EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 9 NOVEMBRE 2022

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » . - Nous examinons les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Je suis corapporteur de ces crédits avec Philippe Bonnecarrère qui ne peut être présent avec nous aujourd'hui mais qui a été pleinement associé aux travaux.

Je voudrais débuter mon propos en vous donnant quelques ordres de grandeur. La mission « Immigration, asile et intégration » représente un volume total de crédits d'environ 2 milliards d'euros et est composée de deux programmes : les programmes 104 « Intégration et accès à la nationalité française » et 303 « Immigration et asile ». Ces intitulés résument finalement bien les trois composantes de cette politique publique : l'asile, qui représente près de 66 % des crédits ; l'intégration, qui pèse pour environ 25 % du montant ; la lutte contre l'immigration irrégulière qui, avec 170 millions d'euros seulement ne constitue même pas le dixième de l'ensemble, 8,5 % pour être précise.

Pour le projet de loi de finances pour 2023, le montant des crédits demandés s'élève à 2,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 2 milliards d'euros en crédits de paiement, soit des augmentations respectives de 34 % et de 6 % par rapport à 2022. Les moyens des deux opérateurs rattachés à la mission sont également renforcés : pour le volet asile, l'OFPRA bénéficie de 8 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires et voit son budget progresser de 11 % pour dépasser pour la première fois les 100 millions d'euros - 103 exactement -, tandis que l'OFII gagne 9 ETP et voit sa dotation grimper de 6 points à hauteur de 281 millions d'euros.

Ces hausses peuvent paraître importantes de prime abord, mais elles doivent en réalité être relativisées, en raison notamment de la reprise des flux migratoires après la période de covid-19.

Après cette brève introduction, il est temps de rentrer dans le détail de chacun des trois volets de la mission.

Le premier de ces volets est la lutte contre l'immigration irrégulière. Il est d'autant plus important cette année qu'il est désormais confirmé que les flux d'immigration clandestine ont retrouvé leur niveau pré-pandémique. Vous le savez, il n'existe pas d'indicateur direct global pour illustrer ce phénomène, mais toutes les données indirectes recueillies vont dans le sens d'un rattrapage après le bref répit survenu avec la covid-19. La pression aux frontières est d'abord redevenue forte, avec 125 000 mesures de non-admissions, en hausse de 59 % par rapport à 2020. Pour ce qui est des personnes déjà présentes irrégulièrement sur le territoire, le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat dépassait les 375 000 au 30 septembre 2021, soit une progression de 2 %, tandis que plus de 120 000 personnes dans cette situation ont été interpellées l'an dernier. Le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, a également évoqué au cours de son audition un nombre de 600 000 à 900 000 clandestins.

Dans ce contexte, le budget alloué à la lutte contre l'immigration irrégulière est, une nouvelle fois, sous-dimensionné.

La capacité d'accueil des 26 centres de rétention administrative (CRA) continue à croître. Elle devrait se porter à 1 859 places fin 2022 et 1 961 fin 2023. On note néanmoins que le rythme effectif de cette augmentation est inférieur aux ambitions affichées l'an passé, puisque le précédent objectif était de 2 099 places fin 2023. Cela s'explique notamment par le report d'une année de la livraison du CRA de Bordeaux. In fine , le constat de l'an passé subsiste : il s'agit d'un « ajustement minimum » de la capacité de rétention, qui reste très en-deçà des besoins.

Les conclusions ne sont pas différentes en matière de retours forcés, puisqu'aucune avancée notable ne peut être relevée dans l'exécution des mesures d'éloignement depuis l'an dernier. Le bilan n'est pas excellent. En volume, le total des éloignements contraints exécutés se porte à 10 091 en 2021 contre 9 111 l'année précédente. En pourcentage, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est toujours aussi faible : 6,8 % au premier semestre 2022 avec 65 000 OQTF émises pour 4 500 exécutées.

Le ministre de l'intérieur a remis en cause la pertinence de cet indicateur au cours de son audition. Je peux le rejoindre sur le fait qu'il doive être relativisé en raison d'un décalage temporel entre l'émission des OQTF et leur exécution ou de la possibilité que certaines OQTF soient exécutées spontanément sans que les services de l'État en soient avisés. Mais cela ne change rien au constat général d'une politique foncièrement en échec. Pour rappel, le taux d'exécution en 2012 était encore de 22 %... On pourrait donc avoir une meilleure exécution qu'actuellement. Quant aux retours spontanés, le ministère de l'intérieur lui-même en comptabilisait 1 260 en 2020. Il serait bien naïf de croire que le nombre de ceux qui échappent à sa vigilance puisse être beaucoup plus important...

