Avis n° 120 (2022-2023) de Mme Laure DARCOS , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 17 novembre 2022

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Synthèse du rapport (1 Moctet)


N° 120

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2023 ,

TOME V

Fascicule 1

RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉ RIEUR

Recherche

Par Mme Laure DARCOS,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Le budget consacré à la recherche en 2023 constitue la troisième « marche » de mise en oeuvre de la trajectoire de crédits prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) du 24 décembre 2020. Très attentive à l'application de la loi, à laquelle elle a consacré un récent travail de contrôle 1 ( * ) , la rapporteure constate un renforcement des moyens conforme à la programmation décennale . Elle salue particulièrement l'effort budgétaire déployé à l'attention de l'ensemble des doctorants , pour revaloriser leur rémunération à compter du 1 er janvier 2023.

Constituant un bon début de réinvestissement public dans la recherche, la LPR commence à porter ses fruits, comme le montrent l'augmentation du taux de sélection aux appels à projets et le relèvement du préciput. La rapporteure estime néanmoins que la durée et le rythme de la programmation sont à réexaminer compte tenu de la très forte inflation à laquelle la France est confrontée . La clause de revoyure, prévue en 2023, doit être l'occasion de travailler à une accélération et une intensification de la trajectoire, scénario qui pourrait trouver sa traduction législative dans le projet de loi de finances pour 2024 .

L'année 2023 est aussi synonyme d'inquiétude financière pour les organismes nationaux de recherche, « pris à la gorge » par les surcoûts énergétiques. La rapporteure félicite la ministre pour son interventionnisme efficace, qui a permis le déblocage de 275 millions d'euros supplémentaires, inscrits au projet de loi de finances rectificatif pour 2022 et destinés à accompagner, au cas par cas, les opérateurs de l'enseignement supérieur et de la recherche . Même s'il est indispensable que ces derniers participent à l'effort national pour plus de sobriété énergétique, il convient de rappeler les contraintes propres à certaines activités de recherche, dont la consommation en énergie comprend une part incompressible significative.

Par ailleurs, dans un contexte marqué par une défiance de plus en plus forte vis-à-vis de la parole scientifique et de ceux qui font la science, la rapporteure a souhaité faire un point d'étape sur la mise en oeuvre de l'objectif de développement de la culture scientifique, fixé par la LPR . Elle se réjouit de la nouvelle dynamique à l'oeuvre , notamment portée par l'Agence nationale de la recherche, mais déplore aussi la persistance de certains freins qu'elle appelle à lever dans les meilleurs délais .

I. UNE HAUSSE DES CRÉDITS CONFORME À LA TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE DE LA LOI DE PROGRAMMATION DE LA RECHERCHE, QUI COMMENCE À PORTER SES FRUITS

A. UNE TROISIÈME ANNUITÉ BUDGÉTAIRE RESPECTUEUSE DE LA PROGRAMMATION

Le budget 2023 consacré à la recherche est la déclinaison de la troisième annuité de mise en oeuvre de la LPR . Après deux premières marches de près de 400 millions d'euros en 2021 et de 500 millions d'euros en 2022, la trajectoire de crédits poursuit son déploiement en 2023 avec un apport de 400 millions d'euros. Sur cette enveloppe, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR) perçoit près de 350 millions d'euros 2 ( * ) , répartis entre le programme 150, qui finance les établissements d'enseignement supérieur, et le programme 172, qui finance les organismes nationaux de recherche.

Tout en saluant le respect de la trajectoire budgétaire définie par la LPR, la rapporteure se félicite de la volonté de la nouvelle ministre de procéder à des ajustements quand la situation le nécessite. Tel est ainsi le cas pour la revalorisation de la rémunération des doctorants qu'elle a décidé d'étendre aux contrats en cours . Jusqu'alors limitée par la LPR aux nouveaux contrats, cette mesure créait une situation d'iniquité injustifiable.

BUDGET DU MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE

25,7 Mds€ en crédits de paiement en 2023

+ 1,1 Md€ par rapport à 2022 (soit + 4,4 % )

BUDGET CONSACRÉ À LA RECHERCHE

PROGRAMME 150

« Formations supérieures et recherche universitaire »

14,9 Mds€ en crédits de paiement en 2023

+ 700 M€ par rapport à 2022 (soit + 4,8 % )

Dont : + 143 M€ au titre du déploiement de la LPR

PROGRAMME 172

« Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires »

7,8 Mds€ en crédits de paiement en 2023

+ 330 M€ par rapport à 2022 (soit + 4,4 % )

Dont : + 206 M€ au titre du déploiement de la LPR

+ 350 M€ environ

? mesures « ressources humaines » ( + 114 M€) : amélioration de la rémunération et des carrières de l'ensemble des personnels d'enseignement supérieur et recherche (enseignants, enseignants-chercheurs, chercheurs, ingénieurs, techniciens). Ces crédits s'ajoutent à l'augmentation du point d'indice, effective depuis juillet 2022. À cette enveloppe viennent s'ajouter 40 M€ supplémentaires pour le recrutement de doctorants et la revalorisation de leur rémunération ? revalorisation, jusqu'alors limitée aux nouveaux contrats doctoraux, étendue aux contrats doctoraux en cours = rémunération minimale portée à 2 044 € bruts pour tous les doctorants au 1 er janvier 2023 (augmentation tenant compte de la hausse du point d'indice) ;

? montée en charge de l'Agence nationale de la recherche (ANR) (+ 44 M€) : poursuite de l'augmentation du taux de sélection aux appels à projets et du préciput, conformément à l'objectif fixé par la LPR (cf. infra) ;

? soutien aux budgets des organismes de recherche et des universités (+ 91 M€) : accompagnement des établissements dans leur politique de recrutement et augmentation des dotations de base aux laboratoires ;

? autres augmentations (+ 81 M€) : amélioration des grands équipements scientifiques, renforcement des liens sciences-société, diffusion de la culture scientifique...

Sur la trajectoire d'emplois de la LPR, la rapporteure constate avec satisfaction l'engagement du ministère à respecter, en 2023, les 650 créations de postes prévues , avec la répartition suivante : 179 nouvelles chaires de professeur junior (CPJ) - 120 pour les universités et 59 pour les organismes nationaux de recherche -, et 377 doctorants supplémentaires - 268 pour les universités et 109 pour les organismes recherche -, ainsi que 94 nouveaux postes pour ces mêmes organismes. Comme elle l'a pointé dans son récent rapport d'information consacré à la mise en oeuvre de la LPR 3 ( * ) , en 2021, seuls 376 emplois temps plein travaillés (ETPT) ont été créés contre 700 ETPT prévus, soit un taux de réalisation de l'objectif affiché pour la première annuité de la LPR de 53,7 % - les données 2022 ne sont, à ce stade, pas encore disponibles. La raison invoquée par le ministère pour expliquer ce non-respect de la trajectoire d'emplois, à savoir une publication tardive des textes réglementaires, n'est désormais plus de mise. La rapporteure sera donc très attentive à ce que les 650 créations de postes annoncées pour 2023 soient réellement effectives .

La rapporteure appelle également le ministère à la vigilance sur les crédits fléchés « CPJ » : le dispositif ayant connu un démarrage relativement lent - 229 chaires créées sur la période 2021-2022 contre un objectif de 300 chaires par an - il ne faudrait pas que les crédits non consommés soient « réorientés » par Bercy en cas d'une montée en charge non conforme aux prévisions .

B. DE PREMIERS RÉSULTATS TRÈS PROMETTEURS

Sur les 5 milliards d'euros d'augmentation du budget de la recherche publique prévus par la LPR sur dix ans, 1 milliard est destiné à l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour accroître ses capacités d'intervention.

Conformément à la programmation budgétaire, les autorisations d'engagement de l'agence ont progressé de 500 millions d'euros en 2021 (par rapport à 2020, année de référence) et de 400 millions d'euros en 2022 (toujours par rapport à 2020), permettant à son budget d'intervention de dépasser le milliard d'euros , niveau inédit depuis sa création. En 2023, un abondement stabilisé à 400 millions d'euros est de nouveau budgété.

Cette montée en charge financière de l'ANR a permis, dès 2021, d'enclencher une dynamique vertueuse qui s'est traduite par l'augmentation du taux de sélection aux appels à projets et le relèvement du préciput 4 ( * ) , évolutions dont la rapporteure se félicite .

LES PREMIÈRES RETOMBÉES POSITIVES DE LA MONTÉE EN CHARGE FINANCIÈRE DE L'ANR

Une augmentation très encourageante du taux de sélection
à l'appel à projets générique (AAPG) 2

N.B : à l'AAPG 2022, le nombre de projets déposés est en baisse de 8 % par rapport à l'AAPG 2021. Deux raisons peuvent expliquer cette évolution : d'une part, l'augmentation du nombre de projets retenus à l'AAPG 2021 (plus de 500 projets sélectionnés en plus par rapport à 2020), qui diminue d'autant le nombre de projets nécessitant d'être déposés en 2022, d'autre part, dans le contexte de sortie de la crise sanitaire, laquelle s'était accompagnée d'un ralentissement de l'activité des laboratoires, une tendance à la prolongation automatique des projets en cours de six mois voire plus. En tout état de cause, la baisse observée en 2022 ne doit, à ce stade, pas être sur-interprétée ; les dépôts à l'AAPG 2023 permettront de déterminer si cette tendance se confirme ou pas.

UN RELÈVEMENT ET UNE NOUVELLE RÉPARTITION DU PRÉCIPUT CONFORMES
AUX ENGAGEMENTS PRIS

Objectif : 40 % de taux global d'ici 2030

Réalisation 2021 : 25 % de taux global

Prévision 2022 : 28,5 % de taux global

Objectif : 25 % pour les établissements d'ici 2023

Réalisation 2021 : 23 % , dont :

• 10 % pour les établissements gestionnaires (au lieu de 8 % en 2020)

• 13 % pour les établissements hébergeurs (au lieu de 11 % en 2020)

Prévision 2022 : 24 % , dont :

• 10,5 % pour les établissements gestionnaires

• 13,5 % p our les établissements hébergeurs

Objectif : 5 % pour les laboratoires d'ici à 2027

Réalisation 2021 : introduction anticipée d'une part de 2 %

Prévision 2022 : 2,5 %

Objectif : 10 % pour les sites d'ici à 2027

Réalisation 2021 : Ø

Prévision 2022 : introduction d'une part de 2 %

Montant total préciput 2021 : 163 millions d'euros

Montant total préciput 2022 (prévisionnel) : plus de 200 millions d'euros

II. LA CLAUSE DE REVOYURE DE LA LPR EN 2023 : UNE OPPORTUNITÉ À SAISIR POUR RACCOURCIR LA DURÉE DE LA PROGRAMMATION ET AUGMENTER L'INTENSITÉ DES PROCHAINES ANNUITÉS

La rapporteure rappelle que, lors de l'examen du projet de loi de programmation de la recherche à l'automne 2020, le Sénat avait pointé le manque de crédibilité de la trajectoire budgétaire sur dix ans présentée par le Gouvernement, notamment dû à l'absence de prise en compte de l'inflation .

Deux ans plus tard, le choc inflationniste que connaît la France est tel que l'effort budgétaire de la LPR est très largement « absorbé ». En conséquence, la rapporteure juge nécessaire un réexamen de la trajectoire à l'occasion de la clause de revoyure prévue en 2023 .

Dans la perspective de ce bilan d'étape, elle appelle à rectifier :

• la durée de la programmation, en ramenant la trajectoire à sept ans - soit à 2027 - afin d'atténuer les risques liés aux aléas macroéconomiques ;

• l'intensité de l'effort budgétaire , en augmentant le rythme des prochaines annuités afin de créer les conditions du réinvestissement massif dont la recherche française a besoin.

Interrogée sur ce sujet lors de sa première audition devant la commission, en juillet dernier , la ministre s'est engagée à transmettre au Parlement, d'ici la fin de l'année, un bilan complet de l'application de la LPR , base de travail indispensable à la préparation de la clause de revoyure et à l'examen de la faisabilité d'une accélération de la trajectoire. Concernant cette éventualité, elle a rappelé que les trois dernières années de la programmation budgétaire représentaient un effort de trois fois 600 millions d'euros, soit un montant très conséquent à déployer d'ici 2027.

