Avis n° 120 (2022-2023) de M. Jérémy BACCHI , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 17 novembre 2022

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N° 120

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2023 ,

TOME IV

Fascicule 3

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

C inéma

Par M. Jérémy BACCHI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Le cinéma connaîtrait aujourd'hui une situation de crise avancée, dont la presse s'est largement fait l'écho ces dernières semaines.

La situation apparait cependant à bien des égards plus contrastée . S'il ne connait pas à proprement parler « l'âge d'or » de l'audiovisuel, le cinéma a survécu à la crise pandémique, avec l'aide des pouvoirs publics et doit maintenant s'adapter à un nouveau contexte. L'histoire montre que « l'expérience de la salle » survit aux innovations technologiques, comme hier à la télévision et aujourd'hui aux plateformes.

Dès lors, le cadre unique au monde que propose la France pour la création et l'exposition des oeuvres cinématographiques demeure pleinement pertinent, d'autant plus que le cadre législatif et réglementaire a su évoluer ces dernières années, en particulier au niveau européen.

L'année 2023, avec des sorties en salle jugées très prometteuses, pourrait donc permettre de consolider le cinéma français .

I. LA SITUATION FINANCIÈRE FRAGILE DU CNC

A. UNE ANNÉE ENFIN NORMALE POUR LE CNC ?

Le cinéma a bénéficié de forts soutiens durant la crise pandémique, pour un montant total de 430 millions d'euros. Les crédits auront tous été dépensés à fin 2022.

L'ensemble de la chaîne du cinéma a été concernée, des salles aux tournages.

Les mesures ont été tout d'abord centrées sur la sauvegarde même, avant de pivoter vers une logique de reprise accélérée.

d'aides exceptionnelles durant la crise pandémique

Après avoir assuré la gestion de la crise avec des moyens décuplés, le CNC doit en 2023 reprendre une activité que l'on pouvait espérer « normale », avant le choc inflationniste et ses conséquences en chaîne qui bouleversent toute l'économie.

Exécution 2021

Reprévisions 2022

Prévisions 2023

Ressources nettes

918,9

741,7

701,2

dont taxes affectées

625,9

697,6

710,8

dont dotations exceptionnelles

277

3,8

0

Dépenses liées à la crise

182,2

83,2

5,5

Dépenses de soutien

632,9

728,3

702,8

Dépenses totales

815,1

811,5

706,7

Équilibre

+ 103,8

-69,9

-5,5

Ø En ce qui concerne les taxes affectées , qui représentent l'essentiel des ressources du Centre, elles augmenteraient de 1,9 % entre 2022 et 2023 . Une progression de la fréquentation des salles de l'ordre de 9,4 % est anticipée, de même qu'une hausse de la taxe sur les vidéos (TSV). À l'opposé, le Centre anticipe dans les années à venir une contraction des recettes issues des chaînes linéaires ;

Le rapporteur pour avis s'inquiétait l'année dernière du projet de transfert à la DGFIP de la gestion et du recouvrement des taxes affectées au CNC, qui devait initialement être effectif au 1 er janvier 2023.

Il y voyait un risque pour le niveau des recettes, pratiquement de 100 % aujourd'hui. Finalement, la loi de finances pour 2022 est revenue sur ce transfert . Les taxes affectées resteront donc de la responsabilité du Centre, à l'exception de la taxe sur la diffusion de vidéo physique et en ligne (TSV).

Ø Les dépenses de soutien connaitraient pour leur part une baisse par rapport à 2022, conséquence de la baisse d'une fréquentation des salles moindre qu'escomptée qui a donc généré moins de soutien « automatique ».

Le CNC espère parvenir à restaurer en 2023 un équilibre budgétaire mis à mal par la pandémie .

B. LE CNC DANS LA DURÉE : UN SOUTIEN CONSTANT

Depuis sa création en 1946, le CNC incarne la politique de l'État en faveur du cinéma. Il aura ainsi permis successivement à la fin de la seconde guerre mondiale de protéger et développer un cinéma français puissant face aux productions hollywoodiennes, dans les années 80 d'accompagner la montée en puissance de la télévision, aujourd'hui, d'adapter notre exception culturelle à l'arrivée des plateformes de streaming. Son succès est tel que les autres secteurs le prennent en exemple, comme la musique avec le Centre national de la musique (CNM).

Sur longue période, l'action du CNC s'inscrit dans une forme de permanence .

Ainsi :

ü Le produit des taxes affectées demeure relativement constant sur la période, de même que les dépenses de soutien - hors plan lié à la crise pandémique .

Produit des taxes et dépenses de soutien depuis 2014

Le produit des taxes affectées demeure relativement constant sur la période, de même que les dépenses de soutien - hors plan lié à la crise pandémique. Cela est à mettre au crédit des pouvoirs publics , qui ont su maintenir les ressources du Centre en faisant évoluer la législation, ce qui a permis d'offrir à la profession un cadre relativement stabilisé.

ü Les montants consacrés au cinéma et à l'audiovisuel évoluent peu

Cette stabilité est confirmée par les soutiens respectivement attribués à l'audiovisuel et au cinéma, qui demeurent relativement constants. En particulier, on n'observe pas de déformation en faveur de l'audiovisuel comme cela avait pu être évoqué.

Dépenses de soutien dans le cinéma
et l'audiovisuel

Le niveau maintenu des aides au cinéma doit tout particulièrement être souligné, l'audiovisuel prenant une part de plus en plus importante qui ne se traduit pas par un surcroit d'aide en sa faveur .

ü Les systèmes de soutien mis en place par le CNC ont permis à la production nationale de résister aux conséquences de la crise pandémique et de rattraper presque intégralement une année 2020 qui n'aura malgré tout pas connu d'arrêt.

Nombre de films produits

La hausse de 100 films entre 2020 et 2021 s'explique notamment par la combinaison de deux facteurs :

ü la pérennisation tout au long de l'année du Fonds d'indemnisation pour la reprise des tournages qui permet de couvrir les dépenses supplémentaires occasionnées par une interruption temporaire ou définitive d'une production due à la covid ;

ü la poursuite jusqu'en octobre 2021 de la majoration du soutien automatique à la production investi par le producteur à l'occasion de la mise en production d'un nouveau film.

Ce phénomène de rattrapage s'observe avec les dépenses de tournage en France en 2021 , calculées sur la base des oeuvres bénéficiaires d'un soutien fiscal. Elles ont ainsi progressé de plus d'un tiers, soit 720 millions d'euros, par rapport à la dernière année de référence 2019.

de dépenses de tournage en France en 2021

En hausse de 33 % par rapport à 2019

Il n'est cependant pas certain que les tournages de films français se maintiennent à ce niveau en 2023. Ainsi, les prévisions de dépenses du crédit d'impôt dédié prévoient une baisse de 160 millions d'euros à 101 millions en 2023.

Il existe donc un risque à ne pas négliger à l'horizon 2024 d'un « assèchement » des productions françaises, d'autant plus que le contexte économique est peu favorable à la prise de risque .

II. UNE CHRONOLOGIE CHRONOPHAGE

Aucun autre dossier ne génère autant de passions et de débats que celui, pourtant technique, de la chronologie des médias . Sa négociation souligne l'interdépendance des différentes parties prenantes entre elles, chacune cherchant à obtenir ou conserver une position perçue comme avantageuse par rapport à celle des autres.

La chronologie poursuit deux objectifs :

Ø d'une part, protéger la salle de cinéma , en lui réservant pendant une certaine durée l'exclusivité de l'oeuvre. La France a ainsi pu préserver par ce biais le parc de salles le plus important d'Europe. A titre d'exemple, les États-Unis ne protègent les films que 45 jours, et encore, certains studios ont récemment expérimenté une sortie en simultané salle-plateforme ;

Ø d'autre part, assurer le préfinancement des oeuvres cinématographiques en France. Ainsi, la position de chaque diffuseur est garantie, et est d'autant plus favorable qu'il aura contribué au financement du film, notamment par le biais d'un accord avec les producteurs.

La chronologie a été progressivement introduite en droit français à partir des années 70, comme réponse à l'arrivée de la télévision dans les foyers 1 ( * ) . La loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle constitue sa première traduction législative. Depuis 2009, elle est négociée directement entre les parties prenantes et étendue par arrêté du ministre de la culture.

Le rythme s'est cependant beaucoup accéléré ces dernières années. Une première chronologie négociée a duré neuf ans, entre 2009 et 2018, une deuxième quatre ans jusqu'en 2022.

La chronologie actuellement en vigueur a été signée le 24 janvier 2022, étendue le 4 février et est prévue pour durer trois ans.

Les pouvoirs publics ont fait le choix de mêler deux dossiers en apparence distincts : la chronologie des médias et la directive européenne « SMA » du 14 novembre 2018 .

La transposition de cette directive par l'ordonnance du 21 décembre 2020 et le décret du 22 juin 2021 permet d'imposer aux plateformes américaines telles que Netflix ou Disney + des obligations de financement d'oeuvres françaises et européennes, notamment déclinées en matière d'oeuvres cinématographiques. Les négociations ont été menées de front sur le niveau et la nature des investissements comme sur l'inclusion de ces nouveaux acteurs dans le calendrier.

Cette nouvelle chronologie est cependant susceptible de battre un nouveau record de brièveté car elle n'a pas été signée par tous les acteurs, et d'autres pourtant engagés dans les négociations, l'ont immédiatement contestée. Le 4 octobre 2022, le CNC a ainsi réuni les parties prenantes pour un premier bilan, soit neuf mois après la signature.

Le principe de la chronologie est celui de l'ouverture successive de « fenêtres » d'exclusivité : d'abord la salle, puis la vente en vidéo « physique » ou à la demande à l'acte, puis les chaînes de cinéma payantes comme Canal Plus, puis les plateformes, enfin, les télévisions gratuites .

Schéma de la chronologie signée le 24 janvier 2022

Fenêtre d'exploitation

Accord de 2022

Sortie salle

J

Vidéo physique (fixée par la loi)

J + 4 mois (dérogation possible à 3 mois si le film réalise moins
de 100 000 entrées à la fin de la 4 ème semaine d'exploitation)

Exploitation continue : la fenêtre ne se referme pas

Vidéo à la demande à l'acte

TV payante

1 re fenêtre

Accord avec les organisations professionnelles du cinéma

J + délai fixé par accord professionnel, compris entre 6 et 9 mois
( Canal +, Ciné+, OCS ont conclu un accord à 6 mois)

Fermeture de la fenêtre à 15 ou 17 mois lorsque l'oeuvre
est préfinancée ou acquise par un diffuseur ultérieur

Absence d'accord

J + 9mois

Fermeture de la fenêtre à 15 ou 17 mois lorsque l'oeuvre est préfinancée ou acquise par un diffuseur ultérieur

TV payante

2 e fenêtre

Accord avec les organisations professionnelles du cinéma

J + 15 mois

Fermeture de la fenêtre à 22 mois lorsque l'oeuvre est préfinancée
ou acquise par une chaîne en clair ou une TV payante autre que de cinéma

Absence d'accord

J + 17 mois

Fermeture de la fenêtre à 22 mois lorsque l'oeuvre est préfinancée
ou acquise par une chaîne en clair ou une TV payante autre que de cinéma

Plateformes payantes par abonnement

Accord avec les organisations professionnelles du cinéma

J + 15 mois ( Netflix ) OU en cas d'accord dit « premium » (hypothèse non encore utilisée) délai fixé par accord, compris entre 6 et 15 mois

-si l'oeuvre est préfinancée ou acquise par une chaîne gratuite :
fermeture de la fenêtre à 22 mois, sauf accord de coexploitation

-si l'oeuvre n'est pas préfinancée ou acquise par une chaîne gratuite : fermeture à 22 mois, sauf : film au budget inférieur à 5M€, accord de coexploitation avec une chaîne gratuite, film in house de moins de 25M€.

Absence d'accord

J + 17 mois ( Disney +, Amazon Prime Video )

-si l'oeuvre est préfinancée ou acquise par une chaîne gratuite :
fermeture de la fenêtre à 22 mois, sauf accord de coexploitation

-si l'oeuvre n'est pas préfinancée ou acquise par une chaîne gratuite : fermeture à 22 mois, sauf : film au budget inférieur à 5 M€, accord de coexploitation avec une chaîne gratuite, film in house de moins de 25 M€.

TV gratuites

Si la chaîne consacre 3,2 % de son CA à la production cinéma

J + 22 mois ( TF1, M6, FTV, Arte)

Si la chaîne consacre moins de 3,2 % de son CA à la production cinéma

J + 30 mois

Vidéo à la demande gratuite

J + 36 mois (YouTube, Molotov)

L'insertion dans la chronologie des plateformes de streaming n'a pas fondamentalement modifié la philosophie d'ensemble d'un système qui garantit à chacun une place définie à l'avance dans le calendrier d'exploitation des oeuvres. Elle a par contre provoqué un profond bouleversement en contraignant anciens et nouveaux acteurs à définir leur préférence de manière :

• absolue quand s'ouvre ma fenêtre ? ») ;

• mais également relative comment se compare ma nouvelle position par rapport à ceux situés avant et après moi ? Cette nouvelle position est-elle suffisamment favorable comparativement pour préserver mon attractivité ? »).

Chacun défend donc ses intérêts. Dans l'ordre de la chronologie :

ü les producteurs sont attachés à ce que la chronologie des médias permette aux diffuseurs de bénéficier d'un délai plus favorable s'ils contractent avec les organisations professionnelles . Les producteurs ont obtenu en 2018 le principe de l'exploitation continue de l'oeuvre, qui est disponible dès sa sortie au moins sur un média ;

ü les exploitants de salles de cinéma défendent le maintien de leur fenêtre actuelle, dans sa durée et son exclusivité. Ils sont réticents aux expérimentations qui permettraient une exploitation simultanée d'un film à la fois en salles et sur un autre support ;

ü la filière de la vidéo et de la vente à l'acte revendique le maintien de sa fenêtre privilégiée à 4 mois à compter de la sortie en salles, nécessaire à la viabilité de son modèle économique ;

ü les chaînes de cinéma payantes entendent conserver leur position favorable dans la chronologie, justifiée selon elles par l'ampleur de leurs investissements dans le cinéma ;

ü les services de streaming ont vu leur position absolue comme relative s'améliorer, conséquence de leurs nouveaux engagements de financement. Dans le cas où ils n'ont pas conclu d'accord avec les professionnels du cinéma, ils bénéficient en effet d'une fenêtre à 17 mois , contre 36 mois auparavant. Le système de la chronologie, propre à notre pays, constitue cependant pour ces services une forte contrainte, qui leur interdit d'accéder aux revenus de la salle tout en mettant rapidement à disposition de leurs clients des contenus exclusifs ;

ü les chaînes de télévision gratuites cherchent à renforcer « l'étanchéité » de leur fenêtre et demandent à ce que la chronologie des médias prévoit expressément qu'en cas d'accord de coexploitation conclu entre une de ces chaînes et un SMAD, celui-ci ne pourra diffuser l'oeuvre entre l'ouverture de la fenêtre de la chaîne en clair et l'expiration d'un certain délai suivant la première diffusion de l'oeuvre sur la chaîne.