La situation est d'autant plus préoccupante que les difficultés conjoncturelles liées à la covid-19 tendent à s'estomper avec le reflux de l'épidémie, et ce sans retrouver des résultats comparables à ceux de 2019, pourtant déjà très insuffisants.

Il est vrai que des obstacles structurels à l'éloignement persistent. Le président François-Noël Buffet a en a recensé quatre dans son dernier rapport d'information sur le sujet : les difficultés à identifier les personnes en situation irrégulière interpellées ; l'obtention des laissez-passer consulaires dans des délais utiles, à peine plus d'un sur deux en ayant été obtenu dans les délais en 2021 ; la judiciarisation accrue du processus d'éloignement ; la saturation du parc de rétention.

Car les solutions existent. À titre d'exemple, la restriction des visas vis-à-vis des pays du Maghreb, visas délivrés en échange de retours dans ces pays, a produit des résultats. Les volumes restent très faibles mais la dynamique est là : le nombre de retours forcés vers l'Algérie a été multiplié par 16 en un moins d'un an (34 en 2021 contre 557 au 13 octobre 2022). Nous pouvons nous satisfaire de cette politique diplomatique intense préconisée depuis plusieurs années par le Sénat.

J'en viens à la deuxième partie de mon intervention, qui a trait à la politique de l'asile. Le constat est moins univoque de ce côté et on constate même de vrais progrès sur certains aspects.

C'est le cas pour les délais d'examen de l'OFPRA qui évoluent dans le bon sens. Si la demande d'asile retrouve progressivement son niveau d'avant covid, avec 120 000 demandes attendues pour 2022, cette évolution est contrebalancée par l'augmentation sensible de l'activité de l'office. L'effet du renforcement des moyens de l'office décidé en 2020 est désormais évident. L'attribution de 200 ETPT supplémentaires lui a permis de rendre un nombre inédit de 140 000 décisions en 2021 et de diviser par plus de deux le stock de dossiers depuis le pic de 2020, égal à environ 40 000 aujourd'hui, ce qui est notable. Surtout, le délai de traitement moyen est à son plus bas niveau depuis 10 ans : il était de 148 jours en septembre, contre 261 jours fin 2021.

Ces progrès doivent être appréciés à leur juste valeur ; ils sont néanmoins encore fragiles et commencent à plafonner. La dynamique est moins nette depuis l'automne, avec même un léger recul de huit jours du délai de traitement en septembre. L'OFPRA reste en effet affecté par un taux de rotation important de ses agents, environ 14 %, et la covid-19 a encore un impact non négligeable. Dans ce contexte, je resterai très prudente sur la possibilité d'atteindre en 2023 l'objectif d'un délai de 60 jours, contrairement au ministre de l'intérieur, qui est très optimiste.

En outre, cette amélioration soumet paradoxalement l'OFPRA à des difficultés dans son activité d'état civil. L'augmentation mécanique du volume de personnes protégées s'est traduite par une augmentation sensible des délais de délivrance des documents, qui sont actuellement de huit mois. 8 ETP supplémentaires sont fléchés sur cette activité en 2023. Cela est une bonne nouvelle, mais nous devrons rester vigilants.

Le bilan est plus nuancé s'agissant de la CNDA et je suis dubitative sur sa capacité à atteindre à moyen terme ses objectifs en termes de délais de traitement. Ils sont, je le rappelle, de 5 mois en procédure normale et de 5 semaines en procédure accélérée. Il est vrai que la CNDA parvient depuis 2021 à rendre annuellement autant de décisions qu'elle enregistre de recours, 68 000, ce qui stabilise mécaniquement le stock de dossiers, qui était de 32 196 en juin 2022.

Pour autant, ces résultats sont encore largement perfectibles. Avec 188 jours, le délai moyen de jugement est encore très supérieur à la cible. De plus, ces indicateurs sont extrêmement fluctuants du fait de la récurrence de mouvements de grève des avocats à la Cour. Le dernier s'est étalé entre octobre 2021 et mai 2022, et a entraîné le report du jugement de 10 000 recours. Aussi préoccupante qu'elle soit, cette situation ne peut toutefois obérer le fait que la Cour a bénéficié de fortes augmentations de moyens depuis 2018. Il est de sa responsabilité de les traduire en résultats.