La rapporteure compte sur l'engagement de la ministre pour faire de la clause de revoyure 2023 un rendez-vous constructif et ambitieux, qui puisse trouver sa traduction budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2024 .

III. DES OPÉRATEURS DE RECHERCHE INQUIETS FACE À UNE ÉQUATION BUDGÉTAIRE 2023 PARTICULIÈREMENT COMPLEXE

Alors qu'ils sont en pleine préparation de leur budget 2023, tous les organismes nationaux de recherche se disent être « pris à la gorge » par la hausse des coûts de leur masse salariale et de l'énergie .

A. UNE AUGMENTATION DU POINT D'INDICE PARTIELLEMENT COMPENSÉE

Le relèvement, à compter du 1 er juillet 2022, de 3,5 % du point d'indice des fonctionnaires n'a fait l'objet d' aucune compensation par l'État au titre du second semestre 2022 . Ses opérateurs doivent donc le prendre à leur charge sur cette période, ce qui représente un coût supplémentaire de 180 millions d'euros pour les établissements relevant du programme 150 (universités et autres établissements d'enseignement supérieur) et de 250 millions d'euros pour l'ensemble des opérateurs sous périmètre du MESR . À titre d'exemples, ces six mois non compensés équivalent à un surcoût, pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de 45 millions d'euros, pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de 8 millions d'euros, soit autant de marges budgétaires en moins pour financer des activités scientifiques .

Pour l'année 2023, une compensation en année pleine, à hauteur de 500 millions d'euros , est en revanche budgétée, la ministre ayant fait de cette enveloppe « une ligne rouge absolue », comme elle l'a déclaré devant la commission. Sur ce montant, 120 millions d'euros sont destinés aux organismes nationaux de recherche .

CONSÉQUENCES DE LA REVALORISATION DU POINT D'INDICE DE 3,5 %
AU 1 ER JUILLET 2022

En matière de masse salariale, la rapporteure rappelle que le glissement vieillesse technicité (GVT) représente , pour les organismes nationaux de recherche, une charge annuelle de 30 millions d'euros qui, en l'absence de compensation par l'État, grève structurellement leurs marges de manoeuvre budgétaires . Elle regrette que ce dossier majeur soit désormais relégué au second plan, compte tenu de l'importance prise par la problématique énergétique.

B. UNE FACTURE ÉNERGÉTIQUE, DÉJÀ LOURDE EN 2022, QUI EXPLOSERAIT EN 2023

Outre les surcoûts liés à la masse salariale, les opérateurs de recherche sont confrontés, comme l'ensemble des opérateurs de l'État, à ceux induits par la flambée des prix de l'énergie .

Selon les dernières estimations disponibles, qui doivent être prises avec précaution compte tenu de la non-consolidation des données de la consommation d'énergie en 2022 et des fluctuations difficilement prévisibles des prix des fluides en 2023, les surcoûts énergétiques pour les organismes nationaux de recherche, de l'ordre de 40 millions d'euros en 2022, seraient au moins multipliés par quatre en 2023 .

+200 M€

SURCOÛTS DE L'ÉNERGIE POUR LES ORGANISMES NATIONAUX DE RECHERCHE

2022

+ 40 M€ par rapport à 2021

(estimation)

2023

+ 160 M€ par rapport à 2022

(estimation)

À titre d'exemples, pour le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), premier organisme national de recherche le plus énergivore, les surcoûts sont estimés entre 65 et 150 millions d'euros en 2023. Pour l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), deuxième organisme le plus énergivore, les surcoûts énergétiques s'élèveraient à 4,5 millions d'euros en 2022 et pourraient atteindre 27 millions d'euros en 2023. Pour l'Inserm, la hausse, de 1,5 million d'euros en 2022, atteindrait 10 millions d'euros en 2023.

La rapporteure tient également à souligner la situation particulièrement difficile des universités qui hébergent la très grande majorité des laboratoires et infrastructures de recherche , installations particulièrement consommatrices d'énergie dont certaines doivent fonctionner en continu.

C. L'ANNONCE D'UN FONDS EXCEPTIONNEL DE SOUTIEN POUR LES OPÉRATEURS DE L'ESR : UN ACCOMPAGNEMENT FINANCIER NÉCESSAIRE EN COMPLÉMENT DES DÉMARCHES DE SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQUE DES ÉTABLISSEMENTS

Face au risque que la crise énergétique fait peser sur l'intensité et la continuité des activités de recherche, dont Bercy n'avait jusqu'alors pas pris la mesure, la ministre a obtenu que l'État apporte son soutien aux opérateurs de l'ESR .

Le dispositif, annoncé le 27 octobre et confirmé le 2 novembre, prend la forme d'un fonds exceptionnel de soutien, intégré au projet de loi de finances rectificatif (PLFR) pour 2022 et doté de 275 millions d'euros , répartis de la manière suivante : 200 millions d'euros pour les établissements du supérieur, 55 millions d'euros pour les organismes nationaux de recherche et 20 millions d'euros pour le réseau des oeuvres universitaires et scolaires.

Tous les opérateurs seront accompagnés, mais les montants versés tiendront compte des situations individuelles, notamment du poids des dépenses d'énergie dans le budget de fonctionnement des établissements et du niveau de leurs réserves mobilisables.

La rapporteure se félicite de l'obtention de cette enveloppe d'aide, résultat de l'interventionnisme efficace de la ministre, et souscrit pleinement à la méthode « au cas par cas », la plus appropriée compte tenu de la diversité des situations .

Dans le même temps, les établissements de l'ESR, comme tous les opérateurs de l'État, sont appelés à s'investir dans une démarche de sobriété énergétique , la baisse des consommations d'énergie étant un levier important pour alléger le coût de la facture. Une telle démarche passe notamment par la limitation du chauffage et de la climatisation, l'extinction des éclairages en fin de journée, la mise en veille des appareils électriques, un meilleur suivi des consommations d'énergie, un pilotage plus fin dans la gestion technique des bâtiments, une optimisation de l'usage des locaux, etc.

Même si la rapporteure estime indispensable que les opérateurs de l'ESR participent à l'effort national pour plus de sobriété énergétique, elle insiste sur la spécificité de certaines activités de recherche, qui requièrent des installations scientifiques dont la consommation en énergie comprend une part incompressible significative . Par exemple, des installations très sensibles comme les laboratoires de confinement, les équipements de cryogénie ou les salles blanches ne peuvent être arrêtés, sous peine de ne pouvoir être remises en service sans une intervention coûteuse, longue et techniquement très délicate. Par exemple, la seule alimentation d'une salle blanche, sans activité expérimentale, représente environ 60 % de sa consommation.

Il en résulte que l'objectif d'une réduction de 10 % de la consommation énergétique d'ici 2024 pourrait être difficilement atteignable par certains opérateurs de recherche, sans pénaliser l'activité scientifique voire l'intégrité de certaines installations particulièrement coûteuses .

IV. ZOOM SUR L'OBJECTIF DE DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE SCIENTIFIQUE FIXÉ PAR LA LPR : UNE DYNAMIQUE BIEN ENGAGÉE, MAIS QUI MÉRITE D'ÊTRE AMPLIFIÉE

Dans une période marquée par une défiance croissante à l'égard de la rationalité scientifique, la LPR fait du renforcement des interactions entre science, recherche et société l'un de ses objectifs prioritaires .

Très soucieuse de ce chantier sociétal majeur, la rapporteure a souhaité, dans le cadre de son avis budgétaire, faire un point d'étape sur sa mise en oeuvre .

A. L'ANR, NOUVEL ACTEUR-CLÉ DE L'ESSOR DE LA CULTURE SCIENTIFIQUE

Parmi les mesures de la LPR destinées à renforcer la place de la science dans la société, la plus significative, inscrite à l'article 21, est celle prévoyant qu'au moins 1 % du budget d'intervention de l'ANR soit consacré au partage de la culture scientifique .

Dès 2021, l'Agence, dont ce n'est pourtant pas le coeur de métier, s'est mise en ordre de marche pour tendre vers cet objectif , via :

• le lancement, entre février et mars, d'un appel à manifestation d'intérêt (AMI) « Sciences avec et pour la société » , suscitant une très forte mobilisation avec 382 propositions déposées ;

• la restitution, en juin, de cet AMI sous la forme d'un webinaire ayant réuni 450 participants ;

• l'ouverture, en juillet, du premier appel à projets (AAP) « Recherche-Action » consacré à la médiation scientifique et à la communication scientifique , qui s'est concrétisé par la sélection, en décembre, de 15 projets financés à hauteur de 1,16 million d'euros (cf. infra ).

Après cette phase de démarrage, l'ANR a, en 2022, consolidé son nouveau dispositif d'appel à projets dédié aux thématiques issues de l'AMI (médiation et communication scientifiques, sciences participatives, solutions innovantes, expertise scientifique en appui aux politiques publiques). Celui-ci devrait, d'ici la fin de l'année, être stabilisé pour permettre des appels à projets récurrents et atteindre, en 2023, son rythme de croisière .

Les leviers d'action de l'ANR en matière
de développement de la culture scientifique

Des AAP spécifiquement dédiés à des recherches sur la culture scientifique

ü AAP « Médiation et communication scientifiques » :

Soutenir des recherches sur les quatre grandes questions suivantes : évaluation des pratiques, nouveaux espaces d'intermédiation, interactions entre acteurs, confiance/défiance et information : 15 projets soutenus (1,16 M€)

Calendrier prévisionnel (2023) :

- solutions innovantes pour la diffusion de la culture scientifique ;

- expertise scientifique en appui aux politiques publiques.

ü AAP « Recherches participatives » :

Appels à projets complémentaires et successifs, qui visent à couvrir toutes les volets de la culture scientifique et toutes les disciplines académiques

« Recherches participatives 1 » (28 Juillet - 30 septembre 2022) : soutien à hauteur de 250k€ par projet

« Recherches participatives 2 » (automne 2022) : soutien à hauteur de 100k€ par projet

« Solutions innovantes » : en 2023

Des financements d'actions de valorisation de la culture scientifique pour des projets de l'AAPG déjà financés

Soutien à des actions en faveur de la culture scientifique pour des projets déjà financés par l'ANR (lancé le 21 décembre 2021 - clôturé le 24 février 2022).

Exemples :

- CEA (44 projets) : mise en place d'un comité de pilotage, partenariat avec l'Esprit Sorcier

- Institut Pasteur (36 projets) : structure de pilotage, coordination pédagogique avec La Main à la Pâte, diffusion de l'esprit Pasteur (bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur)

- CNRS : structuration au niveau des délégations régionales avec pilotage national

- IRD (13 projets) : avec la Compagnie de Théâtre « Le sens des mots » et avec France Médias Monde

Des partenariats avec des acteurs culturels

ü Travail partenarial avec France TV, Radio France, Arte, France Médias Monde, le CNC et l'INA

Exemple :

ANR : pour la deuxième édition consécutive, partenaire du Festival « Et maintenant ? », avec Arte et France Culture, évènement organisé à Paris les 21 et 22 octobre 2022 et dans des lieux tiers partenaires, sur tout le territoire et interactif, à destination des 18-28 ans, et précédé d'un vaste questionnaire lancé en juin dernier

ü Travail partenarial avec le Festival d'Avignon pour l'organisation des rencontres « Recherche et création », en lien avec la revue L'Histoire , Philosophie Magazine , Science et Avenir et La Recherche .

B. LA FEUILLE DE ROUTE MINISTÉRIELLE EN FAVEUR D' « UNE SCIENCE AVEC ET POUR LA SOCIÉTÉ » ET SES PREMIÈRES RÉALISATIONS

Le 30 avril 2021, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, a présenté au Muséum national d'histoire naturelle, « la feuille de route d'une stratégie pour une science avec et pour la société », qui reprend et structure les mesures prévues par la LPR sur cette thématique . Cette stratégie est organisée selon trois grands axes .

1. Reconnaître, valoriser et encourager l'engagement des acteurs

Le premier axe a pour objectif de reconnaître, comme une dimension à part entière de l'activité scientifique, l'engagement des chercheurs en faveur des relations sciences-société .