La principale menace sur la nouvelle chronologie provient des services de streaming . Ils souhaiteraient que leur position se rapproche de celle des chaînes de cinéma payantes quant au délai d'exploitation, sans cependant contribuer à la même hauteur au financement.

Un point en apparence plus technique cristallise les débats, celui de la fermeture de la fenêtre des chaînes payantes comme Canal Plus ou OCS .

On peut distinguer deux cas :

Ø lorsque l'oeuvre est préfinancée ou acquise par les diffuseurs postérieurs, comme les plateformes de streaming ou les chaînes de télévision gratuite, la fenêtre de la chaîne payante se referme à l'issue de la période (c'est-à-dire que l'oeuvre n'est plus disponible) ;

Ø dans le cas contraire, la chaîne de cinéma payante peut continuer à la diffuser sans limitation de durée .

La situation est différente pour les services de streaming, et moins favorable dans l'accord de 2022. Il prévoit que même si l'oeuvre n'est pas préfinancée ou acquise par une chaîne en clair (par exemple dans le cas de films américains), elle doit être retirée du service au bout de 22 mois, sauf si un accord spécifique a été négocié avec une chaîne en clair.

C'est pour ce motif que la société Disney a fait savoir qu'elle renonçait à sortir son prochain film de Noël dans les salles françaises .

Disney et la chronologie

À bien des égards, la société Disney se singularise dans le dossier de la chronologie. À la différence des autres plateformes comme Netflix, Disney a une vraie tradition de cinéma, au point de représenter à elle-seule le quart des ventes de billets en France . Dès lors, la « salle » demeure prioritaire pour la société . Les règles de la chronologie lui imposent cependant de retirer de son offre de streaming Disney + les films sortis en salle au bout de 22 mois , y compris s'ils n'ont bénéficié d'aucun financement français, jusqu'à ce que des chaines gratuites en aient assuré la diffusion, et même si la société ne désire pas céder les droits.

La chronologie pousse donc les chaines gratuites et Disney à rechercher un accord mutuellement profitable, qui pourrait par exemple fixer longtemps à l'avance une « fenêtre » d'exclusivité pour chaque film de quelques semaines avant et après la diffusion. À l'heure actuelle cependant, la situation semble figée .

La chronologie des médias constitue l'un des fers de lance de l'exception culturelle française. Son adaptation à l'arrivée des plateformes était nécessaire. Il faudra pourtant suivre avec attention les prochaines négociations pour s'assurer que les intérêts du cinéma français et européens demeurent bien au coeur de l'action publique .

III. LE CINÉMA AU DÉFI DE SON RENOUVELLEMENT

A. FILM CATASTROPHE ?

La baisse de la fréquentation des salles en 2020 et 2021, années marquées successivement par les confinements et les restrictions sanitaires, a été très brutale, mais largement prévisible. Sur ces deux années, les spectateurs ont ainsi été 50 millions de moins que durant la seule année 2019 (213 millions de spectateurs).

De spectateurs en moins en 2020 et 2021 par rapport à la seule année 2019

Dès lors, 2022 était attendue avec impatience comme celle de la reprise, même si des inquiétudes se sont rapidement exprimées sur l'encombrement des salles à la réouverture ou l'absence de « blockbusters » américains pour dynamiser la fréquentation .

De ce point de vue, les premiers résultats 2022 ont été perçus comme très largement décevants , à peine cachés par le succès au box-office de Top Gun Maverick avec près de sept millions d'entrées .

De fait, la fréquentation affiche un recul de près de 30 % par rapport à 2019.

Si la France apparait dans une position plus enviable que les autres pays européens, qui enregistrent des fréquentations en chute de 40 % (Allemagne) à 60 % (Italie), les Français semblent retrouver avec difficulté le chemin des salles, comme l'avait exposé le rapporteur pour avis l'année dernière.

Baisse de fréquentation estimée entre 2022 et 2019

Ces résultats en demi-teinte ont déclenché un mouvement de panique .

« Crise de la fréquentation des salles : à qui la faute ? », « Panique à bord du cinéma français » , « Le cri d'alarme d'un cinéma en crise » : si l'on en croit la lecture de ces quelques titres de presse parus dans la première quinzaine d'octobre, le cinéma vivrait ses derniers instants et allait incessamment être emporté, victime de la pandémie, des plateformes de streaming, de la crise énergétique, du prix des places ou d'une programmation peu attractive.

Sans nier les difficultés que traverse le secteur et la pertinence de ces explications, le rapporteur pour avis estime utile de procéder à une analyse plus complète , qui s'avère paradoxalement moins alarmiste.

Ø D'une part, le cinéma a déjà connu des crises majeures et des fréquentations plus faibles .

Comme le montre le graphique suivant, la fréquentation des salles fluctue d'une année sur l'autre . De ce point de vue, une comparaison des moyennes sur 10 ans souligne la forte progression du cinéma depuis les années 90.

Fréquentation des salles entre 1990 et 2022

Moyennes par dizaines d'années

en millions d'entrées

La fréquentation estimée pour l'année 2022 de 155 millions d'entrées , se situe ainsi à un niveau supérieur à la moyenne des années 90 , particulièrement complexes pour le cinéma, avec un point bas historique de 116 millions d'entrées en 1992. Le CNC prévoit à ce jour 175 millions d'entrées en 2023 et une stabilisation autour de 190 millions d'entrées d'ici 2026. L'ancien président de Disney Bob Iger a cependant accrédité l'idée d'une contraction durable du cinéma en septembre 2022 lors d'une intervention à la Conférence Code 2022 de Vox Media : « Je ne pense pas que les films reviennent un jour, en termes de fréquentation, au niveau qu'ils avaient avant la pandémie . [...] Cela ne signifie pas que la fréquentation des salles de cinéma va disparaître, mais elle ne reviendra pas au niveau d'avant . »

En tout état de cause, l'année 2022 parait atypique sur le nombre de films américains sortis dans les salles. Alors que la proportion est traditionnellement d'un film américain pour 2,5 films français, le rapport est 1 à 6 en 2022. Cela traduit d'une part l'arrêt des tournages aux États-Unis pendant la crise, d'autre part la position encore attentiste des studios, qui préfèrent pour certains décaler la sortie de films fortement pourvoyeurs de publics. Dès lors, dans une vision optimiste, on pourrait estimer que le retour des films américains en 2023 contribuera à relancer la fréquentation .

Ø D'autre part, les fondamentaux demeurent solides

Une étude du CNC rendue publique à l'occasion du Festival de Cannes en mai 2022 a essayé de répondre à la question « Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma ? » Les cinq réponses les plus souvent apportées sont les suivantes :

Pourquoi ne plus aller au cinéma ?

Source : enquête du CNC retraitée par la commission

Les première et troisième raisons sont directement liées à la crise pandémique. Si le port du masque n'est, pour l'heure, plus d'actualité, il est cependant indéniable que de nombreux spectateurs, en particulier parmi les actifs, ont moins qu'auparavant le réflexe d'une sortie au cinéma ; situation renforcée par la possibilité d'un accès facilité aux plateformes de streaming.

La perception du prix est souvent faussée par quelques cas « extrêmes », qui ne concernent qu'un nombre réduit de salles particulièrement bien équipées situées dans les métropoles. L'écrasante majorité des cinémas pratique des tarifs accessibles , y compris pour une soirée en famille. Les abonnements illimités, qui en 2021 concernent 7 % des entrées, ou les tarifs préférentiels des comités d'entreprise contribuent à abaisser le coût pour les plus grands consommateurs. Par ailleurs, la France se situe plutôt dans la moyenne basse de l'Union européenne, avec des tarifs supérieurs en Allemagne ou en Italie.

La question du prix des places est régulièrement évoquée pour accréditer l'idée d'une salle devenue inaccessible. Certains cinémas ont été pris en exemple, avec des tickets pouvant dépasser les 20 euros par personne.

Cependant, le prix moyen d'une place est de sept euros, et seuls 15 % sont vendues plus de 10 euros.

Prix moyen d'une place en France

seulement des places vendues plus de 10 euros

Pour autant, le discours dominant sur le prix des places semble avoir infusé dans une opinion publique légitimement inquiète pour son pouvoir d'achat. Comme annoncé par la ministre lors de son audition devant la commission le 25 octobre suite à une question du rapporteur pour avis, les exploitants de salle et le ministère de la culture ont lancé le 26 octobre une grande campagne « On a tous une bonne raison d'aller au cinéma » afin de contrebalancer une atmosphère encore morose.

Ø La concurrence des plateformes de streaming constitue une explication couramment avancée .

Il est indéniable que la période du confinement a été très favorable à ces services. Netflix est ainsi passée de six millions d'abonnés en France début 2019 à plus de 10 millions en 2021 . Il demeure difficile d'anticiper les comportements des consommateurs et leurs habitudes culturelles, même si on peut arguer que la télévision n'a finalement pas emporté le grand écran, comme cela était couramment avancé dans les années 80. Expérience sociale, le cinéma se prête aussi bien à une sortie entre amis ou en famille qu'à un moment plus solitaire, loin de la présence parfois envahissante des téléphones portables .

Le baromètre SVod Mediametrie/Harris interactive montre cependant que les 15-24 ans se détournent déjà massivement des plateformes, au profit des vidéos courtes en ligne popularisées par TikTok, ou bien de YouTube. Cette tendance s'observe dans tous les pays européens comme aux États-Unis . Cette catégorie de population est également celle qui comparativement est la plus revenue vers le cinéma après la pandémie.

Dès lors, ce pourrait être les plateformes qui, paradoxalement, seraient plus menacées dans le futur que le cinéma, qui propose un produit aux caractéristiques qui ne le rendent pas facilement substituable .

B. LES CINÉMAS À L'ÉPREUVE DE LA SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQUE

Comme la totalité des secteurs de l'économie, le cinéma doit s'adapter à une nouvelle donne en matière de coût. Une salle consomme une quantité importante d'électricité, pour le fonctionnement du projecteur, la climatisation ou les affiches lumineuses à l'extérieur. Elle emploie par ailleurs des personnels à des horaires atypiques. Or les revenus des salles ont plutôt connu une contraction en 2022 par rapport à 2019, et elles doivent dans le même temps rembourser les prêts garantis par l'État (PGE) consentis par le Gouvernement.

Les salles ont ainsi augmenté les salaires de 7 % en moyenne afin de fidéliser les personnels. L'énergie représentait avant la crise énergétique entre 5 % et 10 % des charges, et serait désormais comprise entre 15 % et 20 % suivant la renégociation du contrat.

Dès lors, une réflexion essentielle est en cours pour mener une politique de sobriété énergétique. La Fédération nationale des cinémas français a publié en septembre une charte de tous les cinémas pour une réduction immédiate de la consommation d'énergie 2 ( * ) , et a indiqué au rapporteur pour avis travailler sur des solutions de long terme. D'autres propositions ont également été émises, comme la suppression de séances à certains horaires - ce qui limite cependant l'offre et se traduit donc également en termes de revenus et d'attractivité.

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 9 novembre 2022, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2023 .

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 9 NOVEMBRE 2022

___________

M. Laurent Lafon, président . - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Jérémy Bacchi sur le projet de loi de finances pour 2023.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Dans les quinze premiers jours d'octobre, la presse a recouru à des titres alarmistes qui ne vous ont pas échappé. Quelques exemples : « Crise de la fréquentation des salles : à qui la faute ? », « Panique à bord du cinéma français », « Le cri d'alarme d'un cinéma en crise »... En un mot, on pourrait à juste titre s'exclamer : « Mais qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? ? ? »

Je voudrais, dans le cadre de cette présentation, nuancer par un peu d'optimisme cette atmosphère bien sombre : non, le cinéma n'est pas mort, non, il n'est pas prêt de mourir, oui, les défis sont nombreux, oui, nous sommes armés pour les affronter !

Je vais commencer par le principal opérateur qu'est le CNC.

Le Centre sort de deux années « hors normes » où, un peu à l'image de son petit frère le CNM, il a été en tête de la bataille pour préserver puis redresser le secteur.

Comme je vous l'indiquais l'année dernière, le cinéma a bénéficié d'un soutien de 430 millions d'euros. Ils auront été intégralement dépensés à la fin de l'année.

Le Centre va donc revenir à un étiage plus normal en 2023, avec un budget en léger déficit et des dépenses de soutien autour de 700 millions d'euros.

Si l'on s'inscrit dans le temps long, il est remarquable de constater que tant au niveau des ressources que des dépenses, le CNC affiche une grande stabilité sur trois points :

- le niveau des ressources, qui ont su évoluer et s'adapter à la montée en puissance des plateformes ;

- le niveau des soutiens, qui demeurent également constants sur 10 ans, jouant en quelque sorte le rôle « d'amortisseurs » ;

- enfin, et contrairement aux craintes exprimées, sur la répartition de ces soutiens entre cinéma et audiovisuel.

Le maintien de cette répartition sur longue période est d'autant plus remarquable que l'audiovisuel vit ce qu'il est convenu d'appeler un « âge d'or », avec l'explosion de la demande pour les séries, genre désormais dominant. Le cinéma n'en a pas pâti en termes de soutien. A vrai dire, le principal sujet de la filière aujourd'hui est lié aux capacités de notre appareil créatif à répondre à l'ensemble des demandes, ce qui n'est pas évident tant les besoins sont criants pour les personnels techniques, les scénaristes, les comédiens... Le plan France 2030, doté de 350 millions d'euros pour l'image, cherche précisément à réduire ces goulets d'étranglement.

La combinaison de ce haut niveau de soutien sur longue période et des aides exceptionnelles durant la crise pandémique a permis au cinéma français de rattraper en 2021 toutes les productions de l'année 2020. 340 films, soit 6 par semaine, ont été produits en 2021, en hausse de 30 % par rapport à 2109, pourtant déjà une excellente année, ce qui constitue un record, voire une surchauffe.

Les perspectives pour les prochaines années sont bien entendu complexes, mais le CNC parie sur un tassement de la production, moins en termes de nombre de films produits que de montants investis.

