les files d'attente, en obligeant à un rendez-vous préalable en ligne. Résultat : un véritable marché noir des places s'est développé, des personnes réussissent à réserver des places et à les revendre plusieurs centaines d'euros à des personnes qui désespèrent d'en trouver : c'est cela, la réalité. C'est pourquoi, sans préjuger de vos propositions sur l'immigration, je vous appelle à améliorer les choses pour les agents de préfecture eux-mêmes, pour qu'ils n'aient plus à jeter l'éponge tous les deux ou trois ans - je peux vous assurer qu'ils sont usés par ces missions répétitives et cette question permanente et lancinante qu'ils se posent sur le sens de leur fonction.

Ensuite, vous dites qu'il est difficile de trouver un interlocuteur pour les Canadair. Mais alors, quelle alternative avons-nous et que répondre aux soldats du feu qui attendent des moyens ? Et dans quel délai peuvent-ils espérer ces moyens ?

Mme Brigitte Lherbier . - Quel est le coût du retour au pays ? Celui qui est volontaire paie son billet, mais celui qui est expulsé doit être accompagné : comment prévoir les crédits afférents ?

Mme Catherine Belrhiti . - L'idée d'un titre pour le travail dans les secteurs en tension apportera peut-être une solution à ceux qui travaillent et qui, dans la situation actuelle, ont beaucoup de mal ne serait-ce qu'à prendre des congés.

Vous parlez, ensuite, de doubler le nombre de places en CRA, mais les personnes n'y sont retenues que 90 jours : que se passe-t-il après ce délai ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - Monsieur Bourgi, vous avez raison, il faut changer notre façon de faire et c'est ce dont je vous ai parlé, pour mieux suivre les primo-arrivants et les OQTF. Quant aux Canadair, je vous renvoie à ce qu'a dit le Président de la République.

Le placement dans un CRA n'est pas une obligation, il y a aussi les assignations à résidence, les locaux de rétention administrative par exemple dans des chambres d'hôtel, dans des commissariats, en brigade de gendarmerie ou en prison. Que fait-on après le CRA ? Dans les faits, nous expulsons dans les trois mois la moitié de ceux qui y entrent, sachant que la plupart sont inscrits en fichiers S ou qu'ils sont délinquants et qu'on ne fait quasiment plus entrer en CRA des personnes qui ne posent pas de problème d'ordre public. Ceux qui n'ont pas été expulsés dans les trois mois sont assignés à résidence, avec pointage au commissariat, et parfois des surveillances. La directive européenne ne nous permet pas d'allonger la durée de rétention administrative, car n'est pas une peine complémentaire mais une mesure privative de liberté. Cependant, le fait de prolonger ne règlerait pas la difficulté parce que le problème qui se pose, en général, c'est d'obtenir le laissez-passer consulaire du pays d'origine, c'est un travail diplomatique très important dont nous ne pouvons pas nous passer.

Madame Jourda, dans la proposition de titre pour emploi dans un secteur en tension, ce n'est pas l'employeur mais l'employé qui demande la régularisation, et c'est un changement capital parce que cela évite l'exploitation et nous cesserons alors d'encourager les filières d'immigration. Actuellement, les employeurs ne peuvent pas légalement recruter des sans-papier mais ils le font et ils fournissent ensuite une attestation d'emploi pour que leur salarié soit régularisé. Notre droit refuse l'emploi d'un sans-papier, mais l'administration demande une attestation d'emploi pour régulariser, avouez que c'est bizarre et cela encourage les filières d'immigration. Nous proposons de changer les choses : que l'employeur discute par branche pour les métiers en tension, sachant que ces métiers ne peuvent pas fonctionner sans population immigrée - nous le savons tous, et ceux qui le taisent sur les plateaux de télévision, sont souvent les premiers à demander des dérogations pour leur circonscription... -, puis l'employé aura son titre parce qu'il travaillera dans un métier en tension, on inverse la charge de la preuve. Alors qu'aujourd'hui, on peut créer une autoentreprise sans justifier de son droit de résidence, - je l'ai fait, pour le vérifier -, on peut comme cela travailler plusieurs années, payer ses charges et ses taxes, et se trouver après plusieurs années dans cette situation où les gens ne sont pas protégés ni expulsés, ce qui a entrainé l'adoption de la circulaire Valls, et la régularisation massive.