Cela passe notamment par la création de nouveaux prix et l'installation de nouvelles chaires :

• une nouvelle médaille du CNRS pour la médiation scientifique : pour sa première édition , la médaille 2021 de la médiation scientifique a été attribuée à quatre lauréats : l'éthologiste Audrey Dussutour (CNRS), le physicien Jean-Michel Courty (Sorbonne Université), le collectif ClimaTicTac et le festival international de documentaires Jean Rouch ;

• un nouveau prix de l'Inrae pour les recherches participatives : pour sa première édition , qui s'est tenue le 4 mars 2022, deux distinctions ont été remises : un prix crowdsourcing au programme « Citique de recherche sur les tiques » et un prix participatif au programme « Des semences à l'assiette » ;

• de nouvelles chaires dédiées à la médiation scientifique à l'Institut universitaire de France : en juin 2022 , la nouvelle chaire a été attribuée à Jean-Christophe Courtil (membre junior), chercheur en langue et littérature latines, et Eric Crubezy (membre senior), anthropobiologiste.

2. Structurer un réseau territorial adossé aux sites universitaires

Le deuxième axe vise à mieux structurer les partenariats qui se nouent au niveau local entre les acteurs de la recherche et les acteurs de la médiation, en leur apportant un soutien institutionnel . Cette mission est confiée aux sites universitaires qui doivent devenir « les ports d'attache » des initiatives « sciences-société ».

Cela passe notamment par la labellisation et le financement de projets portés par les sites universitaires , lesquels doivent servir à des actions de sensibilisation à la recherche participative, à des dispositifs de sensibilisation et de formation à la médiation scientifique ou à la communication scientifique, à des actions destinées aux scolaires, à la création de lieux d'interface entre sciences, recherche et société, au développement de dispositifs ou d'actions permettant de tisser et dynamiser les liens entre recherche, expertise et appui aux politiques. La campagne de labellisation 2021 des sites universitaires a consacré huit lauréats et six projets sur les vingt dossiers reçus ; l'édition 2022 s'est concrétisée par douze labellisations sur trente projets reçus .

3. Aimer la stratégie au niveau national et lui donner une vision prospective

Le troisième axe entend inscrire la stratégie dans la durée en structurant son animation au niveau national et en lui donnant une visée prospective .

Cela passe notamment par :

• une nouvelle impulsion donnée au Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI) , 5 ( * ) en nommant un nouveau président et en confiant à l'instance une mission de « réflexion prospective pour anticiper l'évolution de la relation science-société » : en mai 2021 , la présidence du Conseil national a été confiée à la députée Fannette Charvier (La République en marche, Doubs), dont le mandat s'est depuis achevé ;

• le suivi et l'évaluation de la stratégie par le Haut conseil d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES).

La feuille de route prévoit, en outre, un budget d'environ 20 millions d'euros par an pour la mise en oeuvre de la stratégie, se décomposant de la manière suivante :

• 3 millions d'euros du ministère ;

• 1 % du budget de l'ANR, soit environ 10 millions d'euros par an jusqu'en 2030, comme le prévoit la LPR ;

• environ 8 millions d'euros, soit 1 % de la dotation de 800 millions d'euros de l'appel à projets « Excellences » du Programme d'investissements d'avenir (PIA) 4.

C. MALGRÉ LA NOUVELLE IMPULSION DONNÉE À LA PROMOTION DE LA CULTURE SCIENTIFIQUE, LES POINTS DE VIGILANCE DE LA RAPPORTEURE

Tous les opérateurs de recherche s'accordent sur le constat que « le 1 % de culture scientifique » a permis d'enclencher une dynamique très positive. La rapporteure s'en réjouit et rappelle la nécessité d'agir, dès à présent, pour rendre la science accessible au plus grand nombre, condition sine qua non à la formation des consciences éclairées de demain .

Elle émet toutefois deux points de vigilance :

• le manque criant d'implication du ministère de l'éducation nationale qui « fait comme si la LPR n'existait pas » : Universcience (établissement public gérant le Palais de la Découverte et la Cité des Sciences et de l'Industrie), l'un des principaux opérateurs de diffusion de la culture scientifique, s'inquiète ainsi du lent retour des groupes scolaires après la crise sanitaire (contrairement aux visiteurs individuels), qui tiendrait à la fois à des blocages administratifs et à un intérêt limité pour le sujet ;

• le défaut de coordination et de pilotage au niveau national, le CNCSTI, pourtant censé être réactivé d'après le deuxième axe de la feuille de route ministérielle, étant toujours « dormant ».

La rapporteure appelle donc le ministère de l'éducation nationale à se réinvestir urgemment dans la promotion de la culture scientifique, et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche à faire du CNCSTI une instance enfin opérante .

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 23 novembre 2022, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la recherche dans le projet de loi de finances pour 2023 .

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 23 NOVEMBRE 2022

___________

M. Laurent Lafon, président . - Nous examinons le rapport pour avis de Laure Darcos sur les crédits consacrés à la recherche de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

Mme Laure Darcos, rapporteure pour avis sur les crédits de la recherche . - Le budget consacré à la recherche en 2023 est la troisième annuité de la trajectoire de crédits prévue par la loi de programmation de la recherche (LPR) du 24 décembre 2020. Après deux premières « marches » de près de 400 millions d'euros en 2021 et de 500 millions d'euros en 2022, la programmation budgétaire poursuit son déploiement en 2023 avec un apport de 400 millions d'euros, conformément à ce qui a été prévu. Sur cette enveloppe, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche perçoit près de 350 millions d'euros - les 50 millions d'euros restants étant consacrés à la recherche spatiale, dont le programme budgétaire 193 relève désormais de Bercy.

Ces 350 millions d'euros supplémentaires de la LPR vont abonder le programme 150, qui finance les établissements d'enseignement supérieur et dont Stéphane Piednoir nous a parlé lors de la présentation de son rapport et le programme 172, qui finance les organismes nationaux de recherche. Sur ce montant, une large part est consacrée aux mesures « ressources humaines » d'amélioration de la rémunération et des carrières des personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR).

Le respect, pour la troisième année consécutive, de la trajectoire de la LPR mérite d'être salué, même s'il ne doit pas nous exempter de certaines remarques sur la suite du déroulement de la programmation. Surtout, je me félicite que la nouvelle ministre ait pris l'initiative d'aller plus loin que la LPR, quand la situation le nécessitait. C'est le cas pour la revalorisation de la rémunération des doctorants qu'elle a décidé d'étendre aux contrats en cours. Jusqu'alors limitée aux seuls nouveaux contrats, cette mesure créait une situation d'iniquité injustifiable.

Sur la trajectoire d'emplois de la LPR, je prends note de l'engagement du ministère à respecter, en 2023, les 650 créations de postes prévues. Dans notre rapport d'information consacré à la mise en oeuvre de la loi, nous avions, avec Stéphane Piednoir, pointé le non-respect de la trajectoire d'emplois en 2021, avec un taux de réalisation de l'objectif fixé de seulement 53,7 %. Le ministère avait alors pris prétexte du retard de publication des textes réglementaires pour expliquer ce résultat décevant. Cette raison n'étant désormais plus d'actualité, je serai très attentive à l'effectivité des 650 créations de postes annoncées pour l'année prochaine.

Une autre remarque sur la trajectoire d'emplois : le dispositif des chaires de professeur junior (CPJ) ayant connu un démarrage relativement lent - 229 chaires créées sur la période 2021-2022, contre un objectif de 300 chaires par an - j'appelle le ministère à la vigilance : il ne faudrait pas que les crédits non consommés soient « réorientés » par Bercy en cas d'une montée en charge non conforme aux prévisions.

2023 sera aussi la troisième année de montée en charge financière de l'Agence nationale de la recherche (ANR), avec un abondement supplémentaire en autorisations d'engagement de 400 millions d'euros, par rapport à l'année de référence 2020. Là encore, l'évolution est conforme à la programmation. Cette augmentation des capacités d'intervention de l'agence a permis, dès 2021, d'enclencher une dynamique vertueuse, qui se concrétise par la hausse du taux de sélection aux appels à projets et le relèvement du préciput.

Le taux de sélection à l'appel à projets générique - le principal appel à projets de l'ANR - devrait s'établir à 23,5 % en 2022, alors qu'il n'était que de 17 % en 2020 ; en 2017, il était de moins de 12 %. Le préciput - montant financier destiné à couvrir les coûts indirects des projets de recherche - atteindrait, lui, 28,5 % en 2022, pour un montant de plus de 200 millions d'euros.

Ces premiers résultats sont très prometteurs, mais ils se heurtent malheureusement à la réalité économique.

Lors de l'examen du projet de loi de programmation, nous avions pointé le manque de crédibilité de la trajectoire budgétaire sur dix ans présentée par le Gouvernement, en raison notamment de la non-prise en compte de l'inflation. Deux ans plus tard, le choc inflationniste que connaît notre pays est tel que l'effort budgétaire de la LPR est très largement « absorbé ».

Il est donc indispensable que la clause de revoyure prévue l'année prochaine et confirmée par la ministre soit l'occasion de rectifier la trajectoire : d'une part, en ramenant sa durée à 7 ans, soit à 2027 comme nous l'avions demandé initialement, afin d'atténuer les risques liés aux aléas macroéconomiques ; d'autre part, en augmentant l'intensité des prochaines annuités, afin de vraiment créer les conditions du réinvestissement massif dont la recherche française a besoin.

Lors de son audition devant notre commission en juillet dernier, la ministre s'est engagée à nous transmettre, d'ici la fin de l'année, un premier bilan de la mise en oeuvre de la LPR. Sur cette base de travail, elle s'est dite prête à examiner la faisabilité d'une accélération de la trajectoire. Je compte donc sur sa détermination, mais aussi sur notre mobilisation, pour faire de la clause de revoyure 2023 un rendez-vous constructif et ambitieux, qui puisse trouver sa traduction budgétaire dans le PLF pour 2024.

Après cet état des lieux « macro », quelques mots de la situation financière des organismes nationaux de recherche. Alors qu'ils sont en pleine préparation de leur budget 2023, tous m'ont dit être « pris à la gorge » par la hausse des coûts de masse salariale et de l'énergie. L'absence de compensation de la hausse du point d'indice, au titre du second semestre 2022, représente un surcoût de 250 millions d'euros pour l'ensemble des opérateurs sous périmètre du ministère. Ces six mois non compensés représentent par exemple une charge supplémentaire de 45 millions d'euros pour le CNRS et de 8 millions d'euros pour l'Inserm, soit autant de moins pour des activités de recherche.

C'est donc avec soulagement que les organismes de recherche ont accueilli l'annonce, pour 2023, d'une compensation en année pleine à hauteur de 120 millions d'euros, sur l'enveloppe totale de 500 millions d'euros obtenue par la ministre ; elle en avait fait sa « une ligne rouge absolue » dans ses négociations avec Bercy.

À ces surcoûts de masse salariale, viennent s'ajouter ceux induits par la flambée des prix de l'énergie. Les surcoûts énergétiques se chiffreraient, pour les organismes nationaux de recherche, à 40 millions d'euros cette année, mais seraient au moins quadruplés l'an prochain, soit un montant total de 200 millions d'euros sur les deux années.

Les situations sont très variables selon les organismes. Pour le plus énergivore, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), la facture passerait de 75 millions d'euros à un montant compris entre 150 et 200 millions d'euros ; pour le deuxième organisme le plus consommateur d'énergie, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), les surcoûts, de 4,5 millions d'euros en 2022, pourraient atteindre 27 millions d'euros en 2023.

Face au risque que la crise énergétique fait peser sur l'intensité et la continuité des activités de recherche, dont Bercy n'avait jusqu'alors clairement pas pris la mesure, la ministre a obtenu que l'État apporte son soutien aux opérateurs de l'ESR. Le dispositif, annoncé il y a quelques semaines, prend la forme d'un fonds exceptionnel de soutien, intégré au collectif budgétaire pour 2022 et doté de 275 millions d'euros, dont 55 millions d'euros pour les organismes nationaux de recherche.

Tous les opérateurs seront accompagnés, mais les montants versés tiendront compte des situations individuelles, notamment du poids des dépenses d'énergie dans le budget de fonctionnement des établissements et du niveau de leurs réserves mobilisables. Je me félicite bien sûr de l'obtention de cette enveloppe d'aide, résultat de l'interventionnisme efficace de la ministre, que tous les acteurs du secteur auditionnés reconnaissent également.