C'est là un signe qui pourrait s'avérer à terme préoccupant s'il marquait autre chose qu'une pause conjoncturelle.

Le cinéma sort donc d'une période de forte crise transformé, en premier lieu par l'évolution de son environnement.

Je vais vous dire un mot de ce contexte, avec le dossier « éternel » de la chronologie des médias. Catherine Morin-Desailly l'avait d'ailleurs traité de manière très approfondie dans un rapport paru en 2017, qui demeure toujours d'actualité.

Pour résumer de manière simple un sujet qui ne l'est pas, le principe de la chronologie est celui de l'ouverture successive de « fenêtres » d'exclusivité : d'abord la salle, puis la vente en vidéo « physique » ou à la demande à l'acte, puis les chaînes de cinéma payantes comme Canal Plus, puis les plateformes, puis les chaînes gratuites.

Elle poursuit deux objectifs :

- d'une part, protéger la salle de cinéma, en lui réservant pendant une certaine durée l'exclusivité de l'oeuvre ;

- d'autre part, assurer le préfinancement des oeuvres cinématographiques en France. Ainsi, la position de chaque diffuseur est garantie, et est d'autant plus favorable qu'il aura contribué au financement du film.

Ce système, unique au monde, a été progressivement introduit en droit français à partir des années 70. Depuis 2009, la chronologie est négociée directement entre les parties prenantes et étendue par arrêté du ministre de la culture.

Pour la dernière négociation, on a assisté à une singularité : les pouvoirs publics ont fait le choix d'y mêler l'entrée en vigueur de la directive européenne « SMA » du 14 novembre 2018, qui permet d'imposer aux plateformes américaines telles que Netflix ou Disney + des obligations de financement d'oeuvres françaises et européennes.

La chronologie qui porte la marque de ces deux dossiers a été signée le 24 janvier 2022, étendue le 4 février et est prévue pour durer trois ans.

Dans l'ensemble, les débats ont été longs, passionnés, chacun veillant à maintenir sa position mais gardant un oeil sur celle des autres. La nouvelle chronologie a considérablement raccourci le délai pour que les oeuvres financées par les plateformes puissent être disponibles après leur exploitation en salles à 15 mois contre 36 auparavant. La place du groupe Canal Plus, premier financeur du cinéma français, a été confortée.

Pourtant, dès le 4 octobre, le CNC a convoqué une réunion pour effectuer un premier bilan, alors qu'il n'était prévu qu'en janvier.

Le principal problème posé est celui de Disney et de ses relations avec les chaînes gratuites.

Pour résumer là encore, Disney n'est pas un opérateur comme les autres. La société américaine réalise un quart des entrées en France, et a toujours placé la salle au coeur de sa stratégie. Ce n'est bien entendu pas le cas de Netflix ou Amazon Prime qui entretiennent des liens plus distendus avec le cinéma.

Disney estime que l'accord lui est défavorable sur un point. En effet, une fois le film Disney, qui par hypothèse n'aura pas reçu de financement en France, exploité en salle, il lui faut attendre 17 mois pour le rendre disponible sur sa plateforme Disney Plus. Au bout de 22 mois, Disney doit cependant retirer le film de Disney Plus afin de préserver l'exploitation des chaînes gratuites comme TF1, sauf en cas d'accord spécifique.

Ce sujet est bloquant pour Disney, qui a pour cette raison renoncé à sortir en salle son film de Noël, mais également pour les chaînes gratuites, dont les présidents se sont exprimés publiquement dans la presse.

Fondamentalement, comme vous le voyez, il s'agit d'un sujet en apparence technique, mais qui en dit long sur la complexité d'adapter notre propre système aux nouvelles conditions de production et d'exploitation. Je compte bien suivre ce sujet de près pour la commission en 2023.

2023, justement, sera-t-elle une année funeste pour le cinéma ?

Comme je vous l'indiquais en introduction, la presse et plusieurs professionnels ont soufflé un vent de pessimisme en octobre, à tel point que je m'attendais en recevant les exploitants de salles à assister à un remake de « Titanic » plus que de « La Gloire de mon père » ! La réalité est cependant bien plus nuancée, et probablement plus optimiste, comme l'ont remarqué Monique de Marco et Sylvie Robert qui ont assisté à cette audition avec moi.

Tout d'abord, quelques faits. Le cinéma a attiré en 2020 et 2021 50 millions de spectateurs de moins que sur la seule année 2019. Selon les chiffres les plus récents, l'année 2022, avec 155 millions de spectateurs, serait 30 % en dessous de 2019. C'est donc un signal que nous ne pouvons ignorer : les spectateurs ne sont pas complètement revenus en salles.

Pourtant, là encore en prenant un peu de distance, on se rend compte que le cinéma a dans le passé enregistré des résultats bien pires, sans pour autant en mourir. Ainsi, la moyenne de fréquentation dans les années 80 était de 135 millions de spectateurs par an, elle est montée à 185 dans les années 2000, et à près de 210 millions dans les années 2010.

Tout en étant incontestablement médiocre, 2022 est cependant bien meilleure que la décennie 80. Les prévisions pour les prochaines années font état d'un retour autour de 195 millions, qui traduirait donc un effritement relatif, mais un haut niveau tout de même. Sans les endosser, je veux ici citer les propos de l'ancien président de Disney, Bob Isner en septembre 2022 lors d'une intervention à la Conférence Code 2022 de Vox Media : « Je ne pense pas que les films reviennent un jour, en termes de fréquentation, au niveau qu'ils avaient avant la pandémie. [...] Cela ne signifie pas que la fréquentation des salles de cinéma va disparaître, mais elle ne reviendra pas au niveau d'avant . »

Ensuite, force est de constater que les fondamentaux du cinéma demeurent solides. Le CNC a réalisé une étude sur les raisons pour lesquelles le public ne retrouvait pas complètement le chemin des salles.

En dehors des sujets liés à la pandémie, deux éléments ont attiré mon attention :

- d'une part, le prix des places, qui est souvent cité. S'il est très élevé, parfois au-delà de 20 euros, dans certaines salles parisiennes, il s'établit en réalité en moyenne à 7 euros, parmi les plus faibles d'Europe. En réalité, il y a une fausse perception du prix, qui vient de l'écart entre ce qui est affiché et ce qui est acquitté après usage des places des comités d'entreprise, des réductions diverses et des cartes d'abonnement. Ainsi, seules 15 % des places sont vendues plus de 10 euros ;

- d'autre part, le manque d'attractivité des films est également mentionné, instruisant le procès facile d'un cinéma français qui n'intéresserait pas le public. Si l'on oublie le côté caricatural de la remarque, elle met cependant l'accent sur un point essentiel : le cinéma français, qui représente en moyenne 35 % des entrées - un cas presque unique au monde -, a besoin du cinéma américain, qui attire le public dans les salles, créant un cercle vertueux. Or, l'année 2022 a été très peu fournie en films américains : alors que la proportion est traditionnellement d'un film américain pour 2,5 films français, le rapport est 1 à 6 en 2022. En un mot, il y a eu moins de films d'outre-Atlantique, où les tournages ont été totalement interrompus en 2020 et 2021 et où de nombreux studios ont choisi de décaler les sorties. Pour autant, le très grand succès de Top Gun « Maverick » (près de 7 millions d'entrée) côtoie les 500 000 entrées « surprise » de « La Nuit du douze » de Dominik Moll ou les 1,5 million de « Novembre » de Cédric Jimenez. Dès lors, et quelle que soit la catégorie, le public revient dans les salles quand l'offre lui convient. On peut donc penser - tel est en tout cas l'avis des exploitants - que les sorties prévues en 2023, apparemment de très haute qualité pour les films français comme américains, pourraient bien permettre au cinéma de retrouver des couleurs.

Je livre d'ailleurs à votre appréciation ce petit fait : le dernier baromètre SVod Mediametrie/Harris interactive montre que les 15-24 ans se détournent déjà massivement des plateformes, au profit des vidéos courtes en ligne popularisées par TikTok, ou bien de YouTube. Cette tendance s'observe dans tous les pays européens comme aux États-Unis. Cette catégorie de population est également celle qui comparativement est la plus revenue vers le cinéma après la pandémie. Je crois donc profondément, et ce sera mon mot de conclusion, au caractère unique de l'expérience de la salle, qui a résisté aussi bien à la télévision dans les années 80 qu'aux plateformes. Je crois donc qu'avec notre soutien, le 7 ème art pourra traverser cette période et même en sortir renforcé !

Sous le bénéfice de ces observations, je propose de donner un avis favorable à l'adoption de crédits du cinéma pour 2023.

M. Pierre-Antoine Levi . - Je relaie les inquiétudes exprimées par beaucoup sur les chiffres de fréquentation alarmants dans les salles de cinéma. Les nouveaux acteurs que sont les plateformes menacent très directement notre exception culturelle. Je me félicite des bons résultats du CNC mais souligne qu'il ne faut pas orienter tous les investissements en faveur de la transition écologique car tous nos efforts doivent être concentrés pour permettre au cinéma de lutter contre les grosses productions américaines.

Mme Laure Darcos . - Le CNC a été secoué par les propos tenus par certains professionnels, qui appellent à des états généraux du cinéma. Il est ici question du type de soutien qu'il apporte aux films via les avances au cinéma d'auteur. Je m'interroge par ailleurs sur les moyens de contraindre les plateformes à respecter leurs obligations de financement et d'exposition vis-à-vis du cinéma.

M. Pierre Ouzoulias . - La crise que nous traversons est complexe à analyser et je remercie le rapporteur d'avoir pris de la hauteur par rapport aux propos inquiétants tenus dans la presse. Je crois profondément au caractère unique de l'expérience cinématographique mais ne peux que m'interroger sur les conséquences des changements de pratique suite à la crise pandémique. Il nous faut bien avoir conscience que les plateformes véhiculent un modèle et une culture anglo-saxonne à laquelle nous ne devons pas nous soumettre.

Mme Sylvie Robert . - Le cinéma est confronté aux mêmes défis que les autres secteurs culturels. On est encore incapable d'estimer les changements de pratique liés à la crise du covid. Elle a en effet profondément modifié notre rapport à la salle. Ces dernières essaient actuellement de faire évoluer leur offre et leur cadre, avec des travaux conséquents pour inciter notamment les jeunes à revenir. Les exploitants que nous avons reçus ont également mis en avant cette nécessité de reconquérir les publics. Comme Laure Darcos, je m'interroge sur la contestation par certains du CNC. Les films restent de moins en moins longtemps à l'affiche et il y a des incertitudes autour de la répartition des aides en particulier pour les films dits du « milieu ». Il va donc falloir se poser des questions pour ne pas se laisser enfermer dans un logique trop libérale.

Mme Monique de Marco . - J'étais en effet inquiète avant d'entendre les représentants des exploitants et j'ai été agréablement surprise par leur optimisme. On ne peut qu'être inquiet de la relative désaffection des 24-34 ans et j'espère que la campagne de publicité lancée par le ministère de la culture permettra de les faire revenir en salle. Je m'interroge sur les conséquences de la baisse de la redevance pour la production. A l'opposé, je salue l'inscription d'une enveloppe de 800 000 euros pour la transition écologique des salles même si elle pourrait rapidement s'avérer insuffisante.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je voudrais interroger le rapporteur sur deux points. D'une part, la place des régions dans le financement est trop souvent négligée. Elles doivent renouveler leurs conventions avec le CNC en 2023 et sont pour beaucoup plongées dans l'incertitude. D'autre part, je ne sais pas où en est le projet de transfert de la gestion des taxes à Bercy. Un dernier point : il est essentiel de faire émerger une plateforme européenne en mesure de porter nos valeurs.

M. Max Brisson . - Je m'interroge également sur le sort des petites salles ainsi que des salles d'art et d'essai qui me paraissent menacées.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis . - En ce qui concerne la fréquentation dans les salles, je rappelle que la France a évité la catastrophe qu'ont connue les autres pays avec des baisses de 60 à 65 %. La tranche d'âge des plus de 65 ans a cependant du mal à revenir en salles. Les plus petits cinémas s'en sortent paradoxalement plutôt bien même s'il faut naturellement surveiller l'évolution.

En ce qui concerne le CNC, je rappelle que toute la profession ne sollicite pas l'organisation d'états généraux même si cette demande recouvre des questions essentielles. Je note la stabilité sur le long terme de la répartition entre les crédits dédiés à l'audiovisuel et les crédits dédiés au cinéma, ce qui constitue une bonne nouvelle compte tenu de la place prise par les séries. Je rappelle d'ailleurs que les plateformes ont une obligation de financement minimale de 15 % pour le cinéma. Il y a donc un vrai débat à mener sur le CNC mais le sujet le plus préoccupant est à ce stade la pénurie de scénaristes, de techniciens, d'acteurs pour le cinéma car ils sont aspirés par la production de séries. Le CNC a, en la matière, un rôle éminent à jouer. J'approuve également les initiatives en faveur de la transition écologique des salles et je note les efforts faits par ces dernières pour, par exemple, concentrer les séances. En ce qui concerne les taxes affectées, je rassure Catherine Morin-Desailly : la loi de finances pour 2022 est revenue sur leur transfert à la DGFIP, ce qui est une excellente nouvelle. Enfin, en ce qui concerne les régions, je tiens les chiffres à disposition et je suivrai ce dossier avec beaucoup d'attention.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2023 .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 19 octobre 2022

Fédération nationale des cinémas français : MM. Richard PATRY , président, et Marc-Olivier SEBBAG , délégué général.

Mardi 25 octobre 2022

Groupe Canal+ : Mme Amélie MEYNARD , responsable des affaires publiques, M. Vincent GIRERD , directeur des chaînes cinéma.

Mercredi 26 octobre 2022

Centre national du cinéma et de l'image animée : MM. Olivier HENRARD , directeur général délégué, et Vincent VILLETTE , directeur financier et juridique.

ANNEXE

Audition de Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture

MARDI 25 OCTOBRE 2022

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M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire d'automne.

Madame la ministre, votre été a certainement été très chargé, tant les défis que traverse le monde de la culture sont nombreux. Comme vous le savez, notre commission a toujours su nouer des relations de travail particulièrement productives avec vos prédécesseurs, et vos premiers pas en juin me paraissent s'inscrire dans cette atmosphère confiante, mais respectueuse de nos singularités et de nos rôles respectifs.

Je le redis donc, vous nous trouverez toujours à vos côtés pour avancer sur les sujets qui nous tiennent à coeur - et ils sont nombreux. Vous pouvez aussi compter sur nous pour vous alerter sur certaines problématiques, comme l'ont montré, je crois, les travaux de contrôle réalisés par nos rapporteurs au cours des mois écoulés.