J'en viens aux conditions matérielles d'accueil. La dotation inscrite au projet de loi au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) connaît d'abord une diminution de plus d'un tiers, ce qui me paraît excessivement optimiste. Le ministre de l'intérieur le justifie par le fait que cela exclut les montants alloués aux réfugiés ukrainiens ainsi que par l'amélioration des délais de traitement des demandes d'asile. On peut s'interroger sur la pertinence du choix d'exclure les dépenses liées au conflit en Ukraine de la budgétisation tandis que, comme je vous le disais, les progrès de l'OFPRA sont encore à confirmer. Cela me semble donc être un pari très audacieux.

S'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile, 2022 aura été une « année blanche » puisque les crédits prévus pour financer 4 900 places supplémentaires ont finalement été mobilisés pour l'accueil des déplacés d'Ukraine. Nous les retrouvons donc en 2023. Elles devraient permettre de porter la capacité du parc à environ 114 000 places en fin d'année. Cela reste insuffisant. La part des demandeurs d'asile hébergés progresse mais reste modeste, avec 58 % en 2021, et le Gouvernement a même revu ses objectifs à la baisse : d'une ambition initiale de 90 %, nous en sommes désormais à 70 % pour la fin 2023.

Je précise par ailleurs que 2 200 places d'hébergement jusqu'à maintenant financées sur le plan de relance seront rattachées à la mission « Immigration, asile et intégration » en 2023. Cela participe à la hausse des crédits, mais avec un nombre de places constant.

Le troisième volet de la mission est la gestion de l'immigration régulière et de l'intégration. Les crédits augmentent de 24 %, essentiellement du fait du renouvellement des marchés de formations civique et linguistique du contrat d'intégration républicaine (CIR), du déploiement du programme d'accompagnement global et individualisé pour l'intégration des réfugiés (AGIR) et de la création de 1 000 places supplémentaires en centre provisoire d'hébergement.

C'est bien le minimum compte tenu du dynamisme des flux d'immigration régulière. Sur l'année 2021, les préfectures ont procédé à 270 000 primo-délivrances de titres, soit un volume analogue au pic observé en 2019. Le stock de titres valides franchit cette année encore un palier et dépasse les 3,5 millions. Cette dynamique est portée par l'admission exceptionnelle au séjour, qui représente 11,5 % des primo-délivrances. De ce point de vue, je ne peux que rappeler la position constante de la commission des lois en faveur d'un durcissement sévère des critères de l'admission au séjour tels qu'ils sont définis par la circulaire Valls.

Vous le savez, cette demande exponentielle met en tension les services des étrangers en préfecture. Le délai de traitement des primo-demandes de titre s'est encore dégradé du fait de l'accueil des réfugiés ukrainiens. Il est de 117 jours contre 99 jours l'an dernier, loin de l'objectif des 90 jours que s'est fixé le ministère de l'intérieur. Et cela sans mentionner les délais pour obtenir un rendez-vous, qui sont à l'origine d'un nouveau contentieux ubuesque d'accès au guichet. Je ne m'étends pas plus sur le sujet, qui a été traité en profondeur par le rapport de François-Noël Buffet, si ce n'est pour dire que je m'associe pleinement à ses recommandations.

Le dispositif d'intégration enfin me paraît devoir être encore consolidé. Le nombre de CIR signés plafonne à un niveau proche de celui de 2019, si bien qu'il est délicat d'établir un bilan de ses dernières évolutions.

L'année 2022 a également vu la mise en place du programme AGIR, qui vise à la création d'un guichet unique pour l'accompagnement vers l'emploi et le logement des bénéficiaires de la protection internationale. Là encore, il est trop tôt pour en dresser un bilan.

Dans ce contexte, l'augmentation de 6 % des moyens budgétaires alloués à l'OFII va dans le bon sens, d'autant que son périmètre d'intervention continue inexorablement à s'étendre, comme en atteste la généralisation progressive du rendez-vous santé aux réfugiés et aux signataires du CIR.