Dans le même temps, les organismes de recherche, comme l'ensemble des opérateurs de l'État, sont engagés dans la démarche nationale de sobriété énergétique et travaillent actuellement à l'élaboration de « plans de sobriété » pour réduire leur consommation.

Je voudrais néanmoins insister sur la spécificité de certaines activités de recherche, qui requièrent des installations scientifiques dont la consommation en énergie comprend une part incompressible significative. Par exemple, des installations très sensibles comme les laboratoires de confinement, les équipements de cryogénie ou les salles blanches ne peuvent être arrêtées, sous peine de ne pouvoir être remises en service sans une intervention coûteuse, longue et techniquement très délicate. La seule alimentation d'une salle blanche, sans activité expérimentale, représente environ 60 % de sa consommation. L'objectif de réduire la consommation énergétique de 10 % d'ici 2024 serait donc difficilement à atteindre pour certains opérateurs de recherche, sans pénaliser l'activité scientifique voire l'intégrité de certaines installations particulièrement coûteuses.

Mon dernier point portera sur un aspect plus thématique qui me tient particulièrement à coeur, la culture scientifique, enjeu essentiel pour lutter contre les fausses informations et former des citoyens éclairés. Inscrivant le renforcement des interactions entre science, recherche et société parmi ses priorités, la LPR a prévu, - à son article 21 -, que l'ANR devrait consacrer au moins 1 % de son budget d'intervention au partage de la culture scientifique. Dès l'an passé, l'agence s'est mise en ordre de marche pour tendre vers cet objectif. Elle a d'abord lancé un appel à manifestation d'intérêt « Sciences avec et pour la société », qui a suscité une très forte mobilisation avec près de 400 propositions déposées. Elle a ensuite ouvert un premier appel à projets « Recherche-Action » consacré à la médiation scientifique et à la communication scientifique, qui s'est concrétisé par la sélection de 15 projets financés à hauteur de 1,16 million d'euros. Après cette phase de démarrage, l'ANR a, cette année, consolidé son nouveau dispositif d'appel à projets spécifiquement dédié aux recherches sur la culture scientifique. Celui-ci devrait progressivement atteindre, l'an prochain, son rythme de croisière. Un appel à projets complémentaire, consacré aux « recherche participatives », a également vu le jour cette année, avec une première vague de projets soutenus à hauteur de 250 000 euros chacun, et une seconde vague de projets financés à hauteur de 100 000 euros chacun.

En plus de ces nouveaux outils, l'ANR participe au financement d'actions en faveur de la culture scientifique pour des projets de recherche déjà en cours. Elle renforce également ses partenariats avec l'audiovisuel public - France TV, Radio France, Arte, France Médias Monde, le CNC et l'INA - et certains acteurs culturels - le Festival d'Avignon, par exemple.

Des échanges que j'ai eus avec les acteurs du secteur, il ressort clairement que le fléchage des 1 % ANR a eu un véritable effet catalyseur : bien plus qu'une simple source de financement, il a créé un engouement, une dynamique, dont je me réjouis. Au regard du succès rencontré, une réflexion sur le calibrage de cette enveloppe pourra également faire partie des sujets à aborder lors de la clause de revoyure.

De son côté, le ministère s'est aussi mobilisé en présentant, en 2021, une feuille de route en faveur d' « une science avec et pour la société », structurée autour de trois grands axes : la reconnaissance de l'engagement des chercheurs dans ce domaine ; la structuration d'un réseau territorial adossé aux sites universitaires ; l'animation de la feuille de route au niveau national. Je constate avec satisfaction que des premières réalisations ont vu le jour sur les deux premiers axes : de nouveaux prix récompensant les chercheurs engagés dans la culture scientifique ont été créés (au CNRS, à l'Inrae), de nouvelles chaires dédiées à cette thématique ont été installées ; deux campagnes de labellisation des sites universitaires ont été menées, récompensant une vingtaine de lauréats.

En revanche, c'est sur le troisième axe que les résultats sont les plus « maigres » et sur lequel j'émettrai deux alertes. Première alerte : le Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI), instance créée par la loi « Fioraso » de 2013, est toujours « dormant ». Cette situation montre la carence de pilotage et de gouvernance de la culture scientifique. La ministre, que j'ai interpellée sur ce sujet lors de son audition, s'est engagée à regarder ce dossier de près ; je compte sur elle pour faire rapidement du CNCSTI une instance enfin opérante.

Seconde alerte : le manque criant d'implication du ministère de l'éducation nationale qui « fait comme si la LPR n'existait pas », selon des propos qu'on m'a tenus. Universcience, l'établissement public qui gère le Palais de la Découverte et la Cité des Sciences et de l'Industrie, et qui est l'un des fleurons de la diffusion de la culture scientifique, m'a fait part de sa grande inquiétude sur le trop lent retour des groupes scolaires après la crise sanitaire. Cette situation s'expliquerait à la fois par des blocages administratifs et par un intérêt limité pour le sujet. J'appelle donc le ministère de l'éducation nationale à se réinvestir urgemment dans la promotion de la culture scientifique, car c'est dès le plus jeune âge que le goût pour la science se forme.

Compte tenu du respect de la trajectoire fixée par la LPR et de l'augmentation du budget qui en découle, je propose à la commission d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits « recherche » de la MIRES du projet de loi de finances pour 2023.

Je précise que, dans le cadre de mes auditions, j'ai visité un laboratoire de recherche de l'Inserm à l'hôpital Cochin ; il est très utile de voir les chercheurs au travail et d'échanger avec eux, on réalise alors concrètement combien la recherche française est indispensable.

M. Jean Hingray . - Merci pour cet avis très intéressant, dont nous partageons les constats. La trajectoire de la LPR est tenue, ce qui mérite d'être salué, mais il y a les points de vigilance que vous soulignez, en particulier la prise en compte de l'inflation et des coûts de l'énergie.

M. Yan Chantrel . - Les crédits proposés sur l'ensemble de ces programmes augmentent de façon notable - une hausse globale largement due à celle du programme 172, qui représente pratiquement les deux tiers des crédits de recherche, et du programme 193 du fait d'une mesure de périmètre.

Nous saluons les efforts de l'État pour donner des moyens à la recherche, elle constitue un enjeu primordial dans la lutte contre le dérèglement climatique, contre les nouvelles pandémies et pour garantir notre souveraineté technologique et scientifique.

Néanmoins, une bonne part de l'augmentation des crédits est consacrée à la revalorisation, justifiée, du point d'indice - pour 121 millions d'euros -, et le reste risque d'être absorbé par la hausse des coûts de l'énergie et l'impact de l'inflation, sans permettre de véritablement renforcer les moyens alloués à la recherche elle-même.

Le fonds exceptionnel de soutien aux organismes de recherche annoncé il y a quelques semaines et abondé par le collectif budgétaire est un soulagement pour les opérateurs. Néanmoins, compte tenu des prévisions sur l'inflation et la hausse des coûts de l'énergie, l'objectif de la LPR d'atteindre en dix ans les 3 % du PIB consacrés aux dépenses de recherche, dont 1 % pour le secteur public, paraît compromis, sauf à augmenter bien plus les crédits de la mission.

D'autre part, l'augmentation des moyens de l'ANR est une bonne nouvelle pour les futurs lauréats des appels à projets, moins pour les autres. Nous regrettons qu'elle renforce le choix fait par la LPR de soutenir massivement la recherche sur projets au détriment des financements récurrents, tant on connaît les effets pervers de cette logique : inégalités croissantes entre laboratoires, précarisation des chercheurs, lourdeurs administratives, ou encore restriction de la liberté académique.

Enfin, concernant le programme 190, la stagnation des crédits de plusieurs actions et la hausse inférieure à l'inflation des autres, constituent un mauvais signal. Ce programme devrait constituer un levier important de mise en oeuvre de la transition écologique et énergétique, et la recherche dans ces domaines mériterait de devenir une priorité budgétaire. Sur cette question de la résilience énergétique, il faut aussi signaler que le crédit d'impôt recherche (CIR) continue d'atteindre un niveau très élevé (supérieur à 7 milliards d'euros), en dépit de ses insuffisances désormais bien connues, et surtout de son indifférence quant à l'impact environnemental des dépenses qu'il finance.

Malgré les efforts du Gouvernement, la hausse globale des crédits est insuffisante pour absorber les surcoûts liés à l'inflation et à l'augmentation des prix de l'énergie, et met à mal l'objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche.

C'est pourquoi notre groupe s'abstiendra sur le vote de ces crédits et invite le Gouvernement à se saisir de la clause de revoyure de la LPR pour pallier les effets de la crise et de l'inflation.

M. Pierre Ouzoulias . - Merci pour l'importance que vous donnez à la culture scientifique, il y a un combat à mener contre l'irrationalité qui monte. Je me félicite à ce titre qu'un certain chercheur marseillais ait été rappelé à ses obligations déontologiques...

J'alerte sur la façon dont la recherche migre en dehors du périmètre du ministère, en particulier vers les 57 milliards d'euros de « France 2030 ». La Première ministre a dit qu'il fallait clarifier les choses et renforcer l'évaluation de ces crédits : c'est une litote, car il n'y a en réalité aucune évaluation des crédits de « France 2030 », qui sont gérés directement par Matignon et dont le Secrétaire général à l'investissement, Bruno Bonnel, a dit qu'il allait faire appel à l'intelligence artificielle pour sélectionner les projets... Je déplore cette forme de mise en concurrence de l'ANR et de l'évaluation scientifique. Avec les crédits qui sortent du périmètre du ministère - le CNES a migré vers Bercy, qui gère déjà le CIR et le programme d'investissements d'avenir..., il y a un risque de disjonction entre une recherche peu évaluée, et la recherche académique sur laquelle pèsent bien plus de procédures de contrôle et d'évaluation.

Les opérateurs, quant à eux, vont chercher de l'argent dans les frais de gestion des projets de recherche qu'ils décrochent en particulier à l'échelon européen ; au CNRS, par exemple, ces frais sont passés à 20 %. Je crains que ce soit démobilisateur. La France est contributrice nette au Conseil européen de la recherche (ERC), et, avec de tels frais, je crains que les chercheurs ne préfèrent passer par « France 2030 » plutôt que par leurs structures de recherche... Nous voterons donc contre l'adoption de ces crédits.

M. Julien Bargeton . - Le budget progresse de 1,1 milliard d'euros, hors « Plan relance » et « France 2030 ». Depuis 2017, ce budget a gagné 3,6 milliards d'euros, après des années de baisse. La trajectoire de la LPR est respectée, c'est important : les organismes relevant du programme 172 reçoivent 206 millions d'euros supplémentaires, ils pourront financer les 650 nouveaux postes prévus par la LPR, dont 179 CPJ ; l'ANR voit ses crédits augmenter de 44 millions d'euros, après des années de « vaches maigres » où elle servait de variable d'ajustement. Ces efforts notables motivent notre soutien à l'adoption de ces crédits.

Mme Alexandra Borchio Fontimp . - Les objectifs de la LPR sont respectés, le 1 % culture scientifique correspond à nos attentes, et je vous sais vigilante, Madame la rapporteure, au suivi de la trajectoire annoncée. La diffusion de la culture scientifique est indispensable ; l'Unesco rappelle ainsi que la science a la capacité de changer la donne face au dérèglement climatique. Quelle est, selon vous, la mesure la plus utile pour développer la culture scientifique ? Dans le contexte difficile que nous vivons, nous avons besoin de science, de pédagogie. Le groupe LR votera donc ces crédits.

Mme Monique de Marco . - L'État doit se saisir de la clause de revoyure pour tenir compte de l'inflation. Je regrette que la hausse de 4 % des crédits du programme 190 soit insuffisante face à l'urgence climatique. De son côté, la recherche spatiale reçoit un traitement de faveur, avec des crédits en hausse de 14 %, dans un contexte de forte médiatisation de Thomas Pesquet tandis que le discret Institut Paul-Émile Victor peine à consolider son fonctionnement, alors qu'il est indispensable à la recherche polaire et à l'étude du climat. Je crois, aussi, qu'il faut revoir le CIR, qui mobilise toujours plus de milliards d'euros sans avoir démontré son efficacité. Les efforts budgétaires doivent être mieux ciblés vers les chercheurs qui travaillent sur la protection de l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique.