Revenons-en aux multiples défis du monde de la culture et aux politiques engagées par votre ministère pour y répondre.

L'irrigation territoriale constitue l'un des axes forts de votre budget, que ce soit en matière de patrimoine ou de création. Le rapport de nos collègues Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias sur le patrimoine religieux a mis en évidence les besoins importants des collectivités pour entretenir et restaurer ce patrimoine. Au-delà d'aides financières, elles attendent également de l'État un accompagnement technique. Vous nous direz dans quelle mesure le budget pour 2023 permet éventuellement de répondre à ces attentes.

Nous avons noté avec satisfaction la création d'un fonds d'innovation territoriale, très largement inspiré des propositions de Sonia de La Provôté et de Sylvie Robert, dans le cadre de leur rapport sur le plan de relance en matière de création. Elles appelaient de leurs voeux des outils offrant plus de place à la coconstruction avec les collectivités territoriales. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur le type et le nombre d'actions que ce fonds a vocation à financer, et pour quel montant.

Que ce soit en matière de création ou d'industries culturelles, au sens large, le soutien de l'État a permis à tous les secteurs d'être préservés durant la crise pandémique. Il faut saluer ici l'engagement des pouvoirs publics qui, très rapidement, ont mobilisé des moyens conséquents pour défendre la création, indemniser les cinémas, soutenir la musique et préserver la presse.

Je le dis d'autant plus que ce choix n'a pas été celui de tous les pays, certains ayant littéralement laissé « couler » leur création.

Vous avez en particulier mis en avant la reconquête de notre souveraineté culturelle, avec un milliard d'euros prévus pour les industries culturelles et créatives d'ici 2030, suivant des modalités que vous pourrez peut-être également nous préciser.

Je salue bien entendu ces ambitions, mais je note qu'elles ne répondent pas entièrement aux inquiétudes du moment : je parle bien entendu des conséquences du choc d'inflation actuel, qui plonge les acteurs dans un désarroi assez proche de celui qui était le leur pendant la crise pandémique.

À titre d'exemple, le rapport de Michel Laugier sur la presse quotidienne régionale, publié en juillet dernier, a démontré l'impact sur toute la filière de la hausse des prix du papier, aujourd'hui évaluée à près de 200 millions d'euros, à la charge d'un secteur en crise depuis plus de 10 ans.

Je n'oublie pas les établissements publics, comme la Bibliothèque nationale de France (BnF) ou l'Agence France-Presse (AFP), qui vont devoir composer avec ce contexte inflationniste, ce qui pèsera certainement sur leurs capacités à investir. Je pense aussi à tout notre réseau d'écoles - écoles d'architecture, écoles d'art, conservatoires -, qui sont en grave difficulté pour boucler leurs budgets.

Je veux également enfin mentionner le Centre national de la musique (CNM), auquel nous avons consacré une très riche table ronde la semaine dernière. Vous avez choisi de confier une mission au sénateur Julien Bargeton, ce qui est une reconnaissance de son travail, mais aussi de celui de l'ensemble de la commission sur ce sujet. Pour autant, des interrogations ont été émises sur la capacité du CNM à assurer ses missions en 2023 avec des moyens redevenus modestes.

En un mot, le secteur de la création et nos industries culturelles ont été préservés pendant la crise. Il serait dommage qu'elles succombent faute de soutien aujourd'hui.

S'agissant de l'audiovisuel public, la réforme de la gouvernance de ces entreprises figurait au programme de travail de vos prédécesseurs. Un projet de loi, largement inspiré des travaux de notre commission, a été abandonné en cours de route. Faute de réforme de la gouvernance, les mutualisations entre les différentes entreprises sont restées embryonnaires, tandis que la réduction des coûts qui aurait été permise par un regroupement se fait toujours attendre.

Un rapport rédigé au printemps par notre collègue Jean-Raymond Hugonet et notre collègue de la commission des finances Roger Karoutchi a réaffirmé la nécessité de reprendre ce processus de rapprochement qui, dans notre esprit, est inséparable de la question de la redéfinition des missions et des moyens.

Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'absence d'avancée sur la gouvernance s'accompagne de mesures transitoires sur le financement. Le projet de loi de finances prévoit une hausse d'un peu plus de 3 % des crédits à 3,81 milliards d'euros.

Cette hausse des crédits est inégalement répartie puisqu'elle bénéficie essentiellement à Radio France et France Médias Monde. J'observe que cette hausse des crédits est relative, puisqu'elle vise aussi à compenser les effets de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) en juillet dernier, qui a eu pour conséquence de soumettre ces entreprises à la taxe sur les salaires, ce qui n'avait pas été explicité lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative.

Nous examinerons prochainement les avenants aux contrats d'objectifs et de moyens (COM) des différentes entreprises, qui ont pour objet de préciser la feuille de route telle que définie par l'actionnaire.

Le choix de prolonger les COM d'un an sans définir une véritable vision de long terme, comme les incertitudes qui entourent l'avenir du financement de l'audiovisuel public après 2024, crée un contexte particulier qui nous interpelle.

Alors que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) doit renouveler les mandats des présidentes de Radio France et de France Médias Monde au début de l'année prochaine, sur la base des projets des candidats, force est de constater qu'une fois de plus ces projets ne pourront prendre en compte la trajectoire financière des entreprises pour les années à venir ni les priorités définies par l'État pour le reste du quinquennat.

Nous avons maintes fois regretté cette gouvernance déficiente de l'audiovisuel public, dont vous n'êtes pas responsable, madame la ministre. C'est la raison pour laquelle nous vous réitérons notre disponibilité pour y apporter des réponses, qui devront être d'autant plus ambitieuses que le temps pour les adopter aura été conséquent.

Madame la ministre, je vais donc vous donner la parole pour un propos liminaire. Nos rapporteurs, puis l'ensemble des sénateurs et des sénatrices qui le souhaiteront, vous interrogeront ensuite sur l'ensemble des crédits budgétaires dont vous avez la maîtrise.

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Je suis ravie d'être parmi vous ce soir pour parler de ce budget de la culture et des médias, un budget historique et au total en hausse de 7 %, soit 4,2 milliards d'euros pour la partie culture et 3,8 milliards d'euros pour l'audiovisuel public. Nous y reviendrons.

À cela s'ajoutent les taxes et les ressources affectées pour le financement du cinéma, de la musique, du théâtre privé, soit environ 770 millions d'euros. N'oublions pas les crédits d'impôt multiples, qui apportent au total 2 milliards d'euros de soutien à l'ensemble de l'écosystème de la culture. Quant au loto du patrimoine, qui permet d'injecter, en complément de notre budget, 20 millions d'euros par an environ pour soutenir des sites en partie protégés, non classés et non inscrits un peu partout sur le territoire. Ceci représente un total de 11 milliards d'euros dans le périmètre du ministère de la culture en 2023, soit 527 millions d'euros de plus qu'en 2022.

Ce budget nous permet de faire face aux défis du présent et de préparer l'avenir. Il reflète un certain nombre de priorités, pour beaucoup d'entre elles inspirées, comme vous l'avez dit, Monsieur le président, de vos travaux et de nos échanges. C'est en tout cas un budget qui, même si cela ne se voit pas dans toutes les lignes, permet l'irrigation territoriale à tous les niveaux, qu'il s'agisse de patrimoine, de création, de lecture publique, de soutien aux entreprises culturelles, ou de soutien aux radios associatives, qui sont partout sur le territoire. J'insiste particulièrement sur le déploiement territorial de notre action et du budget.

Ce budget prend à bras-le-corps l'enjeu de la transition écologique et le défi de très court terme du choc que représente la hausse des coûts de l'énergie pour les établissements les plus fragiles, les plus impactés, qui sont de réelles passoires thermiques - il en reste malheureusement beaucoup. Ce budget permet de disposer d'une enveloppe d'environ 56 millions d'euros pour soutenir ces établissements.

Je veux insister sur les investissements que nous déployons à plus long terme pour accompagner les acteurs culturels dans leur transition écologique. Notre budget d'investissement s'élèvera à 663 millions d'euros en 2023. 66 millions d'euros d'augmentation vont permettre en priorité de flécher des travaux de rénovation, d'isolation thermique et d'amélioration des performances énergétiques. Un budget supplémentaire également dédié au Centre national de la musique, à hauteur de 900 000 euros, est spécifiquement consacré à la transition écologique de la filière musicale.

Ce budget protège et valorise le patrimoine, avec 1,1 milliard d'euros, soit une hausse de 87 millions d'euros afin de maintenir la dynamique très forte qu'avait permise le plan de relance. Cette somme se répartit entre les cathédrales, leur sécurisation, le fonds incitatif pour le patrimoine, l'archéologie et les fouilles programmées, avec une série de rénovations prioritaires, comme l'abbaye de Clairvaux, la cité de Carcassonne, les tours de La Rochelle, etc.

Ce budget amplifie par ailleurs notre politique d'éducation artistique à l'école, via le pass Culture, qui se déploie au collège dès la 4 e . Une partie du budget relève d'ailleurs de l'éducation nationale. Nous sommes à 24 millions d'euros supplémentaires, avec un focus particulier sur la lecture auquel j'ai tenu, un soutien aux bibliothèques, aux livres accessibles pour les personnes en situation de handicap accompagné par la création d'une plateforme dédiée, un soutien aux librairies, à des manifestations littéraires, à la distribution des livres pour pallier les difficultés d'acheminement, notamment outre-mer.

Ce budget tient également ses promesses pour garantir le pluralisme des médias et l'accès à une information fiable, libre, indépendante. Je l'avais dit devant vous, dans l'hémicycle : la suppression de la redevance ne signifie pas la suppression du budget de l'audiovisuel public, loin de là. Nous avons compensé, comme nous l'avions dit, les effets fiscaux à l'euro près, mais aussi intégré une grande part de l'inflation estimée pour 2023 par la Banque de France, soit un total de 114,4 millions d'euros de budget supplémentaires pour l'audiovisuel public, qui atteint ainsi 3,8 milliards d'euros.

Un budget supplémentaire est prévu pour la presse. Nous avons travaillé avec cette filière sur la réforme de la distribution, prioritaire après le rapport Giannesini, afin d'aller vers plus de portage et moins de postage.

Cette réforme est accompagnée à hauteur de 17 millions d'euros. Notre fonds de soutien à l'expression radiophonique locale augmente par ailleurs d'environ 2 millions d'euros afin de soutenir toutes les radios qui oeuvrent sur l'ensemble du territoire.

Ce budget renforce aussi la création française et les métiers d'art. Il porte la voix de la France dans le monde numérique. Il existe, dans le cadre de France 2030, comme le président Lafon l'a indiqué, une prévision de budget d'un milliard d'euros qui va nous permettre de porter des projets de développement d'infrastructures de tournage, de postproduction, de formation des futurs talents créatifs ou techniques. Ceci va également nous permettre de déployer les nouvelles technologies de l'immersif au service de la culture et du lien entre la culture physique et la culture numérique.

C'est ainsi que 48 millions d'euros viennent en soutien à ce que j'ai appelé notre « souveraineté culturelle dans les mondes physique et numérique », avec le dispositif Mondes nouveaux, la création de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, ainsi qu'un plan dédié aux métiers d'art, qui permettra de donner à ce secteur une ambition nouvelle à partir de 2023.

Ce budget est aussi le reflet des compétences renforcées des 29 000 agents qui travaillent au sein du ministère. Ils font vivre ce ministère au quotidien, notamment en matière de moyens humains destinés au patrimoine et à l'archéologie. Les architectes des Bâtiments de France (ABF) sont tous les jours aux côtés des collectivités.

La masse salariale du ministère augmente de 38,5 millions d'euros, pour s'établir à 532 millions d'euros. Nous avons consacré 11 millions d'euros à la poursuite du plan de rattrapage indemnitaire, notamment en direction des architectes urbanistes de l'État et des conservateurs du patrimoine avec le financement d'une prime pour les enseignants-chercheurs des Écoles nationales supérieures d'architecture, et avons augmenté la rémunération des contractuels.

Grâce à ce budget, nous allons pouvoir poursuivre la réforme indemnitaire des agents de l'Institut national des recherches archéologiques préventives (INRAP).

Nous prenons évidemment en compte la hausse des 3,5 % de la valeur du point d'indice, qui représente environ 14 millions d'euros. Nous pourrons y revenir.

Il est également important de rappeler l'importance de nos établissements d'enseignement supérieur artistique, qui accueillent 37 000 étudiants en formation. Ils constituent la relève de la création artistique. Je pense notamment aux architectes. Nous comptons en effet près de 20 000 étudiants en école d'architecture et avons donc mis l'accent sur ces écoles dans le budget 2023, où les constats se révélaient assez alarmants depuis quelques années. Nous avons prévu d'attribuer plus de bourses et de revaloriser le cadre des enseignants, d'investir pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, avec une enveloppe supplémentaire de 13 millions d'euros.

Ce budget nous permet de consolider la résilience, qui a été possible pour notre secteur culturel après la crise sanitaire qui l'a impacté, et de se projeter dans l'avenir pour penser l'innovation, la création et former la jeunesse à devenir le public de demain.

Comme lors de ma dernière audition, je conclurai mon propos liminaire par un extrait d'un poème de Federico García Lorca intitulé Chants nouveaux .

« Le soir a dit : "Je suis altéré d'ombre !".

La lune a dit : "Moi, d'étoiles brillantes".

La source cristalline veut des lèvres

Et des soupirs le vent.

Mais moi, j'ai soif de parfums et de rires,

J'ai soif de chants nouveaux

Sans lune et sans lys

Et sans amours défuntes,

Soif d'un chant matinal

Qui troublerait les eaux dormantes

De l'avenir, emplissant d'espérance

Leurs ondes et leurs fanges. »

Ce chant qui va emplir l'avenir d'espérance, encore et toujours, c'est celui de la culture !

M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public . - L'audiovisuel public voit ses crédits augmenter de 3 %. Cette hausse ne concerne pas l'ensemble des sociétés de la même façon : les crédits de France Télévisions sont stables à + 1 %, ceux de Radio France et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) augmentent modérément, tandis que ceux d'Arte France et de France Médias Monde connaissent une avancée significative de près de 10 %, ce qui est à souligner.

Quelles raisons expliquent cette distinction opérée entre les entreprises, et comment France Télévisions et l'INA, qui sont parmi les moins favorisés par ce budget, vont-ils faire face à la hausse de l'inflation et à l'assujettissement à la taxe sur les salaires ?