En conclusion, si des éléments de satisfaction doivent être relevés s'agissant de l'asile, les autres composantes de la politique migratoire sont toujours en échec. En particulier, la politique de lutte contre l'immigration irrégulière est dans l'impasse. Elle donne l'impression d'une politique du « fait accompli », avec des flux d'entrées irrégulières qui ont retrouvé leur niveau pré-pandémique et un volume d'éloignements forcés exécutés minime. Nous constatons depuis plusieurs années cet accompagnement des faits, avec un temps de retard, plutôt qu'une volonté de s'imposer à eux.

Dans ces circonstances, le PLF pour 2023 est une nouvelle fois sous-dimensionné. Les hausses de crédits sont en réalité dictées par les évolutions des flux migratoires et du contexte économique plutôt que par un véritable choix politique.

Philippe Bonnecarrère et moi-même vous proposons donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Habituellement un budget est révélateur d'une volonté politique. En l'espèce, je n'en suis pas persuadée en raison de l'inadéquation entre les déclarations des ministres et le budget qui nous est présenté. Ce budget doit être à la hauteur afin de régler cette question de l'immigration irrégulière, qui est un vrai sujet pour notre pays. J'aimerais connaître l'analyse des rapporteurs.

Mme Laurence Harribey . - Je remercie la rapporteure pour son analyse froide et rigoureuse des crédits qui nous sont présentés. Je la rejoins sur l'absence de prise en compte, pour la dotation au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), de la question ukrainienne au prétexte de l'incertitude dans l'évolution des flux. Je m'interroge donc sur la sincérité du budget. Les crédits pour 2023 au titre de l'ADA sont en forte diminution, - 36 %, alors que les protégés temporaires bénéficient de cette allocation et que les demandes d'asile seront probablement en hausse en 2023. La diminution des délais de traitement se répercute sur le montant de l'allocation mais ne compensera pas la baisse de crédits. Nous constatons une sous-budgétisation de l'ADA depuis 2017 qui entraîne inévitablement des problèmes d'exécution budgétaire.

Je relève une autre contradiction. Le ministre communique beaucoup sur les crédits alloués à l'intégration et la nécessité pour les étrangers de maîtriser la langue française avec l'obtention d'une certification. Mais l'augmentation de seulement 3,6 millions d'euros des crédits n'est pas à la hauteur de cette ambition.

Pour ces raisons, nous rejoignons beaucoup d'éléments soulignés par les rapporteurs.

Mme Nathalie Goulet . - Je partage la position des rapporteurs de rejeter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Ce sujet de l'immigration est un irritant pour la population. Cela fait partie des sujets difficiles et le débat récent sur l'exécution des OQTF ainsi que les déclarations du ministre ne font qu'ajouter confusion et irritation.

Je m'interroge sur l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF). Les rapporteurs ont-ils évalué ce fichier et notamment son évolution au regard du code de la sécurité sociale ? Il était prévu une consultation d'AGDREF par les organismes de sécurité sociale avant ouverture de droits à prestations. Cette disposition avait été votée avec difficulté en 2019. Des fonds sont-ils réservés à l'amélioration du fichier ?

M. Alain Marc . - La commission des lois du Sénat a effectué en 2021 un déplacement à Mayotte auquel j'ai participé. Le nombre d'immigrés en situation irrégulière y est estimé entre 55 000 et 70 000. Avez-vous des éléments de comparaison entre l'immigration irrégulière dans les départements et territoires d'outre mer et celle en métropole ?

Mme Éliane Assassi . - Notre groupe est également défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » mais pour des raisons différentes. Nous examinons ce budget dans un agenda politique compliqué, avec un projet de loi relatif à l'immigration qui nous est annoncé pour début 2023. Je m'interroge sur la détention d'enfants dans les CRA sous prétexte de ne pas séparer les familles. N'existe t-il pas d'autres solutions ?

En ce qui concerne l'asile, si l'OFPRA a diminué ses délais d'instruction, je ne vois pas comment il pourrait réduire ses stocks avec un renfort de seulement 8 ETP. Il faudrait beaucoup plus de moyens plutôt que de recourir à des cabinets privés pour gérer ces stocks.

Mme Esther Benbassa . - Après avoir assisté à plusieurs auditions, j'ai acquis la conviction qu'il fallait s'opposer aux crédits de cette mission, mais pour des raisons différentes de celles du rapporteur. Nos positions se rejoignent sur certains points. Je m'interroge sur l'absence de mention du budget de l'accueil des demandeurs d'asile. Je salue la qualité de l'accueil réservé aux Ukrainiens. Nous avons su débloquer des crédits pour eux, mais que faisons-nous pour tous les autres qui dorment sous les ponts et traînent dans la rue, alimentant l'irritation de la population ?

