III. L'ÉTERNELLE QUESTION DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE

La loi du 18 octobre 2019 de modernisation de la distribution de la presse, dont le rapporteur pour avis était rapporteur 2 ( * ) , devait apporter un cadre enfin stabilisé et cohérent au système de distribution hérité de la Libération.

Trois ans plus tard, le paysage a évolué, sans être totalement révolutionné, avec toujours la présence de deux acteurs :

Ø d'un côté, France Messagerie, héritier de Presstalis et des NMPP

Le groupe Presstalis, entreprise de messagerie de presse privée, était jusqu'à sa liquidation en juillet 2020, l'un des principaux acteurs de la distribution de la presse en France et, de fait, le seul opérateur de distribution de la presse quotidienne nationale . Fin 2018, le groupe Presstalis réalisait un chiffre d'affaires annuel de 287 millions d'euros, employait environ 1 000 personnes et représentait entre 75 % et 80 % du marché de la vente au numéro.

En 2020, Presstalis s'est déclarée en cessation des paiements et une procédure collective a été ouverte devant le tribunal de commerce de Paris. Le 1 er juillet 2020, le tribunal a homologué la reprise d'une partie des activités (le niveau 1) de la société par la coopérative des quotidiens et la création de France Messagerie . En 2021, ce nouvel opérateur emploie 225 personnes, réalise un chiffre d'affaires de 90 millions d'euros et dégage un résultat positif de 4,8 millions d'euros .

Soutien financier à Presstalis, puis FM,
depuis 2012

en millions d'euros

Dépenses de l'État pour Presstalis, puis FM,
entre 2012 et 2023

Le « feuilleton » Presstalis a été très largement traité par le rapporteur pour avis les années précédentes, tant le véritable « naufrage » de l'entreprise a été long, socialement coûteux et financièrement disproportionné, entre aides à la distribution, subventions, soutien et prêts jamais remboursés ;

Ø de l'autre, les Messageries lyonnaises de presse (MLP), le brillant second devenu premier

Les MLP ont développé leur activité sur des publications à périodicité lente et à fort prix de vente. Regroupant 550 éditeurs adhérents publiant environ 3 000 titres, les MLP représentaient en 2019 entre 20 % et 25 % de la vente au numéro avec 316 millions d'exemplaires distribués par an.

À la suite des bouleversements du paysage de la distribution intervenus à l'été 2020, les MLP sont devenues l'acteur de référence de la distribution de la presse au numéro , représentant désormais 65 % du marché avec un résultat positif de 9,9 millions d'euros .

Ainsi, les deux sociétés ont échangé leur place, le second devenant le premier, l'ancien leader continuant d'assurer seul la distribution des quotidiens.

La permanence de ce duopole pose plusieurs questions qui interrogent à terme la viabilité du secteur.

ü Tout d'abord, le marché de la presse en lui-même

Les MLP comme France Messagerie évoluent aujourd'hui dans un marché dont la valeur diminue d'année en année. Pour les quotidiens distribués par France Messagerie, l'attrition est de 8 % à 10 % par an, sans qu'un terme clair soit fixé à cette chute. Cela signifie qu'année après année, les deux entreprises, et France Messagerie en premier lieu, doivent prévoir une baisse du chiffre d'affaires global du secteur.

ü Découlent ensuite de cette situation des comportements « prédateurs » entre les deux opérateurs

Dans un marché structurellement en baisse, la croissance ou le simple maintien du chiffre d'affaires ne peut être obtenu que par des baisses de charges ou bien la conquête de nouveaux clients arrachés au concurrent . Il en résulte une situation où les deux entreprises sont incitées à proposer les meilleures offres aux éditeurs, au prix d'un barème susceptible de les fragiliser. L'Arcep a ainsi dû rappeler à l'ordre chacune de ces messageries quatre fois sur leurs tarifs , s'inquiétant en particulier des « remises » consenties aux plus gros éditeurs qui mettent en cause le sens même de la distribution mutualisée.

ü Enfin, la question du soutien public suscite un fort malaise

France Messagerie ne dégage un résultat positif de 4,8 millions d'euros que par le biais, de manière directe, des 9,3 millions d'euros de péréquation acquittés par les MLP et de manière indirecte par une subvention de 27 millions d'euros , versée aux éditeurs de quotidiens et dont elle demeure la seule bénéficiaire . Les MLP ont donc le sentiment de lutter contre un concurrent économiquement viable uniquement par une ponction sur ses revenus (la péréquation) doublée d'une aide publique. C'est cependant négliger les champs différents de deux aides, les contraintes très spécifiques et lourdes que le cahier des charges fait peser sur la distribution des quotidiens, et l'attractivité des points de vente qui repose en partie sur cette presse du jour.

Les arguments déployés de part et d'autre demeurent donc marqués par des oppositions quasi historiques entre les deux entreprises . Désormais dominantes, les MLP estiment être en mesure d'assurer la distribution des quotidiens, ce qui n'est pas encore avéré. France Messagerie, de son côté, doit gérer une perte de revenus sur son principal marché de 6 à 7 millions d'euros, et rien ne garantit à moyen terme la survie de la société.

Le rapporteur pour avis estime qu'il est temps de déterminer la structure de distribution de la presse la plus respectueuse du pluralisme comme des fonds publics . Les États Généraux du droit à l'information, annoncés par la ministre, ou bien une mission spécifique, pourraient être en mesure d'apporter des solutions enfin pérennes, en répondant à trois questions :

• Quelle est l'évolution prévisible du marché de la presse papier à long terme ?

• À quel niveau doit se situer le soutien public à la distribution des quotidiens ?

• Quelle structure serait la plus adaptée : un seul opérateur, deux opérateurs généralistes et concurrents, deux opérateurs spécialisés ?

Avec le choc inflationniste qui va renchérir les coûts de transport, 2023 pourrait être l'occasion de résoudre cette question qui monopolise trop l'attention depuis 10 ans. Dans cet exercice, l'expertise acquise par le régulateur doit s'avérer précieuse .


* 2 https://www.senat.fr/rap/l18-501/l18-501.html

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