Vous avez par ailleurs choisi de reporter la définition de nouveaux COM à 2024, les avenants aux COM qui nous seront prochainement transmis ne portant que sur l'année 2023. Or l'Arcom devra désigner dès 2023 les présidents de Radio France et de France Médias Monde sur la base du projet stratégique établi par les différents candidats. Comment ces candidats peuvent-ils construire un projet stratégique sans connaître la trajectoire financière pluriannuelle des entreprises qu'ils dirigent ? Comment l'Arcom peut-elle choisir des candidats sur un projet si ce projet est en réalité virtuel ?

N'est-il pas temps, enfin, de réformer la gouvernance des entreprises de l'audiovisuel public, dont on voit une nouvelle fois qu'elle n'est pas cohérente ?

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis sur les crédits de la presse . -J'ai publié en juillet un rapport complet, adopté d'ailleurs à l'unanimité par cette commission, sur la presse quotidienne régionale. Il souligne le formidable défi que constitue pour le secteur la hausse des prix du papier. Le projet de loi de finances ne contient cependant aucune mesure spécifique.

Dans le même temps, les 150 millions d'euros que devait coûter sur trois ans le crédit d'impôt premier abonnement, et sur lequel le Gouvernement avait amplement communiqué, a été plus ou moins noyé dans les sables, puis supprimé.

Ne pensez-vous pas qu'il y aurait une justice à réorienter au moins une partie de ces fonds pour aider le secteur à traverser cette crise, même si j'ai vu qu'un amendement a été déposé au sein de la commission de la culture de l'Assemblée nationale ? Je trouve que le montant n'est pas à la hauteur des enjeux, et je crains beaucoup que cet amendement ne survive pas à la navette parlementaire.

Dans mon rapport, je recommandais également de faire évoluer la législation sur CITEO, qui engendre un coût de 22 millions d'euros. Pouvez-vous me dire si la Commission européenne a bien été saisie ou s'il est envisagé de faire sortir la filière papier du régime très contraignant de responsabilité élargie du producteur ? Je rappelle que nous sommes le seul pays européen à avoir fait ce choix.

Comme chaque année, la loi de finances est la triste occasion de constater les difficultés toujours redoutables de la distribution de la presse. Je pense bien entendu à l'opérateur France Messagerie. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de remettre à plat tout le système et de rebâtir un schéma réaliste, qui tiendrait compte de l'attrition inévitable de la vente papier des quotidiens nationaux ?

Enfin, permettez-moi de citer un auteur que vous aimez bien, Khalil Gibran : « Vous êtes bon lorsque vous marchez fermement vers votre but d'un pas intrépide. Pourtant vous n'êtes pas mauvais lorsque vous y allez en boitant. Même ceux qui boitent ne vont pas en arrière ».

M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - La crise du papier pèse beaucoup sur le budget des maisons d'édition indépendantes, qui ne possèdent pas de stock de papier. Comment les aider à faire face à cette hausse ?

Par ailleurs, les librairies indépendantes vont retrouver à peu près les mêmes ventes qu'avant la crise et à peu près la même part de marché, autour de 20 %. Quel bilan peut-on tirer du programme lancé par l'État sur l'aide à la modernisation des librairies et sur d'autres programmes en direction du livre ? Je pense au programme « Jeunes en librairie ».

Enfin, une question au nom de mon groupe : le rapport de la Cour des comptes du 6 octobre sur la cathédrale Notre-Dame de Paris indique que les conditions sont réunies pour rouvrir cet édifice dans les délais impartis, avec un budget maîtrisé. Partagez-vous cette appréciation de la Cour des comptes ?

M. Jérémy Bacchi , rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Madame la ministre, une partie de la profession a appelé, le 6 octobre dernier, lors d'un colloque à l'Institut du monde arabe (IMA), à des « États généraux du cinéma ». Quel accueil réservez-vous à cette demande et comment expliquez-vous la tonalité, parfois très alarmistes, d'une partie de la presse sur le cinéma, tonalité qui, je le précise, n'est pas unanimement partagée par la profession ?

Par ailleurs, le 4 octobre dernier, le Centre national du cinéma (CNC) a réuni les parties prenantes de la chronologie des médias pour un tour de table sur la dernière version, signée le 24 janvier. À cette occasion, il est apparu que plusieurs acteurs, dont Disney, contestent la chronologie des médias, en particulier concernant l'exclusivité accordée aux chaînes gratuites au bout de 22 mois. Ces chaînes se sont elles-mêmes exprimées sous forme d'une tribune, parue le 28 septembre dans le journal Le Monde , dont je citerai simplement le titre : « Nous sommes responsables de télévisions gratuites. Demandons aux pouvoirs publics de ne pas céder aux diktats des plateformes payantes ». Pensez-vous qu'il soit encore nécessaire de revenir sur cette chronologie ?

Enfin, une étude du CNC, rendue publique à l'occasion du Festival de Cannes, en mai 2022, a essayé de savoir pourquoi les Français vont moins souvent au cinéma. Deux points ont retenu mon attention. Le premier concerne le prix du billet, sachant qu'il est en réalité de 7 euros en moyenne. Le deuxième point touche au manque d'attractivité des films.

Ce deuxième sujet a été très largement débattu, de manière souvent passionnée, avec des propos définitifs, comme ceux du président de Pathé, Jérôme Seydoux, sur France Inter, le 13 octobre dernier : « Les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier » ! On est très loin de la poésie, et je vous prie de m'en excuser. Comment vous situez-vous dans ce débat ?

Mme Sabine Drexler , rapporteur pour avis sur les crédits des patrimoines . - Les réglementations thermiques qui résultent de la loi Climat et résilience nécessitent d'identifier et de rénover les biens énergivores. Ces nouvelles règles, notamment le diagnostic de performance énergétique (DPE), s'avèrent dramatiques pour le patrimoine bâti, qu'il s'agisse de celui qui fait l'objet de protection ou du petit patrimoine de nos régions, comme nos maisons à pans de bois ou en pierres.

En effet, les modalités du DPE ne tiennent aucun compte de la valeur patrimoniale des biens. Les mêmes calculs et les mêmes préconisations s'appliquent aux bâtiments construits entre 1948 et le premier choc pétrolier - qui sont les plus énergivores - et à ceux construits auparavant, notamment les maisons anciennes, qui ont des qualités d'isolation propres, liées à leur orientation, aux matériaux utilisés pour leur construction et surtout à leur inertie, qui leur permet, globalement, d'obtenir des performances énergétiques tout à fait acceptables.

Ces normes d'isolation préconisées sans nuance sont une véritable aubaine pour les professionnels de l'isolation, qui n'hésitent pas à étouffer des architectures remarquables sous des plaques de polystyrène, sans tenir compte de leurs caractéristiques hygrothermiques.

C'est également une aubaine pour les constructeurs qui rachètent, au prix du terrain, des maisons inhabitées et dégradées qui, faute de pouvoir être louées, finiront démolies et remplacées par des constructions neuves, dans le cadre de la mise en oeuvre du plan Zéro artificialisation nette (ZAN). Alors que celui-ci pourrait être une opportunité pour la réhabilitation et la réaffectation du patrimoine bâti, on obtient l'effet inverse, et force est de constater que, dans la perspective de ces mesures, bon nombre de maisons ont déjà fait les frais de ce que certains qualifient de malentendu réglementaire.

Dans ce contexte, quelles sont les mesures envisagées par votre ministère pour contribuer à la préservation du bâti ancien, celui qui confère à notre pays l'identité qui est la sienne et qui contribue à l'attractivité touristique et au dynamisme économique de nos régions ? Compte tenu de l'urgence, comment allez-vous mettre fin à l'application de ces mesures et stopper cette hécatombe ?

Ma deuxième question concerne les services du patrimoine au niveau déconcentré. La meilleure manière de préserver et de sauvegarder le patrimoine, c'est de l'entretenir et de le restaurer. Or ce type de travaux nécessite une expertise dont nos collectivités, en particulier les plus petites, ne disposent pas, pas plus d'ailleurs que les propriétaires privés. L'absence d'aide à la maîtrise d'ouvrage est un handicap qui conduit certains à renoncer à leur projet et, paradoxalement, à la non-consommation des crédits affectés au patrimoine, alors même que l'urgence des travaux est avérée.

L'an dernier déjà, la Cour des comptes et le Sénat pointaient du doigt le manque de moyens humains des directions régionales de l'action culturelle (DRAC) et des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP). Les ABF, en nombre insuffisant, ne sont plus en mesure de remplir leur mission de conseil et sont, de ce fait, souvent mal perçus, notamment par les particuliers, qui ne comprennent pas toujours le sens de leurs préconisations.

Quelles sont les perspectives en termes d'effectifs des services déconcentrés de l'État ? Quels moyens envisagez-vous de mettre en oeuvre pour permettre à ces personnels de mieux remplir leur mission de conseil ?

Mme Sylvie Robert , rapporteure pour avis sur les crédits Création, transmission des savoirs et démocratisation de la culture . - Je tiens tout d'abord à me féliciter de la hausse du budget de la culture, même si des inquiétudes demeurent - et je voudrais en exprimer quelques-unes.

La première concerne les difficultés que pourraient rencontrer les évènements et manifestations culturelles pour se tenir à travers le territoire pendant la période des Jeux olympiques de Paris 2024. Je vous avoue que les propos du ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, que nous avons auditionné plus tôt dans l'après-midi, ne m'ont pas rassurée. Je voudrais que vous nous garantissiez une anticipation interministérielle afin que cette période ne se traduise pas par une saison blanche pour les festivals et qu'aucune décision ne soit prise sans concertation avec les élus et les porteurs de projets.

Je pense qu'il faut différencier Paris et l'Île-de-France du reste des territoires, où il serait dramatique que l'été reste silencieux du fait des JO, comme en 2020, en pleine crise sanitaire. Ma deuxième question a trait à l'augmentation des factures énergétiques. Les critères du bouclier énergétique vous paraissent-ils adaptés au secteur de la création ? Les intermittents du spectacle sont-ils comptabilisés dans le plafond du critère salarial de dix salariés ? La référence au niveau de consommation énergétique de 2021 ne pourrait-elle pas être adaptée, dans la mesure où elle n'apparait pas du tout adaptée aux lieux culturels, qui ont peu consommé cette année-là, ayant été maintenus fermés jusqu'au mois de mai ? Troisièmement, s'agissant du fonds d'innovation territoriale, avez-vous fixé des priorités aux DRAC ? Je pense ici au secteur rural, mais il peut y en avoir d'autres.

Pensez-vous par ailleurs contractualiser avec les collectivités territoriales afin d'éviter la baisse des subventions dans le contexte de crise actuelle ?

Enfin, concernant les arts visuels, disposez-vous d'un bilan chiffré de Mondes nouveaux ? J'ai entendu dire, lors de mes auditions, que la plupart des projets auraient été produits par les mêmes agences d'Île-de-France.

M. Vincent Éblé , rapporteur spécial des crédits de la culture . - Madame la ministre, la situation dans laquelle se trouvent les acteurs et les institutions de la culture, au lendemain d'une crise assez durable est très perturbante pour la conduite des activités culturelles. Beaucoup de compagnies, d'institutions ou de musées se sont trouvés précarisés et sont en grandes difficultés. Les moins soutenus par l'action publique, je veux parler des acteurs privés, doivent parfois réduire leur activité, voire l'interrompre.

L'année 2023 se place sous le triple signe de l'inflation, de la hausse du coût de l'énergie et du retour parfois très partiel du public dans les lieux d'art et de culture. La progression de 7 %, dont vous vous félicitez - il est vrai qu'on ne la trouve pas dans tous les segments de l'action publique -, est à peine supérieure à celle de l'inflation attendue. Ce n'est donc pas une perspective rassurante.

Par ailleurs, il me semble que votre parcours et votre identité font que vous vous intéressez à la question de la présence française à l'international. L'action culturelle internationale est une question déterminante, car si la France est évidemment influente par son économie et sa diplomatie, elle l'est aussi et ô combien par sa présence culturelle dans de très nombreuses régions du monde. De ce point de vue, les crédits portés par le secrétariat général de votre ministère augmentent de 0,7 million d'euros, sur un budget d'environ 7 millions d'euros. Ce n'est pas une fraction négligeable, mais cela ne va pas totalement bouleverser la donne. Quelles sont donc vos priorités en matière d'action culturelle internationale, et quelle est la philosophie de votre action dans ce domaine ?

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Concernant l'audiovisuel public, je remercie M. Hugonet pour ses interventions récurrentes pour soutenir l'audiovisuel et les réformes destinées à s'adapter aux enjeux de demain.

Les COM ont été effectivement prolongés d'un an, sauf pour Arte, qui bénéficie de deux ans afin de s'aligner avec nos amis Allemands. Il s'agit d'un avenant technique pour le COM 2023. Je le dis toujours, ce sont d'abord les missions, les objectifs, les enjeux, la vision d'avenir dont on doit discuter avant de commencer à parler dans le détail de la trajectoire pour les années qui viennent. J'espère donc que les candidates et les candidats pour France Médias Monde et Radio France sont bien dans cet état d'esprit.

On le sait, dans la discussion avec l'État actionnaire, les entreprises demandent souvent des moyens supplémentaires. C'est ensuite en fonction des priorités qu'elles affichent, des réformes qu'elles souhaitent mener, des synergies qu'elles peuvent développer ensemble qu'on peut travailler avec elles sur le budget.

La répartition des dotations de cette hausse de 114 millions d'euros s'est faite en totale concertation avec les groupes de l'audiovisuel public, en partant de leur plan d'affaires. Nous avons également voulu tenir compte d'enjeux importants sur l'audiovisuel extérieur, et France Télévisions reçoit un supplément de 24 millions d'euros. On a tenu compte à chaque fois des effets fiscaux afin de les neutraliser et du glissement des dépenses en matière de masse salariale pour en prendre une grande partie. Un travail assez fin a été réalisé jusqu'à la dernière minute avec chacun. Il me semble que le résultat est assez consensuel.

Concernant la presse, je remercie le sénateur Laugier de nous rappeler cet enjeu vital pour notre démocratie. On peut se réjouir des 377 millions d'euros qui ont été distribués pendant le plan de relance afin d'accompagner la transition numérique de la presse et la transition écologique. Un fonds de résorption de la précarité pour les journalistes a également été créé. Ce plan de filière a été déterminant. On engage à présent une réforme de la distribution, bien que nous soyons percutés par la flambée du coût du papier. Les entreprises ont déjà accès au bouclier tarifaire « de droit commun », même si la flambée du coût du papier vient s'ajouter aux hausses du prix du gaz et de l'électricité. Énormément de secteurs sont impactés par l'inflation. Avec Bruno Le Maire, nous allons voir comment mieux accompagner ce secteur.