Nous inversons les choses, en disant que c'est à la personne de demander sa régularisation, pas à l'employeur. Dès lors, soit la personne est hors de France et veut exercer un métier en tension, et on l'acceptera son entrée sur notre territoire avec vérification préalable, comme vous le dites, Madame Jourda ; soit elle est déjà présente sur notre territoire, c'est l'exemple donné par M. Bourgi, ou encore de l'étudiante en infirmerie ou du jeune pâtissier en formation qui ont des promesses d'embauche parce que l'on ne trouve personne d'autre et qui ne parviennent pas aujourd'hui à passer du statut d'étudiant, à celui de salarié, et qui deviennent irréguliers le temps que l'administration traite leur dossier : pour ceux-là, le titre de séjour pour métier en tension sera une solution - et on arrêtera avec cette hypocrisie actuelle où on leur demande, pour pouvoir être embauchés, de retourner dans leur pays d'origine puis d'adresser un courrier à notre consulat... Avec le titre de séjour pour métier en tension, on régularise pour un an renouvelable. Enfin, il y a le cas des demandeurs d'asile qui ont le droit de travailler après 6 mois, et parmi eux ceux dont on sait qu'il vont obtenir leur titre de protection - par exemple les femmes yézidies sont certaines d'obtenir l'asile quand elles le demandent, ou encore les Afghans qui nous ont aidés et que nous avons fait venir après la chute de Kaboul ; ne peut-on, dans ce cas, donner un titre temporaire d'une année, en attendant l'asile, pour travailler - et qui peut être repris si l'asile n'est pas obtenu ? C'est une proposition innovante, nos voisins le font, en particulier l'Allemagne. Faut-il lister les métiers en tension et voter chaque année, mettre des quotas ? Il faut en débattre. Aujourd'hui notre pays compte entre 600 000 et 900 000 irréguliers, ce n'est pas nouveau et c'est bien parce que des filières existent, qui créent des non régularisables non expulsables, c'est parce que notre droit prévoit des recours trop long et trop nombreux, c'est aussi le fait d'une hypocrisie capitalistique - le patronat a une part de responsabilité en faisant travailler des étrangers, alors nous leur disons : si vous les faites venir, comment les logez-vous, comment leur donnez-vous des cours de langue, comment leur permettez-vous de vivre et de s'intégrer dans notre société ?

La philosophie de notre projet de loi à venir sur l'immigration, c'est qu'on doit aider les gens qui veulent s'intégrer et travailler dans notre pays et qu'on doit expulser les personnes qui se comportent mal et qui ne respectent pas les règles de notre pays.

Combien coûte une expulsion ? Je vérifierai ces données mais j'ai plus de dix mille euros par personne en tête...