Par ailleurs, se pose le problème de la gestion des CRA qui fourmillent de repris de justice clandestins. Une fois qu'un étranger est resté 90 jours dans un CRA et qu'il n'a pas obtenu de laissez-passer consulaire, que fait-on ? Faut-il augmenter la capacité des CRA à recevoir des immigrés clandestins ? Le fait est qu'aujourd'hui, il n'y a plus de places disponibles. Comme la loi limite à 90 jours le séjour en CRA, ces personnes sont libérées et se retrouvent à nouveau à la rue.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer propose une demi-solution: fournir des papiers aux personnes qui travaillent dans des métiers en tension. Mais le chemin est encore long car le projet de loi contenant cette disposition n'a pas encore été déposé sur le bureau de l'une des deux chambres.

Ce problème est lié à celui de la difficulté d'obtenir l'ADA. Que font les demandeurs d'asile qui attendent des mois avant d'obtenir un rendez-vous et qui, souvent, ne maîtrisent pas le Français ? Ils appellent l'administration en continu, dans le vide. Certains s'adressent à nous mais ce n'est évidemment pas la solution. Il me semble que l'amélioration de l'accueil, et notamment la réduction du délai de traitement des dossiers de demande d'asile, est l'un des éléments clés pour améliorer l'intégration des étrangers.

M. Guy Benarroche . - En tant que rapporteur pour avis sur les crédits de la mission dont relève la justice administrative, je sais que le contentieux des étrangers représente la moitié de l'activité des tribunaux administratifs, voire bien plus dans certains tribunaux de la région parisienne. Le contentieux géré par la CNDA est par ailleurs en constante augmentation.

En parallèle, comme vous l'avez rappelé, le taux d'exécution des OQTF est d'environ 7 % et continue de diminuer d'année en année.

À ces problématiques s'ajoutent la suroccupation des CRA mais aussi les inepties liées à la gestion de la police aux frontières. À Montgenèvre, par exemple, la mobilisation de 150 agents chargés d'empêcher les migrants en provenance d'Italie de passer la frontière est une aberration totale tant leur action est inefficace. Les zones d'attente, comme celle de Marignane, sont tout aussi absurdes, de même que la situation des CRA. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de visiter celui de Marseille : on y revoit toujours les mêmes personnes qui sont de petits délinquants.

Il est devenu urgent de s'interroger sur la manière dont nous pouvons faire évoluer notre politique migratoire devenue totalement kafkaïenne. Je partage donc le même avis que le rapporteur sur les crédits de cette mission, mais pour d'autres raisons.

M. André Reichardt . - Je partage l'avis défavorable du rapporteur à l'adoption de ce budget. C'est un budget d'accompagnement d'une politique dont les contours échappent à leurs auteurs. Les crédits prévus sont largement insuffisants, l'ADA n'est pas calibrée, le coût de la prise en charge des migrants Ukrainiens n'est pas pris en compte, la création de 8 ETPT à l'OFPRA ne permettra évidemment pas de combler le retard dans le traitement des dossiers... Nous devons nous prononcer sur des moyens dont on sait d'ores et déjà qu'ils sont insuffisants pour financer une stratégie qui, de toute façon, n'est pas encore définie. Il y a fort à parier que nous aurons à examiner un projet de loi de finances rectificative. Il est donc malaisé de travailler dans ces conditions.

Je ne vois pas comment le Gouvernement pourra proposer un projet de loi sur l'immigration dans la mesure où le nouveau pacte européen sur la migration et l'asile n'avance pas. Celui-ci se décompose en plusieurs propositions mais seuls deux règlements ont pu avancer dernièrement. Ils sont actuellement négociés entre les États membres et le Parlement européen. Toutes les autres propositions restent enlisées. C'est pourtant bien à l'échelle de l'espace Schengen que nous arriverons à lutter contre l'immigration clandestine.

Dans ces conditions, nous continuerons à donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission pendant longtemps.

Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Mme Eustache-Brinio, les budgets sont nécessairement la traduction d'une politique. Ici, il s'agit d'une politique du fait accompli. Les moyens mobilisés sont trop faibles. Les tentatives de reconduite à la frontière se heurtent à des difficultés trop importantes, comme l'a démontré le rapport du président François-Noël Buffet sur les services de l'État et l'immigration. Face à ce constat d'échec de la politique de retour, il semblerait logique d'empêcher les immigrés clandestins d'entrer sur le territoire, mais cette politique se heurte à d'autres obstacles. En conséquence, les reconduites à la frontière se font au fil de l'eau et ne correspondent pas aux flux d'entrée.