L'écocontribution est effectivement un enjeu crucial. Deux pistes sont possibles : soit monter à nouveau au créneau auprès de la Commission européenne, soit sortir la presse de ce régime de responsabilité élargie du producteur. Le ministère de la culture est en train d'avancer sur ces deux hypothèses. Nous pourrons vous en dire plus très bientôt.

Je rejoins aussi l'inquiétude du sénateur Bargeton concernant les maisons d'édition. Il n'y a pas que la presse à être impactée par le coût du papier. Les maisons d'édition sont amenées à faire des choix, à imprimer avec des polices plus petites, voire à renoncer à certains ouvrages, ce qui peut être préoccupant. Nous allons étudier les choses au cas par cas avec le Centre national du livre (CNL), qui soutient notamment les petits éditeurs.

Les grosses maisons d'édition sont, me semble-t-il, en bonne santé. Même si elles sont impactées par le coût du papier, elles ne vivent pas la même situation que la filière presse. Les années 2020 et 2021 ont été relativement exceptionnelles. L'année 2022 l'est moins, c'est vrai, depuis la guerre en Ukraine. On sent un fléchissement depuis le mois de mars, mais la rentrée littéraire a été très forte. Le prix Nobel reçu par Annie Ernaux, dont on peut être très fier, dope les ventes de Gallimard et vient aider nos libraires. C'est donc tout l'écosystème qui est ainsi soutenu.

Le plan de relance prévoit de nombreuses aides pour les librairies pour réaliser, en plus du pass Culture, comme l'opération Jeunes en librairie, entreprise en Nouvelle-Aquitaine sur le long terme, que nous avons étendue à plusieurs régions. Je n'ai pas le bilan précis sous les yeux, mais je vous le transmettrai dès que possible.

Merci d'avoir rappelé que la Cour des comptes s'est penchée avec précision sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris et a salué une gestion visiblement impeccable, les délais ayant pour l'instant été tenus par rapport aux prévisions. Je ne peux que me réjouir de ces conclusions de la Cour, et renouveler ma confiance au général Georgelin, qui mène ce chantier de main de maître.

Monsieur le sénateur Bacchi, merci de me donner l'occasion d'insister ici sur tout ce que nous mettons en oeuvre pour soutenir le secteur du cinéma, face à une baisse de fréquentation préoccupante. Il en va de même pour le spectacle vivant. Pour le cinéma, nous sommes en moyenne entre 25 % et 28 % de baisse. Un quart du public n'est pas revenu dans les salles depuis le Covid, mais la situation est quand même bien meilleure en France que dans les autres pays : - 60 % de fréquentation en Italie, - moins 40 % en Espagne, - 40 % en Allemagne pour ne citer que ces trois exemples.

Notre écosystème a mieux résisté. Les Français sont plus cinéphiles, et c'est une bonne nouvelle, même si ce n'est pas suffisant pour la vitalité de notre industrie. À court terme, nous avons décidé de soutenir une campagne de communication à hauteur d'un million d'euros. Le slogan d'une campagne d'affichage qui va débuter demain, affirme : « On a tous une bonne raison d'aller au cinéma. Et vous, quelle est la vôtre ? ». Il s'agit de faire rêver les Français et leur redonner envie de voir les films sur grand écran, ce qui est sans commune mesure avec le fait de regarder un film chez soi, sur tablette ou ordinateur.

Les raisons de cette baisse de fréquentation sont multiples. La première résulte de la perte d'habitude entraînée par le confinement et le couvre-feu, ce que j'appelle la « plateformisation » de nos vies. De nouvelles habitudes ont été prises. Le tarif moyen, en France, vous l'avez rappelé, est de 7 euros. En Allemagne, il est de 8,90 euros. Le prix n'est donc pas si élevé en France. Il existe énormément de tarifs réduits dans les salles de cinéma, mais la perception du coût persiste. Un effort reste à faire pour rappeler l'ensemble des tarifs réduits disponibles.

Par ailleurs, le changement d'habitude dû au télétravail explique peut-être aussi le fait qu'on ressorte moins facilement, notamment pour aller au cinéma. Le public est également plus exigeant - sans reprendre la formule de M. Seydoux. On demande aux oeuvres plus de qualité et d'originalité. Les films français sont d'une grande diversité, d'une grande originalité et d'une grande singularité. Novembre , Simone , L'innocent sont des films qui démarrent très bien. Nos concitoyens ont donc l'embarras du choix pour les vacances de la Toussaint.

Je préfère ce discours volontariste et optimiste - sans compter toutes les aides que nous continuons à déployer. Pendant la crise sanitaire, elles s'élevaient à 300 millions d'euros, dont 220 millions d'euros uniquement pour les salles, et nous poursuivons ces efforts.

Je me tourne vers la sénatrice Drexler s'agissant des sujets qu'elle a soulevés à propos de la conciliation nécessaire entre patrimoine, énergies renouvelables, transition écologique et isolation thermique. Il me faudrait plusieurs heures pour y travailler avec vous, mais je vois bien à quoi vous faites allusion.

Nous sommes en train de travailler par exemple sur le photovoltaïque avec le ministère de la transition énergétique, afin de rédiger une instruction ministérielle pour permettre aux ABF d'évaluer plus précisément dans quel cas installer des panneaux photovoltaïques. Des innovations portent sur les nouveaux types de panneaux qui peuvent être pris en compte.

Sur chaque sujet, qu'il s'agisse des fenêtres, des différentes formes d'isolation ou du photovoltaïque, on bénéficie d'une expertise des architectes des Bâtiments de France, l'enjeu étant de ne pas avoir d'installations trop disparates qui abîment le patrimoine. On doit pouvoir concilier les deux.

Merci à Sylvie Robert d'avoir évoqué le sujet des festivals et, plus globalement, l'inquiétude qui plane autour de l'inflation et de l'augmentation du coût de l'énergie.

Les jeux Olympiques constituent une formidable opportunité pour la France. C'est aussi l'occasion de construire un projet culturel ambitieux. Nous avons décidé, avec Amélie Oudéa-Castéra et le Comité des jeux Olympiques, de lancer les Olympiades culturelles. Elles ont déjà démarré et vont se poursuivre jusqu'à mi-2024. Le budget 2023 prévoit d'ailleurs 3 millions d'euros pour ce faire. Le Comité des jeux Olympiques prévoit lui-même, avec Dominique Hervieu comme directrice artistique, ancienne directrice de la Maison de la danse de Lyon, un programme assez ambitieux de concerts et d'événements, qui vont nécessiter des installations techniques, des forces de sécurité. S'ajoutent les festivals habituels qui font l'ADN de la France culturelle de l'été.

Il est très important de prendre en compte l'impact, en France, des Jeux sur les festivals, notamment en termes d'organisation technique. Certains m'alertent sur des pénuries de matériel et des locations déjà bloquées pour les jeux Olympiques et Paralympiques. Quelques sociétés de sécurité privées sont déjà réservées pour les jeux. Il y a là une pression sur nos festivals, et je vais tenter de trouver des solutions.

Concernant la hausse des factures énergétiques, nous disposons dans le budget 2023 d'une enveloppe de 56 millions d'euros, destinée à accompagner les cas les plus critiques, à savoir ceux dont les bâtiments sont des passoires thermiques absolues et, en priorité, les établissements nationaux, qui ne sont soutenus que par l'État. Nous maintenons néanmoins partout nos subventions, avec même des hausses au cas par cas, selon les régions, même là où on enregistre des baisses de certaines collectivités. Nous essayons de venir en aide à des structures comme la Villa Gillet, à Lyon, par exemple, dont nous avons augmenté la subvention qui a été drastiquement amputée par le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Nous ne pouvons pas, toutefois, compenser partout les baisses des collectivités. C'est un vrai sujet.

Vous avez évoqué le bilan de Mondes nouveaux. Je crains qu'il existe une confusion. On dénombre trois catégories de projets, ceux qui ont lieu dans les monuments relevant du Centre des monuments nationaux, ceux qui ont lieu dans les sites naturels du Conservatoire du littoral et ceux situés dans d'autres types de lieux - un Ehpad, une cour d'école, une université, une place publique etc. Certains projets nécessitaient qu'une agence accompagne les artistes dans la production de leur projet. Certains sont très jeunes et n'ont pas la capacité à s'en charger. Ces agences de production sont basées à Paris, mais le budget de Mondes nouveaux s'adresse aux 264 projets qui ont été retenus partout en France et permet de soutenir 450 artistes.

En Bretagne, par exemple, 34 projets sont soutenus. Dans les Hauts-de-France, on en compte 21, 14 en Nouvelle-Aquitaine, 35 en Provence-Alpes-Côte d'Azur. On en trouve outremer également : 12 en Martinique, 6 à la Réunion, 6 en Guadeloupe, 4 en Guyane, etc. Il existe même un projet à Mayotte, alors qu'on avait du mal à en trouver. La répartition est assez équitable entre les disciplines artistiques.

Ce qui est intéressant, c'est la mobilisation de collectifs. 26 % des projets sont en fait pluridisciplinaires et portés par des collectifs. Beaucoup de jeunes artistes ont proposé des projets à cheval sur plusieurs disciplines : la danse et l'architecture, le design et la musique, etc., qui se répartissent de manière très équilibrée entre les arts visuels, le spectacle vivant, l'écriture, la littérature, etc.

Enfin, le sénateur Éblé, rapporteur spécial, a affirmé que la hausse du budget ne couvrait pas l'inflation. L'inflation sur laquelle nous nous sommes basés est celle estimée par la Banque de France, soit 4 2 % pour 2023. Avec un budget en hausse de 7 %, on est bien au-dessus.

L'enjeu de la langue française et de l'action française à l'international est très important pour moi. Nous le portons avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui chapeaute le réseau culturel français à l'étranger et partage avec nous la tutelle de l'Institut français, qui déploie cette action. Dans notre budget 2023, nous mettons l'accent sur plusieurs points : je tiens beaucoup au réseau des librairies francophones, qui sont absolument vitales pour continuer à diffuser le livre en langue française. J'ai ainsi débloqué une aide de 500 000 euros à quatre librairies qui allaient faire faillite au Liban, au Brésil et au Mali. Nous allons continuer notre soutien aux librairies francophones via le Centre national du livre. Le soutien à la distribution du livre se fait aussi via la Centrale de l'édition. On a ajouté un million d'euros pour l'international et pour l'outre-mer.

Le soutien à la traduction et aux projets littéraires passe notamment par un nouveau programme issu du sommet des Deux Rives, dénommé Livres des deux rives, qui relie la France et les pays du Maghreb en soutenant des projets littéraires, des éditions en langue française et des traductions.

Le projet de Villers-Cotterêts va évidemment nous mobiliser dans les prochains mois. Son ouverture au public est prévue au printemps 2023. Cette cité internationale de la langue française au coeur des Hauts-de-France, dans le département de l'Aisne, sera créée dans l'ancien château de François 1 er , dans la ville où Alexandre Dumas vit le jour. Cette terre de littérature va pouvoir accueillir des artistes, des écrivains du monde francophone et du monde entier. Des projets vont y être déployés avec des associations locales en matière d'apprentissage du français, avec l'aide d'entreprises françaises en pointe en matière de technologies de la langue et de la traduction. C'est un bien beau projet pour la langue française.

Mme Else Joseph . - Je constate que les festivals, à la suite à la crise sanitaire, ont fait preuve d'une incroyable vitalité dans le cadre de la reprise des activités culturelles. Ils figurent parmi les premiers diffuseurs de la culture dans les territoires et jouent un rôle essentiel dans l'écosystème culturel.

Le groupe d'études « art de la scène, de la rue et des festivals en régions », dont je suis membre, salue le travail amorcé avec les trois actes des états généraux des festivals pour réaffirmer le rôle de l'État et sa politique à destination des festivals. La mise en place d'un nouveau fonds festival est une bonne nouvelle, même si sa dotation de 10 millions d'euros par an, qui est annoncée jusqu'en 2024, reste insuffisante pour couvrir les besoins des 7 300 festivals cartographiés.

Quelle est la prochaine étape concernant l'évolution de cette politique publique ? De nouvelles priorités devraient-elles être définies à court et moyen termes ? L'État entend-il débloquer de nouveaux moyens budgétaires pour accompagner les festivals ?

Par ailleurs, s'agissant des crédits du plan de relance consacré au patrimoine, si le rapport que nous avions rédigé avec Olivier Paccaud avait donné acte au Gouvernement des efforts majoritairement tournés vers le patrimoine national, la France dispose néanmoins d'un autre patrimoine qui appartient à des acteurs qui consacrent de nombreux moyens à son entretien. Qu'est-il prévu pour les monuments n'appartenant pas à l'État, qu'il s'agisse de monuments relevant de propriétaires privés ou de collectivités locales ?

M. Pierre Ouzoulias . - Madame la ministre, plusieurs des questions que je souhaitais poser ont déjà été évoquées, notamment par Sabine Drexler, au sujet du rôle des DRAC dans l'accompagnement des collectivités. Le président Lafon a cité le rapport d'Anne Ventalon et de votre serviteur sur les édifices religieux, qui met en lumière un certain nombre de phénomènes et, surtout, le fait que les maires ne savent comment mobiliser les services de l'État et les financements nécessaires pour rénover leur patrimoine.

Ceci pose la question plus générale de l'action décentralisée de l'État. Avec Anne Ventalon, nous nous sommes aperçus qu'on trouve aujourd'hui autant de politiques d'inventaire que de régions, les compétences étant décentralisées. Toutefois, la somme de ces politiques régionales ne fait pas une politique nationale. Certains domaines, comme celui des synagogues alsaciennes, par exemple, que nous avons signalé dans notre rapport, mériteraient toute l'attention de l'État, faute de quoi ce patrimoine va disparaître. Il témoigne pourtant de ce qu'a été le judaïsme dans le Haut-Rhin, qui est constitutif de notre identité. C'est important de le répéter : si on ne fait rien, ces synagogues vont être vendues et transformées, et il n'existera plus aucune trace de cette culture en Alsace, notamment dans le Haut-Rhin. Il est donc nécessaire que le ministère de la culture définisse de grands axes.

