IV. UNE DOTATION STABLE POUR LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE, INSTITUTION À L'AVENIR INCERTAIN MALGRÉ SA SAISINE MASSIVE DANS LE CADRE DE LA CRISE SANITAIRE

La Cour de justice de la République (CJR) a vu le jour avec la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 dans le contexte d'une tragédie sanitaire, l'affaire du sang contaminé. Elle est compétente pour juger de la responsabilité des ministres et anciens ministres, ou assimilés , pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions 35 ( * ) . Il s'agit d'une juridiction à la composition mixte et à la procédure hybride.

Toutes les plaintes de personnes qui s'estiment lésées par un crime ou délit commis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions passent par le filtre de la commission des requêtes , composée de trois magistrats de la Cour de cassation, de deux conseillers d'État et de deux conseillers maîtres à la Cour des comptes. La commission des requêtes se réunit une ou deux fois par mois et analyse vingt à trente plaintes par réunion. Elle peut classer la plainte ou la transmettre au procureur général près la Cour de cassation pour saisine de la CJR. Le procureur général près la Cour de cassation peut également saisir directement la CJR après avis conforme de la commission des requêtes. Une grande partie des plaintes ne dépasse pas le filtre de la commission des requêtes, faute pour la plainte d'identifier nommément le ministre responsable, de faire état d'un préjudice personnel ou encore de dénoncer des infractions en lien avec l'exercice des fonctions.

La commission d'instruction , composée de trois magistrats de la Cour de cassation, procède à l'instruction des dossiers et peut diligenter toute mesure qu'elle estime utile. La commission d'instruction effectue un travail quotidien et procède à environ quatre actes d'instruction par semaine. À l'issue de son instruction, elle peut décider qu'il n'y a pas lieu à poursuivre ou décider le renvoi devant la CJR.

La formation de jugement comprend quinze juges, douze parlementaires et trois magistrats du siège, dont l'un préside la Cour 36 ( * ) . La Cour délibère par bulletins secrets à la majorité absolue. Les arrêts de la Cour peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation, qui doit statuer dans un délai de trois mois 37 ( * ) .

On le sait, cette juridiction à part entière dans le système de procédure pénale est l'objet de contestations. Il est ainsi reproché que des politiques soient jugés par une juridiction composée très majoritairement de politiques.

A. UN NIVEAU DE DÉPENSES CONSTANT PAR RAPPORT À L'EXERCICE PRÉCÉDENT POUR CETTE JURIDICTION CONTESTÉE

Par deux projets de révisions constitutionnelles avortés , la pérennité de cette juridiction a été remise en cause. Le projet de loi constitutionnelle du 14 mars 2013 relatif à la responsabilité juridictionnelle du président de la République et des membres du gouvernement prévoyait la suppression de la CJR, tandis que le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique du 28 août 2019 prévoyait un transfert de la compétence de jugement des ministres à la cour d'appel de Paris.

Si ces réformes n'ont jusqu'à présent pas abouti, la suppression de la CJR, qui s'inscrit dans la recherche plus globale d'une meilleure articulation entre responsabilité politique et responsabilité pénale, demeure d'actualité. Dans son rapport rendu en avril dernier, le comité des États généraux de la justice, sous la présidence de Jean-Marc Sauvé, se montre ainsi favorable « à une réforme institutionnelle tendant à supprimer la CJR afin que les ministres soient responsables pénalement devant les juridictions de droit commun pour les crimes et délits accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, au même titre que les autres responsables publics. » Il souligne toutefois la nécessité « d'écarter rapidement et en amont les procédures judiciaires abusives n'ayant pour seul but que de porter atteinte aux personnalités politiques. C'est pourquoi un dispositif de filtrage s'impose, sur le modèle de celui qui avait été envisagé à l'occasion des projets de révision constitutionnelle, en parallèle de l'alignement des procédures. »

Après avoir été revalorisé à hauteur de 112 000 euros en 2022 pour faire face aux flux de requêtes liées à la crise sanitaire, le budget de la CJR pour 2023 est stable , la dotation sollicitée s'élevant à 984 000 euros. La hausse de 8 000 euros des dépenses relatives aux indemnités des magistrats et aux cotisations est compensée par une baisse équivalente des crédits affectés aux frais de justice.

Le budget de la Cour de justice de la République

(en euros)

Source : Annexe « Pouvoirs publics » au projet de loi de finances pour 2023

Les dépenses liées aux indemnités des magistrats s'élèvent à 143 000 euros en 2023, contre 135 000 euros en 2022. Le président de la Cour de justice, les conseillers à la Cour de cassation titulaires et suppléants, les membres de la commission des requêtes et de la commission d'instruction, de même que les magistrats assurant le ministère public, perçoivent une indemnité dont le montant est fixé par référence au traitement brut moyen des conseillers et avocats généraux de la Cour de cassation, conformément au décret n° 96-692 du 9 mai 1995 38 ( * ) . La revalorisation du traitement brut moyen des conseillers et avocats généraux de la Cour de cassation, corollaire de l'augmentation du point d'indice de la fonction publique à compter du 1 er juillet 2022, se traduit par une hausse, dans les mêmes proportions, des crédits affectés aux indemnités versées aux membres de la Cour de justice de la République.