Mme Harribey, je regrette, tout comme vous, l'absence de prise en compte dans le projet de loi de finances de l'accompagnement des réfugiés Ukrainiens qui bénéficient de la protection temporaire, notamment le montant de l'ADA, qui peut conduire à s'interroger sur la sincérité du budget. J'ai noté que, lors de son audition, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a indiqué que les prévisions budgétaires dans domaine étaient, par définition, hasardeuses puisqu'il est impossible de prévoir l'évolution géopolitique du conflit en Ukraine. Ses services se sont toutefois risqués à faire des prévisions budgétaires qui ne figurent pas dans le projet de loi de finances : pour l'année 2023, 706 millions d'euros devraient être consacrés à l'accueil des réfugiés ukrainiens, principalement au titre de l'ADA et de l'hébergement. Je rappelle qu'en 2022, ce montant était de l'ordre de 579 millions d'euros. Cette politique est totalement passée sous silence dans le budget alors qu'elle n'est pas des moins onéreuses et qu'elle est en plein coeur de l'exercice du droit d'asile. Les crédits consacrés à cette politique seront sans doute examinés en cours d'année, mais il aurait été intéressant de voir figurer ces chiffres dans le projet de loi de finances pour 2023.

Concernant l'intégration par la pratique de la langue, les crédits sont en augmentation mais des inquiétudes demeurent et je partage les observations qui ont été faites sur ce point.

Madame Goulet, l'AGDREF a vocation à être remplacée par une autre application informatique. Cette opération a déjà été budgétisée. La numérisation est un poste de dépenses majeur de l'ordre de 28 millions d'euros, avec une augmentation de 400 % sur l'action correspondante par rapport à 2022. Des moyens budgétaires importants ont donc été alloués pour mettre en oeuvre cette évolution.

Monsieur Marc, j'ai bien noté votre interrogation sur les chiffres de l'immigration illégale en métropole et en outre-mer. Des éléments ont été transmis à ce sujet par le ministère de l'intérieur, qui pourraient éventuellement être mis à disposition de la commission.

Madame Assassi, vous déplorez la transformation progressive des CRA en lieux de détention pour mineurs. Je voudrais préciser que, sur l'année 2021, 82 mineurs ont été enfermés dans des CRA en métropole mais 3 109 en outre-mer, en grande partie à Mayotte.

Quant à l'asile, les délais de traitement des dossiers sont bien sûr trop importants. Je crains que l'amélioration que nous connaissons actuellement ne soit que temporaire. C'est bien le problème de ce budget qui tente constamment de rattraper des flux migratoires en augmentation.

Les crédits du programme 303 « Immigration et asile » s'élèvent à 1,9 milliards d'euros soit deux-tiers du budget de la mission. L'accueil des demandeurs d'asile en constitue la majeure partie et représente donc, budgétairement, le sujet le plus important, Madame Benbassa, même s'il est encore possible de trouver que les crédits qui lui sont alloués sont insuffisants.

Les étrangers sortent des CRA en situation irrégulière à l'expiration du délai de 90 jours, c'est un fait. Chacun estimera la façon dont il faut les prendre en charge.

Monsieur Benarroche, la politique migratoire est effectivement une politique kafkaïenne. Nous ne pouvons que constater que celle du Gouvernement ne donne pas de bons résultats aujourd'hui.

Monsieur Reichardt, je partage tout à fait votre position : il faut définir la stratégie avant de fixer les ressources qui lui sont allouées. Mais force est de constater que la politique des moyens est devenue monnaie courante aujourd'hui, comme nous l'avons vu avec les États généraux de la justice. Le Gouvernement tente d'accompagner un mouvement de société plutôt que d'essayer de lui imprimer une direction.

J'en terminerai en rappelant que la politique européenne demeure incontournable sur ce sujet, même si la présidence française de l'Union européenne n'a pas apporté de grandes avancées en matière d'immigration.

M. François-Noël Buffet , président . - Je souhaite apporter une précision sur le nombre de personnes placées en rétention en CRA et qui, à l'expiration du délai de 90 jours, sont éloignées : en 2021, cela représentait 462 personnes.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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