S'agissant de l'archéologie, je ne peux presque rien ajouter, puisque c'est la première fois qu'elle est autant citée dans un discours ministériel. Toutefois, pour ce qui est de l'INRAP, l'effet ciseau peut être redoutable. L'INRAP subit, comme tous les opérateurs, la hausse des prix de l'énergie et l'inflation, mais le plan de relance a par ailleurs amené une demande beaucoup plus forte de diagnostics, que l'INRAP ne peut réaliser avec ses moyens. L'Institut souhaiterait donc, de façon temporaire, notamment concernant ces demandes de diagnostics supplémentaires, pouvoir dépasser son plafond d'emplois, le risque étant qu'on se retrouve de nouveau face à un conflit entre les collectivités et l'Institut. Ce dernier, faute de moyens financiers, ne pourra en effet réaliser les diagnostics et les fouilles.

Vous avez cité Federico García Lorca. « Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue » a dit Aragon. J'en viens à l'Europe de la culture et à Giorgia Meloni. La filiation est malheureusement directe. Le parti Fratelli d'Italia a dit de façon très claire qu'il fallait une culture d'État, que la culture devait se mettre au service du récit national et qu'on pourrait remplacer des fonctionnaires qui ne respecteraient pas cette règle. Ce qui pourrait s'apparenter à un art officiel ou au réalisme soviétique est en train de se mettre en place en Europe. C'est une forme de totalitarisme culturel insupportable.

Vous me permettrez de citer Antonio Gramsci pour finir. Mme Meloni se réclame de Mussolini. Gramsci a payé de sa vie son indépendance d'esprit. Je le cite : « Se connaître soi-même signifie être maître de soi, se différencier, se dégager du chaos, être un élément d'ordre, mais un élément de son ordre propre et de sa propre discipline à l'égard d'un idéal. Et tout ceci ne peut s'obtenir sans connaître aussi les autres, leur histoire, la succession des efforts qu'ils ont faits pour être ce qu'ils sont, pour créer la civilisation qu'ils ont créée. »

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je tiens à vous féliciter car vous êtes l'un des rares ministres de la culture qui parle enfin, lors d'une audition budgétaire, de l'action extérieure de l'État et, en tout cas, de la politique culturelle à l'étranger.

Je trouve cela très important. Notre commission vote ces crédits, tout comme la commission des affaires étrangères, mais rares ont été les occasions de dialoguer en direct avec le ou la ministre de la culture sur cette politique, également liée à notre politique nationale. Les ensembles que nous accompagnons, à travers les compagnies ou l'Institut français, oeuvrent aussi sur le territoire national, et il y a forcément des connexions et des stratégies à développer. Les propos que vous avez tenus m'ont donc intéressée.

Ma question porte sur les enseignements artistiques. Je vous ai entendu à deux reprises parler devant notre commission de l'éducation artistique et culturelle. Je ne vous ai toutefois pas entendue au sujet de l'enseignement artistique. Quelle différence faites-vous entre les deux terminologies, et quelle réalité recouvrent-elles en termes de politique publique ?

Si j'évoque cette question, c'est pour vous alerter une nouvelle fois sur le devenir de nos écoles d'art et de nos conservatoires, préoccupation que partagent plusieurs collègues de cette commission. Il ne saurait y avoir d'éducation artistique sans enseignement artistique si l'on veut doter nombre de nos jeunes concitoyennes et concitoyens d'une formation technique. Ce sont en effet les enseignements artistiques qui permettront, par la suite, le déploiement de l'éducation artistique et culturelle et fournissent à la fois nos troupes, nos orchestres, nos scènes, nos salles, lieux de vie que nos jeunes concitoyennes et concitoyens sont amenés à fréquenter.

Ces établissements sont en très grande souffrance depuis pratiquement vingt ans. Rares sont les ministres de la culture qui se sont préoccupés de leur sort, je le dis comme je le pense - et je ne suis pas la seule ici. On a vu disparaître complètement les budgets dédiés aux conservatoires, puis être rétablis quelques années après, mais de façon incomplète. Ces établissements, pour lesquels agissent les collectivités - principalement les communes et les intercommunalités - se voient bloqués parce que les lois de décentralisation ne sont pas accompagnées par le ministère.

Si on doit reparler de décentralisation - j'ai entendu que Mme Borne était très allante sur ce sujet -, il va bien falloir reparler de la décentralisation des enseignements artistiques, et que le ministère de la culture soit partie prenante avec les collectivités territoriales.

Des directrices et des directeurs démissionnent ou abandonnent le métier. Ces établissements sont souvent considérés comme des établissements élitistes : on confond excellence et élitisme ! Ils ont su évoluer pour se doter de missions complémentaires et s'ouvrir sur la cité. Ce sont des pôles de ressources pour des territoires de référence. Ils méritent donc vraiment d'être accompagnés et de connaître une évolution si l'on veut assurer leur devenir.

Jette-t-on un regard sur ces établissements dans cette loi de finances, qui en ont bien besoin et qui comptent certainement sur vous, madame la ministre, alors que vous venez de prendre vos fonctions ?

M. Laurent Lafon , président . - Je souhaiterais vous poser deux questions en lieu et place de Sonia de La Provôté.

La première question concerne les écoles nationales d'architecture. Outre le contexte qui accroît la contrainte budgétaire des établissements, les politiques publiques en matière de développement durable, dont le défi thermique, ont un impact croissant sur le métier d'architecte. Ce métier est d'ailleurs vital dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

Avez-vous prévu un plan de développement de l'enseignement supérieur et de la recherche en architecture ? L'échange au niveau interministériel entre les ministères chargés de l'écologie, du logement, des territoires et le vôtre fonctionne-t-il suffisamment pour co-construire ce plan ?

Par ailleurs, le déséquilibre dans la répartition des crédits consacrés au patrimoine entre Paris et l'Île-de-France et les autres villes et régions s'accentue cette année - je cite Sonia de La Provôté. Même si l'effet de levier des crédits de l'État en régions est sans commune mesure, dès lors que les collectivités participent également au financement, est-il légitime que l'approche et l'accompagnement du ministère soient si déséquilibrés ?

M. David Assouline . - Il est rare que j'aie à le faire - même si je vais ensuite pondérer mon propos -, mais je voudrais saluer, dans un contexte difficile, l'augmentation de 7 % que vous annoncez. On voit que vous savez négocier les budgets. Vous avez occupé des fonctions où vous arbitriez plutôt la baisse. Vous êtes maintenant obligée de monter au front pour obtenir plus, et vous savez le faire.

J'ai dû, sous un Gouvernement que je soutenais pourtant, m'insurger à propos du fait qu'on puisse baisser les crédits de ce secteur. Je suis donc plutôt satisfait, mais je veux vous mettre en garde à propos de la façon dont vous présentez les choses, car cela peut nous faire baisser la garde. Avec une inflation à 4,2 %, l'augmentation de 7 % revient à un peu plus de 2 %. En effet, l'inflation sera peut-être plus importante que prévu, et la hausse du coût de l'énergie va s'additionner. Or les factures sont énormes dans certains secteurs qui consomment beaucoup d'énergie. Au moins n'y aura-t-il pas de baisse.

En second lieu, on trouve malheureusement des secteurs qui augmentent et d'autres qui stagnent, sans qu'on comprenne pourquoi. Je suis d'accord avec le rapporteur des crédits de l'audiovisuel public - c'est rare ! -, qui a raison de dire que France Télévisions, qui a subi pendant plusieurs années des baisses budgétaires, stagne aujourd'hui, l'augmentation de 1 % se situant en dessous de l'inflation. Il s'agit d'une baisse dans les faits. Je passe sur les coûts de l'énergie supportés par France Télévisions, qui consomme beaucoup d'électricité pour réaliser ses programmes. Dans tous les secteurs, la ventilation est inégale.

Par ailleurs, si vous avez tenu parole sur le fait que la redevance est compensée à l'euro près - et même plus -, vous ne nous avez toujours pas rassurés sur la pérennité de ce financement.

Enfin, la commission d'enquête sur la concentration des médias en France, dont j'étais rapporteur, que M. Lafon présidait, a de manière consensuelle établi que la ventilation des aides à la presse ne convenait pas. Vous nous parlez de volumes, mais nous attendons une réforme pour faire en sorte que ceux qui ont les moyens et qui touchent le plus touchent moins, et que tous les petits et les nouveaux médias puissent recevoir l'aide qu'ils n'ont pas aujourd'hui. On aimerait donc une refonte plus juste, indépendamment du montant global, car c'est ce qui est aujourd'hui attendu.

M. Bernard Fialaire . - Je voudrais saluer à la fois l'augmentation du budget et les grandes priorités que vous avez fixées à votre ministère, mais j'aimerais néanmoins obtenir quelques éclaircissements sur deux points.

Je salue le fait que vous vouliez attirer de nouveaux publics dans les lieux culturels, et en particulier les jeunes. On sait toutefois que les jeunes ont une utilisation excessive des écrans - les réseaux sociaux, majoritairement TikTok, mais aussi les jeux vidéo -, qu'on nous présente comme une activité culturelle, mais qui ne peut être la seule et qui entraîne une addiction et une sédentarité grandissantes qui ont de vrais retentissements sur la santé physique et psychique des enfants.

Que souhaitez-vous faire concrètement pour que les jeunes puissent bouger un peu plus, aillent assister à des spectacles vivants, reviennent à la lecture et visitent des lieux de culture ? Vous avez évoqué des Olympiades de la culture. Comment comptez-vous associer les ministères des sports et de l'éducation pour sortir les jeunes de ces addictions ?

En second lieu, vous avez dit vouloir garantir la fiabilité de l'information. Selon un sondage du Cevipof, seuls 29 % des sondés déclarent avoir confiance dans les médias. Quelle piste envisagez-vous pour garantir que l'information dispensée par nos médias soit vérifiée, fiable et redonne confiance à nos concitoyens ? C'est un enjeu important de la démocratie et de la société dans laquelle nous vivons. Pensez-vous que des réflexions sur une déontologie des médias mais aussi des journalistes puissent être envisagées ?

Mme Marie-Pierre Monier . - Madame la ministre, la stagnation des crédits en faveur des musées territoriaux se poursuit cette année. Elle s'inscrit dans un contexte de forte inflation qui interroge alors que, dans le même temps, les crédits destinés aux musées nationaux sont en hausse de 5 %. Merci de veiller à irriguer la culture dans nos territoires, au-delà des grands musées nationaux.

Le budget évoque une reprise de la fréquentation des institutions patrimoniales cette année, après deux ans de crise sanitaire. Cette reprise est-elle homogène sur l'ensemble du territoire français ?

Par ailleurs, on constate une stagnation des crédits prévus pour les études et travaux des sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui sont reconduits à 8,9 millions d'euros depuis 2018. Pourquoi cette enveloppe n'a-t-elle pas évolué ?

L'année 2022 a connu une hausse budgétaire au profit des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) et du réseau Villes et d'art et d'histoire, qui sont maintenus à 6,5 millions d'euros, comme en 2022, ce qui constitue une baisse réelle compte tenu de l'inflation. Nous sommes pourtant nombreux à être très attachés au rôle des CAUE, dont nous souhaiterions une présence dans tous les départements. Ils apportent une aide précieuse aux maires des petites communes, qui font régulièrement appel à eux pour leurs projets patrimoniaux.

Par ailleurs, lors d'une audition préparatoire à l'examen du projet de loi de finances, le président de l'association des DRAC de France nous a alertés sur le manque d'attractivité des professions en leur sein, qui conduit à laisser des postes vacants, notamment dans les territoires, entraînant en conséquence une surcharge de travail pour les personnels en place. Cette dynamique risque encore de s'aggraver au vu d'une démographie actuellement plutôt âgée. On nous a parlé de douze postes ouverts, dont seulement quatre sortis de Chaillot. Quelles sont les pistes envisagées par le ministère pour répondre à ce déficit d'attractivité ?

Enfin, depuis que la maîtrise d'ouvrage des travaux sur les monuments a été rendue aux propriétaires, il est prévu par le code du patrimoine que les DRAC puissent apporter une assistance à maîtrise d'ouvrage à titre onéreux ou gratuit. Or le récent rapport de la Cour des comptes, intitulé « La politique de l'État en faveur du patrimoine monumental » établit que cette disposition a eu très peu d'effets. Seules trois DRAC - Bretagne, Hauts-de-France et Pays de Loire - ont mis en place une offre qui demeure marginale. Ce rapport souligne les limites d'initiatives portées par d'autres acteurs, à l'instar des départements. Au regard de ce tableau, une évolution du cadre et des effectifs associés aux DRAC est-elle envisagée ?

Mme Monique de Marco . - Madame la ministre, les salles de concerts, comme de nombreuses entreprises, sont frappées de plein fouet par la crise énergétique et la hausse des factures. Le syndicat des musiques actuelles a lancé une enquête auprès de ses adhérents sur le sujet. Les premiers résultats indiquent que les salles font face, par rapport à 2021, à une hausse de plus de 100 % de leurs factures énergétiques et de 87 % de leurs factures de gaz.

Le problème vient du fait que ces entreprises sont en dehors des dispositifs d'aide. Pour rappel, il en existe aujourd'hui deux. Le premier réside dans le bouclier tarifaire, qui limite à 15 % d'augmentation les factures des entreprises de moins dix salariés faisant moins de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires. Or les seuils, quand on compte les salariés à temps complet et les intérimaires, sont souvent inférieurs à dix salariés.

Le deuxième problème vient de l'aide spécifique pour les entreprises qui consomment plus de 3 % de leur chiffre d'affaires. On sait que le Gouvernement compte revoir ces dispositifs pour inclure plus d'entreprises, mais j'attire votre attention sur cette question, afin que les salles de concert ne soient pas oubliées.

Par ailleurs, vous annoncez un plan d'investissement d'un milliard d'euros pour les industries culturelles et créatives, notamment les technologies du métavers. Il me semble que se pose une question d'intérêt public, et qu'il faut distinguer les expériences culturelles - réalité virtuelle, réalité augmentée - des opérations spéculatives, telles que l'arrivée des systèmes NFT et des cryptomonnaies sur le marché de l'art. Le plan d'investissement d'un milliard d'euros permettra-t-il de soutenir aussi le développement de ces NFT ?

M. Max Brisson . - Vous avez annoncé que le budget de la culture était en augmentation forte, et nous nous en sommes tous réjouis. Cette hausse, comme vous nous l'avez indiqué, concerne particulièrement le patrimoine culturel de l'État, qui compte plusieurs grands projets. Vous avez largement parlé du château de Villers-Cotterêts, au sujet duquel notre commission, vous le savez, a eu l'occasion d'émettre un certain nombre de réserves à propos du projet muséal, dont nous avons souligné le côté hors-sol quelque peu surprenant à l'heure de la sobriété. Qu'en est-il de la trajectoire financière du chantier, de ses éventuels dépassements et de l'état de son exécution ? Ne pensez-vous pas que ce projet est facteur de déséquilibre face au soutien que nécessiterait notre réseau de centres culturels et d'instituts à travers le monde, qui crient souvent misère ?