Nous ne voterons pas ces crédits.

M. Bernard Fialaire . - Nous serons très attentifs à la clause de revoyure de l'an prochain, et soutiendrons l'idée de passer à une programmation sur 7 ans plutôt que sur 10 ans - il semble que la ministre puisse en être d'accord. Les crédits de la recherche spatiale sont importants, nous soutenons leur augmentation. Nous voterons donc ces crédits.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur » . - Je comprends que vous déploriez l'annualité de la loi de finances, mais vous m'accorderez qu'on n'y puisse pas grand-chose.

Pour rapporter les crédits sur l'enseignement supérieur et la vie étudiante, je me demande s'il ne faudrait pas une loi de programmation pour la culture, elle aurait son utilité.

Le CIR, ensuite, présente des dysfonctionnements, je les ai constatés lors d'une mission que j'ai conduite sur la pénurie de chercheurs en France ; nous avons d'ailleurs déposé des amendements en première partie de la loi de finances qui n'ont pas été adoptés en séance. J'espère plus de soutien dans l'hémicycle lorsque nous reviendrons à la charge à ce sujet.

Sur les crédits de l'ESR, la commission des finances a souligné que les difficultés des établissements d'enseignement supérieur face aux surcoûts de l'énergie sont et vont être d'autant plus fortes que le patrimoine immobilier universitaire est vétuste et énergivore. Nous l'avions constaté dans un rapport d'information il y a deux ans. Des solutions existent, avec des portages financiers. Il faut les défendre et avancer, car si les établissements dépensent tout leur argent à payer leurs factures énergétiques, la recherche ne va pas prospérer dans notre pays...

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur » . - Les échanges entre commissions permanentes sont très importants, car nous abordons les sujets sous des angles différents et complémentaires. Nous vous remercions donc de nous avoir invités à participer à cette réunion.

Je rappelle d'abord que, lors de l'examen de la LPR, nous défendions l'idée qu'il fallait prendre en compte l'inflation. Le Gouvernement nous répondait alors qu'elle était négligeable. Elle dépasse 6 % cette année et les choses paraissent ne pas devoir s'améliorer. La trajectoire de la LPR, dans ces conditions, représente surtout une stabilité des moyens de la recherche.

Ensuite, il est difficile de s'y retrouver dans le jeu de bonneteau entre les différents supports budgétaires. Voyez les crédits pour la recherche duale, ils ont été transférés il y a deux ans dans le plan de relance, nous les retrouvons cette année à 150 millions d'euros, c'est moins qu'il y a deux ans : le « Plan de relance » n'a rien apporté, alors que la recherche duale est essentielle pour faire la passerelle entre le militaire et le civil.

La recherche spatiale est essentielle, j'étais à l'Agence spatiale européenne la semaine dernière, et je peux vous dire que ses programmes sont déterminants pour l'avenir de l'Europe : on ne peut laisser l'espace aux seuls Chinois et Américains. Notre autonomie stratégique et industrielle en dépend - dans la façon d'observer la terre, de gérer les données, de rechercher d'autres espaces. Nous avons encore beaucoup à apprendre et nous ne devons pas être à la remorque de nos principaux concurrents, mais moteurs dans la recherche spatiale.

Nous avons publié un rapport de contrôle sur les instituts hospitalo-universitaires (IHU), qui sont de très bons outils pour la recherche sanitaire. Je vous invite à les suivre, en particulier les nouveaux appels à projets qui y sont menés.

Nous avions dit que l'ANR prendrait son envol à partir d'1 milliard d'euros de crédits de recherche et 25 % de taux de sélection. Nous y sommes presque : l'agence est devenue un acteur essentiel du secteur.

Nos organismes de recherche ont aussi des difficultés à aller chercher des crédits européens, le CNRS vient d'installer une task force dédiée, c'est une bonne chose pour la recherche française.

Mme Laure Darcos, rapporteure pour avis . - A l'hôpital Cochin, l'IHU peut s'adosser au CHU pour prélever des cellules sanguines nécessaires à l'activité expérimentale, mais nous avons appris lors de notre visite que l'Établissement français du sang ne fournissait plus assez de pochettes de sang issu de patients sains, alors que nous avons renforcé ses moyens lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) - il faut prévoir suffisamment de plaquettes pour la recherche française !

Je partage l'idée que la recherche spatiale est indispensable. La diplomatie se fait aussi dans l'espace et l'Europe doit être au rendez-vous en ce domaine.

Nous sommes au fait de la situation du patrimoine universitaire, Stéphane Piednoir en a parlé dans son rapport, j'avais cosigné vos amendements, Madame Paoli-Gagin et je regrette comme vous qu'ils n'aient pas été adoptés. La ministre vient du milieu universitaire et je crois que nous pouvons compter sur elle - de même que pour une échéance de sept ans plutôt que dix pour la loi de programmation, c'est du moins mon espoir.

L'appel au secours de l'IPEV a été entendu : celui-ci a obtenu les 3 millions d'euros supplémentaires qui sont nécessaires à son fonctionnement, c'est une bonne chose.

Je partage pleinement vos propos sur l'importance de la culture scientifique ; il faut s'assurer que le seuil de 1 % fixé à l'ANR soit respecté, et que l'Éducation nationale fasse tout son travail. Lorsque nous avons interrogé la Première ministre sur la disparition des mathématiques dans le tronc commun du lycée, elle nous a avoué qu'elle n'en n'avait pas été informée, la Polytechnicienne qu'elle est n'a pas pu ne pas s'en émouvoir et je crois que notre alerte a été efficace. Si l'Éducation nationale ne comprend pas les liens entre l'enseignement des mathématiques et les chercheurs de demain, nous allons encore perdre des années précieuses !

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la recherche du projet de loi de finances pour 2023 .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Lundi 10 octobre 2022

- Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : M. François JACQ , administrateur général.

- Agence nationale de la recherche (ANR) : M. Thierry DAMERVAL , président-directeur général, Mme Cécile SCHOU , chargée de mission auprès de la direction générale.

- Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) : M. Bruno SPORTISSE , président-directeur général, Mme Sandrine MAZETIER , directrice générale déléguée à l'appui aux politiques publiques.

Mardi 11 octobre 2022

- Universcience Cité des sciences et de l'industrie : MM. Bruno MAQUART , président, et Victor HARLÉ , directeur financier et juridique.

- Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) : MM. Philippe MAUGUIN , président-directeur général, Louis-Augustin JULIEN , directeur des finances et des achats, et Marc GAUCHÉE , conseiller du président-directeur général pour les relations parlementaires et institutionnelles.

- Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) : M. Thierry COULHON , président.

Jeudi 13 octobre 2022

Centre national de la recherche scientifique : M. Antoine PETIT , président-directeur général.

Mardi 25 octobre 2022

Centre national d'études spatiales (CNES) : MM. Philippe BAPTISTE , président-directeur général, Nicolas HENGY , directeur financier, et François ALTER , conseiller du président.

DÉPLACEMENT

Jeudi 10 novembre 2022

Visite des unités Inserm de l'Institut Cochin

(22, rue Méchain, Paris XIV e )

- M. Gilles BLOCH , président-directeur général de l'Inserm

- Mme Christine CLERICI , présidente de l'Université Paris-Cité

- Mme Sophie VAULONT , directrice adjointe de l'Institut Cochin

- Mme Noémie MARRANT , secrétaire générale de l'Institut Cochin

- M. Damien ROUSSET , directeur général délégué à l'administration de l'Inserm

- Mme Carine DELRIEU , directrice de cabinet et directrice de la communication de l'Inserm

- M. Yvan DE LAUNOIT , directeur adjoint scientifique de l'Institut des sciences biologiques du CNRS

- les équipes de l'Institut Cochin

ANNEXE

Audition de Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

MERCREDI 19 OCTOBRE 2022

___________

M. Laurent Lafon , président . - Nous sommes heureux de vous accueillir, madame la ministre, pour cette audition consacrée aux crédits de votre ministère dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023.

Ils progressent de 1,1 milliard d'euros par rapport à 2022. Cette augmentation est fléchée sur trois principaux objectifs : la poursuite du déploiement de la loi de programmation de la recherche (LPR), qui entre dans sa troisième année de mise en oeuvre ; le renforcement des moyens attribués aux établissements du supérieur, notamment pour compenser la hausse du point d'indice des fonctionnaires ; le financement de mesures en faveur de la réussite des étudiants et de l'amélioration de leurs conditions de vie.

Cette hausse du budget, dont on ne peut que se réjouir, ne doit pas masquer les vives inquiétudes qu'expriment les opérateurs de l'enseignement supérieur et de la recherche au sujet de la forte inflation qui frappe notre économie. Ils estiment que l'envolée des prix de l'énergie entraînerait 100 millions d'euros de dépenses supplémentaires cette année et un doublement voire un triplement ou un quadruplement l'an prochain. Or le PLF 2023 ne prévoit, à ce stade, aucune compensation. Face à cette situation d'exception, les établissements d'enseignement supérieur et les organismes de recherche se disent prêts à prendre leur part de l'effort national, mais ils insistent sur leur marge de manoeuvre relative. L'accueil des étudiants et la continuité des activités de recherche ne sauraient être des variables d'ajustement. Nous sommes donc très soucieux de savoir comment vous abordez ce dossier et comptez y répondre.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Je vous présenterai mon budget dans ses grandes lignes, pour laisser du temps au débat.

Les crédits de mon ministère progressent de 1,08 milliard d'euros par rapport à 2022, hors financements issus du Programme d'investissement d'avenir (PIA) et de France 2030. L'augmentation est continue depuis 2017, atteignant au total 3,6 milliards d'euros sur la période : cette hausse est d'autant plus notable qu'elle s'inscrit dans un contexte économique compliqué, et alors que le Gouvernement engage des dépenses massives pour préserver le pouvoir d'achat des Français.

Le budget de mon ministère pour 2023 s'élève à 25,7 milliards d'euros, dont 14,8 milliards d'euros pour le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » ; 7,8 milliards d'euros pour le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » ; et 3,1 milliards d'euros pour le programme 231 « Vie étudiante ».

L'augmentation des crédits du ministère poursuit, comme vous l'avez dit, trois objectifs principaux. D'abord, une compensation pérenne de la revalorisation du point d'indice aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche, aux organismes de recherche à caractère scientifique et technologique ainsi qu'au réseau des oeuvres universitaires et scolaire : 500 millions d'euros supplémentaires sont prévus à cet effet, c'était pour moi une « ligne rouge » absolue. Ensuite, conformément à l'engagement que j'avais pris devant vous avant l'été, la poursuite de la trajectoire de la LPR : 400 millions d'euros supplémentaires y seront consacrés. Enfin, une enveloppe d'environ 200 millions d'euros de mesures nouvelles en faveur de la vie étudiante ou de reconduction, pour la rentrée universitaire 2022-2023, de certaines mesures exceptionnelles mises en oeuvre depuis la crise sanitaire.

Les trajectoires en crédits et en emplois prévus par la LPR seront pleinement respectées l'an prochain, grâce aux 400 millions d'euros supplémentaires, dont 350 millions pour les programmes du ministère, répartis comme suit : une hausse de 143 millions d'euros pour les universités et établissements d'enseignement supérieur du programme 150 et une hausse de 206 millions d'euros pour les organismes nationaux et les infrastructures de recherche du programme 172.

Ces moyens iront d'abord à des mesures « ressources humaines » : 114 millions d'euros supplémentaires pour améliorer la rémunération et les carrières de l'ensemble des personnels, fonctionnaires ou contractuels, sous statut de droit public ou privé, travaillant dans des organismes de recherche ou des universités. Ces mesures s'ajouteront à l'augmentation du point d'indice ; cette dernière n'est pas « noyée » dans les revalorisations salariales prévues, mais bien additionnelle.

S'ajoute à cette enveloppe de mesures « RH » la hausse d'environ 40 millions d'euros pour le recrutement de doctorants supplémentaires et la revalorisation de leur rémunération. Des doctorants plus nombreux et mieux rémunérés : c'est l'objectif de la LPR que nous mettons en oeuvre.