Les autres personnels de la Cour de justice de la République, dont la secrétaire générale, sont mis à sa disposition par la Cour de cassation, pour assurer son bon fonctionnement. Ainsi, au 1 er janvier 2022, les six agents mis à la disposition de la Cour ne bénéficient d'aucune indemnité semblable à celle que perçoivent les magistrats. De telles mises à disposition ne font pas l'objet de remboursement de la part de la Cour de justice de la République.

Les deux exercices précédents avaient été marqués par un renforcement du personnel de la Cour de justice de la République pour faire face au flux de requêtes liées à la crise sanitaire . Les trois vacataires recrutés à l'été 2021 sur les crédits de la Cour de cassation n'ont pas été renouvelés cette année, tandis que les deux greffières de la Cour de cassation mises à disposition de la CJR ont rejoint leur affectation d'origine 39 ( * ) .

Les frais de procès sont stables avec une prévision budgétaire pour 2023 à hauteur de 62 000 euros 40 ( * ) . Trois dossiers mettant en cause des ministres en exercice et d'anciens ministres sont en cours d'instruction à ce jour.

Les dépenses afférentes au loyer et aux charges locatives s'élèvent à 493 000 euros en 2023 , soit une somme identique à celle allouée en 2022. Le loyer du siège de la Cour est légèrement inférieur à 482 000 euros, tandis que les charges locatives représentent 11 000 euros environ. Si le renouvellement du bail, intervenu au 1 er mars 2022 pour une durée de neuf ans sur la base de l'indice en vigueur au troisième trimestre 2021, a permis d'éviter une hausse du loyer au 1 er janvier 2022, ces dépenses représentent toutefois plus de la moitié du budget de la Cour. Le nouveau contrat prévoit la possibilité de dénoncer à tout moment la location , sous réserve de respecter un délai de préavis de neuf mois , ce qui représente un allongement de la durée de préavis de trois mois par rapport au bail précédent 41 ( * ) .

En outre, des incertitudes de plusieurs ordres pèsent sur le siège de la Cour. Il conviendra donc, le moment venu, de disposer d'un calendrier précis et suffisamment anticipé pour que le délai de préavis susmentionné puisse s'appliquer sans risque de pénalités financières. En cas de suppression de la Cour, plusieurs mesures transitoires devront également être mises en oeuvre, aussi bien sur le plan juridique de traitement des recours que des formalités techniques 42 ( * ) . Dans l'hypothèse où la Cour de justice de la République serait maintenue, ses présidents successifs ont témoigné leur volonté de rejoindre les locaux de l'ancien tribunal judiciaire sur l' île de la Cité , aujourd'hui implanté aux Batignolles. Cependant, ce transfert ne pourrait intervenir au plus tôt qu'en 2025, voire en 2026 , du fait des procès des attentats de 2015 et de 2016 qui se tiennent dans une salle spécialement créée au palais de justice de Paris d'une part, et de la nécessité de réaliser des travaux de mises aux normes en amont du déménagement d'autre part.

En ce qui concerne les autres dépenses de fonctionnement , un audit de sécurité, réalisé par les services spécialisés de la préfecture de police de Paris, a révélé la nécessité d'effectuer des travaux de sécurisation des locaux . Ceux-ci sont pleinement justifiés. Le coût total de l'opération, compris entre 50 000 et 60 000 euros, sera équitablement réparti entre le budget de l'exercice en cours et le suivant. En 2023, 30 000 euros environ seront donc affectés à la réalisation de ces travaux, sur une enveloppe globale de 135 000 euros , qui reste stable par rapport à l'exercice précédent .


* 35 Article 68-1 de la Constitution du 4 octobre 1958.

* 36 Article 68-2 de la Constitution du 4 octobre 1958.

* 37 Articles 32 et 33 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

* 38 Ce décret prévoit que l'indemnité du président de la cour et du procureur général près la cour est versée mensuellement (article 2 du décret). En revanche, l'indemnité du président de la commission des requêtes, du président de la commission d'instruction, des membres de ces deux commissions et des autres magistrats du ministère public, à caractère mensuel, est due si, au moins une fois au cours du mois écoulé, ils ont siégé dans la formation à laquelle ils appartiennent ou ont exercé les fonctions du ministère public (article 4 dudit décret).

* 39 Réponse complémentaire au questionnaire budgétaire.

* 40 Un montant identique avait été demandé en 2022.

* 41 Le bail précédent couvrant la période 2013-2022 prévoyait un délai de préavis de six mois.

* 42 Remise du mobilier hors propriété de la Cour au Mobilier national et au Centre national d'art contemporain, renégociation ou résiliation des multiples contrats, remise aux services des domaines ou vente du mobilier et des véhicules, propriété de la Cour.

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