Par ailleurs, notre commission est très attentive à la circulation des biens culturels et à la préservation de l'intégrité des collections nationales. Avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias, nous avons proposé à votre prédécesseur un cadre permettant de fonder cette politique, qui a souvent pris des tournures déplaisantes. Le Président de la République a annoncé lui-même une loi-cadre depuis le musée du Quai Branly - Jacques Chirac, lors du départ du trésor d'Abomey vers le Bénin : où en sommes-nous de ce projet de loi annoncé par le Président de la République ?

Mme Béatrice Gosselin . - Depuis son origine, le dispositif Malraux vise à contribuer à la conservation du petit patrimoine historique dans les quartiers anciens et dégradés des villes. C'est un outil très précieux dans le cadre des politiques de revitalisation des centres-bourgs et centres-villes, d'autant qu'il peut permettre à votre ministère de vous assurer que la préservation du patrimoine soit prise en compte lors de ces opérations de revitalisation.

L'Inspection générale des finances (IGF), ainsi que l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) avaient rendu en décembre 2018 un rapport préconisant l'adaptation du dispositif Malraux pour une contribution plus efficace à la restauration des centres-bourgs et des centres-villes. De nombreuses associations de sauvegarde du patrimoine ont fait des propositions, comme l'augmentation du crédit d'impôt pour les bâtiments dans lesquels les loyers ne peuvent être très élevés, ou encore une extension pour les propriétaires occupants. Des discussions ont-elles été engagées au niveau interministériel pour faire évoluer ce dispositif ? Enfin, quelle est la position du ministère de la culture à ce sujet ?

M. Lucien Stanzione . - Je souhaiterais que vous puissiez revenir sur la question de la hausse des coûts de l'énergie et des fluides. Qu'allez-vous entreprendre par rapport à la vague qui arrive ?

En second lieu, sans anticiper le travail que va faire notre collègue Bargeton sur le CNM, comment pensez-vous faire en sorte que les majors cotisent ce qu'elles devraient cotiser, ce qui n'est pas le cas en ce moment, semble-t-il ?

Concernant la sortie de la crise sanitaire, un nombre important de petits et moyens festivals sont en train de fermer parce qu'ils n'atteignent pas des niveaux de fréquentation suffisants pour couvrir la hausse de leurs dépenses. Avez-vous un plan dans ce cadre ?

Par ailleurs, certains opérateurs de spectacle se produisent dans des locaux mis à leur disposition par les collectivités territoriales. Or l'effet de l'augmentation du prix de l'énergie et des fluides va se répercuter sur les collectivités. Quelle est la position du ministère ? Y aura-t-il une aide au niveau des opérateurs de spectacles ou des collectivités pour éviter les fermetures de salles ? Face à l'évolution salutaire des salaires et de la masse salariale et au surcoût des prix de l'énergie et des fluides, comment souhaitez-vous venir en aide au secteur ?

Enfin, du fait des jeux Olympiques de 2024, une grande quantité de techniciens, d'éclairagistes, de manutentionnaires et de personnels de sécurité sont d'ores et déjà mobilisés partout en France. Quels dispositifs allez-vous pouvoir mettre au point pour l'ensemble des festivals, en particulier les plus gros ? En tant que régional de l'étape, je plaiderai bien sûr pour celui d'Avignon !

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Mon premier bloc de réponses portera sur le patrimoine. Je sens une certaine confusion par rapport à vote perception centralisée de notre politique du patrimoine, alors que tel n'est pas le cas. Le montant des budgets alloués à la protection des monuments historiques concerne l'Île-de-France à seulement 9 %, contre 91 % partout ailleurs. Le plan relatif aux cathédrales consacre ainsi 4 % à l'Île-de-France et 96 % aux autres régions. Notre politique du patrimoine est donc totalement territoriale.

Je rappelle l'existence du fonds incitatif pour le patrimoine que nous avons créé avec les régions, qui permet de soutenir davantage, avec les collectivités, le patrimoine de proximité - sans compter le loto du patrimoine qui permet aussi d'aider les sites non protégés.

C'est depuis la loi de 2004 qu'existe la séparation entre la responsabilité de l'État sur le patrimoine protégé, inscrit, classé, et le patrimoine qui ne l'est pas. Ainsi, la majorité des églises relèvent des collectivités. C'est un partage qui a été fait dans la loi. On peut évidemment y déroger au cas par cas, ou via le loto du patrimoine, soutenir le patrimoine des communes et des propriétaires privés, mais refonder complètement la répartition entre l'État et les collectivités constituerait un énorme chantier, la France comptant 40 000 à 50 000 monuments historiques.

Je n'ai pas été très précise dans mes réponses concernant les effectifs, mais le budget 2023 offre un certain nombre de réponses. Les effectifs déconcentrés dans le domaine du patrimoine représentent 2 400 équivalents temps plein (ETP). C'est un énorme moteur pour les agents du ministère. Un effort est fait pour réduire les vacances de postes, avec plusieurs concours pour les services des DRAC. 101 postes de nouveaux agents, techniciens et ingénieurs vont pouvoir être ventilés entre les UDAP, en soutien aux architectes des Bâtiments de France, et auprès des conservateurs régionaux des monuments historiques (CRMH). Tout cela va permettre de soutenir l'activité de maîtrise d'ouvrage et d'assistance aux propriétaires.

Concernant le patrimoine religieux, je ne pourrai jamais être aussi éloquente que le rapport d'Anne Ventalon et de Pierre Ouzoulias. Une grande partie des restaurations des monuments historiques que nous soutenons est dédiée au patrimoine religieux. Cela représente environ 100 millions d'euros par an sur le budget des DRAC, soit 82 % des projets des années passées. 576 projets ont été menés à bien entre 2018 et 2021. Environ un quart des projets liés au loto du patrimoine concernent le patrimoine religieux.

Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de préserver les synagogues. Le loto du patrimoine permet régulièrement de soutenir toute la diversité du patrimoine religieux. Je pense ici à la synagogue de Verdun. Les synagogues d'Alsace constituent un sujet assez spécifique sur lequel nous devons nous pencher de manière prioritaire, vous avez raison. Nous sommes en train de recruter un nouveau ou une nouvelle responsable pour la DRAC Grand Est. Dès que cette personne sera arrivée, nous devrions entamer une campagne de protection spécifique pour protéger les synagogues les plus emblématiques. Nous vous associerons bien sûr à ces travaux.

Vous avez par ailleurs mentionné le dispositif Malraux. Il s'agit d'une réduction d'impôt sur le revenu en faveur des dépenses effectuées en vue de la restauration complète d'un immeuble bâti, pour lequel une demande de permis de construire ou une déclaration préalable de travaux a été déposée. Le taux de réduction d'impôt est compris entre 22 % et 30 %, sous certaines conditions. Le PLF 2023 ne comporte pas de modifications de ce dispositif. Nous cherchons simplement à le rendre plus efficient pour notre patrimoine - et plus lisible.

Quant à Villers-Cotterêts, je suis un peu surprise, monsieur le sénateur Brisson. On ne peut, d'une part, nous demander de mieux soutenir le patrimoine abandonné ou en déshérence dans les collectivités hors Île-de-France et, d'autre part, nous reprocher de sauver ce château magnifique de François 1 er , qui était dans un état désastreux et abandonné depuis des dizaines d'années.

M. Max Brisson . - Je n'ai pas dit cela !

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Vous avez émis des réserves et avez trouvé surprenant que nous nous occupions de ce chantier à l'heure de la sobriété...

M. Max Brisson . - Je parlais du projet muséal. Ne me faites pas de procès d'intention !

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Tant mieux ! Quoi qu'il en soit, le projet muséal avance bien. Quatre commissaires de grand talent travaillent sur le parcours permanent de visite, Barbara Cassin, académicienne, Xavier North, qui dirigeait le département de la langue française au ministère de la culture, Zeev Gourarier, qui dirigeait les collections du Mucem et Hassane Kouyaté, qui dirige le festival des Francophonies de Limoges. C'est ce quatuor qui pense le parcours de la partie muséale, mais le château de Villers-Cotterêts ne constitue pas un musée. Ce sera une cité, un lieu de résidence avec une douzaine de studios, un auditorium qui accueillera des concerts, des films. Ce sera un lieu vivant pour toutes les disciplines, où les activités associatives et éducatives vont pouvoir se déployer.

C'est en tout cas un projet qui n'a rien de hors-sol, qui est construit avec un grand réseau de partenaires de la francophonie, d'associations locales et d'établissements scolaires. À chaque journée du patrimoine, j'ai l'occasion de voir à quel point cela suscite l'engouement au niveau local. Une maison du chantier permet de faire vivre celui-ci auprès de la population. Un camion des langues de France s'est également déplacé dans les Hauts-de-France. Je serai ravie d'inviter la commission à visiter le chantier avant l'ouverture, si cela vous intéresse. Je pense qu'il est nécessaire de voir sur place. Je suis sûre que vous serez convaincus !

Concernant l'éducation artistique, l'enseignement artistique et tous les enjeux que nous partageons pour la jeunesse, vos interventions montrent à quel point vous avez raison et combien il est important que les jeunes pratiquent l'art et la culture. Il ne s'agit pas de faire d'eux des « consommateurs », entre guillemets, qui vont acheter des billets pour assister à des spectacles ou visiter des musées, mais les amener à être des protagonistes, des acteurs de la vie culturelle et leur permettre de s'essayer à la musique, à l'art, à la danse, au théâtre, voire d'en faire leur métier s'ils le souhaitent plus tard.

C'est ce que permet aujourd'hui de plus en plus le pass Culture, qu'on a voulu transformer afin de permettre aux jeunes d'acheter des instruments de musique ou de prendre des cours. Cette dimension sera très importante dans le pass collectif au collège et au lycée, afin que les enseignants puissent non seulement réaliser des sorties scolaires, invitent des auteurs, des musiciens, et permettent la pratique en classe de manière plus libre que dans certains cours de musique ou d'arts plastiques.

Quant aux établissements d'enseignement, il en existe de deux sortes, les conservatoires à rayonnement régional financés par l'État et tous ceux qui relèvent des collectivités. Vous le savez, madame Morin-Desailly, on compte 1 500 structures d'enseignement artistique spécialisé au total. C'est un réseau gigantesque. C'est une très bonne nouvelle pour notre pays, mais la répartition est assez subtile. J'ai moi-même travaillé en collectivité auprès de Bertrand Delanoë, qui était très attaché à l'enjeu du développement des conservatoires. Je connais donc bien le sujet. L'État ne peut totalement se substituer aux collectivités pour ce qui est des conservatoires municipaux de musique.

Reste la prise en compte du développement des autres établissements classés par l'État, qui sont environ 382. J'ai insisté, lors de la présentation du budget, sur les établissements supérieurs d'enseignement artistique, pour lesquels l'aide aux étudiants les plus en difficulté est prioritaire, afin de soutenir plus particulièrement les écoles d'architecture, où l'enjeu est particulier. Merci de les avoir présentés comme les laboratoires de la transition écologique du futur. Ces 20 000 étudiants, qui vont en effet être les bâtisseurs de demain, auront forcément une autre manière de construire, plus écoresponsable,

J'insiste sur la lecture : certaines actions coûtent de l'argent, comme le fait de soutenir une manifestation littéraire, des résidences d'auteurs dans les écoles que le Centre national du livre va déployer dans la continuité du programme consacrant la lecture comme grande cause nationale. D'autres actions ne coûtent pas très cher budgétairement, mais demandent beaucoup de mobilisation, d'énergie et de coordination, comme le quart d'heure de lecture, auquel je tiens beaucoup. J'en reparle régulièrement avec mon collègue Pap Ndiaye.

Dans les régions et les départements où cette action est mise en place, comme en Bretagne, les choses se passent très bien. Quand les élèves s'arrêtent 15 minutes pour lire pour le plaisir, que ce soit un livre, un magazine, une BD, cela fait une énorme différence au bout de quelques mois en termes de concentration, d'amélioration du vocabulaire, de relations entre élèves. Cet impact n'a pas de prix. Si on arrive un jour à faire en sorte que toute la France, tous les jours, s'arrête 15 minutes pour lire, on aura gagné ! On peut rêver, mais cela me semble atteignable. On peut également fournir plus de livres si ceux-ci manquent. On développe également la lecture à voix haute.

Concernant les aides à la presse, je vous rejoins, monsieur Assouline. Je pense qu'on a devant nous un gros chantier de réformes. Nous nous y attelons. J'attends avec impatience les états généraux du droit à l'information pour entendre toutes les recommandations et préconisations qui sortiront à ce moment-là. J'ai commencé à me plonger dans le détail des aides à la presse et aux radios. Je pense qu'il s'agit là d'une modernisation, d'un ajustement et d'une réforme de fond. Je suis d'accord avec votre diagnostic.

Les états généraux débuteront début décembre et dureront jusqu'au mois d'avril-mai. Nous pourrons vous en dire plus bientôt.

Concernant le Centre national de la musique, nous attendons le démarrage de la mission du sénateur Bargeton, qui va permettre de faire le point sur tous les enjeux de financement de la filière musicale et sur les positions des uns et des autres. Tous les acteurs de la filière ne sont pas d'accord.

Enfin, s'agissant du métavers, des NFT et des mondes numériques, avec leurs opportunités et leurs menaces, je vous invite à lire le rapport de trois experts, Camille François, Adrien Basdevant et Rémi Ronfard, qui ont tenté de définir et d'embrasser tous les enjeux liés au monde « métaversique ». Ce sera une excellente base pour nos discussions lors de nos prochains échanges.

Merci pour votre engagement en faveur de la culture !

M. Laurent Lafon , président . - Madame la ministre, vous avez terminé votre propos liminaire par des vers de García Lorca. Je conclurai cette réunion par une citation de Nietzsche : « Je connais ma destinée : un jour s'attachera à mon nom quelque chose de formidable. » Je ne sais si nous utiliserons ce qualificatif à l'issue du débat sur le PLF, mais je ne doute pas que, si vous reprenez à votre compte les amendements du Sénat, on s'en rapprochera !


* 1 La commission de la culture a établi un panorama complet dans un rapport de Catherine Morin-Desailly paru en 2017 « Entre stratégies industrielles, soutien à la création et attentes des publics : les enjeux d'une nouvelle chronologie des médias » https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201707/chronologie_des_medias.html

* 2 https://www.fncf.org/updir/3/Charte_sobriete_energetique.pdf

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