M. Pierre Ouzoulias . - Très bonne mesure !

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Ces revalorisations s'appliquent non pas seulement aux nouveaux contrats, comme c'était jusqu'à présent le cas, mais également aux contrats en cours, car la situation actuelle pouvait créer un sentiment d'inégalité. La rémunération minimale sera ainsi portée, au 1 er janvier 2023, à 2 044 euros bruts pour tous les doctorants, soit 3,5 % de plus de ce qui était prévu dans la LPR afin de tenir compte, pour eux aussi, de l'augmentation du point d'indice. Un arrêté interministériel viendra prochainement mettre en oeuvre cet ajustement.

Les autorisations d'engagement de l'Agence nationale de la recherche (ANR) augmentent de 400 millions d'euros par rapport au point de référence qui est 2020. La LPR ne prévoyait pas de montée en charge pour 2023. Les effets de cette augmentation sont déjà visibles, avec le relèvement du taux de sélection des appels à projets à 23 %. En crédits de paiement, la montée en charge des projets sélectionnés se traduit logiquement par une hausse d'environ 44 millions d'euros.

Les budgets des organismes de recherche et des universités gagnent 91 millions d'euros, pour garantir la soutenabilité de leurs recrutements et augmenter les dotations de base des laboratoires.

D'autres augmentations, pour un montant total de 81 millions d'euros supplémentaires, permettront d'améliorer les grands équipements scientifiques et de renforcer le lien sciences-société, en amplifiant la diffusion de la culture scientifique et les transferts des résultats de la recherche vers le monde des entreprises.

Enfin, les 650 créations de postes prévues par la LPR viendront soutenir l'attractivité de la recherche avec 179 nouvelles chaires de professeur junior (CPJ) - 120 pour les universités et 59 pour les ONR -, et 377 doctorants supplémentaires - 268 pour les universités et 109 pour les ONR -, ainsi que 94 postes dans les organismes.

Une nouvelle augmentation de près de 700 millions d'euros des moyens de l'enseignement supérieur permettra, c'est le deuxième point de mon propos, d'améliorer la réussite étudiante et de renforcer une visibilité pluriannuelle des universités sur leurs moyens.

Un premier bloc de mesures, d'un montant de 143 millions d'euros, iront aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche au titre de la LPR, je viens d'en parler.

Le deuxième bloc, ce sont les 364 millions d'euros prévus pour la compensation de la revalorisation du point d'indice pour les établissements ayant accédé aux responsabilités et compétences dites « élargies », à quoi l'on peut ajouter 9 millions d'euros de crédits supplémentaires en titre 2 notamment pour les établissements n'ayant pas accédé à ces compétences élargies ;

Enfin, un troisième bloc, d'environ 160 millions d'euros de mesures nouvelles en faveur de l'enseignement supérieur. Elles visent d'abord à mieux prendre en compte l'évolution de la démographie étudiante, avec le « soclage » d'environ 50 millions d'euros de crédits ouverts au titre du plan de Relance pour la création de places de master et de licence, et une enveloppe complémentaire de 8 millions d'euros pour maintenir le taux d'encadrement dans les établissements relevant du programme 150 à la rentrée universitaire 2023-2024. Ce troisième bloc comprend ensuite le financement d'annonces ou de réformes déjà engagées, avec + 13 millions d'euros pour les coûts d'accueil des stagiaires dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPE) et + 8 M€ pour la création de places dans les formations en santé à la rentrée 2023-2024. Sur les formations santé, je mentionnerai la création de 6 nouvelles unités de formation et de recherche (UFR) d'odontologie, la hausse du taux d'encadrement en deuxième cycle et la création d'un nouveau site aux Antilles.

Toujours dans ce troisième bloc, 35 millions d'euros supplémentaires iront à la conclusion de nouveaux contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP), qui visent à renforcer la visibilité pluriannuelle des universités sur leurs moyens mais aussi leur implication dans la mise en oeuvre des politiques prioritaires - ces moyens s'ajoutent à l'enveloppe du dialogue stratégique et de gestion.

Parmi ces mesures, figurent aussi les moyens supplémentaires pour la programmation immobilière du ministère, avec 30 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement, mais aussi une augmentation de près de 400 millions d'euros des autorisations d'engagement, notamment pour permettre le lancement du Campus hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris-Nord.

Enfin, toujours dans ce troisième bloc, la compensation en base aux établissements de mesures « RH » transversales mises en oeuvre en 2022, pour 17 millions d'euros, telles que les revalorisations de certains personnels administratifs, sociaux et de santé.

Le budget 2023 permet enfin d'améliorer les conditions de vie étudiante et de continuer à lutter contre la précarité étudiante. Je citerai les deux principales mesures annoncées pour le pouvoir d'achat, qui ont à elles seules un impact de 135 millions d'euros l'an prochain : la revalorisation de 4 % des bourses sur critères sociaux à la rentrée universitaire 2022-2023, qui aura un coût en année pleine de 85 millions d'euros environ ; le maintien du repas à 1 euro dans les restaurants universitaires pour les étudiants précaires, soit un manque à gagner d'environ 50 millions d'euros pour les Crous qui sera intégralement compensé par l'État.

Ce budget permet également de renforcer l'accompagnement des étudiants, de mieux protéger leur santé, de mieux prendre en compte leurs difficultés. Je pense au doublement des moyens consacrés pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans les établissements d'enseignement (+ 1,8 million d'euros) ; c'est un sujet majeur sur lequel j'ai eu l'occasion de m'exprimer il y a deux semaines, à l'occasion du lancement d'une campagne de sensibilisation sur le consentement. Nous amplifierons ainsi notre soutien aux associations et aux établissements dans leurs projets de prévention et de formation.

Je pense également au doublement des moyens dédiés à l'accompagnement des étudiants en situation de handicap, soit une hausse de 7,5 millions d'euros conformément aux conclusions du comité interministériel au handicap de février 2022.

Je citerai également la réforme des services de santé universitaire (SSU) que j'ai annoncée la semaine dernière et pour laquelle je mobiliserai une enveloppe de 8,2 millions d'euros. Les crédits ouverts l'an dernier pour financer la distribution gratuite de protections périodiques dans les restaurants et résidences universitaires sont par ailleurs pérennisés.

Je pense, enfin, à l'augmentation de 3 millions d'euros de l'enveloppe dédiée à la mobilité étudiante afin de faciliter les études dans d'autres académies et à l'international.

Le budget pour 2023 traduit aussi le soutien apporté au réseau des oeuvres universitaires et scolaires, avec le renforcement des services sociaux des Crous : 40 travailleurs sociaux supplémentaires seront recrutés, et le dispositif de référents étudiants en résidence universitaire sera pérennisé, afin de lutter contre l'isolement des étudiants et d'améliorer leur accueil en résidence ; 4 millions d'euros supplémentaires seront alloués à la mise en oeuvre des objectifs de la loi Egalim en faveur d'une alimentation équilibrée et de qualité, sachant que ces objectifs impliquent un renchérissement des coûts d'approvisionnement ; en plus de la compensation du point d'indice, qui correspond à 15 millions d'euros pour le réseau, le budget 2023 permet la revalorisation salariale de ses agents, notamment les personnels ouvriers, à hauteur de 12 millions d'euros supplémentaires.

Je rappelle qu'en plus du budget du ministère, s'ajoutent les crédits de France 2030, ce plan d'investissement massif articulé autour de grands objectifs pour faire émerger les solutions de demain et répondre aux défis de notre temps, en particulier celui de la transition écologique. La recherche et l'innovation sont à la source des nouvelles découvertes, qu'il s'agisse de fonds marins ou de l'espace, de nouveaux médicaments ou de nucléaire, d'agriculture ou de mobilités propres. Le déploiement de ces innovations nécessitera de former de nouveaux talents, en s'appuyant, entre autres, sur l'excellence de nos sites universitaires et de nos établissements. Ainsi, plus de 13 milliards d'euros seront investis au bénéfice des acteurs de la recherche, de l'enseignement supérieur et de l'innovation sur la période 2020-2027.

Enfin, un mot sur la question de l'énergie. Je suis pleinement consciente de l'impact des surcoûts et des incertitudes qu'ils génèrent pour nos établissements, notamment pour la préparation des budgets 2023. Les surcoûts pourraient atteindre, pour les établissements d'enseignement supérieur, environ 100 millions d'euros cette année et 500 millions d'euros l'an prochain en 2023 par rapport à 2021, et pour les organismes nationaux de recherche, ils pourraient être de l'ordre de 40 millions d'euros cette année et 200 millions d'euros l'an prochain.

En raison de la difficulté à évaluer avec précision à ce stade les surcoûts qui seront réellement subis par les établissements, nous examinons avec Gabriel Attal la meilleure façon d'accompagner nos opérateurs, en étudiant différentes options et différents scénarios. Nous serons en mesure de vous le détailler très prochainement.

Pour ce qui concerne l'élaboration des budgets initiaux 2023, qui est la préoccupation immédiate de nos opérateurs, je réitèrerai les consignes très claires que j'ai transmises tant aux universités qu'aux organismes de recherche : les contraintes budgétaires liées aux coûts de l'énergie ne doivent pénaliser, dans toute la mesure du possible, ni les projets de recherche ou d'investissement, ni les campagnes de recrutement, ni les conditions d'enseignement ou de recherche.

Si cela doit conduire à élaborer un budget initial en déficit, je l'assume pleinement : beaucoup d'établissements disposent de réserves financières qui sont là précisément pour faire face à ces situations exceptionnelles, et qui doivent être mobilisées lorsque c'est possible. Toutefois, les situations sont hétérogènes d'un établissement à l'autre, et ces réserves sont pour une très large part gagées sur des dépenses futures d'investissement, sur des projets de recherche ANR ou PIA, sur des provisions pour risques ou encore sur des remboursements d'emprunt. C'est pour cette raison que le dispositif de compensation nous permettra d'intervenir, afin de contribuer à l'équilibrage des comptes lorsque les surcoûts seront définitivement connus.

Le budget du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est un budget important. Malgré les contraintes actuelles, il est, cette année encore, en augmentation. Cela traduit l'engagement renouvelé du Gouvernement en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche, en faveur de nos étudiantes et de nos étudiants, en faveur de notre avenir.

Mme Laure Darcos . - Merci beaucoup, Madame la ministre, pour cette présentation très précise.

Tous les organismes de recherche que j'ai auditionnés m'ont dit « être pris à la gorge » par le renchérissement des prix de l'énergie et ne pas savoir comment boucler leur budget 2023. N'oublions pas que la consommation énergétique des activités de recherche comprend une part incompressible qui peut atteindre 60 % voire 70 %, par exemple, pour la ventilation nucléaire.

Le projet de budget pour 2023 ne comprenant aucune enveloppe de compensation, confirmez-vous votre volonté de recourir à des compensations en gestion ? Procéderez-vous au cas par cas, selon la situation de chaque organisme ?

N'est-il pas envisageable de permettre aux organismes de recherche de bénéficier d'une part des recettes de la future « contribution temporaire de solidarité », au motif qu'ils participent à l'avenir à la Nation, notamment sur le plan de la transition énergétique ?

Concernant le déploiement de la LPR, j'ai été alertée sur le démarrage relativement lent des chaires de professeurs juniors, qui s'explique à la fois par le retard de publication du décret afférent et la persistance de résistances locales. Les crédits de paiement non consommés ont donc été reportés... si cela perdurait, il est à craindre que Bercy s'en mêle : avez-vous identifié ce risque ? Escomptez-vous une montée en charge du dispositif ?

La mesure consistant à consacrer 1 % du budget d'intervention de l'ANR à la culture scientifique fait l'objet d'une bonne dynamique, ce qui me réjouit. Il est en effet primordial d'investir dans la culture scientifique pour former les consciences éclairées de demain. Un Conseil national de la culture scientifique avait été créé par la loi Fioraso - dont on va bientôt fêter les 10 ans - pour faire dialoguer les principaux acteurs du secteur. Or, il semble que l'instance soit en déshérence depuis quelque temps : comptez-vous la réactiver ?

Quand et comment souhaitez-vous ouvrir le dossier de la restructuration du paysage français de la recherche, sachant que le climat s'est tendu ces derniers temps entre les grands organismes et les établissements ?