M. François-Noël Buffet . - Entre 12 000 et 13 000 euros.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - En tout cas, moins ça dure et moins ça coûte. Nous payons le billet d'avion, il y a aussi le retour aidé, mis en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy et qui a fait débat parce qu'il y avait des retours. Nous avons maintenant des cartes prépayées dans le pays, que la personne ne peut donc toucher que dans son pays, et le versement est accompagné d'une interdiction de territoire. Je ne pense pas qu'augmenter cette aide soit une bonne chose, car cela donne l'idée d'une récompense à la présence irrégulière. Cela dit, il y a des personnes qui doivent partir et qu'il faut aider, parce qu'elles sont éloignées de la vie administrative. À Tourcoing, La Poste m'avait dit un jour que 22 % des personnes n'ouvraient pas leur courrier quand leur nom et adresse étaient dactylographiées, par peur de l'administration : cela laisse imaginer les difficultés que des étrangers peuvent ressentir devant une OQTF, qui n'est pas toujours facile à comprendre, surtout quand on ne maîtrise pas le français... L'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) peut aider ceux qui sont dans l'incapacité de repartir, à acheter un billet d'avion, à faire les démarches et à se préparer - ces personnes peuvent être éloignées de ces démarches, sans penser à mal, et en les aidant, nous les éloignons des filières clandestines ou encore de tous ceux qui leur expliquent comment contourner les lois et, finalement, lutter contre la République. Dans le même temps, nous devons être très fermes contre ceux qui trichent et qui commettent des actes de délinquance : c'est pourquoi j'ai demandé qu'on lève les réserves législatives contre ce qui avait été qualifié de « double peine », consistant à pouvoir expulser un étranger qui commet un acte de délinquance. En quelque sorte, nous voulons être gentils avec les gentils, et méchants avec les méchants - alors qu'on est parfois gentil avec les méchants et méchant avec les gentils.

M. François-Noël Buffet . - Nous en débattrons largement en séance plénière. J'ai lu des choses intéressantes dans vos articles récents, notamment que vous entendiez reprendre nos propositions en la matière. Nous avons besoin de mesures concrètes, mais également d'une stratégie en matière migratoire. Merci pour toutes vos réponses.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'intérieur

Direction générale des étrangers en France (DGEF)

M. Éric Jalon , directeur général

Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF)

M. Fabrice Gardon, directeur central

M. Xavier Delrieu, chef de l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et l'emploi d'étrangers sans titre

Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

M. Didier Leschi , directeur général

Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)

M. Julien Boucher , directeur général

Cour nationale du droit d'asile (CNDA)

M. Mathieu Hérondart , président

M. Olivier Massin , secrétaire général


* 1 Le programme 104 Intégration et accès à la nationalité française et le programme 303 Immigration et asile.

* 2 En crédits de paiement.

* 3 Les dépenses rattachées ici à la politique de l'asile comprennent celles relatives à l'hébergement des demandeurs (840 M€, 66 %), à l'allocation pour demandeurs d'asile (315 M€, 25 %) et à la subvention pour charges de service public de l'OFPRA (103 M€, 8 %).

* 4 Le coût de l'inflation a été inscrit à hauteur de 4,2 M€ sur le programme 104 et de 37,5 M€ sur le programme 303, soit un coût total de 41,7 M€ (en CP).

* 5 Sont notamment concernés : 2 194 places d'hébergement au titre du dispositif national d'accueil, 1 100 places du dispositif de préparation au retour et les coûts de l'externalisation des tâches non régaliennes dans les CRA.

* 6 Soit une augmentation de +24 % par rapport à 2016 (97 111).

* 7 7,6 % des crédits totaux en AE et 8,5 % en CP. Le budget dédié à l'éloignement stricto sensu, comprenant les frais de billetterie, le coût de l'aéronef utilisé par la PAF et les frais locaux de déplacement, se limite même à 44,1 M€ (DGEF).

* 8 Le dispositif est mis en place à titre expérimental depuis décembre 2020 par la DCPAF dans la zone Nord et sur les plateformes aéroportuaires parisiennes depuis l'été 2022.

* 9 Pour les territoires d'outre-mer, les capacités de rétention n'ont pas évolué, avec un total de 227 places.

* 10 Pour les 7 premiers mois de 2022, moins de 6 000 éloignements ont été exécutés, dont 2 057 en transferts Dublin. Ce chiffre comprend l'ensemble des mesures d'éloignements exécutées et non les seules OQTF.

* 11 On entend ici les départs spontanés non aidés tels que retranscrits dans le rapport annuel 2020 de la DGEF.

* 12 Du fait de la neutralisation de certains espaces pour la conduite de travaux ou pour des motifs sanitaires.

