III. LA MUSIQUE ENREGISTRÉE : OUBLIER LA CRISE

A. STREAMING TOUTE

1. Un modèle désormais dominant

Les revenus issus du streaming ont permis au secteur de surmonter une crise qui a failli l'emporter. L'abonnement payant en streaming est devenu le modèle économique dominant .

d'abonnés au streaming en France

des 35-64 ans disposent
d'un abonnement payant

de chiffre d'affaires du streaming en France en 2021 en hausse de 13 %

2. Des perspectives prometteuses

Toutes les prévisions, au niveau mondial comme national, prévoient une forte progression du nombre d'abonnés à un service de streaming à l'horizon 2030, date à laquelle le marché devrait parvenir à maturité.

Progression du nombre d'abonnés à un service de streaming en France

(en millions d'abonnés)

Une étude rendue publique le 13 juin 2022 par la banque Goldman Sachs 3 ( * ) « Music in the Air » invite à l'optimisme pour le secteur de la musique au niveau mondial, avec une progression de 24 % en 2022 en raison de la reprise des concerts, qui devrait être suivie d'une croissance de 7 % par an jusqu'en 2030. Cette progression serait portée par les services de streaming, dont les revenus dans ce scénario progressaient de 12 % par an, à la fois en raison d'une hausse du nombre des usagers, mais également des prix.

Selon cette étude, d'ici 2030 , 53 % des smartphones des pays développés et 14 % des pays en développement seront équipés d'un abonnement à un site de streaming, contre respectivement 11 % et 6 % en 2021. Les revenus du streaming payants devraient ainsi plus que doubler dans le monde, passant de 23,2 milliards de dollars en 2021 à 55,6 milliards en 2030 . Le streaming financé par la publicité devrait pour sa part plus que tripler d'ici 2030, s'établissant à cette date à 33,3 milliards de dollars.

B. QUEL AVENIR POUR LE CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE ?

Le Centre national de la musique (CNM) a été créé par la loi du 30 octobre 2019. Il regroupe au sein du nouvel établissement plusieurs leviers d'action alors assurés par différents acteurs publics et privés.

Le CNM existe formellement depuis le 1 er janvier 2020 après la publication du décret statutaire du 24 décembre 2019, dans la continuité du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), dont il a repris les droits, obligations et personnels.

La mise en place de ce nouvel établissement public était déjà complexe, en raison de la diversité des structures à fusionner. Elle a été percutée par la crise pandémique , qui a profondément modifié sa structure.

Alors que la montée en puissance de l'organisme devait être progressive sur plusieurs années, le CNM, alors encore en cours de structuration, a été propulsé en 2020 comme le principal levier de l'État pour secourir un secteur de la musique à l'arrêt , à hauteur de 431 millions d'euros sur 2020, 2021 et 2022. La gestion par le Centre de la crise pandémique a fait l'unanimité dans la filière.

Comme l'indiquait le Rapporteur dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2022, les premiers pas très réussis du Centre reposent cependant sur un malentendu . Le Centre n'a en effet pas pour mission de devenir un financeur du secteur, sur le modèle du CNC. La question du modèle pérenne de financement du CNM se pose donc à la sortie de la crise pandémique , et constitue le principal enjeu des deux prochaines années. Cette question ne peut être séparée des missions du Centre.

La question de son financement avait été abordée de manière prudente lors de l'examen de la proposition de loi en 2019.

Initialement, il devait reposer sur trois piliers :

Ø le produit de la taxe sur le spectacle vivant , estimé à 35 millions d'euros et dont une fraction significative doit revenir à ce secteur, le seul à l'heure actuelle à contribuer réellement au financement ;

Ø une contribution, volontaire des organismes de gestion collective (OGC) du secteur, estimée à 8 millions d'euros ;

Ø enfin, un soutien public qui a augmenté en trois phases pour s'établir en PLF 2023 à 27,7 millions d'euros , soit sensiblement le même qu'en 2022, sans tenir compte des moyens exceptionnels liés à la crise pandémique.

Or, les deux premiers piliers ont été considérablement fragilisés ces deux dernières années ;

Ø d'une part, les spectacles vivants n'ont pas pu se tenir durant la crise pandémique et la taxe a été longuement suspendue. Les prévisions actualisées au mois de juillet pour l'année 2022 s'élèvent à 22 millions d'euros et 30 millions en 2023 ;

Ø d'autre part, les OGC ont été lourdement impactés par les conséquences de l'arrêt de la CJUE du 8 septembre 2020 « Recorded Artists », qui les prive de 25 millions d'euros par an. Elles estiment donc se trouver dans l'incapacité de financer le CNM et n'ont rien versé en 2020 et 2021, et « seulement » 1,5 million d'euros en 2022 et 2023 selon les prévisions.

Le schéma initial n'a donc pas pu être respecté .

La commission de la culture a organisé le 19 octobre une table ronde rassemblant toutes les parties prenantes du CNM 4 ( * ) autour de la question de son financement à terme.

Trois pistes sont actuellement envisagées pour abonder le Centre.

Ø une taxe sur le streaming . Elle aurait pour principal mérite de faire contribuer la musique enregistrée , et d'imposer ainsi des acteurs en plein développement. Cependant, les plateformes ont déjà annoncé qu'elles la répercuteraient immédiatement sur les abonnements, ce qui pourrait fragiliser ce nouveau mode de diffusion qui a permis de contenir le piratage, ou bien la déduirait des sommes versés aux ayants droit ;

Ø un aménagement de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels , dite taxe « YouTube » . Perçue par le CNC, cette taxe frappe en effet les plateformes de diffusion de vidéo gratuite, où la musique est très présente. Cela suppose cependant une réécriture complète du dispositif, sans priver le CNC d'une partie de ses ressources ;

Ø lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2022, le Rapporteur a défendu le 1 er août un amendement qui propose de mettre fin à l'abattement dont bénéficient les plateformes de diffusion de vidéos gratuites au titre des contenus amateurs ( dits « UGC » : user generated contents ) qu'elles hébergent, pour affecter le surplus de recettes au CNM.

Le Gouvernement a confié le 14 octobre 2022 au rapporteur pour avis une mission parlementaire de six mois sur le financement de la filière musicale, qui devra permettre d'établir un diagnostic précis des attentes de la filière, de ses besoins, et proposer un cadre financier adapté explorant toutes les pistes, y compris sur les crédits d'impôts, leurs avantages et leurs inconvénients respectifs .


* 3 https://www.goldmansachs.com/insights/pages/music-in-the-air-2022.html

* 4 https://videos.senat.fr/video.3039626_634f951450b4a.table-ronde-sur-la-situation-du-centre-national-de-la-musique-

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