Enfin, l'Institut Paul-Émile Victor connaît de très graves difficultés, le plafond d'emplois est sous-dimensionné, ce qui conduit cet institut à contourner le droit du travail et à reporter toute rénovation pourtant indispensable de ses stations. Le Gouvernement va-t-il accepter l'amendement de l'Assemblée nationale visant à financer 5 ETP supplémentaires ? Quelles solutions pour adapter le plafond d'emplois de cet institut ? Alors que les campagnes d'été sont lancées et que cet institut est touché de plein fouet par l'explosion des prix des matières premières, du fret maritime et du transport aérien, ses crédits sont reconduits à l'identique : allez-vous accepter la hausse de 3 millions d'euros votée hier par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale ?

M. Stéphane Piednoir , rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement supérieur » . - Face au renchérissement de l'énergie, la solution de court-terme consistant à recourir aux fonds de roulement n'est pas complètement satisfaisante : une partie de ces fonds est déjà fléchée sur des actions données ou des programmes d'investissement, dont la suspension compromettrait le développement des établissements ; ensuite, ces fonds sont généralement le résultat d'une bonne gestion financière, les prélever reviendrait à pénaliser cette bonne gestion. Appelez-vous néanmoins formellement les établissements à puiser dans leur trésorerie ?

Le travail de recensement et d'expertise des usages et des équipements va prendre du temps et ses effets ne seront pas visibles avant courant 2023 voire 2024 : en attendant, envisagez-vous des aides exceptionnelles ciblées sur certains établissements ? Votre collègue de l'économie a assuré, il y a quelques semaines, vouloir « trouver des moyens » pour que les universités fonctionnent cet hiver... Quelles compensations envisagez-vous et comment fonctionneront-elles ? Une réorganisation de l'année universitaire, qui consisterait à moins concentrer les enseignements sur l'automne et l'hiver, est-elle une piste que vous étudiez ?

La Cour des comptes vient de rendre public un rapport assez sévère sur l'immobilier universitaire, qui représente près de 20 % de l'immobilier de l'État. Partagez-vous ses constats ? Comment comptez-vous redresser la barre ? Êtes-vous favorable à une possibilité d'emprunt plus large pour les universités ?

Sur les contrats d'objectifs, de moyens et de performance, il semble qu'une douzaine d'universités-pilotes soient concernées l'année prochaine : nous le confirmez-vous ? Quel est le profil des universités retenues ? En quoi consisteront concrètement ces contrats et envisagez-vous leur généralisation ?

Sur la concertation relative à la vie étudiante, prévoyez-vous d'informer voire d'associer les parlementaires à la réflexion ?

S'agissant des bourses sur critères sociaux, êtes-vous prête à mettre sur la table la question du rattachement au foyer fiscal des parents, c'est une demande récurrente, et pensez-vous qu'une territorialisation soit possible ?

Enfin, comme je le fais régulièrement depuis 2018, je déplore le faible financement des établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig) : leur dotation correspond à 650 euros par élève, contre près de 11 000 euros dans le public. La reconnaissance de l'intérêt général doit se traduire financièrement : qu'en pensez-vous ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Les établissements d'enseignement supérieur et les organismes nationaux de recherche seront suivis et accompagnés au cas par cas. En plus de la mobilisation de leur fonds de roulement, ils pourront avoir un budget en déficit. Nous sommes en train d'étudier les modalités précises de cette compensation : celle-ci interviendra soit en tant que recette dans le budget 2023, soit en 2022 pour alimenter le fonds de roulement et sera compensée sur le budget déficitaire au moment des comptes. Nous donnerons les consignes précises aussi bien aux organismes qu'aux universités, lorsque nous en aurons décidé.

Vous l'avez dit, le fonds de roulement comprend une réserve de 15 jours de masse salariale, et d'autres parties qui sont plus ou moins gagées par des projets en cours ou à venir ; nous connaissons la répartition pour chacun des établissements. Ce que nous visons, c'est le fonds « dormant », c'est-à-dire la partie disponible que nous demandons de mobiliser par solidarité et responsabilité. Ce fonds est aussi prévu pour faire face à des situations de crise ; or nous sommes face à une crise, nous mobilisons donc tous les moyens qui ne compromettent pas les projets de recherche et nous préservons bien entendu les 15 jours de fonctionnement.

Le dispositif des CPJ a connu un démarrage plus long que nous ne l'envisagions, en raison d'un degré divers d'acceptabilité. Mais les crédits dédiés sont fléchés ; il n'est pas question de les réorienter, et je vous confirme qu'ils ne sont pas menacés.

L'ANR est mobilisée pour renforcer les liens entre sciences et société, pour la science participative, la science avec et pour la société. Vous avez raison de signaler que le Conseil national de la culture scientifique est « dormant », nous allons regarder de près cette question. Nous discutons aussi régulièrement avec France universités sur des sujets très divers, pour conforter en particulier le rôle territorial des universités.

La recherche polaire est déterminante pour la connaissance du changement climatique et des océans. Nous avons doté l'Institut Paul-Émile Victor de 11 postes supplémentaires entre 2021 et 2023, dont 7 l'an dernier, mais cet institut a des difficultés structurelles ; tous les postes n'y sont pas pourvus. Nous avons également financé 7,8 millions d'euros pour les études sur la rénovation de la base Dumont d'Urville. Il faudra régler le problème structurel en choisissant entre plusieurs scénarios de rénovation des stations et en regardant du côté des partenariats européens. En tout état de cause, je m'engage à ce que la campagne engagée de novembre à mars ne soit pas gênée - et je prévois, pour cela, une enveloppe d'urgence d'1 million d'euros. Aucune mission ne sera bloquée.

La réorganisation de l'année universitaire est une piste, il faut se mettre autour de la table.

Le rapport de la Cour des comptes sur l'immobilier universitaire - qui représente un peu plus de 18 millions de m 2 -, souligne le fort impact écologique de notre patrimoine. Nous travaillons avec Christophe Béchu à une planification écologique, avec des propositions de rénovation énergétique et thermique, pour parvenir à un grand plan de rénovation ; nous espérons l'annoncer rapidement.

Le nombre de COMP n'est pas fixé, nous travaillons sur leur contenu et leur format. Ces nouveaux contrats serviront de levier pour les politiques prioritaires des établissements et permettront de mieux suivre l'évolution de leur performance. Je crois que nous irons vers leur généralisation, mais nous n'en sommes pas là.

J'ai demandé une mission d'expertise sur la qualité de la vie étudiante, elle sera lancée avec les acteurs locaux et vous y serez associés.

Nous lançons parallèlement la concertation sur la vie étudiante, avec une réflexion à la fois nationale et territoriale. J'ai nommé un délégué, Jean-Michel Jolion, sur la question spécifique des bourses sur critères sociaux. Le débat commence et je ne peux le préempter. Cependant, je ne veux pas laisser penser que rien n'existe actuellement pour les jeunes qui sortent du foyer fiscal de leurs parents ; il y a des aides exceptionnelles des Crous en cas de rupture avec la famille.

Les Eespig ont effectivement évolué et le soutien de l'État a, il est vrai, atteint un plancher de 600 euros par élève ces dernières années. Mais nous avons commencé à inverser la tendance en 2021, avec une dotation augmentée de 9 millions d'euros. Nous maintenons notre effort avec 1 million d'euros supplémentaires prévu l'année prochaine pour ne pas la faire redescendre, compte tenu de l'évolution démographique.

M. Jean-Pierre Moga . - La France a une vision trop linéaire de l'innovation, que les pouvoirs publics soutiennent surtout par des appels à projets. Or ceux-ci ne s'inscrivent pas dans des feuilles de route industrielles et technologiques et ne permettent pas la vision sur le moyen et le long terme que nécessitent la recherche et l'innovation.

En réalité, nous devons améliorer l'enseignement scientifique dans notre pays. On estime que notre économie a besoin de 50 000 à 60 000 nouveaux ingénieurs par an, nous n'en formons qu'un peu plus de 33 000. Résultat : notre compétitivité recule. Le nombre de doctorants augmente, après avoir baissé fortement, mais il reste inférieur à celui de 2009. Dans ces conditions, comment attirer davantage d'ingénieurs et de doctorants, pour répondre aux besoins de notre économie ?

Mme Sylvie Robert . - Merci, Madame la ministre pour votre engagement, que nous saluons.

Vous parlez de la compensation du point d'indice, mais les personnels contractuels sont-ils intégrés ?

Les Crous vont avoir de nouveaux travailleurs sociaux - leur rôle a été très important pendant la crise sanitaire : pensez-vous que l'enveloppe prévue suffira à faire face aux hausses des prix alimentaires et de l'énergie ? On nous rapporte que les prix de confection des repas augmentent, les contraintes sont réelles... Quel regard portez-vous sur le rapport de la Cour des comptes qui appelle à une révision du modèle économique des Crous ?

M. Pierre Ouzoulias . - Merci, Madame la ministre, pour la clarté et la précision de vos propos.

J'aurais voulu interroger celui qui, dans l'exécutif, tient les clés de la caisse : M. Bercy ! Lorsqu'en juillet dernier, je l'ai alerté sur le fait que certaines universités manquaient déjà de moyens pour la rentrée, je n'ai pas obtenu de réponse ; maintenant que des difficultés se sont ajoutées, les universités vont devoir quémander des moyens supplémentaires pour assurer leurs missions de service public. Cette forme de curatelle budgétaire est opposée à l'autonomie des universités. Notre humanité fait face à des défis majeurs, nous ne pourrons pas les régler sans un engagement massif, historique, dans la recherche et l'université - mais nous butons sur ce mystère, qui est aussi une question que je vous pose : pourquoi les élites françaises n'aiment-elles pas les universités ? Je le dis en passant, mais si les étudiants descendent dans la rue, le Gouvernement ne disposera pas de la réquisition pour les faire revenir à l'université - et cela coûtera bien plus cher à M. Bercy...

Le Gouvernement, pour former 25 000 hauts fonctionnaires à la transition énergétique, a prévu de recourir aux lumières de l'Institut national du service public (INSP) : pourquoi ne s'est-il pas adressé aux universités ? Cela aurait été un symbole fort...

Votre prédécesseure, ensuite, s'était engagée à une centaine de conventions de formation par la recherche en administration (cofra). Pour cette année, il n'y en a eu qu'une dizaine : le signal est catastrophique et je regrette que l'engagement pris devant nous n'ait pas été tenu. La comparaison avec l'Allemagne pour le nombre de ministres titulaires d'un doctorat témoigne d'un décalage et peut-être explique que nous ayons tant de mal en France à promouvoir la valeur du doctorat...

M. Jean Hingray . - Les universités ont salué l'augmentation des crédits pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes, mais des associations féministes étudiantes soulignent que ces crédits restent quatre fois moindres que ceux consacrés à la santé : est-ce le cas ?

À Rennes, des étudiants et syndicats étudiants dénoncent l'exclusion des hommes d'un atelier informatique organisé par le service culturel de l'Université : comment réagissez-vous à cette nouvelle polémique ? Et que pensez-vous de l'appel à l'insurrection lancé par le député Louis Boyard lors d'une conférence devant des étudiants à Strasbourg ?

M. Bernard Fialaire . - Une question sur l'égalité des chances dans l'accès aux classes préparatoires. Il y avait cette année 83 000 étudiants en classes préparatoires, 63 % en filière scientifique, 23 % en économie et 14 % dans les filières littéraires. Les prépas publiques donnent de très bons résultats en sciences et en lettres, mais pas dans les filières économiques : sur les 10 meilleures prépas, 7 sont privées, avec un coût moyen de 5 000 euros l'année - comment redonner une meilleure place aux prépas publiques ?

Concernant la place croissante des officines privées dans la préparation des études de santé, Mme Vidal nous avait assuré que la fin du numerus clausus règlerait les problèmes d'effectifs. Or il n'en n'est rien : il n'y a jamais eu autant de candidats dans ces filières ! Certaines universités envisagent des tutorats pour accompagner les étudiants dans la préparation du concours, qu'en pensez-vous ?

Sur la recherche en mathématiques, on voit qu'il y a toujours moins de professeurs, mais plus de tâches administratives...