* 13 Si elle est moins nette, la dynamique est également observée pour le Maroc (172 éloignements en 2021 contre 258 au 13 octobre 2022) et la Tunisie (299 contre 345).

* 14 109 733 demandes ont été enregistrées dans les guichets uniques pour demandeur d'asile sur la même période.

* 15 Cet âge moyen était de 5,8 mois en 2021.

* 16 Selon les données publiées par Eurostat, la France était en 2021 le deuxième pays européen enregistrant le plus de demandes d'asiles (120 685) derrière l'Allemagne (190 545) et devant l'Espagne (65 295) et l'Italie (53 610).

* 17 Le projet annuel de performances de la mission fait état d'un délai moyen de 140 jours en août 2022.

* 18 Cet objectif a été fixé en 2017 dans le plan d'action « Garantir le droit d'asile, maîtriser les flux migratoires ».

* 19 Il est indiqué dans le projet annuel de performances pour 2022 de la mission que « [la] diminution du nombre et de l'âge des dossiers en stock a permis de réunir les conditions pour envisager une baisse importante du délai de traitement en 2022 et viser l'objectif des 60 jours en 2023 ».

* 20 Deux sous-objectifs sont attribués à la CNDA : un délai moyen d'examen de cinq mois en procédure classique et de cinq semaines en procédure accélérée.

* 21 Plusieurs vagues de recrutement ont permis, entre 2018 et 2021 de porter à 339 le nombre de rapporteurs.

* 22 Selon les réponses au questionnaire budgétaire transmises par le ministère de l'intérieur, les prévisions de dépenses pour 2022 au titre de l'ADA s'élèvent à 302,1 M€ pour l'allocation versée aux demandeurs d'asile et à 242,2 M€ pour celle versée aux bénéficiaires de la protection temporaire.

* 23 Décomposé comme tel : 565,2 M€ sur le programme 303 (dont 242,2 M€ pour l'ADA, 309,2 M€ pour l'hébergement et 13,8 M€ pour l'accompagnement social) et 13,8 M€ sur le programme 104 (dont 8,6 M€ pour la prise en charge des dépenses de l'OFII et 5,2 M€ pour les actions d'intégration).

* 24 Les CADA sont en priorité destinés aux personnes en attente d'une décision de l'OFPRA, tandis que les CAES permettent la mise à l'abri avant une orientation vers la structure d'hébergement adéquate et que les HUDA sont mobilisés principalement pour les demandeurs d'asile en procédure accélérée et en procédure Dublin.

* 25 Sans compter les CPH qui sont réservées aux bénéficiaires de l'asile les plus vulnérables. Ils sont financés par le programme 104 et 1 000 places supplémentaires sont budgétées par le PLF pour 2023.

* 26 Une augmentation de 183 euros nets par mois a été annoncée par le Premier ministre le 18 février 2022, pour un coût total estimé en 2023 de 38,1 M€ pour dispositifs d'hébergement.

* 27 La DGEF évalue dans sa contribution écrite le coût supplémentaire à 26 M€.

* 28 Pour un coût de 51 M€ selon les données communiquées par le ministère de l'intérieur.

* 29 Pour un coût de 10 M€ selon les données communiquées par le ministère de l'intérieur. Le rattachement de 1 208 places financées jusqu'au 31 décembre 2022 par la mission de plan de relance contribue également à cette hausse.

* 30 Le stock de titres de séjour valides en fin d'année 2017 était de 3 082 150.

* 31 L'objectif du plan de recrutement d'effectifs pérennes prévu dans ce cadre est une augmentation de 350 ETP sur le programme 354 « Administration territoriale de l'État », fléchés notamment vers les services des étrangers.

* 32 Les deux premiers jours sont concernés. Cette possibilité est également ouverte pour les parcours linguistiques les plus courts et pour les 200 dernières heures des parcours les plus longs.

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