Comment évaluez-vous le rôle des CPJ ? Mme Vidal avait assuré que pour chaque CPJ, on ouvrirait un poste de professeur : où en est-on ?

Enfin, quelle évaluation faites-vous du crédit d'impôt recherche (CIR) ?

M. Max Brisson . - A propos de la territorialisation des bourses, les collectivités territoriales aident déjà les étudiants sur des critères sociaux - aussi la concertation est-elle de bon sens, mais pourra-t-on aller jusqu'au guichet unique, qui faciliterait la vie des étudiants ? Même chose pour la vie étudiante dans son ensemble, et sans aller jusqu'à relayer le propos de la présidente de la région Ile-de-France, qui demande le transfert de cette compétence aux régions, je note que vous avez déclaré dans le journal Le Monde du 15 septembre être « en consultation de terrain » : jusqu'où irez-vous dans la réforme ?

S'agissant de la recherche, je suis heureux de vous entendre annoncer une extension de la revalorisation « au stock » des doctorants - mesure aujourd'hui limitée au « flux » -, mais peut-on en savoir davantage sur les modalités de répartition ?

La LPR avait suscité bien des débats, sur la non prise en compte de l'inflation. Mme Vidal et son collègue de Bercy nous répondaient que nous étions à l'abri de l'inflation ; elle est désormais historique, mais aucune revalorisation n'est prévue. Vous allez répondre sur la compensation des dépenses d'énergie, mais cette compensation est conjoncturelle, alors que la crise ne le sera probablement pas - à ce compte-là, ne faut-ils pas adapter la LPR ?

La loi sur l'école de la confiance avait prévu que le master serait le cursus prépondérant au métier d'enseignant, nous en sommes encore très loin : pourquoi ? Le décalage des dates des concours de M1 à M2 a eu un effet mécanique sur le nombre de candidats, au point qu'il y en a eu moins, dans certaines disciplines, que le nombre de postes : est-ce conjoncturel ou structurel ? Comment y travaillez-vous avec le ministre de l'éducation nationale ?

Enfin, comment comptez-vous faire face à la réduction du vivier de professeurs de mathématiques ? La réponse que vient de donner le ministre de l'éducation nationale à notre collègue Laure Darcos lors des questions d'actualité a de quoi inquiéter...

M. Pierre-Antoine Levi . - Je salue la hausse des crédits, mais je suis déçu par le volet « vie étudiante » ; il faut plus de moyens face à la précarité. Les classes moyennes sont aussi touchées, en particulier quand les étudiants n'accèdent pas aux logements du Crous, ni au repas à 1 euro. Pourquoi ne pas avoir maintenu le repas à 1 euro pour tous les étudiants ?

Ensuite, quelles solutions pour les étudiants dont les établissements ne proposent pas de restauration universitaire ? Il faut regarder les zones blanches des Crous, je regrette que vous ne repreniez pas ma proposition d'un ticket restaurant et j'avoue que vos crédits... me laissent sur ma faim... Il est temps de proposer des solutions à ces étudiants, qui n'ont pas toujours deux repas par jour.

Mme Sonia de La Provôté . - Lors de votre audition du mois de juillet, vous nous aviez dit que vous n'entendiez pas réformer une nouvelle fois l'accès aux études de santé ; cependant, des ajustements restent nécessaires et il faut prendre garde à ne pas pénaliser les promotions d'étudiants d'aujourd'hui : comment comptez-vous vous y prendre ? Ensuite, quand on voit le nombre de places en pharmacie qui ne sont pas pourvues, alors que les pharmaciens sont appelés à jouer un rôle toujours plus grand dans l'offre de soins, on comprend tout le travail qu'il faudrait faire pour promouvoir cette filière dès le lycée : qu'en pensez-vous ?

Mme Alexandra Borchio Fontimp . - Depuis quelques années, les étudiants doivent payer la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), qui est d'autant plus mal comprise qu'elle grève un budget étudiant déjà bien maigre, voire insuffisant et que le pouvoir d'achat des étudiants est en chute libre. J'ai déjà défendu un amendement au dernier collectif budgétaire pour supprimer cette taxe et je compte réitérer - parce que si l'objectif est honorable, je ne comprends pas qu'on taxe davantage les étudiants. La CVEC rapporte 137,9 millions d'euros, quelle part en revient effectivement aux Crous ?

M. Laurent Lafon , président . - Une demande de précision : le gel sur les loyers des Crous concerne-t-il aussi les charges ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Comment attirer plus de doctorants et mieux valoriser le doctorat ? La LPR va augmenter de 20 % le nombre de doctorants, nous avons aussi doublé le nombre de conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), ce n'est pas négligeable. Il faut aussi regarder le meilleur taux d'acceptation des projets ANR déposés par les doctorants : le taux de sélection global est passé à 23 % et sera bientôt à 30 %. Il y a également le PIA, avec ses 13 milliards d'euros pour la recherche, qui comporte de grands volets comme le quantique ou l'hydrogène. Tout cela contribuera à ce que nous ayons davantage de doctorants dans les années à venir, ce qui n'empêche pas que nous devions continuer de mieux valoriser ce diplôme dans notre pays.

La compensation du point d'indice concerne bien les personnels contractuels et tous les établissements situés dans le périmètre de mon ministère.

Le tarif du repas universitaire est bloqué depuis trois ans, avec un plafond à 3,3 euros : ceux qui ne mangent pas à 1 euro, paient au maximum 3,3 euros, c'est un soutien déjà important. Il y a des zones blanches, c'est vrai, nous devons améliorer les choses. J'ai parlé des 4,4 millions d'euros pour aider les Crous à mettre en place les mesures de la loi Egalim, c'est important. D'une manière générale, nous devons continuer d'accompagner les Crous et le Cnous en considérant des partenariats nouveaux, fruits de discussions territoriales, et nous devons tendre vers des modèles multi-acteurs, où le Cnous joue son rôle parmi d'autres intervenants, par exemple les bailleurs sociaux. Nous regardons en particulier comment ouvrir la centrale d'achat du réseau à des partenaires territoriaux, ce qui permettrait de réaliser des économies d'échelle et dessinerait un nouveau modèle - mais cela requiert une évolution législative, nous y travaillons en recherchant le bon véhicule, avec vous, j'espère aboutir dès cette année.

La formation des 25 000 fonctionnaires à la transition écologique par l'INSP fera appel à des chercheurs de l'université, il y aura donc un lien direct entre eux et les étudiants.

Comme ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et aussi professeure des universités, je crois à un système universitaire pluriel et je vois que le nôtre évolue, l'Université devient plus lisible, notre modèle se renforce et il est mieux reconnu.

L'objectif d'une centaine de Cofra par an se heurte, en plus de problèmes budgétaires, à ceux des plafonds d'emplois et de publicité, ou encore de reconnaissance par les administrations - le problème est donc multiple.

Nous doublons le budget consacré aux problèmes de violences sexuelles et sexistes à l'université ; ces moyens vont servir à constituer des équipes en région, à accompagner les établissements et à améliorer les procédures. Nous ciblons des actions précises, que nous allons suivre. Notre objectif est aussi de professionnaliser cette intervention.

Je ne saurais commenter un appel à l'insurrection des étudiants, autrement qu'en rappelant que je suis une fervente républicaine, attachée aux valeurs, aux droits et aux devoirs qui fondent notre République.

Sur l'égalité des chances d'accès aux grandes écoles, beaucoup est déjà fait. Le tutorat en médecine existe depuis longtemps, nous réfléchissons à une articulation du tutorat et du mentorat dans les zones plus rurales, pour que des jeunes accèdent davantage aux grandes écoles et qu'ils puissent revenir plus facilement sur le territoire où ils ont grandi. Ce travail commence dès le secondaire.

Nous discutons avec la conférence de doyens sur la réforme du premier cycle des études de pharmacie ; nous attendons qu'elle nous fasse des propositions sur les 33 % de postes non pourvus en pharmacie. Nous attendons aussi le rapport du comité de suivi de la réforme. En tout état de cause, nous allons vers une forme de cadrage.

Nous regardons aussi de près, avec mon collègue de l'éducation nationale, la situation de l'enseignement et de la recherche en mathématiques. Nous devons être vigilants à ne pas nous focaliser sur les seules mathématiques car nous avons la responsabilité de regarder aussi ce qui se passe dans les autres filières scientifiques, par exemple en informatique. Les médailles Fields font la fierté de notre pays, mais elles ne suffisent pas. Nous avons besoin d'une vision globale, dans le secondaire et dans le supérieur. Les sujets à traiter sont nombreux, par exemple la place des jeunes femmes dans l'enseignement des sciences, et le cadre est celui de l'autonomie des universités, qui choisissent leur offre d'enseignement.

Les CPJ sont un outil pour attirer de nouveaux profils à l'université. Les premiers postes viennent d'être pourvus, donc nous manquons de recul. A ce stade, ce que je peux vous dire, c'est que les établissements y ont progressivement recours, pour des profils divers et aussi dans des disciplines émergentes.

Oui, le guichet unique est une piste pour les aides aux étudiants. Nous avons augmenté toutes les bourses de 4 %, y compris celles qui dépendent des régions, de même que l'aide exceptionnelle de 100 euros concerne tous les étudiants.

La présidente de la région Ile-de-France connait le sujet de la vie étudiante ; votre propos me donne l'occasion de dire que je la rencontrerai la semaine prochaine. Je cherche des pistes concrètes pour avancer, nous devons les examiner avec volontarisme, de même que pour l'accès des étudiants au sport et à la culture - autant de sujets pour les dialogues territoriaux.

Les mesures que nous prenons pour compenser les augmentations des prix de l'énergie sont effectivement conjoncturelles. La LPR a été adoptée avec un calendrier ; nous avons maintenu l'échéancier malgré les difficultés actuelles, la loi reste notre feuille de route. L'inflation est un problème particulier ; je m'engage à revenir devant vous avant l'été pour un premier bilan de la LPR, mesure par mesure.

Les réformes se sont multipliées sur la formation des professeurs des écoles depuis dix ans, cela pose problème pour l'attractivité de ce métier. Nous voulons un cadre enfin stable et clair. Je suis allée à la Conférence des directeurs d'INSPE : il y a des pistes pour un parcours à partir de la licence, sans empêcher les passerelles, avec des bases disciplinaires solides et une implication dans le métier.

La CVEC a été un levier pour renforcer l'accès des étudiants au sport et à la culture, c'est important et c'est pourquoi les établissements et les Crous s'en sont emparés. Je rappelle que les 95 euros de cette contribution ont remplacé les 217 euros que les étudiants acquittaient pour l'ancien régime étudiant de sécurité sociale : ils paient donc moins, pour plus de service. Nous avons aussi ajouté le Pass'Sport. La CVEC a fait gagner du pouvoir d'achat aux étudiants et augmenté l'offre de services.

Je précise qu'en plus du gel du loyer des Crous, les étudiants ont vu leur APL progresser de 3,5 %, ce qui concerne aussi les étudiants des classes moyennes. Enfin, si les charges sont à la discrétion des Crous, elles sont plafonnées.

M. Laurent Lafon , président . - Merci, madame la ministre pour toutes ces précisions.


* 1 Rapport d'information de Mme Laure Darcos et M. Stéphane Piednoir, n° 766 (2021-2022) : « Mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche : un début globalement satisfaisant mais des correctifs nécessaires lors de la revoyure 2023 ».

* 2 Conformément à la LPR, les 50 millions d'euros restants sont consacrés à la recherche spatiale, qui figure au programme 193 relevant désormais du ministère de l'économie.

* 3 Rapport précité.

* 4 Le préciput est un montant financier destiné à couvrir les coûts indirects des projets de recherche.

2 Principal appel à projets de l'ANR, l'appel à projets dit générique (ou AAPG) s'adresse à toutes les communautés scientifiques et à tous les acteurs publics ou privés impliqués dans la recherche française. Il doit permettre aux chercheurs des différents domaines scientifiques, d'accéder, en complément des financements récurrents qui leur sont alloués, à des co-financements sur un grand nombre de thématiques de recherche, finalisées ou non.

* 5 Instance créée par la loi dite « Fioraso » du 22 juillet 2013 pour élaborer et suivre la stratégie nationale de la culture scientifique.

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